PAR JEAN BOSCO PRÊTRE
TURIN, 1882
IMPRIMERIE
SALÈSIENNE
RUE COTTOLENGO, NO 32 {3 [421]}
{5 [422]}
INDEX
Monsieur et madame Colle. Hommage respectueux. 2
Chapitre I. La Famille de Monsieur Colle. Naissance de Louis 3
Chapitre II. Education première 4
Chapitre III. Enfance de Louis, sa piété - Il est admis à la première
Communion - Son esprit de foi - Son amour pour les enseignements de notte
sainte Religion 8
Chapitre IV. Sagesse de Louis. Ses principales vertus 13
Chapitre V. L’instruction de Louis, ses brillantes aptitudes - Son
amour du travail - Ses succès 17
Chapitre VI. Mauvaise sante de Louis - Ses voyages - Sa charité pour
les œuvres catholiques - Sa simplicité 19
Chapitre VII. Dernière maladie 22
Chapitre VIII. Mort de Louis - Ses obsèques 24
Table 27
{6 [423]} { [424]}
Monsieur et Madame
Colle,
Le
Seigneur Notre Dieu, dont la main toute-puissante accorde ou reprend ses dons,
selon les intérêts de sa plus grande gloire, vous avait donné un gage signalé
de sa faveur en la personne d’un jeune enfant, bientôt arrivé à faire les délices
de sa famille et de tous ceux qui eurent le bonheur de le connaître. {7 [425]} Mais
ce fils si bien doué, votre bien-aimé Louis, fut comme l’un de ces astres lumineux
qui paraissent un instant sur l’horizon; à peine le regard a-t-il pu commencer
à se reposer sur eux avec délices, ils lui échappent et ne soni plus pour nous.
C’est
bien là l’image trop fidèle de la vie de notre Louis. Il était en peu de temps devenu
un vrai modèle de la jeunesse. Il faisait concevoir les plus belles espérances
Déjà ses vertus avaient franchi le cercle de la famille, elles commencaient à
resplendir aux yeux de tous ceux qui vivaient près de lui.
Mais il
ètait cette brillante lumière qui ne devait éclairer qu’un instant notre horizon.
Comme un fruit mûr pour le ciel, Dieu le jugea digne d’étre retiré du milieu de
ces buissons épineux qui encombrent cette vallée de larmes. Et, nous sommes
fondés à le croire pieusement, ce fut pour l’appeler à jouir dans le ciel avec
les saints anges de l’éternelle félicité. {8 [426]} Pour adoucir en quelque
manière la profonde douleur que cette perte n’a pu laisser de causer à vos
cœurs, j’ai eu la pensée de recueillir la trace encore vivante de ces vertus
qui resplendirent d’un éclat plus vif dans votre Louis. Je me suis propose d’en
faire comme un bouquet de fleurs, pour la consolation de sa famille et l’exemple
de la jeunesse chrétienne.
Dans cette
courte biographie, vous aurez un souvenir de Celui que vous avez tant aimé,
dont vous avez reçu tant de consolations en cette vie mortelle; mais que Dieu a
trouvé déjà prét à recevoir la ricompense immortelle. C’est là dans la Patrie des bienheureux, qu’il vous attend et que vous irez le rejoindre un jour.
Les
renseignements que j’ai rassemblés m’ont été fournis par ceux qui ont vécu avec
le regretté Louis, ont pu traiter avec lui et connaître l’esprit de religion,
de charité, de ferveur dont ce cœur si beau fut constamment animé. {9 [427]}
Vous ne voulez pas que je parle de vous et de vos vertus; je dois obéir, c’est
pourquoi je me borne à rapporter, au sujet de votre famille, les faits extérieurs
et ceux qui ne peuvent s’en séparer.
Je
profite de cette occasion pour vous prier de vouloir bien agréer mes humbles
remerciements pour votre générosité en faveur de l’Eglise et hospice du Sacré-Cœur
de Jesus a Rome; et pour les aumônes que, plus d’une fois, vous vous êtes fait
un charitable plaisir de m’envoyer, afin de venir en aide à nos maisons de
bienfaisance et de leur permettre de donner du pain et des vétements à nos
orpbelins.
Je vous
donne l’assurance que tous, avec moi, élèveront chaque jour vers le ciel la
prière de la reconnaissance, afin que Dieu vous conserve encore de longues années,
qu’il vous donne une vie heureuse et vous accueille enfin près de Lui pour
jouir de ce Souverain Bien, qui seul vous donnera le vrai bonheur dans la Bienheureuse Eternité. {10 [428]} A vos autres œuvres de charité, veuillez aussi joindre
celle de prier pour moi qui serai toujours, en Jésus-Christ Notre Seigneur,
Votre
très-humble serviteur
Turin,
en la fête de S. Joseph,
le 19
Mars 1882.
JEAN
BOSCO, Prétre. {11 [429]} {12 [430]}
Chapitre I. La Famille de Monsieur Colle. Naissance de Louis
Louis
Fleury Antoine Colle est nè, le 22 septembre 1864, dans la maison de campagne
de ses parents à La Farlède, petit village du département du Var.
Dieu,
dans sa miséricordieuse bonté, avait résolu de nous donner en cet enfant le
charmant modèle des plus humbles, mais aussi des plus belles vertus domestiques,
religieuses et sociales exercées, sans aucune défaillance et dans leur
perfection la plus delicate, au sein des douces affections et des nobles et
pures joies du foyer domestique. {13 [431]} Il voulait, en nos temps troublés,
où l’amour du plaisir et la passion de l’in-dépendance vont dissolvant tous les
liens de la famille et de la religion, présenter au monde le noble spectacle de
la famille chrétienne dans tout l’éclat de l’heureuse et feconde harmonie de
son admirable unité.
Cet
exemple devait descendre des hautes classes de la société, plus exposées à céder
au périlleux attrait des jouissances égoistes de l’orgueil et de la volupté, il
fallait une compensation à tant de scandales qui, du haut des classes aisées,
ne cessent de tomber sur le peuple pour exciter en lui le feu de toutes les
convoitises, la lépre de l’envie et l’ardeur de toutes les haines.
Dans ce
but, Dieu, dont l’amoureuse Providence prépare de loin toutes ses œuvres et,
par des moyens pleins de douceur, dispose toutes choses pour le salut de ses élus,
avait réservé à Louis Colle une grande fortune, un nom respecté, une situation
noble et indépendante, mais, par dessus tout, un héritage d’honneur et de
vertu. {14 [432]} Son grand-père paternel, Joseph Antenne Colle, fut un
avocat distingue du barreau de Toulon; enlevé prématurément au milieu de sa
brillante carriére, il a laissé dans sa ville natale l’impérissable souvenir
desascience, de sa charité et de son dévouement à toutes les nobles et justes
causes.
Son
grand-père maternel, le général de division Baron Buchet, entré dans l’armée
française à l’âge de quinze ans comme simple soldat, s’était élevé par son courage
et son mèéite au sommet de la hiérarchie militaire, et la dignité de Pair de
France avait couronné une vie consacrée au service de son pays.
Formés
par de tels hommes, les parents du jeune Louis furent toujours des catho-liques
fervents et pleins de zéle pour la défense des intérêts de notre sainte
religion dont ils pratiquent avec amour les divins enseignements.
La
charité de Jésus-Christ avait fait de leur maison une véritable maison de
bien-faisance. “Dans ce logis béni, nous écrit le digne Curé-Doyen de l’église
S. Louis {15 [433]} à Toulon, le vénérable chanoine Rouvier, dans ce logis
béni, on ne parle que de miséres à soulager, que de bienfaits à accomplir et de
bonnes œuvres à faire. Le souverain Pontife Léon XIII, instruit des immenses
largesses que Monsieur Colle a faites et ne cesse de faire, vient de lui
accorder la croix de S. Grégoire-le-Grand.˝
C’est
dans ce milieu qu’allait vivre le jeune Louis, c’est à cette école qu’il devait
apprendre à faire le bien et à mettre en pratique la morale du ciel.
Cependant,
pour mieux marquer la grandeur de ses desseins sur cet enfant, dont la sainteté
devait récompenser tant de bonnes œuvres, Dieu semblait vouloir refuser à la
charitable famille tout espoir de postérité.
Il
fallait que ce fruit béni, plus particulièrement formé pour le ciel, fût
vraiment un fruit de prière. Aussi, pendant douze ans, Dieu parut rester sourd
à toutes les supplications.
Loin de
se décourager par une si longue attente, la pieuse famille, avec la sainte {16
[434]} persistance des enfants de Dieu, continuait à lutter avec le ciel et
redoublait de priéres et de bonnes-œuvres.
Pendant
trois ans, le grand-père maternel de Louis, le Pair de France, le Général dont
nous avons rappelé le mérite, ajouta tous les matins à ses priéres un Pater
et un Ave pour demander à Dieu de vouloir bien donner un enfant à sa
fille. Ainsi sa foi, forte comme sa valeur, ne craignait pas de se traduire
dans des actes extérieurs d’une piété touchante.
La
mesure des prières et des sacrifices que le ciel exigeait avant de faire aux
heureux parents le don si ardemment, si saintement, et si longtemps désiré, fut
enfin comblée, et Dieu se disposa à la répandre sous forme de grâces de choix,
les plus abondantes et les plus signalées, sur le jeune enfant, dont la
naissance apportait une si grande joie dans une famille où tous les cceurs s’unissaient
pour remercier et bénir le Seigneur.
Grâce
aux soins pieux d’une mère vraiment chrétienne, les premiéres paroles tombées {17
[435]} des lèvres du petit enfant, régénéré par le saint baptême, furent les
noms sacrés de Jesus et Marie; et sa première prière fut la salutation Angélique.
Jesus
et Marie se complurent à bénir ce jeune cœur dont ils avaient eu les prémices,
et récompensrent en lui la foi délicate de ses parents, qui avaient su
sacrifier à Dieu la satisfaction d’entendre les douces appellations de papa
et maman sortir les premières de la bouche de leur enfant. {18 [436]}
Jaloux
de conserver en ce fils chéri le précieux trésor d’une innocente simplicité, le
père et la mère de Louis se firent un devoir de veiller par eux-mêmes à tout ce
qui le concernait. Jamais ils ne l’abandonnèrent aux mains des serviteurs, même
les plus dévoués.
Ils
savaient combien cette fleur délicate de la candeur enfantine peut souffrir du
contact de personnes, bien intentionnées sans doute et d’une honnêteté
reconnue, mais auxquelles le manque d’une éducation suffisante ne permet pas de
mesurer toujours assez discrètement la portée de telle parole, de telle action,
indifferente en {19 [437]} elle-même ou facilement pardonnable, mais qui peut
faire travailler un esprit, trop faible encore pour se défendre des surprises
de Satan, et fausser en un jeune cœur le sens exquis du bien et du beau que
Dieu même y a reformé.
Grâce à
cette sage et continuelle vigilance, rien ne put ternir la fraîcheur du lys,
qui formait doucement sa bianche corolle et allait bientôt embaumer cet heureux
parterre, si soigneusement dispose pour lui par l’amour du Père que nous avons
dans les cieux.
Le
jardinier Céleste se plaît à cultiver dans le sein fécond de son église, cette
terre bénie acquise par la mort de son fils unique et chaque jour arrosée et
vivifiée par le sang Divin qui ne cesse de couler sur elle, une infime variété
des fleurs les plus rares et les plus belles.
Certaines
de ces fleurs, choisies entre les plus précieuses espèces, sont plus
particulièrement l’objet de sa sollicitude. Jaloux de leur perfection, il a
soin de ménager ave; un art infini pour chacune {20 [438]} d’elles le lieu qui
convient le plus à son développement, il compose tout exprès le terreau dont l’essence
répond le mieux à la nature de la variété qu’il veut produire et développera
pleinement en elle les plus exquises qualités; son infime sagesse découvre
toutes les mauvaises influences qui pourraient entraver le dévelopment de ses
chères bien-aimèes; et les ressources inépuisables de son art divin préparent
et, disposent pour le temps opportun, les abris vivants qui devront les défendre
et favoriser leur entier épanouissement. Chose admirable, ces abris sont eux-mêmes
des fleurs non moins belles, mais d’un naturel plus fort; et l’église présente
ainsi le spectacle de la plus harmonieuse diversité.
Tel,
dans l’aimable intérieur de sa pieuse famille, le jeune Louis croissait sous
les yeux charmés de son père et de sa mère. Ces derniers, instruits par la
religion de l’étendue de leur responsabilité, se dévouaient à la culture de
cette jeune plante, dont {21 [439] il savaient que Dieu leur demanderai compte
un jour.
Ils n’ignoraient
pas que la nature vive et delicate de l’enfant le rend susceptible de recevoir
toutes les formes, de se plier a toutes les directions; grâce a leurs pieux
parents, ils savaient par expérience que ces bonnes habitudes, si facilement
prises dans l’heureux âge de l’enfance, fortifìées ensuite par un exercice
continuel et presque inconscient, deviennent comme une seconde nature, et sont
pour l’adolescence une puissante sauvegarde pour l’âge mûr le plus ferme des
appuis.
Aussi,
semblables au jardinier qui se hâte de profìter de la flexibilité des jeunes
rameaux pour leur imprimer la direction la plus conforme au but qu’il se
propose, les parents de Louis s’empressaient de seconder l’œuvre de l’Esprit-Saint,
et de diriger vers Dieu toutes les puissances de celui dont ils voulaient faire
avant tout un catholique modéle; et peut-être même; si tel était l’ordre de la Divine sagesse, un prêtre des saints autels. {22 [440]} Leurs entretiens, patiemment adaptés
à la portée de son âge, aidaient sa jeune âme à se dégager peu à peu du nuage
des impressions sensibles, et leur habile direction, heureux mélange de douceur
et de fermeté, la forcait à devenir maitresse d’elle-même temps qu’elle
apprenait à se, et acquérait la capacité d’agir librement.
Un dévelopment
précoce de l’intelligence est l’heureux privilége de tous les enfants dont les
grandes personnes ne dédaignent pas de s’occuper, en se mettant à leur niveau
pour les former à l’exercice des fonctions de notre nature spirituelle. Mais
trop souvent la prudence manque à ces éducateurs. Ils ignorent la nature et la
dépendance mutuelle de nos facultés, ou les perdent trop aisément de vue. Tous
leurs efforts, tendent à développer la faculté de connaître et celle de sentir
que, par une erreur déplorable, mais malheureusement trop commune, ils prennent
pour la faculté d’aimer. {23 [441]} Par contre, ils négligent complétement la faculté
maitresse, l’unique source du véritable et pur amour, dont la sensibilité n’est
qu’une trompeuse image, la volonté.
Si
parfois ils s’occupent de cette pauvre volonté, ce n’est pas pour la régler et
la fortifier par l’exercice répété de petits actes de vertu demandés à l’affection
de l’enfant, et facilement obtenus des heureuses dispositions de son cœur. Tout
au contraire, sous prétexte de la nécessité de dompter une nature rebelle, ils
s’attachent à réduire la volonté par l’emploi de moyens violents, et ne réussissent
qu’à la détruire au lieu de la redresser.
Par
cette erreur fatale ils troublent l’harmonie qui doit présider au dévelopment
parallèle des puissances de notre âme, et faussent les trop délicats
instruments confiés à leurs mains inexpérimentées.
L’intelligence
et la sensibilité, surexcitées par cette culture intensive, attirent à elles
toutes les forces de l’âme; elles absorbent toute sa vie. Bientôt elles ont
acquis {24 [442]} une extrème vivacitè, jointe à la plus exquise délicatesse.
L’enfant
conçoit promptement, son imagination est ardente et mobile; sa mémoire fidèle
retrace, sans effort et avec une scrupuleuse exactitude, les moindres détails;
sa sensibilité ravit tous ceux qui l’approchent.
Mais
toutes ces qualités brillantes couvrent à peine la plus honteuse insuffisance,
la plus inconcevable faiblesse. - L’enfant, et plus tard hélas, le jeune homme,
emporté par la promptitude de ses conceptions, ne sait ni penser, ni agir avec
suite; il manque absolument de bon sens, de tact, de mesure, en un mot, d’esprit
pratique.
N’allez
pas chercher en lui l’ordre et la méthode. Il brouille tout,confond tout, dans
le raisonnement comme dans la conduite. Il vous déconcerte par de brusques et
impétueuses saillies, par d’étranges inconséquences. Hier il vous affirmait
avec enthousiasme une prétendue vérité; demain, avec la même et irrésistible
conviction, il vous soutiendra précisément le contraire. {25 [443]} Sa raison,
obscurcie par la faiblesse de la volonté, ne lui permet pas de penser sérieusement
par lui-même. Il reçoit des autres tous ses jugements, et les adopte par cela
seul qu’ils séduisent son imagination ou flattent sa sensibilité; la même légèreté
les lui fait abandonner ensuite; ils ont cesse de plaire, ou d’autres théories
plus brillantes ont fasciné cette intelligence mobile.
Trop
agité pour pouvoir lire clairement au fond de son âme, il n’en connaìt que la
surface, c’est-à-dire les émotions passagéres.
Prompt
à saisir les moindres mouvements de cette surface, il croit avoir résolu tout ce
qu’il lui semble vouloir; incapable de se resister à lui-même, il s’empresse de
l’exécuter.
Triste
et ridicule jouet de Satan qui ne cesse de le tromper en excitant dans son âme
des impressions que le malheureux aveugle prend pour des volontés bien arrêtées
et mûrement réfléchies. Ne pense-t-il pas avec la rapidité de l’èclair!! - Il {26
[444]} obéit donc sans hésiter; - il obéit à regret, car son cœur a conserve,
malgrèé tout, un reste de droiture; mais enfin il obéit.
Agir
différemment lui semblerait manquer de franchise, il veut se montrer au dehors
tei qu’il est au dedans; s’il domptait ses passions il s’imaginerait faire un
acte d’hypocrisie.
Croyant
vouloir ce qu’il ne veut pas, il croit ne pas vouloir ce qu’il veut.
La
vertu le séduit; mais, comme elle répugne à la lâcheté de la nature, il prend
cette résisistance intérieure pour une volonté contraire.
Dupe de
sa sottise, le malheureux se désespére de ne pouvoir croire ou vouloir ce qu’au
fond il croit et il veut.
Les grâces
les plus précieuses tombent en vain sur cette âme, elle ne peut les recueillir.
Sa conscience est une mer houleuse, soulevée tour à tour par les courants les
plus contraires.
Esclave
de son humeur, l’infortuné ne voit rien qu’au travers de la passion qui, pour l’instant,
le domine. S’agit-il {27 [445]} de décider s’il doit ou non faire une action
importante: au lieu d’étudier cette action en elle même, d’en examiner les motifs,
les circonstances, la fin; il interroge l’oracle, c’est-à-dire sa sotte
sensibilité.
Tout
entier à ses impressions, il se demande "qu’est ce qu’il m’en semble?"
et, selon l’inclination ou la répugnance qu’il croit distinguer en son cœur, il
agit ou s’abstient. C’est là ce qu’il appelle réfléchir! S’il s’est trompé,
gardez-vous de le lui reprocher, il ne saurait être coupable; il a fait pour le
mieux. J’ai dû suivre ma conscience, vous dit-il, j’étais de bonne foi.
Plus
tard, s’il faut en des circonstances difficiles faire preuve d’un caractére
bien trempé, n’attendez rien de lui. Capable des plus généreux élans, il est
aussi sujet aux plus étranges faiblesses. La violence et ì’obstination seront
les seules manifestations d’une volonté débile, et vous les trouverez toujours
exercées à contre-sens.
Mais,
sans doute, les qualités du cœur rachéteront tous ces défauts; la sensibilité,
si cultivée dans les premiéres années, {28 [446]} aura fait de ce jeune cœur le
plus tendre et le plus aimant de tous les cœurs.
Hélas!
nous retrouvons ici le même vide que danstoutes les autres puissances. Le jeune
homme s’affectionne facilement, mais il est aussi prompt à oublier. Son amour n’a
point de solidité.
Sans être
positivement méchant, il n’a d’autre loi que son caprice. Il n’a jamais pu
conserver d’amis, parcequ’il n’a jamais su se refuser, à leur endroit, les plus
impardonnables licencèés; une allusion cruelle, un sans-façons méprisant, une
pointe blessante, un soupeon injurieux et sans fondement, une insolente boutade!
Et il s’étonne
que l’amitié méconnue, froissée dans ce qu’elle a de plus délicat, se retire de
lui! - Pauvre être incomplet il se plaint d’être toujours incompris.
Promptitude
et inconstance, voilà les traits fondamentaux de ce caractére. On a voulu
former un homme, on n’a rèussi qu’à produire un être, intelligent et aimant,
mais faible et déraisonnable: un animal perfectionné. {29 [447]} Que l’on n’accuse
pas ce portrait d’ètre exagéré. Jetons, hélas! les yeux autour de nous, combien
en voyons-nous, combien en avons-nous rencontré de ces natures brillantes mais
inachevées, auxquelles il convient trait pour trait!
Allons
au fond des choses et nous reconnaitrons que ce vide déplorable est le fruit de
la première éducation.
Partout
on dénonce avec effroi l’affaissement des caractères. La cause de cette décadence
ne serait-elle pas, en grande panie, l’oubli, le mépris même, des principes les
plus élémentaires de l’éducation chrétienne?
Et
pourquoi ce mépris, pourquoi cette éducation fausse et tronquée? Sans doute c’est
ignorance; mais c’est aussi, c’est surtout égoisme et tendresse mal entendue.
On
cherche à jouir de l’enfant au lieu de se sacrifier à lui. Ce qu’une affection
sincére, il est vrai, mais étroite et imprévoyante dans son inconscient égoisme,
demande à ce fils, si tendrement, mais si aveuglement aimé, c’est avant tout un
{30 [448]} triomphe pour l’amour-propre; un régal pour la sensibilité.
Partout
on se plait à faire parade des talents précoces du petit prodige. On boit
avidement les éloges qui lui sont donnés; on le loue jusqu’en sa présence, sans
s’apercevoir même des rapides progrés de sa vanite naissante, qui bientot, se
changera en une présomption, une suffisance et un orgueil insupportables.
On se délecte
et se repose dans les démonstrations affectueuses du naturel de l’enfant. On
est tout à la contemplation de ses grâces naives. On recoit et provoque ses câlineries
corame l’on ferait des caresses d’un jeune chien, on le natte comme cet animal;
comme cet animal, on le châtie avec humeur ou colère lorsqu’il ennuie ou refuse
d’obéir ou de rester tranquille. On veut qu’il soit bien caressant, bien dressé,
bien savant et c’est tout.
Grâce à
l’Esprit de Jésus-Christ et à la pratique de sa divine morale, les parents de
Louis, loin de lui donner cette éducation tout animale, l’introduisirent dès l’abord
{31 [449]} et lui apprirent à faire ses premiers pas dans la carriére de la
sainteté, dont les deux poles s’appellent renoncement et générosité.
Pour lui
communiquer cet esprit de sacrifice ils s’attachérent principalement à la
culture de sa raison et de sa volonté; tout en ne négligeant d’ailleurs aucune
de ses facultés, aucune des ressources de sa riche nature, de sa souple et
brillante organisation pour les travaux de l’esprit.
Fortifier
sa volonté, tout en l’assouplissant et la réglant par une sage discipline.
Former sa conscience par de simples leçons et d’attrayants exemples. Développer
en lui la passion du bien, la haine du mal, lui montrer l’un et l’autre dèfinis
par la correspondance ou le défaut de conformité à la Volonté Divine; en sorte que le bien, c’est obéir à Dieu; le mal, lui désobéir.
Résumer
ainsi toute direction morale pratique dans l’unique principe d’un Dieu à aimer
par dessus toutes choses et en {32 [450]} toutes choses; et toutes choses,
selon Lui, en Lui et pour Lui.
Telle
fut la tâche à laquelle ces parents chrèétiens destinérent tous leurs instants;
consacrérent toute leur sagesse et toute leur vertu.
Sa
pieuse mère surtout ne négligea rien pour entretenir et aviver en ce cœur généreux
l’ardente fiamme de la Divine Charité.
Trop
souvent l’éducation chrétienne manque son but en inspirant aux enfants une
crainte exagérée de la présence de Dieu. De ce Dieu de bonté, l’on fait pour
eux comme une sorte d’épouvantail propre à les tenir en respect.
Le cœur
des enfants se détache facilement de ce qui les gêne; l’amour de Dieu diminue;
la contrainte et la défiance remplacent à son égard l’expansion confiante et le
filial et joyeux abandon.
Tout
autre était l’idée que la pieuse mère s’efforçait de donner à son enfant sur
nos rapports avec Dieu.
Dieu,
lui disait-elle en substance, est pour nous le meilleur, le plus généreux {33
[451]} des pères; son amour nous a tout donné: notre existence, nos parents,
tout ce que nous aimons. Lui seul nous conserve tous ces biens, et sa bonté le
presse toujours de nous donner plus encore. Il ne nous demande que de l’aimer
et de lui témoigner notre reconnaissance.
Pour
cela nous devons obéir à ceux qu’il a mis près de nous pour nous commander en
son nom; nous devons le remercier de bon cœur, lui parler avec confiance de
tout ce qui nous occupe, lui demander tout ce que nous désirons. Nous ne devons
pas craindre de refus. Il fait tout ce qu’il veut; il Lui suffit de vouloir, et
il a promis de nous exaucer. S’il nous arrive de demander quelque chose qui
puisse nous faire du mal, il a soin de nous donner quelque autre chose d’utile.
Ce
grand Dieu n’avait nul besoin de nous, il était parfaitement heureux sans nous,
et cependant il a voulu nous créer pour avoir le plaisir de nous aimer et d’être
aimé de nous. {34 [452]} Il ne déteste qu’une chose, la désobéissance qui l’empècherait
de nous aimer, et l’obligerait à nous punir pour nous corriger. Et encore il
est si bon que s’il nous arrive de nous oublier quelques fois, il s’empresse de
nous pardonner ausitót que nous avouons notre faute en lui témoignant un regret
sincère de lui avoir déplu.
Aucune
de nos actions ne peut lui échapper, il est par tout et voit tout, jusqu’à nos
plus secrètes pensées; il a toujours les yeux fixés sur nous, non pas pour nous
surprendre en faute et nous punir, ce qu’il ne fait jamais qu’à regret, mais
pour nous aimer, pour nous encourager par sa présence à faire de notre mieux
afin de lui être agréables, pour nous secourir au besoin. Il veut même nous
aider intérieurement à faire tout ce que nous avons à faire en nous tenant,
pour ainsi dire, la main.
C’est
pour cela qu’il est venu fixer sa demeure au centre même de notre âme, pour la
réjouir ou la consoler, pour lui {35 [453]} donner force et lumière pour se
bien conduire et chaleur pour aimer tout ce qu’elle doit aimer.
Afin de
pouvoir ainsi demeurer avec nous qui l’avions offensé, ce Dieu d’amour a voulu
se faire homme comme nous, et mourir pour nous dans les plus cruelles
souffrances.
Il a
fait ainsi notte pénitence et nous a mérité d’aller un jour auprès de Lui dans
son Paradis. Là nous le verrons et le connaitrons parfaitement, sans craindre
de le perdre jamais.
Nous
nous entretiendrons familièrement avec Lui; tout notte bonheur sera de l’aimer,
de voir combien il est aimable et combien il nous aime.
Ces
enseignements simples et familiers étaient successivement présentés à Louis au
far et à mesure des progrès de son intelligence naissante. Son excellente mère
les traduisait en cette langue du cœur que les mères parlent, et que les
enfants comprennent. {36 [454]} Par ces fréquents entretiens la pieuse mère
élevait doucement à l’ordre surnaturel le cœur et l’esprit de son fils, et le
préparait à la connaissance des mystères de Notte Sainte Religion.
Elle lui
apprit ensuite à vénérer Notre Mère du Ciel, la Très-Sainte Vi erge Marie, à recourir à Elle en toute confiance et simplicité.
Elle n’oublia
pas non plus de faire connaître à l’enfant la présence et le dévouement du S.
Ange chargé par Dieu de nous conduire et de veiller à notte garde.
Le cœur
de Louis comprit aisément avec quel respect et quelle amoureuse reconnaissance
nous devons traiter cet ami du ciel, le remercier, obéir à ses inspirations, ne
perdre jamais de vue sa présence et le prier de nous obtenir du Dieu, dont il
contemple toujours la face, une entière docilité. {37 [455]} {38 [456]}
La
généreuse influence d’une éducation toute chrétienne eut bientôt développé les
germes précieux de toutes les vertus, que l’Esprit Sanctificateur avait formées
dans cette âme, en venant s’établir en elle pour l’enlever à elle-même et la
donner tout entière à Notre Seigneur Jésus-Christ.
La
piété la plus tendre brillait surtout dans le jeune Louis et faisait l’édification
de tous ceux qui le voyaient dans le lieu saint. {39 [457]} Ils ne pouvaient se
lasser d’admirer ce petit enfant, assis à côté de sa mère, demeurant immobile,
les mains jointes et les yeux fixés sur l’autel avec une indicible expression d’affection
et de respect. Evidemment cette âme innocente, toute brillante encore des eaux
de la régènération, tressaillait sous la touche harmonieuse de l’Esprit Divin;
sa foi, naïve et forte, enflammait toutes ses puissances et les tenait
concentrées et ravies dans l’unite d’un pur regard d’amour; comme les Séraphins,
elle contemplait des yeux du cœur le Dieu cache dont elle ne connaissait encore
que la sainte prèsence et la souveraine bonté.
Les
heureux témoins d’un si consolant spectacle bénissaient le Dieu de toute
sainteté.
Du fond
de leurs cœurs émus, montaient sur leurs lèvres ces paroles qui saluèrent
autrefois la naissance du saint Précurseur: "Que sera donc un jour cet
enfant!" - Ils, rappelaient à leur mémoire la merveille de cette
naissance, attendue pendant {40 [458]} plus de douze ans, et enfin, contre tout
espoir humain, obtenue de la Bonté de Dieu par un si grand nombre de prières et
de bonnes ceuvres.
Tous s’accordaient
à prophétiser un nouveau Samuel, un élu du Sanctuaire.
L’enfance
de Louis sembla justifier cette prédiction.
La
douceur de son âme, la sagesse de sa conduite, ses inclinations spontanément religieuses
révélées par ses discours et d’ailleurs empreintes dans toutes ses actions et
jusque dans ses jeux; tout en lui marquait avec évidence l’attrait le plus
exceptionnel vers les Tabernacles du Dieu de toute Pureté.
"Louis,
nous écrit son excellent père, heureux de rendre hommage à la mémoire d’un fils
si justement et si tendrement regretté; - Louis, lorsqu’il était petit enfant,
ne paraissait songer qu’aux choses du ciel.
S’il
prenait un crayon, il ne dessinait que des croix, des calices, des ostensoirs: “Je
voudrais me faire prêtre", {41 [459]}disait-il, "et qu’il me fût
possible de bâtir une église revêtue intérieurement d’or et de pierres
précieuses et qu’on n’eût jamais vu d’autels plus resplendissants".
Une
servante de la maison, fort devote, charmée de la piété de ce petit enfant,
prepara un jour devant lui quelques pains d’hostie et les lui donna. Louis les
renferma avec respect dans une petite boîte, et sa mère le surprit plus d’une
fois, le matin, lorsqu’il était encore à jeun, à.genoux devant une statue de l’enfant
Jesus, où, après une fervente prière, il consommait avec sa foi naïve ce
symbole de l’Eucharistie, communiant ainsi spirituellement".
Ce goût
merveilleux pour l’adorable Sacrement de nos autels était accompagné d’un vif
attrait pour les cérémonies de l’Eglise. Le plus grand bonheur de Louis était d’essayer
de les reproduire lorsqu’il était chez lui.
Un ami
de la famille Colle, homme d’une grande vertu, charmé de ces heureuses
dispositions dans un enfant d’un {42 [460]} âge encore si tendre, eut l’heureuse
pensée de les encourager par un superbe cadeau.
Il fit confectionner
à Lyon un ornement pontifical complet en drap d’or, adapté à la petite taille
de l’enfant, et lui en fit la surprise au jour de l’an.
Si de
telles êtrennes furent bien reçues par notre jeune saint, chacun peut aisément
se le figurer. Ne sachant comment exprimer les transports de sa joie enfantine,
Louis disait le soir à sa mère: “A la vue de ce présent, mon âme a tressailli
de joie".
Quand
il revètait ses beaux vètements sacerdotaux en répétant le chant des saints
offices, nous dit un témoin oculaire, sa figure angélique et ses yeux levés au
ciel lui donnaient un aspect tout celeste.
Mais
laissons un autre témoin, le digne curé Rouvier, nous décrire cette scène
charmante dont il a conservé le plus vivant souvenir.
“Vous
dire l’impression produite par un tei présent sur ce jeune cosur de sept à huit
ans, est chose impossible. {43 [461]} Le jeune Louis ne peut se lasser de
contempler cet ornement, il le touche avec respect et finit par essayer si le
tout convient à sa taille. Pleinement satisfait sur ce point, il parcourt la
maison pour montrer à chacun son bel ornement pontifical: sa chape, sa mitre en
drap d’or, sa crosse et son ostensoir pour donner la bénédiction.
Il faut
vous dire, Monsieur l’abbé, que Louis fut heureux de partager son bonheur avec
les intimes de la famille.
A cet
effet il dresse un autel dans sa demeure, invite ses parents, ses amis et ses
connaissances pour assister à un exercice religieux.
Lorsque
les invités eurent pris place, le pieux enfant, revêtu de ses riches ornements,
entonne un cantique que l’assistance continue. Le cantique fini, il organise
une petite procession à laquelle tout le monde prend part. - Le moment le plus
solennel fut celui de la bénédiction.
Lorsqu’il
se tourna vers l’assistance pour la bénir, tous les regards le contemplaient {44
[462]} avec ravissement en voyant ses beaux yeux innocents levés vers le ciel,
son front rayonnant de pureté, tous ses traits respirant la pièté. Il semblait
un ange descendu sur la terre et l’on se sentait devenir meilleur.
Agréablement
surpris moi-même de cette foi profonde dans un enfant de cet âge, je lui promis
de l’admettre à la première communion dès l’âge de dix ans, c’est à-dire deux
années plus tôt que l’epoque fixèe par les statuts du diocèse.
A dater
de ce jour il étudia son catéchisme avec plus d’ardeur. À l’approche du grand
jour, j’allais plus fréquemment chez lui pour lui donner quelques explications
sur le Sacreraent qu’il devait fecevoir. Mais déjà son excellente mère l’avait
préparé. Aussi répondait-il toujours à mes questions avec la justesse et la
précision d’un véritable théologien.
Mais, hâtons-nous
d’arriver au jour tant désiré. Je le vois encore près du Sanctuaire, à genoux à
coté de celle qui lui donna le jour. Son reçueillement, sa modestie et {45 [463]}
tout son extérieur, qui annonçaient la pureté angélique de son âme, étaient
pour les assistants un grand sujet d’édification. Une douce piété se peignait
sur son visage, et après avoir reçu son Dieu, il demeura abimé dans l’adoration
et l’amour.
Le
souvenir de ce beau jour ne s’effaça jamais de sa mémoire, et le jeune
communiant grava dans son cœur, pour les observer toujours, les engagements
sacrés qu’il avait contractés aux pieds des saints Tabernacles".
Louis n’eut
rien à changer à sa conduite, déjà si régulière, mais il s’appliqua sans
faiblesse, comme aussi sans violence et avec une douce et tranquille ferveur, à
faire plus parfaitement encore jusqu’à ses moindres actions.
Il
savait tout le prix que notre Père Cèleste attaché à la fidélité dans les
petites choses.
Que
peuvent être pour le Père d’infinie Majesté, pour le Dieu de toute sainteté,
les actions de l’homme prises en ellesmêmes, si grandes qu’elles nous paraissent!
{46 [464]} Seule l’infime bonté de Dieu peut les Lui rendre agréables.
Par un
miracle de son amour ce Dieu, dont la.sagesse se joue dans l’univers, a su
tirer les actions humaines de leur extrème bassesse et les élever jusqu’au
tròne de sa grandeur infinie.
Unis
aux mérites infinis du Verbe Incarné, les moindres de nos actes deviennent
dignes de Dieu, car ils sont réellement devant Dieu les actes de Dieu même; les
opérations de Notre-Seigneur Jésus-Christ accomplies par lui dans ses membres
vivants et sous l’impulsion de son Esprit.
Ces
actes divins portent en eux, il est vrai, les limites que leur ont imposées la
nature et les dispositions accidentelles de l’organe mis en jeu, c’est-à-dire la
faiblesse de nos âmes; mais ils trouvent leur complément dans l’ensemble des
opérations de l’Homme Dieu, soit en Lui-même et dans sa sainte humanité; soit
dans son corps mystique, l’Eglise et chacun de ses enfants. {47 [465]} Cet
ensemble, d’une plénitude harmonieuse, forme une seule vie, tout à la fois
humaine et divine, la vie du Christ-Jésus.
Il n’est
par conséquent qu’une seule masse de mèrites infinis dans la quelle chacun des
actes particuliers vient prendre une part proportionnelle à sa valeur relative.
Cette
valeur, il est aisé de le comprendre, se règle uniquement sur le degré de l’action
divine dans l’acte dont il s’agit, sur l’intensité de la charité mise en œuvre
pour l’accomplir.
Louis
connaissait les principes de cette arithmétique céleste. Il savait que le cœur
seul donne du prix à nos œuvres et que Dieu se contente de notre bonne volonté.
C’est pourquoi, plein d’une ardeur joyeuse il s’abandonnait à la conduite de
Jésus-Christ devenu l’âme de son âme et, sans chercher à faire des actes
extraordinaires, il mettait toute son application à s’acquitter, au temps
opportun et avec les dispositions convenables, de toutes ses petites
obligations. {48 [466]} La piété de Louis s’était fortifiée en se développant,
son objet s’était précise par l’étude des mystères sacrés de notre sainte
Religion.
Louis
comprenait maintenant ce que lui avait enseigné sa pieuse mère. Son intelligence,
éclairée par la vive lumière de la foi chrétienne, voyait comment Dieu n’avait
nul besoin de nous créer pour se faire une société dans le sein de laquelle il
pùt, en goùtant le bonheur de se donner Lui-même, jouir de la douce reciproche
d’un mutuel amour.
Le
catéchisme, ce livre d’or de l’enfance, trop negligé par l’âge mûr, avait
appris à notre jeune ami que Dieu n’est pas solitaire.
Au sein
de l’unite de son Etre, ce grand Dieu goûte, dans la société des trois divines
Personnes de son adorable Trinité, l’immuable félicité de l’échange éternel d’un
amour infini, fruit de la plus feconde et de la plus entière communication de
sa divine substance en une distinction qui multiplie les personnes sans
détruire l’unite. {49 [467]}
O
prodige d’amour! Dieu ne se contente pas d être heureux en Lui-même, il veut
encore faire des heureux autres que Lui-même; sa bonté Le presse de répandre,
pour ainsi dire, hors de sa Divine Essence la surabondance de sa vie.
Ne
pouvant plus communiquer la plénitude de son Etre, il établit des degrés divers
selon lesquels il le fera participer à des créatures qu’il tire de leur néant
et fait vivre sous son regard paternel.
Pauvres
infirmes créatures, elles n’ajouteront rien par elles-mêmes à l’infinie
félicité de leur Dieu! Mais Dieu met son bonheur à les rendre heureuses. Il
leur communiquer a tous ses biens. Il les eleverà même un jour à la communion
de sa Nature Divine. Il ne veut pour cela que leur amour et l’hommage de leur
dépendance absolue.
Cet
aveu de leur néant, Dieu ne peut pas ne pas l’exiger. Il est le Dieu de vérité.
Toutes ses œuvres doivent porter ce Divin caractère. La créature raisonnable
serait fausse et insupportable à ses {50 [468]} yeux, si elle s’attribuait à
elle même ce qu’elle ne possedè et ne conserve que par le seul effet de sa
Bonté infinie.
Quant à
leur amour, Dieu pourrait-il permettre à ses créatures de le Lui refuser? Ne
les a-t-il pas créées uniquement pour Lui-même et dans le but d’entretenir
entre elles et Lui l’heureux commerce d’un amour réciproque, faible mais
vivante image de cet amour qui règne immuable au sein de son adorable Trinité?
D’ailleurs, où la créature intelligente pourrait-elle trouver la perfection de
son être, sinon dans le sein paternel qui lui a donné cet être et peut seul le
conserver et l’enrichir encore?
Dieu
nous a créès à son image, et par là même il a creusé dans notre âme un vide que
Lui seul peut remplir.
Etres
imparfaits, mais perfectibles, nous aspirons sans cesse à un être plus complet;
dans cette marche ascendente, nos désirs ne s’arrèteront jamais jusqu’à ce qu’ils
se reposent dans la possession d un bien, au delà duquel ils ne puissent {51
[469]} plus rien désirer, et ce bien n’est autre que l’être qui trouve en Lui-même
toute plénitude, et dans lequel nous adorons notre Dieu.
Cette
possession de Dieu, notre nature ne la réclamait qu’imparfaite, il lui
suffisait de se reposer dans là connaissance et l’amour rationnel de son Dieu.
Jamais elle n’aurait pu prétendre à s’unir à la nature Divine, à pénêtrer dans
le sein même de son Créateur pour l’y voir face à face et vivre en Lui, par Lui
et pour Lui, dans l’intimité de ses Trois Divines Personnes.
Louis
savait par quel prodige d’amour un Dieu fait homme avait, malgré la chûte de
nos premiers parents, réalisè ce que notre nature ne pouvait espèrer. Il
rappelait à sa mémoire les adorables mystères de l’Incarnation, de la Rédemption, de l’union Eucharistique, de la mission du Saint-Esprit; sublimes degrès par les quels
Dieu descend jusqu’à nous pour nous relever jusqu’à Lui.
Son
esprit ravi s’abîmait dans la contemplation de ces inventions admirables de la Charité Infini e. {52 [470]} L’amour est plus fort que la haine.
L’envie
de Satan s’était flattée de perdre sans retour le genre humain tout entier, en
assurant à nos premiers parents qu’ils deviendraient semblables à Dieu.
La
charité de Jésus-Christ, non contente de détruire l’œuvre infernale et d’attacher
à la croix le titre de notre condamnation, a voulu réaliser à notre avantâge ce
que Satan nous avait insidieusement promis.
Louis
applaudissait au triomphe de la Divine Charité. Son cœur se dilatait, il embrassait de toutes ses affections ces marques ineffables de la Sainte folie d’un Dieu toutpuissant, jaloux d’obtenir l’amour de sa misérable créature et de
la rendre digne de Lui.
Quiconque
aime d’un amour véritable est toujours occupé de celui qu’il aime, il trouve
son bonheur à s’entretenir de Lui.
Notre
jeune ami ne se lassait pas de penser à Dieu, d’entendre raconter ses grandeurs
et l’histoire de son amour pour nous. {53 [471]} Un saint religieux, qui fut
appelé près de lui comme précepteur, trois ans aprés sa première communion,
nous révèle cette pieuse avidité:
“Ce Séraphin
brûlait d’amour pour Dieu. On ne saurait dono s’étonner que le désir de le connaître
s’allumât dans son âme. Aussi me priait-il souvent, avec une grâce charmante,
de lui faire connaître ce Dieu, ses sublimes perfections, l’excellence, la
profondeur et toute la beauté de notre sainte religion, des mystères qu’elle
contient,. des lois qu’elle impose, des sacrifices qu’elle demande, des secours
qu’elle procure, des récompenses qu’elle promet à ses véritables enfants.
Toutes
ces notions il les désirait, non par une vaine curiosité, trop souvent pernicieuse
aux esprits imprudents, mais uniquement par ce qu’il aimait, de cet amour
filial qui plaît tant à Notre-Seigneur, et Dieu et la très-Sainte
Religion." Et, tandis que je lui donnais, autant qu’il m’était possible de
le faire, ces éclaircissements, ces lumières si enivrantes pour {54 [472]} l’esprit,
je m’apercevais que de temps en temps des yeux du jeune Louis tombait une larme
furtive, que la joie faisait jaillir de son tendre cœur.
Oh
Louis! si, voyageur sur la terre, l’excellence de la religion t’enthousiasmait
à ce point, quelle joie n’éprouves-tu pas maintenant à voir sans aucun voile
tous ses mystères, à connaître toute sa magnificence! Jouis de l’éternité
bienheureuse, elle était faite pour toi, tu étais innocent et vertueux. Goûte à
présent la récompense, ce Dieu-même pour lequel tu as conservé l’innocence et
acquis les plus belles vertus."
Le
saint enfant ne se contentait pas d’une admiration stérile des mystères de
notre sainte religion. Non seulement il y puisait de nouvelles ardeurs dans son
amour pour Dieu, mais encore il s’efforcait de se pénêtrer de leur esprit, et
de le faire passer dans sa pratique journalière.
Dès l’epôque
à jamais bénie de sa première communion, le catéchisme, en révélant à son cœur
attendri les anéantissements {55 [473]} du Fils Unique de Dieu, l’avait, par
rinfluence puissante et la Divine onction d’un tel exemple, déterminé sans
retour à mépriser tout ce que les séductions du monde peuvent offrir à nos désirs,
et à suivre Jesus dans l’humble et pénible voie de l’abnégation patiente et du
généreux dévouement.
Jesus s’était
sacrifìé pour lui, il voulait se sacrifier complètement à Jesus. Jesus s’était
donne tout à lui, il se donnait tout entier et pour toujours à Jesus.
Pour
maintenir sans défaillance et consommer ce don absolu de lui-même, Louis comptait,
non sur ses propres forces, mais sur la protection de Marie et l’action toute puissante
de Jesus et de son Divin esprit. Il recourait avec un saint empressement aux
deux grands moyens quel’Eglise nous offre pour obtenir et recevoir la gràce
Divine, la prière et la fréquentation des sacrements. Il n’avait garde surtout
de manquer au rendez-vous que lui avait donne le Divin enfant Jésus, en
descendant pour la première fois dans son âme; et souvent {56 [474]} on le
voyait, pieux et reçueilli, s’approcher de la Sainte Table et prendre pan au celeste banquet.
Ecoutons
encore son vènéré précepteur: "...C’ètait toutefois dans les très-Saints
Sacrements que son âme trouvait le plus de consolation, et particulièrement
dans la fréquentation de la table Eucharistique. Oh! quand il recevait dans son
cœur le Dieu d’amour, tout son être s’embrasait des feux de la divine charitè.
Sur son visage on voyait briller le contentement de son âme. La joie qu’il
éprouvait était telle, qu’il me pressait vivement de l’entretenir de l’excellence
de ce grand Sacrement, des effets précieux qu’il produit en nous, et moi,
connaissant la rectitude de ses désirs, je lui donnais, en toute simplicité,
les instructions familières que je croyais les plus propres à l’animer encore
plus à l’amour de ce Dieu, qui trouve ses délices à habiter au milieu des hommes
dans ce Divin Sacrement."
A l’usage
des Sacrements, notre jeune ami joignait la prière fervente et assidue. {57
[475]} La prière chrétienne n’est pas seulement un acte d’adoration, elle est
surtout l’entretien d’un fils aimant et respectueux avec un père rempli d’amour,
de condescendance et de générosité.
Dans
cette amoureuse conversation de l’âme avec son Dieu, devenu son ami, le cœur
doit avoir plus de part que les lèvres. Avant que nous n’ouvrions la bouche,
Dieu sait déjà tout ce que nous avons à lui dire et déjà son cœur s’est ému; sa
miséricorde s’est disposée à nous exaucer ou à nous consoler. Lui-même a fait
la préparation de notre cœur; s’il veut que nous lui exposions nos besoins, c’est
afin d’appeler davantage notre attention, et sur ces besoins eux-mêmes, et sur
sa bonté infinie; c’est surtout afin d’établir plus aisément entre nous et Lui
cette heureuse familiarité que l’épanchement des cœurs produit et cimente.
Loin donc
de la prière chrétienne cette attitude embarrassée, cette crainte exagérée qui
ne laisse paraitre l’homme devant {58 [476]} son Dieu que comme un esclave
tremblant devant un maître irrité. L’amour de Dieu vit de confiance et de
simplicité, la contrainte et l’embarras le glacent, et attristent l’Esprit-Saint.
Voulons
nous plaire à Dieu, présentons-nous à Lui comme un tout petit enfant, qui va
dire à sa mère tout ce qu’il a sur son petit cœur. Rèpandons affectueusement
notre cœur dans le sein de notre Père Céleste, il ne s’offensera pas de notre
liberté, tout au contraire, il épanchera sur nous avec abondance les trésors de
sa miséricorde; et son Divin Esprit répondra secrètement à notre cœur en lui
faisant voir ce qu’il doit faire ou éviter, en le consolant, le réjouissant, et
le pénétrant de la douce certitude que ses soupirs ont été favorablement
accueillis.
Rien n’égalait
la sainte confiance de Louis, et son affectueuse simplicité lorsqu’il parlait à
Dieu.
Son
excellent père nous raconte le trait suivant: {59 [477]} “Sa mère lui ayant
affirmé que tout ce qu’on demandait au nom de Notre Seigneur Jésus-Christ était
accordé, il composa de suite une longue prière dans laquelle il demandait, en
vertu de ce nom sacre, toutes les grâces de sanctification pour lui et pour sa
famille, et remerciait Dieu de tous ses bienfaits; de lui avoir donne un si bon
père, une si bonne mère, une residence si agréable à la campagne, tandis que d’autres
enfants n’ont rien de tout cela; et, le cœur ému à la pensée de tant d’orphelins
et d’enfants abandonnés, il ajoutait: “Ayez pitie d’eux, mon Dieu, par Notre
Seigneur Jésus-Christ, servez leur de père; vous, bonne mère, servez leur de
mère, protégez-les contre les mauvaises embûches du démon, et faites, s’il vous
plait, qu’après leur mort ils entrent dans votre saint paradis."
Il
terminait sa prière en exprimant le souhait qu’au moment de sa mort son âme fùt
lavée de toutes ses taches, et devint bianche comme au jour de son baptême; et
Dieu l’a exaucé, car, d’après l’affirmation {60 [478]} de son confesseur qui
recevait ses confidences depuis l’âge de six ans, il a toujours conserve son
innocence baptismale."
Cet
esprit de prière existait déjà dans le jeune Louis bien avant sa première
communion, témoin cet autre trait charmant que nous tenons de la même source: “Tout
jeune encore, lors de la malheureuse guerre de la France avec la Prusse, il prit l’habitude de réciter chaque jour le chapelet pour nos
infortunés soldats, et quand sa mère ne pouvait s’unir à lui, à l’heure accoutumée
pour ce pieux exercice, il appelait une vieille domestique, qui était depuis
plus de quarante ans au service de la maison; il lui disait: “venez remplacer
maman" et s’agenouillait avec elle aux pieds de la statue de la Sainte Vierge. Il continua cette pratique pendant plusieurs années."
Qui ne
serait touché de cette charité du jeune enfant? Qui n’admirerait surtout une
persévérance si peu commune aux enfants de cet âge? {61 [479]} {62 [480]}
Appuyé
sur la prière et l’accomplissement amoureux et fidèle de ses moindres devoirs,
en vue de plaire à Dieu, et en esprit d’union avec Notre Seigneur Jèsus-Christ,
Louis avancait à grand pas dans la carrière de la perfection chrétienne.
Tout
pour Jesus et par Jesus, était devenu le principe inspirateur et régulateur de
sa conduite, comme de toutes ses affections.
Louis
possédait ainsi la vraie sagesse, la sagesse des élus. - La sagesse en effet, n’est
autre chose que l’art de bien conduire {63 [481]} sa volonté. Ce don précieux
de l’Esprit-Saint nous préserve de toute erreur dans le choix de notre fin
dernière. Il nous montre, avec une évidence irrésistible et un doux attrait, la
gloire de cette fin, supérieure à notre nature: l’union intime avec Dieu, pleinement
réalisée dans la vie future; commencée et préparée dans la vie présente, par la
perte de notre volonté propre dans la volonté divine, par l’absorption de notre
amour dans la divine charité.
La
sagesse ne consiste pas seulement à choisir notre fin dernière, elle nous
apprend encore à lui subordonner toutes les fins secondaires, et à les diriger
vers elle comme autant de moyens. Cette sagesse divine nous fait fuir tous les
objets qui ne sont pas susceptibles d’une pareille direction, ou dont la recherche,
en détournant notre attention, risquerait de nous égarer, ou tout au moins de
nous retarder.
Non
contente d’éclairer ainsi notre marche, la sagesse nous donne le secret d’abréger
la route, en nous préparant directement {64 [482]} par nous-mêmes des sentiers
plus rapides; elle nous fait choisir les moyens les plus conformes à notre fin
dernière, les plus propres à nous y conduire sûrement.
Ce qu’elle
nous enseigne, la sagesse Divine nous le fait accomplir aussitôt. Incompatible
avec la torpeur ou l’irrésolution de l’esprit, comme avec la langueur ou la
faiblesse du cœur, Elle est par nature un feu consumant. Son indomptable et
perseverante activité nous applique, avec une force toujours croissante, à
taire le bien et à éviter le mal; c’est-à-dire à marcher sans cesse vers Dieu.
Pour
nous, en effet, comme pour tous les êtres, le bien est ce qui nous conduit à
notre fin véritable, le mal ce qui nous en détourne; et notre fin véritable, c\’est
Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur.
Ce
discernement précieux du bien et du mal, dans l’ordre surnaturel; ce don plus
précieux encore de l’intuition, de la soif insatiable, et de l’opération
infatigable du bien; Louis l’avait reçu avec abondance le jour où le Saint-Chrème
figura sur son {65 [483]} front béni l’empreinte indelèbile du signe Auguste de
notre rédemption.
Le
Sacrement de confirmation, reçu par cettè âme innocente dans les plus pieuses
dispositions, avait achevé sa beauté intérieure en lui communiquant la force et
le courage du soldat de Jésus-Christ, l’indomptable persévérance de la volonté,
qui seule fait les héros et les saints.
Sous l’influence
de cette volonté, maitresse absolue de toutes ses puissances, parce qu’elle s’appuyait
sur la force et la douceur infinies de l’Esprit-Saint, l’âme du jeune adolescent
exerçait toutes ses opérations dans la paix et la joie d’une activité constante
et toujours réglée. Aussi les progrès étaient-ils rapides, et les fruits des
vertus témoignaient de la docilité de Louis aux inspirations et à l’amoureuse
conduite du Dieu, dont il était devenu le temple vivant, et auquel, en le
recevant pour son maître, il avait promis une inviolable fidélité.
Une des
meilleures marques d’une volonté forte et bien réglée est l’habitude {66 [84]} constante
d’un ordre extérieur, sans recherche ni méticulosité; signe certain que l’âme
se possède elle-même, et que l’ordre règne aussi dans son intérieur.
“Louis,
nous écrit son père, avait un esprit d’ordre parfait, jamais il n’a abîmé un
livre ou un objet quelconque, remettant tout régulièrement à sa place, et
conservant avec un respect religieux ce qu’il tenait de ses parents et de ses
amis.
S’amusant
un jour à un livre d’historiettes, il y rencontra l’incident d’un jeune homme
qui, entraîné dans une voie mauvaise, allait vendre un objet que sa sœur lui
avait donne en souvenir. Louis indigné ferma le livre à ce passage, et ne
voulut jamais plus l’ouvrir."
Mais il
ne suffit pas à l’homme de faire régner l’ordre autour de lui dans les choses
dont il peut disposer, il faut encore et surtout qu’il l’établisse et le
maintienne dans toute sa personne, dans toutes ses actions.
Une
attitude simple et digne, sans prétentions ni raideur; l’aisance et le naturel
dans la composition de la personne; {67 [485]} la douceur et l’affabilité dans
l’expression du visage; une politesse exquise sans affectation; l’àpropos et la
parfaite convenance dans toutes les actions; une grande délicatesse dans les
moindres rapports de famille ou de société; partout un aimable abandon joint à
la plus sage réserve; tels sont les signes par lesquels s’annonce à l’extérieur
la beauté intérieure d’une âme bien équilibrée par le jeu d’une volontè
puissante et maitresse d’elle-même.
Si dans
les diffcultés, dont notre vie ne cesse d’être remplie, cette âme a su
conserver toujours cet ordre admirable, au milieu de tout ce qui tendait à le
troubler; si partout et toujours elle a su demeurer égale à elle-même, elle a
donne la meilleure preuve d’un caractère fortement trempé.
Tel
était le jeune Louis, tel nous l’ont dépeint les personnes qui l’ont le mieux
connu; tel, sur la fin de sa vie, nous avons pu le voir nous-même sous l’êtreinte
d’une maladie mortelle. Accoutumé dès l’enfance à se vaîncre lui-même, il sut {68
[486]} toujours posséder son âme et la gouverner selon les règles d’une raison
pleine de droiture et de délicatesse.
Tel son
précepteur le trouva, en arrivant au milieu de la famille Colle, où l’appelait
une confiance si bien justifiée: nous traduisons un passage de sa lettre:
“Louis,
petit garcon de treize ans, à cet âge même où la jeunesse est dans toute sa
fleur et toute sa vivacité; alors que les humeurs, dont le système n’a pu s’établir
encore, rendent les passions moins obéissantes au frein de la raison, et plus
sujettes à dépasser la mesure, Louis montrait une innocence telle, qu’il
semblait un ange sous des dehors humains.
Oh! c’était
un fortifiant spectacle de l’observer, modeste dans ses actes, châtié dans ses
paroles, modérè dans ses regards, retenu dans toute la composition de sa
personne. Le sourire de l’innocence éclairait son visage, au point de le rendre
un objet d’admiration. Comment être surpris qu’à une telle innocence il ajoutât
l’exercice des vertus chrétiennes, et l’exact accomplissement {69 [487]} des
pieuses pratiques de la religion? Je me faisais parfois un agréable
divertissement de le suivre dans toutes ses actions, pour mieux me convaincre
de la bonté peu commune de cette âme, objet de la prédilection Divine."
Parmi les
facultés de notre nature intelligente, s’il en est une qu’il soit plus difficile
de contenir dans les justes limites d’un usage modéré, c’est, sans nul doute,
la faculté si précieuse de communiquer à nos semblables, par le moyen de la parole,
nos pensées et nos impressions. La conversation est un besoin de notre nature,
elle est, le plus souvent, un devoir de famille ou de société; mais trop
souvent hélas, elle degènere pour nous en une source feconde d’ennuis, de
froideurs, de désunions même, et de péchés.
La
langue est un mal inquiet, dont les démangeaisons semblent parfois irrésistibles;
bien petit est le nombre des âmes capables de le dominer!
Louis
était de ce petit nombre. Voici dans quels termes nous l’atteste une personne, {70
[488]} bien digne de confiance, et assurément bien à même de connaître celui
dont il était le pasteur, et dont il voulut bien être le Père spirituel et l’ami,
M. le chanoine Rouvier, à l’obligeance duquel nous devons, sur la vie de notre
jeune Saint, une relation des plus intéressantes, dont nous avons déjà donne,
et serons heureux de donner encore de nombreux extraits:
“Parmi
les vertus dont notre bien-aimè Louis Colle nous a donne l’exemple, la première
qui se présente à ma mémoire est son grand amour pour le silence.
Intimément
convaincu qu’il est difficile de beaucoup parler sans offenser Dieu, il était
excessivement sobre de paroles; bien différent des enfants de son âge, qui
fatiguent souvent par une loquacité sans fin, et interrompent à tout propos les
personnes les plus sérieuses, Louis prêtait une oreille attentive aux
entretiens de ceux avec lesquels il se trouvait, et n’élevait jamais la voix
sans une cause légitime.
Si par
hasard ondemandait son avis sur la question du moment, il le donnait avec {71
[489]} gràce, sans prétention, évitant avec soin de fâcher personne. Mais ce
que ses paroles ne disaient pas, on le lisait sans peine sur son aimable
physionomie; faisait-on l’éloge d’un homme sérieux, charitable, religieux, la
joie se manifestait d’une manière sensible dans ses traits, ses yeux, et toute
sa personne. Si, au contraire, on parlait devant lui de ces êtres, ennemis de
la société, de la morale et de Dieu même, il souffrait dans le fond de son âme,
et sa tristesse était remarquée de tous ceux qui se trouvaient avec lui."
L’âge
ne fit que fortifier encore cette sage réserve, et le digne chanoine Rouvier
put rendre à son jeune ami ce précieux témoignage:
“Chose
remarquable! dans un siècle où la médisance et la calomnie som à l’ordre du
jour, et règnent dans tous les rangs de la société, Louis avait en horreur ces
vices inqualifiables. Je me suis trouvé souvent avec lui à la ville et à la
campagne, j’ai fait également avec lui d’assez {72 [490]} nombreuses
promenades, et jamais je ne l’ai surpris en défaut sur ce point.
La
pensée des maux infinis que cause la médisance, dans les familles, dans les
cités, et dans les nations, attristait profondément son âme.
A ses
yeux, diviser les ménages, troubler la paix domestique, occasionner des haines
et des inimitiés, étaient des crimes impardonnables. “Si, ne pas pécher par la
langue, disait-il, est une marque infaillible de perfection, se rendre coupable
du défaut contraire, en est une de réprobation."
- A ce
respect pour la réputation du prochain, le saint jeune homme joignait le plus
sincère amour de la vérité.
“Jamais,
affirme son excellent père, jamais Louis ne souilla ses lèvres d’un mensonge,
il n’aimait et ne voulait que la vérité. Jamais il ne jeta les yeux sur un
roman, et s’il ouvrait les journaux reçus dans sa maison, il n’y cherchait que
les annonces de dècouvertes de la science, ou les discussions politiques des
chambres, {73 [491]} pour y déplorer les écarts de notre triste epoque. “Que ce
monde est affreux! disait-il, peu de jours avant sa mort, j’aime mieux le
quitter."
Louis
se faisait aussi remarquer, est-il besoin de le dire, par une obéissance
parfaite à tous ses supérieurs, et surtout à ses bons parents. Donnons encore
sur ce point la parole à son digne précepteur.
“Il
savait combien l’obéissance à nos parents est, non seulement le devoir d’un bon
fils, mais encore un moyen merveilleusement efficace pour sortir vainqueur des
embûches de nos ennemis spirituels, comme nous l’enseigne l’Esprit-Saint: Vir
obediens loquetur victoriam “l’homme obéissant chantera victoire", et
pour avancer toujours de plus en plus dans le bien. C’est pourquoi cette vertu
lui tenait fort à cœur.
Sa
délicatesse de conscience à cet égard était si grande que s’il m’arrivait
parfois de le prier de me servir la messe, il s’empressait de me répondre: “Volontiers,
je serai content de m’acquitter de {74 [492]} ce pieux devoir, si mes parents
veulent bien le permettre. La permission n’était pas longue à obtenir, comme il
est facile de le comprendre; et je ne saurais dire avec quelle joie de l’esprit
et quelle dévotion il remplissait cette noble fonction dont les anges eux-mêmes
se tiendraient souverainement honorés.
Celui
qui aurait pu le voir dans ce saint reçueillement, n’aurait pu manquer de s’écrier:
Ce n’est pas un jeune garcon; e’est un séraphin revêtu d’une chair mortelle qui
assiste au sublime mystère du Sacrifice non sanglant."
À l’obéissance,
Louis joignit toujours une vertu plus rare encore, celle d’une entière
confiance, et d’une parfaite ouverture de cœur envers ses dignes parents. Nous
avons sur ce point l’affirmation la plus formelle de son excellent père; il
ajoute même que, jusqu’à ses derniers moments, Louis “avait conservé l’habitude
de communiquer à sa mère toutes ses pensées et ses impressions." {75 [493]}
Louis témoignait la même confiance à son digne précepteur, le R. P. Louis
Bagnaja, aumônier du dernier navire qui fùt resté à Pie IX, l’Immaculée-Conception.
Une heureuse rencontre l’avait fait connaître aux parents du jeune Louis.
“Cet
estimable prêtre, nous écrit Monsieur Colle, devint non seulement son
professeur d’Italien, mais aussi son ami; il voulait bien condescendre à jouer
avec lui, et l’accompagnait à la promenade. Il a appris à Viterbe, dans son
couvent où il venait de se retirer, la mort de son élève; et il ne cesse, écrit-il,
de regretter comme un fils cet ange envolé au ciel."
Nous
avons, plusieurs fois déjà, mis sous les yeux du lecteur les pieuses et
éloquentes attestations, que l’amour de la vérité, non moins qu’une affectueuse
vénération, ont dictées au cœur de ce saint religieux, jaloux de faire connaître
les vertus de celui qu’il s’estime heureux d’avoir eu pour élève.
Ces
extraits sont empruntés à une notice biographique rédigée par le Père Ludovic {76
[494]} sur la demande de Monsieur Colle, qui lui faisait part de notte projet “d’écrire
la biographie de son bien-aimé et regretté fils Louis, pour faire connaître les
rares vertus morales et civiles, auxquelles il s’était si gracieusement
formé." Ce sont les termes même dont se sert le Père Ludovic dans sa
notice.
Nous
donnons ici, dans son entier, l’introduction de cette notice; de telles lignes
font un égal honneur, et à celui qui les a écrites, et à celui dont la vertu
les a méritées.
“Je le
confesse hautement, poursuit l’excellent religieux, cette nouvelle m’a comblé
de joie; elle a diminué la douleur très-vive, que la perte de ce cher enfant me
faisait éprouver.
Comme
vous m’aviez fait l’honneur de me nommer son précepteur, chargé de lui
apprendre la langue italienne, on ne saurait douter que l’exercice de ces
fonctions ne fùt pour moi l’occasion la plus favorable, et ne me donna, plus qu’à
tout autre (j’ose presque le dire), la facilité de {77 [495]} bien connaître le
caractère docile et affable, l’inclination au bien, le cœur plein de
gentillesse et d’aimable courtoisie, l’amour pour la vertu, qui brillaient dans
ce cher gage, l’objet précieux de votre amour.
Il m’était
d’autant plus aisé de pénétrer ses sentiments religieux, que l’affection qu’il
avait pour moi, jointe à la familiarité dont il usait envers moi, avec une
simplicité fille de l’innocence, lui faisait m’ouvrir son cœur avec une telle
franchise, que je demeurais moi-même dans l’admiration d’une vertu si solide,
en un âge d’ordinaire si léger, et tout stupéfait de trouver une telle
simplicité chez un jeune garcon si vif, et d’une intelligence déjà si formée.
C’est pour
quoi je croirais manquer,non seulement à un acte de convenance envers vous,
Monsieur, mais encore à l’affection tendre et speciale que je sens vivre dans
mon cœur pour cet ange à figure humaine qui fut votre fils, si je me refusais à
manifester les rares vertus qui, vivant, le faisaient aimer de tous et, mort,
peuvent {78 [496]} le rendre un objet d’admiration pour tous.
Je vais
donc, en conscience et pour la gloire de la vérité, exposer brièvement les bien
aimées et si belles qualités religieuses et sociales de ce nouveau Louis de
Gonzague
Je vous
prie, Monsieur, de faire part à l’honoré Dom Bosco de ces quelques traits de l’aimable
figure de votre cher fils, afin qu’il puisse en faire tei ùsage qui lui
paraìtra convenable, dans la biographie qu’il se propose d’écrire.
L’année
1877 touchait à son terme, lorsque j’eus l’extrème honneur de faire la
connaissance du jeune Louis Colle, qui ne comptait encore que 13 ans.
S’il me
fallait raconter ici complètement, je ne dirai pas les qualités naturelles,
dont il était si richement doué que quiconque avait le bonheur de l’approcher
ne pouvait s’empècher de le trouver aimable et de s’attacher à lui, mais
seulement les qualités morales, dont son esprit était orné, je craindrais de me
rendre souverainement prolixe. {79 [497]} Cette abondance même, au lieu d’exciter
l’admiration, me rendrait tout simplement ennuyeux. Donc, dans l’impossibilité
de tout dire, je ferai comme celui qui entre dans un très-vaste champ de beau
blé, bien mûr, et qui, ne voulant en couper qu’une petite partie, se contente
de promener son regard sur le surplus."
Suivent
les divers passages que, pour la commodité du lecteur, nous avons dû détacher
et citer au fur et à mesure des besoinsde notre récit. {80 [498]}
Si le
jeune Louis avait reçu de la main libérale de Dieu d’exceptionnelles qualités
dans l’ordre de la vie pratique, il n’avait pas été moins favorisé dans l’ordre
de la vie spéculative. Ses facultés intellectuelles brillaient par la vivacité,
l’étendue, la clarté, la sûreté, la facilité de leur opération.
Il
avait aussi reçu ces dons prècieux, sans lesquels les plus belles facultés s’éteignent
dans une triste sterilite. {81 [499]} La passion du vrai et du beau, l’amour de
l’étude, la méthode et la patiente persévérance d’un travail opiniàtre, mais
judicieusement réglé.
“Dès l’âge
de huit ans, nous dit son digne père, il montra un goût prononcé pour les
sciences. Le calcul, la géologie, l’astronomie, l’histoire naturelle, l’auraient
passionné, si ses forces physiques avaient seconde sa volonté, qui aurait voulu
embrasser le vaste champs des études."
Monsieur
le chanoine Rouvier rend le même témoignage: “Au don inestimable de la piété,
le Seigneur avait joint celui de l’intelligence, comme pourraient l’attester,
mieux que moi, ses professeurs de francais, de latin, de grec, d’allemand, et d’italien.
Tous conviennent que son intelligence était vraiment extraordinaire."
Le
témoignage du professeur d’italien est plus explicite encore. Cet excellent
religieux s’exprime ainsi: “A la piété, à la possession des vertus morales,
Louis unissait la jouissance des vertus intellectuelles. A son intelligence
éveillée, tout {82 [500]} était facile à apprendre; sous le regard pénétrant de
son intellect, s’évanouissaient les difficultés qui souvent rendent l’étude
fastidieuse pour les jeunes gens; si bien que ses progrès dans la culture des
lettres tenaient du prodige, en raison de son jeune âge.
Douè d’une
grande bonne volonté, son application à l’étude était extrème, et il ne s’en
arrachait que contraint par les nécessités de sa sante, toujours chancelante.
Sa
mémoire était presque extraordinaire; je pus en faire l’épreuve dans les leçons
que je lui donnais de cette langue harmonieuse, née
Dans
cet heureux pays, ou résonne le si.
(DANTE,
Enfer, chant 33).
Bien
que, à raison du mauvais état de sa santé, il ne pùt, ainsi que je l’ai dit
plus haut, s’appliquer à cette étude autant qu’il l’aurait désiré; cependant,
rien qu’à entendre expliquer les règles de la grammaire, et à faire en ma
présence quelques {83 [501]} moments de lecture, il apprit si bien cette
langue, que, non seulement il la parlait très-purement, et avec une gracieuse
spontanéité, mais, plus encore, il l’écrivait avec beaucoup de correction,
comme il serait facile de le vérifier sur les diverses lettres qu’il m’écrivit
à Rome, pendant le peu de mois écoulés du jour de mon départ, jusqu’à la
dernière attelnte de la grave maladie qui le conduisit à la tombe.
Un jour
même Monseigneur Carli, Evêque d’Almira, lisant une de ces lettres, fut
surpris qu’un jeune garçon d’une nature si delicate eût pu, sans une étude
sérieuse de notte langue, arriver à si bien l’écrire, et voulut ajouter au bas
de cette lettre un mot de félicitation.
J’avais
soin de renvoyer ces lettres au jeune Louis, pour lui témoigner ma
satisfaction, et par ce motif, elles doivent encore, si je ne me trompe, ètte
entre les mains de ses parents.
Avec la
même facilité, il réussit à apprendere les langues anglaise, grecque et
allemande, et il les possédait si bien qu’un {84 [502]} jour, tandis qu’il
développait devant moi un aperçu destiné à me faire connaître les différences qui
séparent la langue italienne des autres langues sus-indiquées, en ce qui
concerne les règles, les tournures et les déclinaisons des noms, il me semblait
entendre, non pas un écolier qui doit encore acquérir la science, mais un maître
qui l’enseigne.
Mais
les décrets éternels et divins avaient décide que ces qualités si remarquables
de l’esprit, Louis ne devrait pas en jouir beaucoup sur la terre. Le Seigneur l’avait
fait pour lui, c’est pourquoi, dans la première fleur de son âge, il l’appelait
à jouir de ces clartés ineffables, à se perdre dans ces abîmes d’une lumière
inaccessible qui, en un instant, communique une science et une sagesse capable
d’éclipser le savoir de tous les hommes réunis."
Louis
Colle faisait preuve de la même facilité, non seulement pour toutes les études,
mais encore pour tous les exercices qui supposent l’activité del’intelligence,
etattestent à la fois sa souplesse et sa force: "après avoir assistè à
deux ou trois parties d’échecs, {85 [503]} et avoir reçu quelques explications
relatives à ce jeu, il fut capable, non seulement de jouer, mais encore de
lutter avantageusement avec d’habiles joueurs, nous écrit Monsieur le chanoine
Rouvier, témoin oculaire des taits qu’il rapporte.
Les
facultès esthétiques n’étaient ni moins brillantes, ni moins dèveloppées que les
facultès morales et intellectuelles.
"La
nature, nous dit le digne père de notre jeune ami, l’avait admirablement doué
pour la musique.
A peine
connut-il les notes et les touches du clavier, qu’il improvisait et
reproduisait de souvenir les chants et les cantiques de l’église. L’audition de
la belle et bonne musique l’enthousiasmait. Quelle jouissance doitil maintenant
éprouver dans la patrie céleste, en entendant les concerts angéliques!"
Monsieur
le chanoine Rouvier confirme ce témoignage: “il lui suffisait d’entendre
chanter un cantique une seule fois pour en saisir l’air, et le jouer
immédiatement sur son piano". {86 [504]} Dans les nombreux voyages, qu’il
fit avec ses parents, ainsi que nous le dirons plus loin, “son attrait le
portait surtout dans les musées, l’idée du beau se révélait à lui et captivait
son esprit", ainsi s’exprime son excellent père, dans les quelques notes
qu’il a bien voulu nous fournir.
La
richesse et la perfection de cet harmonieux développement des facultès du jeune
homme ne surprendra pas celui qui voudra bien se souvenir des principes qui
prèsidèrent à l’éducation du jeune enfant.
Nous
avons montré cette éducation chrétienne, s’attachant à développer régulièrement
toutes les aptitudes de l’enfant, pour obtenir de lui, sans toutefois surmener
son intelligence, toute la somme d’activité dont il était capable; nous avons
vu cette môme éducation s’appliquer tout particulièrement à former la volonté,
lui apprenant à se posseder elle-même, et à se diriger toujours selon la raison,
au lieu de se laisser surprendre par l’inclination.
Par
cette puissance régulatrice, tous les écarts, auxquels n’aurait pas manqué {87
[505]} de donner lieu le développement complet des autres facultés, se trouvent
heureusement prévenus. L’ordre et la paix régnent dans certe âme; maîtresse d’elle-même,
elle porte son activité tout entière sur un objet, ou l’en retire à son gré.
La
torpeur et la préoccupation lui sont également inconnues, agissant toujours
avec toute sa force, elle obtiendra sans peine les plus heureux résultats dans
tous les sens, dans lesquels elle devra développer successivement son activité.
Elle
aura naturellement le sens exquis du vrai, du beau, du bien, ces diverses
formes de l’être. La puissance et la régularité de ses opérations intérieures
opèreront ce prodige, car l’homme ne peut apprécier que selon l’état de son âme;
tous nos jugements se forment sur ce modèle, et de là provient leur étrange
diversité.
Si donc
le modèle intérieur est parfait et constant, toutes les appréciations seront
aussi marquées a cette empreinte de la constance et de la perfection. {88 [506]}
Il y avait
cependant une lacune dans cette organisation d’élite. “Cet enfant si bien
favorisé pour l’esprit et pour le cœur avait une santé débile. Sa vie toute
entière se passa dans la souffrance et dans les privations.
Un
défaut d’organisation intérieur et incurable ne lui permettait pas de prendre
les aliments les plus ordinaires et les plus indispensables à l’homme, comme le
pain, le vin, et la chair des animaux. {89 [507]} Il ne pouvait user de ces
aliments qu’en très-petite quantità. Le laitage seul, et quelques fruits
faisaient sa nourriture, et l’on se demande encore comment un régime si peu
substantiel a pu le soutenir jusqu’à l’âge de dix sept ans environ.
Ce
défaut d’organisation et la petite quantité de nourriture, rendaient
quelquefois notte jeune saint triste et mélancolique; mais il supportait tout
avec patience et résignation."
A cet
éloge du digne curé Doyen de l’église S. Louis à Toulon, nous pouvons ajouter un
trait, vraiment remarquable, que nous puisons dans les notes à nous transmises
par Monsieur Colle père. “Louis ne voulut jamais se dispenser de l’abstincnce
aux jours prescrits par l’Eglise, bien que sa santé lui eût permis d’y déroger;
il n’y consentit qu’à regret dans sa maladie.”
Combien
de jeunes gens, robustes d’ailleurs, s’empressent au contraire de profiter de
l’occasion du moindre malaise pour se dispenser des saintes, et d’ailleurs {90
[508]} bien douces pénitences imposées par la Sainte Eglise!
La
vraie piété, l’esprit de mortification, et la force de caractère, sont, hélas,
choses rares dans nos jours de mollesse et de laisser aller.
Les
parents du jeune Louis ne pouvaient se défendre d’une vague inquiétude, ils
pressentaient que cette fleur delicate ne pourrait longtemps resister à un
travail suivi; ils cherchèrent donc à lui donner des distractions utiles
conformes à ses goûts sérieux, et le firent voyager.
Ainsi,
tout en ménageant ses forces, Louis pouvait satisfaire son vif désir d’apprendre.
Presqu’aussitôt
après sa première communion, Louis commença, sous la conduite de ses bons
parents, cette sèrie de voyages, dans lesquels ils visitèrent successivement
les trois principales capitales du monde chrétien, Londres, Paris, et Rome.
Dans le
cours de ces divers voyages, les parents du jeune Louis le conduisirent aux
Sanctuaires les plus vénérés, demandant {91 [509]} à tous, avec confiance, que
Dieu voulût bien accorder à leur enfant la sante nécessaire pour travailler à
sa gloire, et au bien du prochain, pendant qu’il serait dans ce monde.
C’est
ainsi que Louis fut reçu membre de l’archiconfrérie du S. Scapulaire à Paray-le-Monial,
dans la chapelle de la Visitation; s’agenouilla sur la tombe du Curé d’Ars,
salua la Vierge à Pontmain, lieu célèbre par l’apparition de Marie en 1871,
visita à Tours le tombeau de S. Martin, entendit une messe dite pour lui sur le
tombeau de S. Francois Régis à la Louvesc, et enfin, eut le bonheur de servir lui-même
la Sainte-Messe à un de ses parents, à l’autel de la Confession de saint Pierre.
Dèjà,
dans les environs du lieu de sa naissance, Louis s’était fait un bonheur d’aller,
avec ses parents, visiter pieusement les sanctuaires les plus vénérés de la Madone et des Saints; et partout il avait donne des preuves de sa foi vive et de sa piété
sincère. {92 [510]} “Deus fois, écrit le digne curé Rouvier, j’ai eu l’avantage
de l’accompagner dans ses pèlerinages, et, deux fois, j’ai été plus que touchè
de son reçueillement et de son respect, en présence de la statue, ou des
reliques, que nous honorions.
En
voyant cet enfant, dont je connaissais l’innocence, humblement prosterné,
parlant à la Mère de Dieu et aux Saints qui l’entourent, il me semblait que sa
voix, arrivant jusqu’au ciel comme la fumèe d’un encens d’agréable odeur, Marie
le regardait avec complaisance, le bénissait, et concevait en même temps le
désir de le soustraire bientôt aux dangers de ce monde.”
A l’âge
de quatorze ans, Louis eut la faveur d’être présente au Souverain-Pontife Leon
XIII, et le bonheur, plus grand encore, de communier de sa main, dans la
chapelle privée du Vatican, le jour de Pâques (avril 1878).
L’affluence
des étrangers,venus à Rome pour les fêtes, ne permit pas à la famille Colle d’obtenir
une audience privée. {93 [511]} “Ce fut, nous écrit Monsieur Colle, dans une
audience generale que nous eûmes l’honneur de voir le Souverain Pontife. Mon
fils ètait placé entre sa mère et moi. Leon XIII s’arrèta devant nous, comme il
le fait pour chaque personne. Je lui demandai qu’il voulût bien bénir d’une
manière particulière la vocation de mon fils; il me rèpondit “vous ne l’entraverez
pas? je l’assurai de mon entier acquiescement à la volonté divine. Là dessus il
nous bénit tous les trois.”
Monsieur
le curé Rouvier ajoute quelques détails, particuliers au jeune Louis. “Au
moment de recevoir la bénédiction de celui qui représente Jésus-Christ sur la
terre, Louis se prosterne humblement à ses pieds, et lui adresse, d’une voix
émue, ces courtes paroles: “Très-Saint-Père, bénissez, s’il vous plaît, le plus
soumis de vos enfants, et priez pour les besoins de son âme.”
Le Pape
le fixe attentivement, le bénit, lui donne l’anneau du Pêcheur à baiser, et lui
adresse ces remarquables paroles: {94 [512]} “Mon fils, soyez toujours bon
catholique, et vous serez un saint". Cet oracle s’est accompli dans toute
son étendue.
A son
retour de la Ville Sainte, l’âme de Louis, toujours portée pour le bien, montra
beaucoup plus de zèle et de ferveur dans l’àccomplissement de tous ses devoirs
de piété. Son amour pour Dieu et pour le prochain ne connut plus de bornes...
Louis
eut toujours une grande charité pour les pauvres: il en donnait des preuves toutes
les fois que les circonstances lui en fournissaient l’occasion. Ces
circonstances étaient rares, par la raison qu’il sortait fort peu, et jamais
seul.
Je L’aivu
néanmoins, maintes fois, dans le lieu saint, glisser modestement dans la bourse
des pauvres des offrandes proportionnées à son âge et à son avoir. D’autres
fois, il me chargeait moi-même de ses aumônes pour en être le distributeur.
Voici
un trait qui révèlera, rnieux que mes paroles, la bonté de son cœur et sa {95
[513]} tendre compassion pour la misère. Peu de jours avant sa mort, il apprit
que son père venait de promettre une somme consideratile pour les orphelinats
salésiens et pour l’èglise et orphelinat du Sacré-Cœur de Rome.
Cette
nouvelle lui fut si agréable, qu’il en pleura de joie. Ce pauvre enfant était,
en ce moment, assis dans son fauteuil de douleur, et tournant ses regards vers
les auteurs de ses jours, il leur dit autant qu’il lui fut possible: “Merci,
papa; merci, maman, de la belle action que vous venez de faire". Ensuite
il ajouta, et ce furent à peu près ses dernières paroles: “Faites du bien à
tous ceux qui vous entourent". Telle est la relation du digne Curé.
Désireux
d’entretenir en leur fils, si justement et si tendrement aimé, la gènéreuse et
ardente charité, que la religion chrètienne inspire à ses enfants pour leurs
frères malheureux, les parents de Louis avaient pris l’excellente habitude de
faire passer par ses mains leurs aumònes particulières. {96 [514]} Quand nous
faisons l’aumône, nous enseigne le saint Evangile, notre main droite doit
ignorer ce que fait la main gauche.
Ces
paroles signifient, non que nous devons ignorer le chiflre de ce que nous
donnons, mais bien que nous ne devons pas en tirar vanite.
Louis
observait ce précepte du divin Maître, et disait souvent que nous devons garder
le secret sur nos aumônes, pour n’en pas perdre le mérite.
“Louis
était, du reste, nous écrit M. Colle, d’une discrétion à toute épreuve, on
aurait pu, sans crainte, lui confier un secret.”
Louis
ne se contentait pas de la bienfaisance particulière, qui soulage seulement tel
on tel individu, mais il étendait toutes les ressources de son activité à ce
que l’on pourrait, assez justement, appeler la bienfaisance sociale.
Sous la
conduite de son digne père, Louis participait à toutes les œuvres de défense
catholique, et de prèservation sociale, que notre malheureuse epoque a rendues
indispensables {97 [515]} et qui sont devenues, en France, la sainte
occupation, nous pourrions dire la mission, de tous les cœurs véritablement
catholiques.
Les
ennemis de la religion emploient contre elles trois armes principales: la
mauvaise presse, les réunions antireligieuses, l’école sans Dieu.
La
mauvaise presse répand à profusion les livres irréligieux ou immoraux, les
journaux grands et petits, qui semblent ne chercher leurs moyens de succès que
dans la bave empoisonnée, qu’ils ne cessent de déverser sur la religion, la
morale et l’autorité.
Les
catholiques ont dû suivre leurs ennemis sur le terrain même oû ils avaient pris
position; aux mauvais journaux ils ont oppose des journaux rédigés par eux dans
un esprit conforme aux principes de notte sainte religion. - Aux mauvais livres
ils ont oppose la propagande des bons livres, et la crèation de bibliothèques,
oû le chrétien peut trouver l’aliment du cœur, aussi bien que celui de l’esprit,
sans avoir {98 [516]} à craindre de boire un poison mortel, habilement dissimué.
Dans
les réunions antireligieuses, l’on ne cesse d’exploiter les souffrances de l’ouvrier,
ou ses convoitises, pour allumer sa haine implacable contre la classe
supérieure et contre les prêtres, que l’on lui représente avec raison comme les
plus fermes soutiens de l’ordre social, dont on fait impudemment une
monstrueuse et criminelle conspiration du fort contre le faible.
Les
catholiques ont répondu par l’institution de Cercles catholiques mixtes, pour
la réunion de toutes les classes, bourgeoise et ouvrière; civile, militaire et
marine. Là, dans la sainte liberté des enfants de Dieu, tous ces hommes,
divisés par leurs conditions, leurs caractères et leurs emplois, se rencontrent
unis dans un même sentiment de sainte charité; ils apprennent à se connaître,
et à s’estimer réciproquement; ils prouvent, par leur exemple, que le
christianisme seul peut donner la véritable fraternité. {99 [517]} Tous se
reconnaissent égaux devant le même Dieu, qui leur impose, les uns à l’égard des
autres, des devoirs, différents, mais réciproques, dont il exige, des uns comme
des autres, la parfaite exécution.
À l’ècole
sans Dieu les catholiques ont opposé l’œuvre des écoles chrétiennes libres,
dont le modeste budget doit, par le malheur des temps, être exclusivement
fourni par la génèrosité des fidèles.
Louis
ètait encore heureux d’appartenir à l’œuvre admirable des conférences de S,
Vincent de Paul.
Telles
ètaient les occupations saintes, qui se partageaient les loisirs du jeune
Louis, et alternaient avec la prière, l’étude, ou de nobles et simples délassements.
Ne
fréquentant aucun collège, Louis n’avait jamais eu de compagnons de jeux, il n’eut
jamais d’autre société intime que celle de ses parents, de son prècepteur et du
digne curé Rouvier. Laissons ce dernier nous dépeindre cette vie cachée, si
conforme à celle de notre divin Modèle. {100 [518]} “Louis a passe toute sa
vie, et tous les instants de sa vie, sous les yeux de son père et de sa mère.
Jamais il n’est sorti seul, pas même avec un compagnon de son âge. Les visites,
les promenades, les voyages, l’assistance aux offices divins, tout se faisait en
commun. Ces trois personnes bénies formaient une espèce de Trinité, distincte,
mais inséparable. Cene vie retirèe plaisait infiniment à Louis et il n’en
voulait pas d’autre.
Il
trouvait dans la maison paternelle tous les dèlassements conformes à ses goûts.
La prière, l’étude, quelques parties de jeu désintéressées, le soin des
oiseaux, et les causeries avec sa famille, occupaient tout son temps.”
Ainsi l’Esprit
de sagesse avait donne à notre ami la victoire la plus parfaite sur les
tentations les plus séduisantes de l’amour propre et de la vanité.
Tous
ces avantages, dont nous avons déjà parle, l’honorabilitè de la famille, sa
considération, la grande fortune, les talents incontestables, les qualités du cœur
{101 [519]} les plus sympathiques; tout ce qu’il faut en un mot, pour réussir selon
le monde, et se faire un nom, Louis avait tout reçu de la main libérale de
Dieu. - Par une libéralité plus grande encore de sa main paternelle, Dieu lui
faisait fouler aux pieds toutes les vaines satisfactions, que la nature aurait
pu vouloir y chercher.
Louis n’avait
d’autre ambition que de se rendre capable d’être un jour un ministre des saints
autels, afin d’opérer autour de lui le plus de bien possible, et de faire aimer
ce Dieu dont il avait tant reçu. Ce désir, hélas! ne devait pas être réalisé,
Louis devait nous precèder dans la patrie, et, admis à la cour céleste, rendre
à son Dieu, dans l’intimitè la plus complète, les hommages qu’il lui adressait
de si bon cœur ici bas, alors qu’il ne l’apercevait encore qu’à travers les
ombres de la foi. Puissent ses prières opérer encore plus de bien que n’aurait
pu le faire son saint ministère dans certe vallée de larmes. {102 [520]}
A l’âge
de seize ans et demi, Louis fut atteint d’une maladie mortelle. Il ne tarda pas
à comprendre la gravité de son mal, et s’abandonna avec une entière soumission
à la Volonté Divine.
Condamné
par les médecins, il se tourna cependant vers le ciel pour dire à Notre Père Céleste
que, prèt au départ, si telle était sa sainte volonté, il ne refusait pas
néanmoins la fatigue, et serait heureux de continuer à le servir sur cette terre
en combattant les saints combats de son amour. {103 [521]} Sans perdre un
instant sa foi vive, il crut toujours que Dieu pourrait faire un miracle, grâce
à l’intercession de Notre-Dame Auxiliatrice, déjà cèlébrée dans tout le monde
par les bienfaits extraordinaires qu’Elle accorde à ceux qui la prient.
Je
faisais alors un voyage en France pour les besoins de nos œuvres, et je devais
passer tout près de Toulon.
Monsieur
Colle me fit ècrire pour m’engager à venir visiter son fils unique, très-dangereusement
malade. En ce moment-là, j’ètais à Marseille.
Je le
promis de bien bon gré, mais je ne pus arriver qu’assez longtemps après l’epoque
à laquelle j’avais reçu la demande.
Le
jeune Colle attendit, sans donner le moindre signe d’impatience.
Lorsqu’enfin
je pus m’entretenir seul à seul avec lui, je fus frappé de l’ingènuité de cette
âme et de sa puretè.
Je
compris aisément que le fruit était mûr pour le ciel, et que Dieu voulait l’offrir
à sa très-sainte Mère pour augmenter sa céleste cour d’âmes virginales, destinées
{104 [522]} à suivre partout, avec elle, les pas du Divin Agneau.
Je
preparai doucement le jeune homme à faire gènéreusement à Dieu le sacrifice de
sa vie; et j’admirai combien cette âme, docile à tous les mouvements de la grâce,
fut prompte à se diriger dans le sens que je lui indiquais, et à s’abandonner
entièrement à l’amoureuse Providence de Notre Dieu.
Cependant,
comme les conseils de Dieu sont impénétrables, je ne crus pas devoir détourner
le jeune homme de persévérer à demander à Dieu sa guérison, si tel était l’intérèt
de son âme, et de la gloire de notte Père céleste.
Je plaçai
le malade sous la protection de Notre-Dame Auxiliatrice, dont il portait déjà
la médaille, et lui conseillai d’invoquer souvent cette bonne Mère, sous ce
titre si consolateur pour nous, et si glorieux pour elle.
Le
jeune Louis obéit, avec la plus fervente docilité; pendant tout le peu de jours
qu’il vécut encore, il ne cessait de {105 [523]} se recommander à toute heure à
Notre-Dame Auxiliatrice, pour recevoir de ses mains la grâce de supporter
patiemment la souffrance, et celle de bien mourir, ou de guèrir, si tel était
le bon plaisir de Dieu.
Le
digne curé Rouvier, son confesseur, demandait aussi le miracle, que les prieres
de toute la famille Colle et celles de ses nombreux amis voulaient arracher au
ciel, comme ils lui avaient arraché la naissance de celui qui se mourait alors.
Dans
une de ses visites quotidiennes, relevant les espérances du jeune malade, son
confesseur alla jusqu’à lui dire, avec la sainte hardiesse des amis de Dieu.
“Mon
cher enfant, je somme Dieu de vous guèrir." dès qu’il fut parti, Louis, se
tournant vers sa mère: “M. le curé m’a dit qu’il sommait Dieu de me guèrir;
moi, ajouta-t-il en joignant les mains, je vous somme, mon Dieu, de me faire
mourir si je devais être méchant.”
Un peu
plus tard, s’apercevant de l’affliction de sa mère, qui ne le quittait pas un
instant: “Maman, lui disait-il, que {106 [524]} diriez-vous si Dieu vous
demandait, comme à Abraham, de Lui faire sacrifice de votre fils?”
La
pauvre mère, hélas! ne put répondre que par ses larmes... et, comme il
craignait qu’elle ne cédât pas aux instances qu’il lui faisait pour prendre quelque
repos: “Je vous le demande au nom de Jésus-Christ”, lui disait-il, se
ressouvenant de l’affirmation qui avait été gravée dans son cœur d’enfant, que
rien ne pouvait resister à cette invocation.
Mais,
empruntons à la relation de Monsieur le curé Rouvier le rècit de ces derniers
jours.
“Lorsque
ses forces affaiblies ne lui permirent plus de continuer ses études, et le
forcèrent à un repos absolu, je le visitais régulièrement tous les jours. Dans
une de mes premières visites, je lui suggérai la pensée de faire une neuvaine à
la très-Sainte Vierge.
“Volontiers,
me dit-il, et, si vous voulez, à l’instant même. - Sans plus tarder, le père et
la mère se joignirent à nous, {107 [525]} et tous prosternés devant l’image de
Marie, la neuvaine commença.
Vers le
milieu de ce pieux exercice, le malade témoigna le dèsir de faire la sainte
Communion, et je m’empressai de lui apporter le Saint-Viatique.
Après
avoir reçu son Dieu avec la foi de son saint Patron, il prie avec plus de
confiance et de ferveur que jamais. En le voyant dans ces saintes dispositions:
“Courage, lui dis-je, demandez et vous recevrez." - “Oui, me dit-il, j’espère
avec confiance recevoir, non pas la sante, mais la grâce de bien mourir. - “Pensez-vous
sèrieusement demander cette grâce? auriez-vous cessé d’aimer votre père et
votre mère? - “Je les aime plus que jamais, mais ils viendront me trouver un
jour. Le Bon Dieu m’accorderà cette faveur, car je la lui demanderai sans
cesse." Attendri jusqu’aux larmes je m’arrête.”
Monsieur
Colle a bien voulu nous fournir les dètails qui suivent:
“Lorsque
tout espoir de guérison fut devenu impossible, il ne songea qu’à préparer {108
[526]} son âme avec plus de soin à son passage du temps à l’éternité.
La Sainte Communion lui fut apportée en Viatique pour la seconde fois.
“Que je
serais heureux, disait-il, si je pouvais mourir en communiant! - Notre Seigneur
Jésus-Christ m’emmènerait avec lui dans le ciel!”
“Le
ciel! disait-il dans ses moments de souffrance, le ciel! - J’ai reçu le pardon
de mes fautes et les derniers Sacrements, que faut-il faire encore?.....Suis-je
prêt à mourir?... Mes chers parents, vous qui ètes ceux que j’aime le plus au
monde, je suis résigné à vous quitter pour le ciel! - J’irai au ciel, Dom Bosco
me l’a dit.”
Et c’est
dans ces sentiments d’admirable confiance qu’il approchait de ses derniers
moments.
“Vous
ne m’oublierez pas, disait-il à sa mère; pour moi, je prierai pour vous de
toutes mes forces, vous ne me verrez plus, mais vous me trouverez au ciel. {109
[527]} Un matin, voyant ses parents près de son lit, qui le regardaient avec
angoisse, “Séchez vos pleurs, leur dit-il, faites de bonnes œuvres; peut-être
sera-ce aujourd’hui que Dieu me dira: hodie mecum eris in Paradiso.”
Reprenons
le récit de Monsieur le curé de l’église S. Louis.
“La
neuvaine finie, je lui apporte une seconde fois la Sainte Communion; et, comme son état était de plus en plus grave et alarmant, je lui donnai l’Extrème-Onction.
Après avoir reçu ces deux Sacrements avec une pleine connaissance, il
demeura quelques instants immobile, les yeux fixés vers le ciel.
Revenu
de cet état, et malgré son extrême faiblesse, il embrassa pour la dernière fois
ses bien-aimés parents, en prononçant ces paroles touchantes, et à jamais
mémorables: “Je vais au ciel" et il expire. {110 [528]}
Ce fut
en prononçant les saints noms de Jesus, Marie, Joseph, que Louis Colle rendit
le dernier soupir, à 6 heures du matin, le 3 avril 1881, jour de la Passion.
Tous
ceux qui le connaissaient, n’eurent qu’une pensée: celle de l’invoquer.
Au
moment de sa naissance tous avaient dit: “Cet enfant sera un saint. A sa mort,
tous dirent: “C’est un saint, un protecteur pour ceux qu’il a connus en ce
monde.”
“Cette
mort, nous écrit Monsieur le chanoine Rouvier, est, à mes yeux, la mort {111
[529]} d’un saint; et la connaissance que j’ai de la conduite de ce jeune homme
ne me permet pas même d’en douter.
Vous
savez comment il a vécu, pendant les dix-sept ans, environ, qu’il a passés sur
la terre. Non seulement il n’a pas fait le mal, mais il ne l’a pas même
connu... Vous savez enfin, que jamais aucun serviteur ne fut chargé de pourvoir
aux besoins matériels de notre cher défunt. Ses parents seuls pourvurent à
toutes les nécessités de sa courte existence.
Eux
seuls le soignèrent pendant sa maladie, et voulurent, après la mort, ensevelir
de leurs propres mains ce corps virginal, en l’arrosant de leurs larmes.
Heureux
parents, réjouissez-vous d’avoir contribué, par vos paroles et par vos œuvres,
au développement des dons précieux que votre fils apporta en venant au monde!
Réjouissez-vous enfin d’avoir un protecteur puissant parmi le chœur des Anges.”
La mort
de Louis Colle fut un deuil pour toutle pays, oû il était estimé et aimé, nous
dirons même, vénéré. {112 [530]} Les temoignages spontanés qui, de toutes
parts, furent donnés à la famille Colle, lui prouvèrent que, même dans notre
siècle, la bienfaisance et la vertu gagnent encore tous les cœurs.
Le
journal La sentinelle du midi, dans son numero des mardi 5 et mercredi 6
avril 1881, date de Toulon le 4 avril, publiait, en tête de ses colonnes, les
lignes émues que l’on va lire:
“La
mort vient de frapper bien cruellement un de nos meilleurs amis.
Dimanche
matin, à 6 heures, Monsieur Colle, avocat, voyait s’évanouir ses plus chères
espérances: son fils unique, à peine âgé de dix-sept ans, rendait sa belle âme
à Dieu.
En
présence d’un pareil malheur qui brise deux existences auxquelles cependant
tout semblait devoir sourire; en présence de la mort si prématurée de cet
enfant qui était la joie, tout le bonheur de cette famille infortunée, nous ne
pouvons que confondre nos larmes avec celles de cet excellent père, de cette
tendre mère, dont {113 [531]} la vie est à tout jamais enveloppée de deuil et
de désolation.
C’est
quand le malheur s’appesantit sur ceux auxquels nous unissent des sentiments d’affection
et de reconnaissance, que ces sentiments doivent le plus hautement se
manifester: aussi nous empressons-nous de témoigner à Monsieur et à Madame Colle
toute la part que nous prenons à la terrible épreuve que Dieu vient de leur
envoyer, et de leur exprimer les sincères regrets que nous inspire la pene de
leur fils bien-aimé.
Puissent
les nombreuses marques de cordiale sympathie que cette honorable famille reçoit
dans cette poignante circonstance, apporter quelque adoucissement à sa douleur.
Pour
la Rédaction
EMILE
COSTEL.”
“Il est
mûr pour le ciel, disait, il y a quelques jours, un saint Religieux, en parlant
de Louis Colle. Et de fait, son profil {114 [532]} idéal, ses yeux au regard
triste et profond, oû se reflétait une âme aspirant à l’infini, tout indiquait
qu’il était trop parfait pour la terre. Aussi la vue de ce monde souillé lui
causait-elle comme une mystérieuse terreur; et pour le fuir, il se tenait pressé
sur le sein de sa mère et dans les bras de son père: Dieu l’a rappelé à lui
avant qu’il ait dû quitter cet asile.
Pauvres
parents, quel coup terrible! Perdre un fils unique, leur joie, leur orgueil,
leur seule espérance. Pour eux désormais, la maison est vide, la vie désolée,
le monde désert. C’est en vain que, pendant dix-sept ans, ils ont veillé sur
cet enfant avec une sollicitude amoureuse. Ils l’ont vu mourir sous leurs yeux,
sans que leurs caresses ou leurs larmes pussent retenir sur ses lèvres la vie
qui s’enfuyait; et Dieu, dans ses desseins impénétrables, a du même coup appelé
cet ange à lui, et fait à leur pauvre cœur une blessure qui ne guérira pas.
Ainsi
ceux qui ont consolé tant de misères, donne du pain à tant de pauvres, {115
[533]} instruit tant d’ignorants, distribué de si abondantes aumònes que leur
modestie ne pouvait réussir à les cacher, sont aujourd’hui mille fois plus
malheureux que ceux que soulageaient leurs mains charitables.
Devant
tant de vertu et tant de douleur, les paroles sont impuissantes. On ne peut que
pleurer, s’agenouiller au pied de cette tombe et prier.
Oui,
prier! car c’est par la prière que se resserrent les liens qui, par delà la
tombe, unissent les morts aux vivants. Ne savons-nous pas que ceux que nous
avons perdus, ne demeurent pas captifs sous cette froide pierre. Leurs âmes
immortelles prennent leur vol vers le ciel, et elles descendent parfois pour se
tenir à coté de ceux qu’elles aimaient. Ce sont elles qui murmurent à nos
oreilles toutes les nobles pensées, les aspirations sublimes qui font
tressaillir notte cœur.
A ces
clartés la mort s’illumine, et nous pouvons dire à ce père, à cette mère,
écrasés sous le coup qui les frappe: Non, {116 [534]} celui que vous pleurez n’est
pas mort; il vit d’une existence plus haute et meilleure. Vos yeux ne le
verront plus, mais, dans les secrètes profondeurs de votre âme, vous entendrez
sa voix. Il vous soutiendra, vous fortifiera, et vous reconnaitrez alors qu’il
n’a point cesse d’être auprès de vous, et qu’il vous aime plus et mieux que
jamais.”
D. J.
Le même
journal, dans son numero du vendredi 8 avril 1881, sous le titre de Chronique
meridionale TOULON, faisait connaître à ses lecteurs les honneurs funèbres
rendus au jeune et regretté Louis. Nous reproduisons textuellement ce compte-rendu:
“Les
obsèques de M. Louis Colle réunissaient autour des restes mortels de ce bien
regretté jeune homme, une foule aussi nombreuse que sympathique.
Dans
cette foule, oû se confondaient toutes les classes de la société, on remarquait
entre autres les élèves de nos écoles {117 [535]} chrétiennes libres et les
membres des diverses œuvres de bienfaisance, qui s’étaient empressés de venir
rendre les derniers devoirs à l’enfant de celui qui sait si généreusement s’intéresser
aux uns, et si largement donner aux autres.
Nous ne
saurions mieux faire partager les regrets que nous laisse M. Louis Colle, qu’en
reproduisant ici les paroles que son ancien professeur, l’honorable M. Gueit, a
prononcées, au moment oû la tombe allait se refermer sur cette nature d’elite:
“MESSIEURS,
“Près d’une
tombe qui s’entr’ouvre, les cœurs sont déchirés par la poignante douleur d’une
séparation et d’un adieu.
Tous,
plus ou moins, nous avons pleure sur le cercueil d’un être cher; il est des
peines qui s’analysent, des afflictions qui trouvent des paroles pour se
traduire; mais ici la langue est impuissante {118 [536]} pour peindre ce qu’une
mère, ce qu’un père seuls peuvent sentir: ce que c’est que la mort d’un fils, d’un
unique fils...
Et
cependant, messieurs, permettez-moi de saluer une dernière fois cet enfant de
tant d’espérances; permettez-moi d’apporter non seulement ma peine et mes
regrets, mais d’y joindre encore ce suprème témoignage du professeur à son
élève, du vieillard au jeune homme qui entrait dans la vie.
Ceux-mêmes
qui n’ont pas connu M. Colle fils, ne laisseront pas de déplorer la perte de
cet adolescent, enlevé sitôt à la tendresse d’un père et d’une mère, qui l’entouraient
de leur sollicitude et de leur amour, et qui en avaient fait le centre de leurs
plus beaux rèves d’avenir.
Pour
nous, qui l’avons suivi, pendant plus de trois ans, dans le cours de ses études;
qui avons pu apprécier ce noble caractère, oû l’energie se mêlait à la douceur,
cette brillante intelligence, ce désir de tout embrasser à la fois, comme si le
{119 [537]} ciel lui avait donne une force corporelle en rapport avec sa
volonté, ou plutôt cornine s’il avait eu le pressentiment de sa courte
existence, nous gémissons d’autant plus sur cette mort prématurée, qu’il fût
devenu un de ces hommes rares qui, pratiquant le culte des bonnes traditions et
possédant les sentiments les plus élevés, font la gloire de leur famille et de
leur pays.
Je n’exagère
point, messieurs; j’en ai du moins la ferme persuasion, M. Colle fils, dans ce
siècle où tout chancelle, eût marche dans la voie du bien et de l’honneur, la tête
haute, sans crainte et sans faiblesse, comme l’avaient fait ceux dont il
portait dignement le nom.
Dieu n’a
pas voulu laisser longtemps cette consolation, cette joie à cette mère si
dévouée, si parfaite, à ce père dont il eût étè la satisfaction et l’orgueil.
Comme
une jeune et fragile fleur, qui a donné un jour ses parfums à la terre, et qu’un
soufflé a brisée en passant, Dieu a cueilli cette âme pure pour le ciel, avant {120
[538]} qu’elle ait éprouvé les tristesses et les vicissitudes de ce monde.
Au père,
à la mère, la longue et douloureuse amertume de l’absence, et les larmes que ne
pourraient tarir ni les consolations humaines, ni nos regrets les plus
sympathiques; mais aussi, à ces parents chrétiens et forts par la foi, l’espérance
de retrouver un jour l’ange que la Providence n’avait fait que leur prêter, et qui est alle les attendre, en les bénissant, en les aimant toujours, du
haut de la céleste Patrie.”
À la
suite du discours que l’on vient de lire, la rédaction de l’estimable journal
ajoutait:
“Nous
recevons de La Farlède la lettre suivante, que nous publions avec empressement:
“MONSIEUR
LE DIRECTEUR,
La
commune de La Farlède vient de faire une perte irréparable en la personne du
fils de M. Colle. {121 [539]} Je dis irréparable, parce que ce jeune homme,
élevé dans des principes de religion, d’humilité, de loyauté et de probité,
qualités qui constituent l’honnête homme, et qui sont si rares à la triste
epoque oû nous vivons, aurait été par la suite, comme son honorable père, un
des bienfaiteurs du pays.
Quitter
la vie si jeune, en possédant de telles qualités et ayant en perspective un
avenir où rien ne pouvait lui manquer, est bien cruel et bien malheureux.
“Les
honnêtes gens de La Farlède s’associent sincèrement à la douleur de M. et
Madame Colle. Si ce témoignage de leurs sympathies peut en adoucir l’amertume
et leur apporter quelque consolation, qu’ils soient assurés que ces sympathies
ne leur manqueront jamais.
Agréez,
etc.
FITILI.” {122
[540]}
Heureux
les enfants et les jeunes-gens, qu’une éducation chrétienne, vigilante et bien
entendue, protége ainsi contre les atteintes de tout souffle mauvais, et forme,
dès cette vie, pour les nobles et pures délices de la Bienheureuse Eternité! {123 [541]} {124 [542]}
Monsieur et
Madame Colle
|
pag 7
|
Chapitre I La
famille de Monsieur Colle Naissance de Louis
|
15
|
Chapitre II
Education première
|
19
|
Chapitre III
Enfance de Louis, sa pieté - Il est admis à la première Communion - Son
esprit de foi - Son amour pour les enseignements de notre sainte Religion
|
39
|
Chapitre IV
Sagesse de Louis Ses principales vertus
|
63
|
Chapitre V
L’instruction de Louis, ses brillantes aptitudes - Son amour du travail - Ses
succès
|
81
|
Chapitre VI
Mauvaise sante de Louis - Ses voyages - Sa charité pour les œuvres
catholiques - Sa simplicité
|
89
|
Chapitre VII
Dernière maladie
|
103
|
Chapitre VIII
Mort de Louis- Ses obsèques
|
112
{125 [543]}
{126 [544]}
|
|
|
Nulla osta alla
stampa
Torino, 10 Maggio
1881
CHIUSO TOMMASO
Prov: G {127 [545]}