Œuvres de Saint François De Sales

 

TOME XI. LETTRES - IER VOLUME

 

 

 

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Cinquième édition pour la concordance: seulement les écrits de saint François de Sales

 

Index OCR

 

Index OCR. 2

Lettre-circulaire de S. Em. le Cardinal Parecchi, Vicaire de Sa Sainteté, aux Evêques d'Italie. 10

Avis au Lecteur. 12

Lettres de saint François de Sales. Années antérieures a 1593. 13

I. Au baron d'Hermance. Protestations de respect et de dévouement. 13

Ibis. A un ancien professeur (Minute inédite). Succès des armes du roi de Navarre. — Epidémie parmi les étudiants. 13

II. A Dom François de la Fléchère, prieur de Contamine et de Sillingy (Minute inédite). Regret de n'avoir pas reçu de réponse à ses lettres. 15

III. A un inconnu (Minutes inédites). Remerciements pour une lettre reçue de lui. 15

IV. A un inconnu (Minute inédite). Témoignages de respect et d'affection. 16

V. A un gentilhomme (Minute inédite). Remerciements pour la bienveillance que lui témoigne ce gentilhomme et pour la lettre qu'il en a reçue. 16

VI. A un ami (Minute inédite). Assurances d'amitié. — Désir d'être connu d'un personnage de grand mérite. — Nouvelles d'un condisciple. — Message de son précepteur. — Un mot sur son frère Gallois. 17

Année 1593. 19

VII. A un ancien condisciple (Minute inédite). Remerciements pour l'attention qu'a eue ce personnage de lui dédier ses thèses de théologie. — Espoir de le voir prochainement à Annecy. 19

VIII. Au régent Ménenc (Minute inédite). Excuses pour le retard mis à répondre à deux lettres. — Immunités assurées aux docteurs en droit et en médecine et aux maîtres d'école. 20

IX. Au sénateur Antoine Favre (Minute). Réponse affectueuse aux avances du sénateur Favre. — Regret de n'avoir pu le rencontrer lors de deux voyages faits à Chambéry. — Protestations d'estime et d'attachement. 21

X. Au même (Minute inédite). Remerciements pour lui avoir pro curé l'amitié de François Girard. 24

XI. Au même (Minute). Exposition des mêmes pensées. 25

XII. Au même (Minute). Prières publiques ordonnées à l'occasion de la détention du duc de Nemours ; sermon prononcé à cette occasion. — Naissance de Jeanne de Sales. — Affaire litigieuse d'un paysan de Thorens. — Témoignages d'affection. — Désir de le voir prochainement. 27

XIII. Au même (Minute). Sentiments qui se pressent dans l'âme du Saint à l'approche de son ordination sacerdotale. 29

Année 1594. 31

XIV. Au même (Minute). Espoir d'une prochaine réunion à Sales. — M. et Mme de Boisy contraints de s'absenter à cette époque. — Envoi d'une lettre de M. de Montrottier. — Le Saint part pour Seyssel où il doit prêcher le Dimanche suivant. 31

XV. Au même (Minute). Rendez-vous à Faverges. — Salutations faites à M. de Montrottier de la part du sénateur Favre. 33

XVI. Au même (Minute inédite). Excuses au sujet d'une lettre écrite à la hâte. — Remerciements pour celle que le Saint a reçue du Sénateur. 34

XVII. Au même (Minute inédite). Recommandation en faveur de Mme de Ville. — Eloge du P. Chérubin. 35

XVIII. Au même (Minute). Envoi d'une lettre de Mgr de Granier. 36

XIX. Au même (Minute). La brièveté de cette lettre est occasionnée par le départ précipité du porteur. — Témoignages d'affection. 37

XX. Au même (Minute). Remerciements pour la protection accordée à diverses personnes. — Attente de la prochaine visite du Sénateur. 38

XXI. Au même (Minute inédite). Désir de profiter des nombreuses occasions que procurera la belle saison pour se voir plus fréquemment. — Nouvelles de plusieurs amis communs. 39

XXII. Au même (Minute). Prochaine réunion du synode diocésain. — Obstacle imprévu qui a empêché le Saint de se rendre à Chambéry. — Ses regrets en apprenant que le Sénateur est allé inutilement à sa rencontre. 40

XXIII. Au même. Projet d'un pèlerinage à l'église de la Sainte-Croix d'Aix. — Ordre que doivent suivre pendant le trajet les pèlerins d'Annecy et de Chambéry. 42

XXIV. Au même (Minute). Le Sénateur est attendu à Annecy ; plusieurs maisons lui sont offertes. — Il est instamment prié d'amener sa femme. 43

XXV. Au même (Minute). Déception du Saint et de ses amis en ne voyant pas arriver le Sénateur. — Le Prévôt va prêcher à La Roche. 44

XXVI. A François Girard, Prévôt de l'Église Notre-Dame de Bourg (Minute). Gracieuses excuses de n'avoir pas écrit plus tôt. — Le Saint est à Hautecombe avec le sénateur Favre. 45

XXVII. Au sénateur Antoine Favre (Minute). Compliments affectueux. 47

XXVIII. Aux fils du sénateur Antoine Favre (Minute inédite). Remerciements pour une lettre reçue d'eux. — Encouragements à suivre les exemples de leur père. — Message pour leur mère. 47

XXIX. Au sénateur Antoine Favre (Minute inédite). Explications amicales. — Remerciements pour l'envoi de Méditations sur la pénitence. 48

XXX. Au même (Minute inédite). Les prévenances d'un ami commun attribuées à la recommandation du Sénateur. — Désir de se procurer quelques formules de prières. 49

XXXI. A François Girard, Prévôt de l'Église Notre-Dame de Bourg (Minute). Congratulations pour le zèle qu'il déploie au service de Jésus crucifié, et pour son agrégation à la Confrérie de la Sainte Croix. 50

XXXII. A un gentilhomme de la cour du duc de Savoie (Minute). Prière d'intervenir auprès du duc de Savoie en faveur du Chapitre de Genève. 51

XXXIII. Au sénateur Antoine Favre (Minute). Nouvelles de la mission du Chablais. — Premières difficultés suscitées par les ministres protestants. — Energique résolution du Saint. 52

XXXIV. A un religieux (Fragment inédit). 54

XXXV. A Monseigneur Claude de Granier, Évêque de Genève. Endurcissement des hérétiques. — Aveu des ministres en faveur des missionnaires. 54

XXXVI. Au senateur Antoine Favre (Inédit). Heureux présages pour le succès de la mission du Chablais. 55

XXXVII. Au même (Minute). Témoignages d'estime et de reconnaissance pour le P. Chérubin. — Envoi de plusieurs lettres. — Premiers fruits des prédications. 56

XXXVIII. A Monseigneur Alphonse Delbene, Évêque d'Albi (Minute). Protestations de respect et de dévouement. 56

XXXIX. Au sénateur Antoine Favre (Fragment). Prédications de l'Avent. 57

XL. A un curial (Minute). Réponse obligeante à la demande de quelque service. 58

XLI. Au père Antoine Possevin, de la Compagnie de Jésus (Minute). Assurance de respectueux attachement. — Le Saint parle de son ordination et de ses débuts dans le ministère. 58

Année 1595. 60

XLII. Au sénateur Antoine Favre (Minutes inédites). Commencement de la rédaction des Controverses. 60

XLIII. Au même (Minute inédite). Ingénieuses excuses pour un silence trop prolongé. 61

XLIV. Au même (Minute inédite). Difficultés qu'offre la rédaction des Controverses. 62

XLV. Au même (Inédite). Détermination de lutter intrépidement contre l'hérésie. — Avis du P. Chérubin pour assurer le succès de la mission. 63

XLVI. A Monsieur de Boisy son père. Courage invincible en face des dangers que présente la mission du Chablais. 65

XLVII. A Monseigneur Claude de Granier, Évêque de Genève. Difficulté et lenteur des conversions. 65

XLVIII. Au père Antoine Possevin, de la Compagnie de Jésus (Minute). Témoignages de reconnaissance et désir d'une prochaine entrevue. — Etat des affaires religieuses en Chablais. — Nouvelles intimes. 66

XLIX. Au sénateur Antoine Favre. Eloge d'un ouvrage du P. Possevin. — Motifs qui retardent la conversion de Pierre Poncet. — Présents des PP. Possevin et Chérubin. — Encouragements reçus d'un ami au sujet de la mission. 67

L. Au même (Minute). L'avocat Poncet promet d'abjurer prochainement le protestantisme. 69

LI. Au même (Minute). Arbitrage du Sénateur réclamé par le Chapitre de Genève et un ecclésiastique qui demande à en faire partie. 70

LII. Au même (Minute). Visite à Sales. — Remerciements pour l'envoi de la Centurie premiere de Sonnets. 71

LIII. Au même (Minute inédite). Emotion causée par le malheur d'un ami commun ; vif désir de défendre sa cause. — Eloge de l'ouvrage du Sénateur. — Pénible situation du Saint en Chablais. 72

LIV. Au Bienheureux Pierre Canisius de la Compagnie de Jésus. Vénération qu'inspire sa vertu. — Désir d'entrer en relations avec lui. — Nouvelles de la mission ; conversion de Pierre Poncet. — Question de controverse. 75

Minute de la lettre précédente. 77

LV. A Monseigneur Jules-César Riccardi, Archevêque de Bari, Nonce Apostolique a Turin (Minute). Violation des immunités ecclésiastiques ; le Saint sollicite l'intervention du Nonce auprès du duc de Savoie. 78

LVI. Au Chanoine Gallois de Monthoux (Inédite). Recommandation en faveur de l'abbé de Ronis. 80

LVII. Au sénateur Antoine Favre (Minute). Souffrances du saint Apôtre ; il désire s'adjoindre d'autres missionnaires. — Remerciements pour un ouvrage de Sponde ; calomnies des hérétiques contre ce personnage et contre Pierre Poncet. — Sentiments de foi et de confiance. 80

LVIII. Au même (Minute inédite). Troubles qui régnent à Annecy. 82

LIX. Au même (Minute). Ebranlement qui se produit parmi les héretiques ; ingénieuse tactique du Saint pour les provoquer à la discussion. 83

LX. Au même (Minute inédite). Attente de quelques lettres attardées. — Allusion à la bénédiction apostolique envoyée à Henri IV. —Suite du travail des Controverses. — Accueil fait par les hérétiques à la Centurie premiere. — L'avocat de Prez adresse des vers à l'auteur. 84

LXI. Au même (Inédite). Prochain envoi d'une partie de son introduction au Code Fabrien. — Question de droit. 86

LXII. Au père Antoine Possevin, de la Compagnie de Jésus (Inédite). Nécessité pour le Saint d'obtenir la permission de lire les livres hérétiques. — Remarques sur les Institutions de Calvin et sur un ouvrage de Théodore de Bèze. — Témoignages de respectueuse confiance. 87

LXIII. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier Exposé des mesures à prendre pour assurer la conversion du Chablais. Heureuse influence de M. d'Avully. 88

Minute de la lettre précédente. 89

Année 1596. 91

LXIV. Au sénateur Antoine Favre (Inédite). Rencontre avec Martinengo. — Visite du Saint à sa famille et au baron de Chevron. — Bienveillance que manifestent à son égard le duc de Savoie et le Nonce apostolique. — Désir de recevoir le douzième Livre des Conjectures. — Encouragement à dédier à l'Evêque la Centurie seconde de Sonnets. 91

LXV. A Monsieur Chavent (Minute inédite). Témoignages de reconnaissance et d'affection. — Eloignement du Saint pour les dignités ecclésiastiques. 93

LXVI. A Monseigneur Jules-César Riccardi, Archevêque de Bari, Nonce Apostolique a Turin (Minute). Joie qu'éprouvent les Savoisiens de la nomination du Nonce. — Récit de l'apostasie du Chablais et des tentatives faites pour la conversion de cette province. — Mesures à prendre pour en assurer le succès. 94

LXVII. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Nécessité de rendre une des églises de Thonon au culte catholique. — Ebranlement général parmi les hérétiques du Chablais. 96

LXVIII. A Monseigneur Jules-César Riccardi, Archevêque de Bari, Nonce Apostolique a Turin. Instances pour obtenir l'intervention du Nonce auprès du duc de Savoie. — Opposition à redouter de la part des Chevaliers de Saint-Lazare. — On découvre en Chablais quantité de personnes possédées du démon. 97

LXIX. Au sénateur Antoine Favre (Minute inédite). Ardent désir de voir le duc de Savoie effectuer un voyage projeté en Chablais. — Envoi d'une lettre pour le P. Chérubin. 99

LXX. A Monseigneur Jules-César Riccardi, Archevêque de Bari, Nonce Apostolique a Turin. Séjour à Annecy à l'occasion du synode. — Remerciements pour trois lettres reçues du Nonce. — Conversions qui s'opèrent en Chablais. — Nécessité d'y envoyer un nombre suffisant de prédicateurs, et de nommer aux cures des prêtres dignes de les occuper. 100

LXXI. A Monsieur d'Avully Envoi d'un commentaire de saint Jérôme. — Joie d'apprendre la conversion de Mme de Rovorée. — Attente de l'arrivée du duc à Thonon. 101

Extrait du commentaire de Saint Jérôme. 102

LXXII. A Monseigneur Jules-César Riccardi, Archevêque de Bari, Nonce Apostolique a Turin (Minute inédite). Calomnies répandues à la cour de Savoie contre M. d'Avully et l'Apôtre du Chablais. — Abandon dans lequel on laisse ce dernier. — Désir de faire un voyage à Turin. 103

LXXIII. Au même. Instances pour obtenir le rétablissement du culte catholique dans quelques paroisses du Chablais. 105

LXXIV. Au sénateur Antoine Favre (Minute). Désir de lui voir accepter la charge de Président du Conseil de Genevois. — Délais apportés aux affaires du Chablais. — Projet d'un pèlerinage au tombeau de saint Claude. 106

LXXV. A un cousin (Inédite). Témoignages d'affection. — Annecy est menacé de la peste. — Message pour le P. de Lorini. 107

LXXVI. Au sénateur Antoine Favre (Inédite). Recommandation en faveur de M. de Coursinge. 108

LXXVII. A Monseigneur Jules-César Riccardi, Archevêque de Bari, Nonce Apostolique a Turin. Réclamations au sujet d'un legs fait à trois églises de Savoie. 108

LXXVIII. Au sénateur Antoine Favre (Minute inédite). Espoir de solenniser à Thonon les fêtes de Noël. — Recommandation en faveur des nouveaux convertis de la paroisse de Mésinge. 110

LXXIX. A Monseigneur Jules-César Riccardi, Archevêque de Bari, Nonce Apostolique a Turin. Remerciements pour l'autorisation d'absoudre des cas réservés. — Conversions opérées en Chablais ; état des esprits dans cette province. — Calomnies répandues contre M. d'Avully. — Nomination du nouvel Abbé d'Abondance. 111

LXXX. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Opposition apportée par les syndics de Thonon à l'érection d'un autel, — Combien la protection du duc est nécessaire aux nouveaux Catholiques. — Conversion d'un ministre protestant. 114

LXXXI. A Monseigneur Jules-César Riccardi, Archevêque de Bari, Nonce Apostolique a Turin. Instances pour obtenir la protection du Nonce auprès du duc de Savoie. 115

Année 1597. 117

LXXXII. A Monsieur Bochut, Curé d'Ayse (Fragment inédit). Invitation à venir desservir la paroisse de Thonon. 117

LXXXIII. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier (Minute inédite). Erection d'un autel dans l'église Saint-Hippolyte. — Recommandation en faveur du ministre Petit. — Combien il importe que les Chevaliers de Saint-Lazare cèdent les revenus ecclésiastiques qu'ils détiennent en Chablais. 117

LXXXIV. Au Conseil des Chevaliers des Saints Maurice et Lazare (Minute inédite). Instances afin d'obtenir que les revenus ecclésiastiques dont les Chevaliers jouissent en Chablais soient affectés au rétablissement du culte catholique. 118

LXXXV. A Monseigneur Jules-César Riccardi, Archevêque de Bari, Nonce Apostolique a Turin (Minute inédite). Excuses pour le délai mis à répondre aux lettres du Nonce. — Proposition d'une conférence publique avec les ministres. — Instante prière de lui obtenir la collaboration du P. Chérubin, du P. Esprit et de plusieurs autres missionnaires. — Moyens à prendre pour fournir aux frais de la mission. 119

LXXXVI. Au même (Minute). Lettres reçues du Nonce. — Remerciements pour la protection accordée à trois églises de Savoie. — Eloge du chevalier Bergera. — Difficultés qui retardent l'établissement des curés en Chablais. — Pauvreté des paroisses. — Prétentions injustes des Chevaliers des Saints Maurice et Lazare relativement à la nomination des curés. — Pension due au prédicateur d'Evian. 121

LXXXVII. Au même (Minute inédite). Protestations d'obéissance et de dévouement. — Nouvel exposé des difficultés de la mission. — Promesse faite par les Religieux d'Ainay. — Prédication du Saint à Cervens. — Destination du chanoine Roget. — Les hérétiques prétendent retirer à M. d'Avully la dignité de juge de leur consistoire. 124

LXXXVIII. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Demande de secours pour des indigents. — Requête en faveur de quelques hameaux des Allinges. — Menées des protestants contre M. d'Avully. 127

LXXXIX. A Monseigneur Jules-César Riccardi, Archevêque de Bari, Nonce Apostolique a Turin (Inédite). Installation d'un curé à Cervens. — Eloge de M. de Blonay. 128

XC. Au même (Minute inédite). Mesures à prendre pour pourvoir à la subsistance des curés du Chablais. — Voyage du chanoine Louis de Sales à Genève. — Désignation des PP. Capucins et Jésuites dont le concours serait le plus utile à la mission ; frais que nécessiterait leur entretien. 129

XCI. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier (Minute inédite). Instances pour obtenir quelques libéralités déjà sollicitées en faveur de nouveaux Catholiques. 132

XCII. A Monseigneur Jules-César Riccardi, Archevêque de Bari, Nonce Apostolique a Turin. Difficultés que présente la mission du Chablais. — Intérêt du Pape pour cette œuvre. — Il est urgent de réformer quelques abbayes de la contrée. 133

XCIII. A Sa Sainteté Clement VIII. Entrevue avec Théodore de Bèze ; endurcissement de ce vieillard. — Tyrannie exercée par les Genevois sur les Catholiques. — Espoir d'obtenir la liberté de conscience à Genève moyennant la médiation du roi de France. 134

Minute de la lettre précédente. 137

XCIV. A Monseigneur Jules-César Riccardi, Archevêque de Bari, Nonce Apostolique a Turin. Heureux résultats que promet la conférence projetée avec les hérétiques. — Lettre du Saint au Pape. — Pression qu'exercent les Genevois sur les Catholiques de Gex et de Gaillard. — Etat des affaires du Chablais. 138

XCV. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier (Inédite). Le curé de Saint-Julien est contraint de se retirer. — Requête des habitants de Bernex. — Incident survenu entre le P. Esprit et le ministre protestant. — Combien il est désirable que le duc signifie aux Thononais le désir qu'il a de leur conversion. 140

XCVI. A Monseigneur Jules-César Riccardi, Archevêque de Bari, Nonce Apostolique a Turin. Mêmes sujets. — Installation d'un curé à Brens. 141

XCVII. Au même. Maladie de l'Evêque de Genève. — Obligations de l'Abbé d'Abondance envers le prédicateur d'Evian. — Indigence des Religieuses de Sainte-Claire. — Poursuites à faire pour obtenir la conférence avec les ministres. — Le Saint sollicite l'autorisation de concourir pour la cure du Petit-Bornand. — La permission de lire les livres hérétiques est nécessaire aux missionnaires. 144

XCVIII. Au même (Minute). Affaires du Chablais : démêlés avec les Chevaliers des Saints Maurice et Lazare ; encore la conférence de Genève. 148

XCIX. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier (Minute). Témoignages de reconnaissance. 150

C. A un gentilhomme de la cour du duc de Savoie (Minute inédite). Même sujet. 150

CI. A Monseigneur Jules-César Riccardi, Archevêque de Bari, Nonce Apostolique a Turin (Minute). Assemblée faite à Annemasse pour traiter des intérêts de la religion en Chablais. — Le P. Chérubin député auprès du duc. — Succès prodigieux des Quarante-Heures d'Annemasse. 151

Année 1598. 153

CII. A Monsieur Claude Marin, procureur fiscal en Chablais (Inédite). Prochain retour du P. Chérubin à Thonon. — Promesse du président Favre. 153

CIII. A Monseigneur Jules-César Riccardi, Archevêque de Bari, Nonce Apostolique a Turin (Inédite). Le voyage du Saint à Rome retardé par une maladie grave. — Envoi de trois lettres du duc. — Bonnes dispositions des habitants du Chablais. — Intervention en faveur de deux religieux qui ont encouru des censures ecclésiastiques. 153

CIV. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier (Minute). Instantes prières pour que les Chevaliers des Saints Maurice et Lazare soient contraints à payer les pensions dues aux curés du Chablais. — Députation des villageois de cette province pour obtenir du duc la restauration de leurs églises. — Maladie du Saint. 156

CV. A Monsieur Louis de Pingon, Baron de Cusy. Requête présentée au duc de Savoie pour obtenir que l'usage de la cloche de l'église Saint-Hippolyte soit interdit aux hérétiques. 157

CVI. A Monseigneur Jules-César Riccardi, Archevêque de Bari, Nonce Apostolique a Turin (Minute). Projet de célébrer les Quarante-Heures à Thonon, et de les faire suivre de disputes publiques sur les matières controversées. — Une conférence de ce genre vient d'avoir lieu entre le P. Chérubin et le professeur Lignarius. 157

CVII. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier (Minute inédite). Rumeurs inquiétantes qui circulent en Chablais ; alarmes des Catholiques. 159

CVIII. A Monseigneur Jules-César Riccardi, Archevêque de Bari, Nonce Apostolique a Turin. Affaire de la cure du Petit-Bornand. — Peste à Annecy. — Mauvais vouloir des Chevaliers. — Ebranlement produit par l'annonce des Quarante-Heures à Thonon. — Faveurs spirituelles qui sont à désirer pour cette occasion. — Zèle du duc de Savoie mal secondé par ses officiers. 160

CIX. Au même. Voyage du président Favre à Turin et à Ferrare. — Nouvelles poursuites au sujet de la cession des cures du Chablais. — Mesures à prendre pour assurer le triomphe du catholicisme sur l'hérésie. 163

CX. Au même. Espérance d'obtenir, moyennant la médiation du roi de France, le libre exercice du culte catholique à Genève. 165

CXI. A Monsieur Amédée de Chevron Seigneur de Villette (Inédite). Témoignages de respect et de reconnaissance. — Annonce de sa visite. 166

CXII. A Monsieur Claude Marin, procureur fiscal en Chablais. Préparatifs à faire en vue des Quarante-Heures qui doivent se célébrer à Thonon. — Indications pour le logement de l'Evêque. — Audience du duc de Savoie. — Destination de deux ecclésiastiques. 167

CXIII. A Monsieur Sébastien Werro, Administrateur Apostolique du Diocèse de Lausanne, prévôt de Saint-Nicolas de Fribourg. Les exercices des Quarante-Heures à Thonon sont fixés aux 23 et 24 août. 168

CXIV. A don Juan de Mendoça, commandant des troupes espagnoles (Minute). Supplications collectives des missionnaires du Chablais pour obtenir que les troupes espagnoles ne traversent pas cette province. 169

CXV. A Monsieur Sébastien Werro, Administrateur Apostolique du Diocèse de Lausanne, prévôt de Saint-Nicolas de Fribourg. Remerciements. — Retard des Quarante-Heures projetées à Thonon. 171

CXVI. A Monsieur Amédée de Chevron Seigneur de Villette (Inédite). Prière de se rendre en Chablais pour protéger les habitants si les troupes espagnoles traversent la province. — Recommander au duc les intérêts de la mission et l'engager à assister aux Quarante-Heures de Thonon. 172

CXVII. A Monsieur Jean Sarasin. Invitation à exposer par écrit la mission dont il est chargé. 173

CXVIII. A Monseigneur Jules-César Riccardi, Archevêque de Bari, Nonce Apostolique a Turin. Recours à la protection du Nonce. — Pouvoirs spéciaux nécessaires aux missionnaires. — Mesures à prendre contre les Chevaliers des Saints Maurice et Lazare. — Admirables résultats des Quarante-Heures de Thonon. — Zèle des Evêques de Genève et de Saint-Paul-Trois-Châteaux. — Alarmes au sujet de Genève. 173

Minutes écrites par saint François de Sales pour Monseigneur de Granier. 177

CXIX. A Sa Sainteté Clément VIII. Fruits merveilleux produits par les Quarante-Heures de Thonon. — Prière d'intervenir auprès du roi de France et du duc de Savoie pour que Genève ne soit pas comprise dans le traité de Vervins. 177

CXX. Au même. Raisons qui ont contraint le Prévôt de différer le voyage de Rome. — Envoi des documents qui doivent être présentés à Sa Sainteté. 178

Appendice. 180

Lettres adressées a saint François de Sales par quelques correspondants. 182

A. Lettres d'Antoine Favre. 182

B. Lettres de Mgr Jules-César Riccardi, Archevêque de Bari, Nonce Apostolique a Turin. 220

C. Lettres de Charles-Emmanuel Ier, Duc de Savoie. 232

D. Brefs de Sa Sainteté Clément VIII 236

 

 

Lettre-circulaire de S. Em. le Cardinal Parecchi, Vicaire de Sa Sainteté, aux Evêques d'Italie

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Dal Vicariato, Roma, nella festa del S. Cuore, 9 Giugno 1899.

 

            Pubblicato appena il primo volume (1892) della nuova edizione delle opere di S. Francesco di Sales, per cura delle religiose della Visitazione del primo monastero di Annecy, con l'intelligente concorso del dotto benedettino P. Mackey, si guadagnò il plauso universale degli eruditi.

            La solidità della carta, la chiarezza ed eleganza de' tipi, la correttezza del testo, superiori a quanto poteva aspettarsi dalla piccola gemma della Savoia, furono giudicati pregi bene inferiori alla squisita diligenza, posta ad assicurare V autentica lezione dell' opera, e la diligenza portò sì generosi frutti, che dal primo volume al decimo (1898), e sperasi così fino all' ultimo, il pensiero di S. Francesco di Sales, quale egli medesimo affidò alle immortali sue pagine, v'è fedelmente riprodotto e in modo definitivo.

            Ora, pubblicate omai le opere maggiori, fino ai discorsi, e in essi se ne trovarono d'inediti non pochi, come si venne a stampare le [XXX] lettere, notarono gli editori che moltissime ancora ne giacciono ascose nelle biblioteche e negli archivi di pubblici e privati instituti.

            Si rivolsero pertanto a me, come a Superiore delle Salesiane ili Roma, affinchè facessi appello agli Ordinariati d'Italia, in aiuto all' impresa. Il che avendo io significato alla Santità di N. Signore, Egli nel tanto suo zelo per le sacre discipline e per le lettere, di buon grado aderiva.

            E però non solamente in mio nome e delle Salesiane d'Annecy, ma in qualche modo anche da parte del Santo Padre, invito e prego gli Ordinariati d'Italia a procurare ricerche nelle biblioteche e negli archivi dipendenti dalla loro giurisdizione, se mai si trovassero lettere od altri Fontes inediti del Santo Vescovo di Ginevra. E trovati, li prego di trarne copia autentica, e spedirli o direttamente alla Superiora del primo monastero delle Salesiane d'Annecy, od a me.

            Anticipo i più vivi ringraziamenti, e affido alla gratitudine di S. Francesco di Sales, dell'opera che presteranno in onore di lui, la debita ricompensa.

Dev.mo aff. in G. C.

LUCIDO MARIA Card. PAROCCHI,

Vicario generale di S. S., Superiore delle Salesiane di Roma. [XXXI]

 

 

 

Du Vicariat, Rome, en la fête du Sacré-Cœur, 9 juin 1899.

 

            Dès que parut le premier volume (1892) de la nouvelle édition des œuvres de saint François de Sales, publiée par les soins des Religieuses de la Visitation du Ier Monastère d'Annecy, avec l'intelligent concours du docte Bénédictin P. Mackey, il obtint l'applaudissement universel des érudits.

            La solidité du papier, la clarté et l'élégance des caractères, la parfaite correction typographique, supérieures à tout ce que l'on pouvait attendre de ce petit bijou qu'on nomme la Savoie, furent considérées comme des avantages bien inférieurs à l'extrême diligence mise à assurer l'authenticité du texte. Cette diligence a obtenu des résultats si excellents que, du premier volume au dixième (1898) — et l'on espère qu'il en sera ainsi jusqu'au dernier — la pensée de saint François de Sales, celle qu'il confia lui-même à ses pages immortelles, s'y trouve fidèlement reproduite et d'une manière définitive.

            Or, les principaux ouvrages du Saint ayant été déjà édités jusqu'aux Sermons, parmi lesquels il ne s'en est pas peu trouvé d'inédits, l'impression des lettres allait être commencée, lorsque les éditeurs constatèrent qu'un grand [XXX] nombre demeurent encore cachées dans les bibliothèques et dans les archives des institutions publiques et privées. En conséquence, ils s'adressèrent à moi, comme au Supérieur des Salésiennes de Rome, afin que, faisant appel aux Evêques d'Italie, j'obtinsse leur concours pour cette entreprise. Ce qu'ayant moi-même exposé à Notre Saint-Père le Pape, si grand est son zèle pour la discipline sacrée et pour les lettres qu'il acquiesça de grand cœur à cette pensée.

C'est pourquoi, non seulement en mon nom et au nom des Salésiennes d'Annecy, mais aussi, en quelque sorte, de la part du Saint-Père, j'invite et je prie les Evêques d'Italie de faire faire des recherches dans les bibliothèques et les archives dépendantes de leur juridiction, pour savoir s'il s'y trouve des Lettres ou autres écrits inédits du saint Evêque de Genève. Et en ayant trouvé, je les prie d'en tirer une copie authentique et de l'expédier ou directement à la Supérieure du Ier Monastère des Salésiennes d'Annecy ou à moi.

            En leur offrant à l'avance mes plus vifs remerciements, je confie à la gratitude de saint François de Sales le soin de rémunérer la peine qu'ils prendront pour procurer sa gloire.

 

Très dévoué et affectionné en Jésus-Christ.

LUCIDE-MARIE Cardinal PAROCCHI,

Vicaire général de Sa Sainteté, Supérieur des Salésiennes de Rome. [XXXI]

 

Avis au Lecteur

 

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            La plupart des Lettres insérées dans ce volume ont été confrontées sur les originaux, comme l'atteste l'indication de provenance placée au bas de chacune. L'absence de cette indication distingue les Lettres empruntées à des publications antérieures. Voir à la fin du volume la Table de correspondance, et l'Avant-Propos, p. xxvii.

            Les éditeurs sont seuls responsables de l'adresse et de la date qui précèdent chaque pièce ; l'une et l'autre sont répétées à la fin quand elles figurent sur l'original. Il n'y a d'exception que pour les lettres envoyées au duc de Savoie par intermédiaire. Ces lettres ne portant pour toute adresse que ces deux mots : A Monseigneur, ce serait embarrasser le lecteur de les placer après la clausule et la signature.

            Quand la date attribuée à chaque lettre n'est pas absolument sûre, elle est insérée entre [ ]. Ces signes sont également employés pour les mots qu'il a fallu suppléer dans le texte.

            Les divergences qui existent entre les minutes et le texte définitif sont données au bas des pages. Le commencement de la variante est indiqué par la répétition en italiques des mots qui la précèdent immédiatement au texte, à moins que le point de départ ne corresponde à un alinéa, ou que la corrélation ne soit évidente. La fin est régulièrement marquée par la lettre de renvoi. Celle-ci signale le commencement de la variante alors seulement que cette variante embrasse plus d'une page. Les passages biffés dans l'Autographe sont enchâssés dans des [ ].

            Dans les variantes des lettres latines et italiennes les seuls passages qui diffèrent considérablement du texte ou qui n'y figurent pas du tout ont été traduits. Il en est de même pour la minute de la Lettre LIV. Pour cette dernière, une † indique le commencement du passage à traduire.

            On trouvera à la suite de la Table de correspondance un Index des notes historiques et biographiques contenues dans ce volume. Pour l'orthographe des noms propres, voir l'Avant-Propos, p. xxvii. [XXXII]

 

Lettres de saint François de Sales. Années antérieures a 1593

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I. Au baron d'Hermance. Protestations de respect et de dévouement.

 

Paris, 26 novembre 1585.

 

            Monsieur,

 

            Despuys vostre dernier voyage en ceste ville j'avois tousjours bien bonne devotion de vous escrire, ce que toutefoys je n'avoys osé fayre. Mays m'ayant escript un de mes amis de l'honneur et faveur que vous aves faict a une mienne seur, je me suys persuadé que le treuveries bon de moy, auquel vous fistes tant d'acueil dernierement en ceste ville ; joinct aussi que ne pouvant encores (Dieu m'en face la grace pour l'advenir) fayre paroistre [1] l'affection que j'ay de vous fayre humble service, j'ay volu (comme il s'accoustume) vous en donner souvenance par lettres. Et maintenant que je suys au milieu et meillieur âge de mes estudes, si je puys cognoistre seulement par presumption que prenies en bonne part mes lettres, ce me sera comme un aultre corage pour poursuyvre mon entreprise en l'estude, laquelle j'oseroys bien me promettre (sans me flatter) reussira au bien que je desire, Dieu aydant, qui est de le bien pouvoir servir ; puys apres, vous fayre service, a qui j'ay tant de debvoir et obligation.

            J'auroys bien bonne volonté de vous escrire des nouvelles de pardeça, mays les nostres ne sont que de colleges, outre ce qu'elles sont si incertaynes (on a faict le prince de Condé mille foys mort) que pour ce seul respect il me semble que je suys asses excusé d'en escrire.

            Atant je vous bayse bien humblement les mains, et prie Dieu, Monsieur, qu'il vous tienne en santé et tres heureuse vie, vous suppliant de vous resouvenir de moy comme de celluy qui est et sera a jamays

Vostre plus humble serviteur

FRANÇOIS DE SALES.

            Monsieur Deage vous bayse bien humblement les [mains]. De Paris, ce 26 novembre 1585.

 

            A Monsieur

            Monsieur le baron d'Armence a la Chapelle.

 

            Revu sur l'Autographe conservé à Genève, Archives de l'Etat.

            Voir le fac-simile placé en tête de ce volume. [2]

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Ibis. A un ancien professeur (Minute inédite). Succès des armes du roi de Navarre. — Epidémie parmi les étudiants.

 

Padoue, 26 juillet 1590.

 

            Io tengo con Vostra Signoria un particular obligo di ringratiarla, poi que (sic) particularmente de i Savoyani suoi essa a (sic) fatta memoria nella sua cortesissima lettera messa a tutti i nostri concameranti. La ringratio dunque que la habbi quella memoria di noi et tanta cura del ben nostro, ch'essendo in messo (sic) d'una città que tanto (se io non m'inganno) si rallegra di quella nuova Navarrescha, lei non sene pigli altramente contentezza per amor nostro ; se ben anchora il zelo della fede catholica nostra impediscila principalmente in V. S. allegrezza d'un fatto tanto compassionevole a chi lo [1bis] mira sensa occhiali dell' affettione propria. Io non tengo quella nuova nel summo grado di certezza, se ben non ardischo negargli fede per esser così sparsa, et non so quello ch'Iddio de i tramontani voglia fare, poi che i peccati sonno molto grandi.

            Qui insino a 42 de'nostri Francesi si ritruovano febricitanti ; di là, per quanto si dice, avete anchora gran numero di maladie ; onde di vostra lettera, che ci assicura de vostra santà (sic), habbiam tirato tuti multo contento, il quale communicherò al primo incontro al segnor Benedetto Pracho, poichè non ci vediamo mai sensa ragionar de V. S., a cui bascio le mani et in nome mio et in nome del segnor Giuanni Monsieur Deage, et parimente nella sua buona gratia mi raccommando et offero.

            A dì 26 Luglio 1590. Pregandola escusar il nostro italiano francesato o francese italianato. [2bis]

 

 

 

            Je me tiens spécialement obligé de remercier Votre Seigneurie, puisqu'elle a fait une mention particulière de ses Savoisiens dans sa très aimable lettre adressée à tous nos condisciples. Je vous remercie donc d'avoir quelque souvenir de nous, et tant de sollicitude pour notre bien, que vous trouvant au milieu d'une ville où, si je ne me trompe, on se réjouit beaucoup de la nouvelle Navarraise qui s'y est répandue, par affection pour nous vous n'en éprouvez aucun contentement. Il est bien vrai que le zèle de Votre Seigneurie pour notre foi catholique est la cause principale qui l'empêche de se réjouir d'un [1bis] évènement si affligeant pour quiconque ne l'envisage pas au travers des lunettes du propre intérêt. Je ne tiens pas cette nouvelle comme absolument certaine, bien que, la sachant si répandue, je n'ose pas y refuser foi. Je ne sais ce que Dieu veut faire de la France, car les péchés y sont très grands.

            Il y a ici jusqu'à quarante-deux de nos Français atteints de la fièvre ; et, d'après ce que l'on dit, vous avez encore chez vous grand nombre de maladies ; c'est pourquoi nous avons tous reçu beaucoup de contentement de votre lettre qui nous assure de votre bonne santé. A la première occasion j'en ferai part à M. Benoît Pracho, car nous ne nous voyons jamais sans parler de Votre Seigneurie, dont je baise les mains, en mon nom et au nom de M. Jean Déage ; pareillement je me recommande à sa bienveillance et m'offre à son service.

            Le 26 juillet 1590. Je vous prie d'excuser notre italien francisé, ou plutôt notre français italianisé. [2bis]

 

 

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II. A Dom François de la Fléchère, prieur de Contamine et de Sillingy (Minute inédite). Regret de n'avoir pas reçu de réponse à ses lettres.

 

Padoue, [automne 1590.]

 

            Monsieur mon Parrein,

 

            Si ceste mienne lettre prend plus heureusement port que plusieurs autres que je vous ay escrit, elle vous asseurera de deux choses. Premierement, que comme je croys que n'ayes receu aucune de mes lettres, bien que realement je vous en aye envoyé plusieurs a diverses foys, aussy n'en ay je receu aucune des vostres despuys que j'estoys malade, comme si je ne devoys avoyr ces deux consolations ensemble, santé et vos lettres. Les lettres que je vous ay envoyëes se sont peut estre perduës, pour autant que nous payons le port avant qu'elles partent, et partant besogne païee, malfaicte. Seulement, [3] je me plains de celles que monsieur Cadel et autres amys ont porté, que j'eusse pensé devoir estre fidellement rendues. Et de vos nouvelles nous en avons tousjours eu nostre part quand vous escrivies a monsieur Coppier, car de vostre grace vous faysies tousjours mention et de moy et de tous ces autres messieurs ausquels je ne cede poinct en ce faict, et sans ceremonie je me nomme...

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy.

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III. A un inconnu (Minutes inédites). Remerciements pour une lettre reçue de lui.

 

Padoue, [vers octobre 1590.]

 

            Monsieur,

 

            Je ne fis jamais chose qui meritasse que vous prissies la peine de m'escrire avec tant de caresses comme vous aves faict le 24 de septembre, dont je vous remercie d'autant plus humblement de ceste vostre faveur, pour laquelle je m'offriroys a vous humblement si je ne vous estoys desja tout obligé et dedié. Or, vostre lettre me servira au moins de tesmoignage que vous prenes a gré l'affection que je vous porte, et partant j'ay pris un tres [4] grand contentement de voir que desires que je retourne bien tost par devers vous, tout plein de belles qualités...

……………………………………………………………………………………………………...

 

            Monsieur,

 

            Vous pouves bien tant quil vous playra accroistre le monde d'obligations que je vous ay, comme vous aves faict prenant la peyne de m'escrire le 24 septembre avec tant de caresses comme vous aves faict ; mays vous ne pouves plus accroistre l'affection que je vous porte, et a vostre service, icelle estant aussy grande qu'on la pourroit avoir…

……………………………………………………………………………………………………..

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Turin.

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IV. A un inconnu (Minute inédite). Témoignages de respect et d'affection.

 

Padoue, [octobre ou novembre 1590.]

            Monsieur,

 

            Je me fais accroyre que monsieur des Granges, present porteur, m'ayme beaucoup, comme j'en ay eu de fort bons signes ; dont l'ayant prié fort instamment [5] qu'estant de pardela il me recommandasse fort affectionnement a vostre bonne grace, je ne doute poinct que sil vous peut trouver et se souvient, il ne face cela pour moy. Toutefoys, pour autant que peut estre ne vous trouvera il pas comme il desire, et aussy quil est fort aysé a oublier si peu de chose comme je suys, affin d'asseurer mon intention j'ay escrit ces deux mots que je vous addresse, par lesquels je vous saluë tres humblement et affectionnement, et vous remercie de la memoyre que vous eustes de moy quand monsieur de la Chapelle print congé de vous pour venir icy, lequel m'a encores dict que d'autrefoys vous luy avies parlé de moy ;  ce que cognoissant ne venir de mes merites, j'en honore d'autant vostre bonté, delaquelle je reconnoys toutes ces faveurs.

            On a dict que le duc de Florence s'en alloit mourir et quil se traittoit de fayre Pape le Cardinal de Sens, ce que n'estant asseuré je m'en rapporte a l'evenement. Je presuppose que deux de mes lettres vous auront estëes donnëe...

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Turin. [6]

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V. A un gentilhomme (Minute inédite). Remerciements pour la bienveillance que lui témoigne ce gentilhomme et pour la lettre qu'il en a reçue.

 

Padoue, [1591.]

 

            Monsieur,

 

            Despuys lhonnorable memoyre que vous fistes de moy par lettre a monsieur de Marry, il y a quelque tems, qui me fut comme un'arre de vos graces, le grand desir que ja auparadvant j'avoys d'estre accepté pour vostre serviteur tres humble s'estoit extremement accreu. Et pourtant j'avoys a plusieurs foys prié monsieur de la Tornette et monsieur de la Porte de vous fayre present, de ma part, et de moy mesme et de mon service, pensant par ce moyen, sans que je vous importunasse par lettres (que je craignoys fort), vous pouvoir fayre sçavoyr combien je me connoissois honnoré de vostre mention et combien humblement je vous en remercioys. D'autre part j'estimoys que sous l'adveu de ceux qui m'eussent presenté a vous, j'eusse esté beaucoup mieux receu que je [7] n'eusse osé me promettre sans presomption. Dont vous pourres asses connoistre, sans que je vous en die autre, avec combien de satisfaction j'ay receu vostre lettre, combien j'en fays d'estat et combien estroittement je m'en sens obligé, mays beaucoup plus de ce que par icelle vous me presentes. Dequoy je prendray et retiendray bien cherement tout ce dont je seray capable ; car il ne messied pas a vostre grande humanité de beaucoup presenter, mays ce seroit grande insolence a moy de n'en vouloir refuser.

            Et maintenant, puys quil vous a pleu me monstrer de si bons signes, ains de me favre fayre de si bonnes asseurances de vostre amitié en mon endroit, je vous supplieray tres humblement de me fayre ce bien que de continuer, et me mettre en conte comme vostre tres humble et serviteur. Et bien que je n'aÿe autre merite, si est que la grande et bonne affection que j'ay est suffisante pour me fayre avoyr un lieu de mortepaÿe en vostre service, affin que j'aye le contentement, par la continuation de ceste vostre faveur…

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy. [8]

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VI. A un ami (Minute inédite). Assurances d'amitié. — Désir d'être connu d'un personnage de grand mérite. — Nouvelles d'un condisciple. — Message de son précepteur. — Un mot sur son frère Gallois.

 

Padoue, 25 mars 1591.

 

 

            Quas ad me 3 calend. Decembris 1590 et 10 calend. Februarii 1591  perscripsisti simul accepi his diebus, ut copia litterarum tuarum momentanea pænuriam earumdem diuturnam compensaret. Cujusnam autem culpa factum sit ut priores illas tam tarde acceperim cogitare nolui, ne ab ea cogitatione in amicorum quempiam quippiam iracundiæ meæ derivaretur. Ingenti te metu perculsum ais ne aliquam in te concepissem indignationem, quod postremis meis litteris stomachari viderer, quasi tu vel in amando me pertinax non esses aut diligens in scribendo ; quo magis miror in te eum metum  extitisse, qui sane « in constantem virum cadere [9] non possit. » Sed id ita solvis : « Cuncta timemus amantes, » bene est, si tamen mihi optio relicta est.

            Gratius accepi quod posterioribus scribis adduci non posse ut credas in me aliquam tui oblivionem cadere posse ; id apud te firmissimum ac omni formidine remota constitutum velim. Profecto scripsi dedique ad te litteras non semel,  de quarum appulsu nihil audivi ; postea hinc inde ab amicis, modo hoc modo illo, de te exquisivi pæne importune. Mirum undique de te (in te etiam fere dixi) silentium. Te in Galliis esse audio ; ad te desino scribere, ab aliis de te sciscitari non desino. Quid mihi culpæ est ? Hæ mihi sunt omni actione majores exceptiones. Ergo, quantumvis amantissimus, his timoribus locum deinceps ne dederis ; quamvis enim ii ab amore proficisci videantur initio, postea tamen sæpe parvulis et brevissimis mutationibus temporisque processu genitorem ipsummet suum interimunt. At ne me de timore tuo [10] timere reflectas ;  mihi enim de eo mentio est, nullus vero metus. Quos de me passim seris sermones apud tuos, maxime apud eum quem hærum tuum appellas, vide ne ita accipiantur quasi sementem agri tui colloces ac quod sentio sentiant alii : tua tibi in ore esse, tuoque te melle delectari. Hæc pro familiaritate. Alioquin quid mihi optabilius quam me ex nomine, te nominante, ab eo cognosci cujus nomini me, si annueret, consecratum facere omnibus bonis cæteris anteponerem  ? Quam in sententiam corde premo plurima quæ nec pænitus dicere possum, nec si possem, spatium ad scribendum a latore præstitutum permitteret.

            Antonium, quem Franciscum vi simpathiæ nominas, Merindulensem  suamet manu inter tuas (sic) adscribam, bonum, prudentem, ac supra ætatem philosophum [11] juvenem ; hoc solo nomine miserandum quod tanto ingenio genioque minime par sit nactus corpusculum, sed calculo generando pessime aptum (lapidem philosophicum a generante nominarim). Morbo sibi omnibusque amicis suis gravissimo decumbens ipse, ego assidens, de te plurima, quibus plane effectum est ut tui desiderio non minus quam sanitatis langueret.

            Deageus præceptor noster te plurimum salvere jubet. Fratrem meum non adeo mihi dissimilem credo quin semper inter tuos remaneat  ; quamdiu vero pro ætate ex nobis pendet tanquam accessorium majori fratri cedit. Porro, ad omnes operas jus in me tibi esse non patrinatus sed patronatus existimes quæso. Subinde scribam vale.

            Patavii, ipso annunciatæ salutis salutatæque Virginis die.

 

Revu sur l'Autographe couservé à la Visitation de Turin. [12]

 

 

 

            J'ai reçu à la fois, ces jours-ci, les lettres que vous m'avez écrites le 29 novembre 1590 et le 23 janvier 1591. Cette abondance momentanée compensait ainsi la pénurie dans laquelle vous m'aviez laissé. A qui la faute si j'ai reçu si tard la première lettre ? Je n'ai pas voulu le rechercher, de peur que cette recherche ne fît retomber un peu de mon mécontentement sur quelqu'un de mes amis. Vous avez grandement craint, dites-vous, que je n'eusse conçu à votre égard quelque indignation, car dans mes dernières lettres je semblais fâché de ce que vous n'êtes pas ardent à m'aimer ou diligent à m'écrire. Je m'étonne d'autant plus qu'une telle crainte ait pu exister en vous, qu'elle ne peut assurément « s'emparer d'un homme fort et constant. » [9] Si vous l'expliquez de la sorte : « Tout éveille les craintes de ceux qui aiment, » c'est bien, mais à la condition que vous me dispenserez de vous prouver mon affection en redoutant tout de votre part.

            Votre dernière lettre m'a été plus agréable. Vous m'écrivez, en effet, que rien ne vous persuadera que j'aie pu vous oublier le moins du monde. Je voudrais que cette conviction demeurât en vous le plus fermement possible et prévînt toute ombre de défiance. Le fait est que je vous ai écrit, que je vous ai expédié plus d'une fois des lettres, sans savoir jamais si elles vous étaient parvenues. J'ai demandé ensuite de vos nouvelles d'ici, de là, tantôt à un ami, tantôt à un autre, jusqu'à me rendre presque importun ; mais partout, silence étonnant sur vous (peu s'en faut-il que je ne dise contre vous). J'apprends que vous êtes en France. Je cesse de vous écrire, je ne cesse pas de demander de vos nouvelles. Quelle faute ai-je commise ? Ces preuves de mon affection sont plus fortes que toutes vos accusations. Donc, quelle que soit votre affection, ne cédez plus désormais à ces craintes. En effet, bien qu'elles semblent au début engendrées par l'amour, souvent dans la suite, par de très petits, d'insensibles changements, elles tuent, avec le temps, celui-là même qui les a engendrées. Toutefois, ne croyez pas que votre crainte m'inspire une [10] crainte équivalente. Je la mentionne simplement, je ne l'éprouve nullement. Quant aux paroles que vous semez sur mon compte, par ci par là, auprès de vos amis, surtout auprès de celui que vous appelez votre maître, prenez garde qu'on ne les interprète comme si vous semiez votre champ

pour que les autres pensent ce que je pense moi-même, c'est-à-dire que vous proclamez vos vertus, que vous savourez votre propre miel. Ceci entre nous. Si cet homme consentait à m'accepter comme sien ce serait pour moi un bien préférable à tout autre bien ; rien donc ne me sera aussi avantageux que de lui être connu, au moins de nom, par votre entremise. Sur ce sujet, je garde en mon cœur bien des choses que je ne puis entièrement révéler, et, le pourrais-je, que le temps laissé par le porteur ne me permettrait pas de les écrire.

            Antoine de Mérindol que, par sympathie, vous appelez François, de sa propre main se consigne entièrement entre les vôtres. C'est un jeune homme bon, prudent et philosophe à un degré bien supérieur [11] à son âge. Une seule chose est à regretter en lui, c'est qu'il ait un corps chétif, peu proportionné à ses grandes qualités, à sa belle nature. Il est fort porté à engendrer la pierre (que chez lui on pourrait appeler pierre philosophale). Il a été retenu au lit par cette maladie très douloureuse pour lui et pour tous ses amis. Je l'assistai. Nous parlâmes beaucoup de vous, ce qui le fit soupirer après vous tout autant qu'après la santé.

            M. Déage notre précepteur m'ordonne de vous saluer mille fois. Mon frère me ressemble assez, je crois, pour demeurer toujours des vôtres. Pendant que son âge le tient en dépendance de nous, il suit comme un accessoire son frère aîné. Sachez que, pour n'importe quel service, vous avez droit d'user de moi, non il est vrai en qualité de parrain, mais à titre de maître. Et sur ce, je vous dis adieu.

            Padoue, jour de l'annonce de notre salut et de la salutation donnée à la Vierge. [12]

 

Année 1593

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VII. A un ancien condisciple (Minute inédite). Remerciements pour l'attention qu'a eue ce personnage de lui dédier ses thèses de théologie. — Espoir de le voir prochainement à Annecy.

 

[Annecy, 1595.]

 

            Tuis equidem meritis ac virtutibus me totum jam pridem debebam, doctissime vir ; nunc autem titulo sane omni exceptione majore, ob benevolentiam scilicet qua tam amice cultissimas illas de theologia conclusiones mihi nuncupare dignatus es, me totum sane tibi vindicas. Quid enim mihi gloriosius in humanis accidere potuit quam ignotum me quidem, tibi, doctissimo et absolutissimo viro, pro amico provocari, cum in me nihil sit tale quod tuam mihi possit conciliare voluntatem ? Quamvis enim patriæ ac primi litterarii tirocinii mihi tecum intercesserit communio, tot me tamen ingenii et doctrinæ [13] gradibus inferiorem tibi fecisti, ut in tanta dissimilitudine mirum sit tantam amicitiam esse posse quantam tibi mecum esse vis.

            Verum quando de tuo ad nos reditu tam recte sperare jubet ducalis Patrimonii principalis procurator  consanguineus tuus, vir de republica ac de me seorsim optime meritus, expecto in dies avidius lætam illam horam qua te videre, audire ac amicissimis complexibus excipere liceat. Interea et de tanta tua in me propensione gratias agere quantas maximas me [credas] tibique scias addictissimum, vir ornatissime, et Christum habeto [propitium].

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mme Doroz, née d'Arcine, à Besançon. [14]

 

 

 

            Depuis longtemps déjà vos mérites et vos vertus, homme très savant, auraient suffi pour m'attacher à vous sans réserve ; mais aujourd'hui vous vous êtes acquis sur toute ma personne un droit sans égal par la bienveillance qui vous a porté à me dédier si amicalement vos très savantes thèses théologiques. En effet, que pouvait-il humainement m'arriver de plus glorieux que de m'entendre donner le titre d'ami par un personnage si docte et si accompli ? Il n'est rien en moi, homme obscur, qui puisse ainsi me concilier vos bonnes grâces. Sans doute, nous sommes compatriotes et nous avons commencé ensemble nos études littéraires ; mais vous m'avez [13] tellement dépassé, votre génie et votre savoir ont établi une si grande distance entre nous, que je m'étonne de l'intime amitié que vous voulez contracter avec moi.

            Quoi qu'il en soit, le procureur principal du Patrimoine ducal, votre parent, qui a si bien mérité de l'Etat et de moi en particulier, nous fait justement espérer votre retour parmi nous. J'appelle donc chaque jour avec plus d'impatience cette heure de bonheur où il me sera permis de vous voir, de vous entendre, de vous serrer le plus affectueusement possible dans mes bras. En attendant, daignez agréer mes plus vifs remerciements pour la sympathie que vous me témoignez, et croyez-moi, très digne Monsieur, votre plus dévoué serviteur. Que Notre-Seigneur Jésus-Christ vous soit [propice]. [14]

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VIII. Au régent Ménenc (Minute inédite). Excuses pour le retard mis à répondre à deux lettres. — Immunités assurées aux docteurs en droit et en médecine et aux maîtres d'école.

 

[Eté de 1593.]

 

            Francisais doctissimo Domino Menencho.

            Arcepi jam bis litteras tuas omnino jucundas, sed maxime quod amari me abs te serio testentur. Prioribus cur non responderim id fuit causse quod sperarem, cum Episcopo meo Reverendissimo, istuc coram videndi te ocasionem futuram. Posterioribus vero ita breviter respondeo. Minus credendum est tam pio patri qualis est [15] Rmus Antistes meus de filio testificanti, quod sæpissime etiam prudentissimi parentes quod volunt in filiis inesse credunt id bonum. Verum qualis sum me tuum optimo modo scias esse. Quod tam amanter scribas gratias ago quantas possum maximas, ac ut etiam si et in me referre possum saltem testificationem aliquam referam.

            Quod audiverim plebem illam apud quam sementem ingenii tui facis adeo rudem esse ut te non immunem ab oneribus publicis existimet, ac ego uti immunem te mea non possum authoritate quæ nulla est facere, authoritate sane Imperatoris Constantini efficio. Sic enim edixit, Lege 6, Tituli 52, cujus titulus est De Professoribus et Medicis, libro decimo Codicis : « Medicos, grammaticos et doctores legum, cum uxoribus et filiis et rebus (hoc te Mot omnino liberum facit) quas in civitatibus suis possident, ab omni functione et ab omnibus muneribus vel civilibus vel publicis immunes esse, et nec in provinciis hospites recipere nec ullo fungi munere. » Hanc Imperatoris sententiam et sua Glossa, verbo Muneribus, [16] et Lex ultima ejusdem Tituli, si recte principium cum fine conjungatur, et Lex ultima in fine ff. De Muneribus et Honoribus  in eum sensum confirmant, ut te imperatoria Majestas immunem omnino pronunciet.

            Hæc raptim, neque plura scribere per occupationes licet. Vale ergo, et ab omni onere publico et ab omni malo immunis, meque pergas amare qui scilicet tuus sum totus.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy. [17]

 

 

 

            François au très docte Monsieur Ménenc.

 

            J'ai reçu vos deux lettres qui m'ont été très agréables, surtout par les assurances qu'elles me donnent de votre affection pour moi. La raison pour laquelle je n'ai pas répondu à la première est que j'espérais, avec mon Révérendissime Evêque, avoir une occasion prochaine de vous voir ici. Et voici ce que je réponds brièvement à votre seconde lettre. Il ne faut pas trop ajouter foi aux paroles [15] d'un père aussi indulgent que l'est mon Evêque lorsqu'il rend témoignage de son fils ; car bien souvent les parents les plus prudents se persuadent trouver dans leurs enfants les qualités qu'ils désirent. Enfin vous savez du moins que tout ce que je suis est entièrement vôtre. Je vous remercie de tout mon cœur des paroles si aimables que vous m'écrivez, et je ferai tout ce qui dépendra de moi pour les mériter.

            Comme j'entends dire que les populations auxquelles vous consacrez vos talents sont si grossières qu'elles ne veulent pas vous affranchir des charges publiques, et n'ayant nulle autorité pour le faire par moi-même, je le fais du moins par l'autorité de l'empereur Constantin, qui a édicté le décret suivant dans la VIe Loi du Titre LII, intitulée : De Professoribus et Medicis, Livre X du Code : « Les médecins, les maîtres d'école et les docteurs en droit avec leurs femmes, leurs enfants et les biens qu'ils possèdent dans la ville (ce mot-là vous affranchit complètement) sont exempts de tout impôt et charge soit municipale, soit publique, de toute corvée et obligation de logement. » C'est le sens qui est par la Glose attribué au décret de l'empereur (au mot Muneribus). La dernière Loi du même [16] Titre, si l'on compare exactement le commencement avec la fin, et les derniers mots de la dernière Loi du Titre des Pandectes, De Muneribus et Honoribus, le confirment. Ainsi la Majesté impériale vous déclare absolument affranchi de tout impôt.

            Ceci à la hâte ; car mes occupations ne me permettent pas d'écrire davantage. Portez-vous donc bien ; demeurez exempt de toute charge publique et de tout mal, et continuez à bien aimer celui qui est tout vôtre. [17]

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IX. Au sénateur Antoine Favre (Minute). Réponse affectueuse aux avances du sénateur Favre. — Regret de n'avoir pu le rencontrer lors de deux voyages faits à Chambéry. — Protestations d'estime et d'attachement.

 

[Août 1593.]

 

            Clarissimo viro, Senatori integerrimo Antonio Fabro.

 

            Accepi litteras tuas, vir clarissime et Senator integerrime, tuæ in me benevolentiæ pignus suavissimum, [18] quæ animum meum tanquam insperatæ adeo commoverunt ut permixta admirationi gratulatio mihi meummet ingenium eriperet. Ea videlicet tua humanitas qua juvenem tirunculum vir gravissimus senatorii ordinis ad amicitiam provocas, [et] vetus tuæ in me pietatis promerendæ desiderium, parem cum gratulatione admirationem concitarunt.

            Si qualis in me fuit jam pridem observandi te et amandi propensio, ejus et fuisset aliqua significatio, non tam ad amandum te, ut modestissime loqueris, aliqua provocatione opus mihi fuisse cognovisses, quam concessione libere id agendi ac palam profitendi quod intimis hærebat sensibus. [19]

            Universo enim orbi litterario cum ex fructu arbor optima et sis et habearis, mihi unus perpetuo propositus es quem noctes diesque respicerem, et ad cujus exemplar quam maxime possem genuine animum meum efformarem, non tantum quod nullibi superiorem, paucos etiam habeas pares, sed quod provincialia, civilia aut, ut ita dicam, domestica exempla nescio quid habeant acutioris energiæ ac efficaciæ.

             Cum vero non solum speciem, sed ne quidem specimen tam expressee virtutis in me ullum post aliquot annos viderem, mese tenuitatis mihimet satis conscius, videndi [20] te coram et audiendi manebat consilium ; ac tuæ in me benevolentiæ, si quo fieri posset modo, promerendæ tanto tenebar desiderio, ut cum illud amplius animus meus capere non posset, omnis modestiæ ruptis repaculis, nisi brevi per aliquam occasionem licentiam impetrassem, opportune, importune, ipse qualis qualis sum tirunculus gravissimum senatorem in suavissimum amandi certamen evocare non dubitassem.

            Quam occasionem cum præcipue spero, tum vero, nescio quo malo meo, factum est ut non utroque suo pede mihi constet opportunitas. Cum enim, ut in advocatorum numerum adscriberer, Chamberium peto, credoque admissus purpuratos omnes Patres salutare, de more gratias agere ac per hanc occasionem inter tuos locum impetrare, meaque manu nomen meum scribere, quia coguntur ad militiam nobiles, hora intempestiva [21] ipse cogor discedere insalutato te, quem obiter salutare, præsertim cui antea eram ignotus, nulla salutatione minus ducebam. Hisce vero Paschalibus festis præteritis dum adessem tu aberas, cum, D. Coppier doctore medico ductore, tuas sedes frustra peterem.

            Quare cum jam per litteras ac obsignato veluti rescripto ferventem jam et suapte natura pugnacissimum hoc in genere certandi militem provocaveris, videndum est utique tibi non tam quis prior in aleam descendent observes, quam quis posterior supersit.

            Neque tamen efficias velim te priorem amasse, quod existimas aut hinc minus me tibi debere aut te magis virtutibus meis. Ego enim tuarum illustrium virtutum et amator et admirator fui priusquam vel de nomine tibi notus esse possem, nec ante amavi quam in te essent eæ quæ connatæ tibi sunt eximiæ animi dotes, quæ te non amari nullo unquam tempore permiserunt. Quod autem per summam humanitatem prior ipse scripseris, id nimirum [22] causæ fuit et te priorem dare, quod divinius est, et me priorem accipere, quod inferius decebat.  Et ego ne potius in te senatoriam dignitatem, quam in senatore consummatissimam virtutem colere existimarer, absentem salutare minime consentaneum videbatur, cum præsertim me non ejusmodi juvenem crederem qui in ore vel aure cujusquam purpuratorum Patrum venissem, in intima videlicet juvenili umbra adhuc delitescens. Quod cum secus evenerit, et lætandum mihi est me tam facile tuam benevolentiam consecutum, quæ non tam superbiam (etsi non levis esset titillatio) excitat ullam quam in melius eundi animos addit.

            Et simul verendum ne cum minora, forsan etiam nulla, quæ de me audivisti majora in recessu, persenseris, et te amasse et amorem significasse pœniteat, ac is quem inde suavissimum gusto fructum præcoci maturitate perceptum repente etiam marcescat. Verum id tua moderabitur humanitas, quam ita cum summa [23] prudentia in te conjunctam esse non dubito, ut nullæ bonæ vel malæ famæ exaggeratio, additio, substractio, nulla etiam referentium ornamenta ac locupletationes te decipiant. Quare sive mei ad virtutem studii promovendi causa, sive tuæ in eos qui vel exiguum habent ingenii ac probitatis sementem (quorum in te sunt uberrimæ segetes) propensionis sedandæ, non amaveris tantum (quod fide non negata referentibus necesse habebas), sed etiam scripseris, nihil formido quin deinceps amare pergas.

            Ego quo minus me vel de nomine tibi notum esse divinabam ac adeo tuas expectabam litteras, eo magis tantam tuam humanitatem sum præter modum admiratus, quo factum est ut in immensum tui aspectus et collocutionis desiderium creverit. Admirationem enim cognoscendi desiderium parere philosophiæ in limine tutum est proverbium.

            Interim, dum id expecto, et mihi quam maximæ agendæ gratiæ quod prior scripseris, promitto me in colendo te [24] et observando nullum unquam habiturum superiorem, ac tuæ in me humanitati intima responsurum voluntate, quamvis meæ minus tersæ litteræ jucundissimis et elegantissimis quas dedisti non respondeant. Quas dum capio, lego identidem ac relegendi finem facio nullum, tanta me capit voluptas ac tui observantia quantam animus meus capere potest ; adeo scilicet verum est captum esse qui cæperit…

 

 

 

            Au très illustre et très vertueux Sénateur Antoine Favre.

 

            J'ai reçu votre lettre, très illustre et vertueux Sénateur, et ce gage précieux et inattendu de votre bienveillance pour moi m'a tellement [18] rempli de joie et d'admiration que mon esprit demeure impuissant à vous exprimer ces sentiments. La bonté qui vous porte, homme vénérable de l'ordre des sénateurs, à rechercher l'amitié d'un novice inexpérimenté, et mon désir déjà ancien de mériter votre affection excitent dans mon cœur un contentement égal à ma surprise.

            Si j'avais pu vous témoigner l'inclination que j'éprouve depuis longtemps à vous honorer et à vous aimer, vous auriez compris que j'avais moins besoin d'être excité à vous aimer, comme vous le dites avec tant de modestie, que d'obtenir la permission de vous exprimer ouvertement les sentiments intimes de mon âme. [19]

            Puisque vous êtes un arbre excellent, et, par ses fruits, reconnu comme tel dans tout le monde savant, depuis longtemps je me propose votre exemple, et, jour et nuit, je tâche autant que faire se peut de me conformer à ce modèle. Je le fais non seulement parce qu'il est impossible de rencontrer ailleurs des talents supérieurs aux vôtres, et difficile d'en rencontrer de semblables, mais surtout parce que les exemples que nous trouvons dans nos provinces, dans nos villes, et pour ainsi dire à notre foyer, ont plus de force, d'énergie et d'efficace.

            Cependant, après plusieurs années ne voyant pas paraître en moi, je ne dis pas l'image, mais le moindre indice d'un tel mérite, [20] tout en étant convaincu de mon impuissance, je n'en ai pas moins gardé le désir de vous voir et de vous entretenir. Ce désir de me concilier votre bienveillance, s'il était possible, était si ardent que mon âme ne pouvait plus se contenir ; et si l'occasion ne s'en était présentée, en dépit de toute modestie, je n'aurais pas hésité, moi faible jeune homme, à venir à temps ou à contre-temps vous provoquer, vénérable Sénateur, à cette douce lutte d'amitié.

            Alors que j'aspirais avec ardeur à saisir cette occasion, je ne sais par quel contre-temps elle m'a échappé. Lorsque je suis allé à Chambéry me faire inscrire au nombre des avocats, j'espérais qu'une fois admis, je pourrais saluer tous les Sénateurs, les remercier selon l'usage, et, à cette occasion, obtenir place parmi vos amis en vous laissant mon nom écrit de ma main ; mais voilà que la noblesse est appelée aux armes, et que je suis contraint de partir à une heure indue, sans vous avoir vu ; car j'aurais considéré comme un [21] plus grand mal de vous saluer seulement à la hâte, surtout vous étant inconnu, que de ne pas vous saluer du tout. Aux dernières fêtes de Pâques, me trouvant à Chambéry, je me présentai chez vous, conduit par le médecin Coppier ; ce fut encore inutilement, car vous étiez absent.

            Maintenant que par votre lettre, comme par un cartel signé, vous avez provoqué un combattant qui par nature est très ardent dans ces sortes de luttes, prenez garde d'avoir bientôt à considérer moins lequel de nous deux est le premier descendu dans l'arène que celui qui y demeurera le dernier.

            Ne prétendez pas cependant, comme vous le faites, avoir été le premier à m'aimer, et ne croyez pas par suite que je vous doive moins ou que vous deviez davantage à mon mérite. J'ai admiré et aimé vos éclatantes qualités avant même que mon nom vous fût connu, mais non point avant que vous ne fussiez enrichi de ces dons éminents innés en votre âme, et qui, en tout temps, ont fait qu'il a été impossible de ne vous pas aimer. Si, par une bienveillance extrême, vous avez été le premier à m'écrire, cela prouve seulement que vous avez donné [22] le premier, ce qui est plus divin, et que j'ai été le premier à recevoir, comme il sied à mon infériorité. Et pour ne pas paraître honorer en vous la dignité sénatoriale plutôt que la vertu consommée du sénateur, je n'estimais pas convenable de vous adresser mes hommages à distance, car je ne me croyais pas un jeune homme assez important pour mériter que mon nom eût été prononcé ou entendu par quelqu'un des membres de votre illustre corps. Mais puisqu'il en est autrement, je me réjouis d'avoir pu acquérir aussi facilement votre bienveillance, ce qui sera pour moi, non tant un sujet d'orgueil (bien que mon amour-propre ait droit d'en être flatté) qu'un stimulant à mieux faire.

            En même temps, j'ai toutefois à redouter que, lorsque je me présenterai à vous, constatant l'infériorité de mon mérite qu'à distance vous vous figurez si grand, vous ne regrettiez de m'avoir témoigné tant d'affection. J'ai à craindre que, cueilli prématurément, le fruit si doux que me faisait goûter cette affection ne vienne à se flétrir. Mais cette crainte sera modérée par la connaissance que j'ai de votre grande bonté, laquelle est unie à une prudence telle qu'aucune [23] exagération, addition, diminution, aucun artifice et habileté de langage en ceux qui vous parleront de moi, soit en bien soit en mal, ne saurait vous tromper. Je ne m'informerai donc pas si c'est pour m'exciter à la vertu que, non content de m'aimer, vous daignez encore m'écrire, ou (comme vous vous y croyez obligé par ce qu'on vous a rapporté de moi) si c'est pour satisfaire votre propre inclination envers ceux qui ont en eux-mêmes quelque faible semence de cette probité et de ces talents qui fructifient si abondamment en vous. Quoi qu'il en soit, je ne craindrai plus que vous ne cessiez désormais de m'aimer.

            Pour mon compte, moins j'attendais de vos lettres, ne croyant pas vous être connu même de nom, plus j'ai admiré votre extrême bonté, et plus a grandi le désir que j'éprouvais de vous voir et de vous parler. Que l'admiration excite le désir de connaître, c'est une maxime assurée qui s'apprend avec les rudiments de la philosophie.

            En attendant le bonheur de vous voir, je vous remercie de ce que vous avez bien voulu m'écrire le premier, et je vous promets de ne [24] me laisser surpasser par qui que ce soit dans le soin de vous honorer et de correspondre à votre amitié. Je le ferai de toute l'étendue de ma volonté, bien que cette si petite lettre ne puisse répondre à l'amabilité et à l'élégance de la vôtre. Toutes les fois que je la prends (je la lis et relis sans fin) je me sens pris de la volonté et de la joie de vous estimer davantage, à tel point que mon âme reste prise dans son impuissance. Ainsi est-il vrai que celui-là est pris qui croyait prendre...

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X. Au même (Minute inédite). Remerciements pour lui avoir pro curé l'amitié de François Girard

 

[Fin octobre 1593.]

 

            Factum hoc quidem fabre est, amplissime vir, uti quos amas cæteris etiam summis quibusque viris [25] amabiles tua facias eloquentia. Qua in re parem gratiam reddere nullo possum [modo]; in amando namque, uti ne tecum quidem, quem tamen amantissimum immortali nota percipio, certare dubitaverim, sic alicujus amicitiam tibi conciliare nec meum fert ingenium nec clarissimum tuarum virtutum lumen. Non enim is sum apud aliquem cujus authoritate [hoc fieri posset]. Quamobrem tam majores ago gratias quanto minus reddere nullo possum modo. Amare namque omnes possunt; amicos sibi conciliare permulti, ut ego quidem censeo, aliis vero, non nisi quorum authoritas præcipua atque exundans omnino sit. Necesse (sic) est ea virtus cujus splendor non possessori suo tantum illustrando, sed cæteris etiam satis esse possit.

            Quo mihi majores habendæ sunt tibi gratiæ, qui mihi tantum fabricasti amicum quantum alioquin ne Nestorea quidem ætate meis meritis consequi potuissem. Vere [26] nullam unquam tibi parem me gratiam daturum sperandum est, propterea vel maxime quod, ut ea pollerem authoritate, qui te non colat, non amet, non suspiciat, si quis aliquem invenire velim doctum aut probum virum hemispherii hujus nostri limites deinceps egrediatur necesse est; neque alioqui, si is non esses, Franciscum Girardum, quantum tua docet epistola, accurre foret... Et rursum ut argumenti perspicuitate ac lumine res confici verius quam proferentis opera diceretur.

            Quapropter, ut quod jam proximum est faciam, quoniam nullus qui te non summopere suspiciat, nullus Franciscus Girardus alius superest, quicquid hujus rei fuerit id tibi totum ac integrum me debere profitear. Ecquid enim in me sit juris uti virum longe gravissimum, annorum jam non exiguo cumulo venerandum, disciplinarum ac virtutum omnium ornamentis cumulatissimum, Franciscum Girardum, pro amico (ut ejus retineam verba) provocassem nihil omnino video. In te tantum ille est [27] amor erga me tuus singularis qui satis sit uti omnes me diligant, quem tam fortunatum eo vident nomine; adeo nimirum vel errantes summos viros facile quilibet sequitur.

            Quare consentaneum uti eum socium appelles qui sua voluntate quidem sed tuo solo me diligat amore, quem tui non sui cognoverit opinione. Ego sane rem ratam haberi [censeo].

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mme Doroz, née d'Arcine, à Besançon. [28]

 

 

 

            C'est bien l'œuvre d'un [habile] artisan, très digne Monsieur, de parvenir, grâce à votre éloquence, à faire aimer des personnages les [25] plus illustres ceux que vous aimez vous-même. Je ne puis nullement à cet égard vous rendre pareille faveur ; car, bien qu'en affection je n'hésiterais pas à lutter même avec vous, que je reconnais par des signes indubitables être un homme des plus aimants, toutefois la prétention de vous concilier l'amitié de qui que ce soit n'est compatible ni avec la médiocrité de mon mérite, ni avec l'éclat de vos vertus. Auprès de personne, en effet, je n'ai l'autorité suffisante ; aussi vous dois-je une reconnaissance d'autant plus grande que je puis moins vous offrir de retour. Tout le monde peut aimer ; beaucoup à mon avis peuvent se faire aimer ; mais susciter aux autres des amis est au pouvoir de ceux-là seulement qui jouissent d'une autorité transcendante et reconnue. Il faut pour cela posséder une vertu dont la splendeur non seulement illustre celui qui en est doué, mais encore rejaillisse sur tous les autres.

            C'est pourquoi je vous rends des actions de grâces d'autant plus vives pour m'avoir procuré un ami tel que, dussé-je vivre toute la vie d'un Nestor, je n'eusse pu l'acquérir par mes propres mérites. Du reste, eussé-je l'autorité suffisante pour cela, n'espérez pas que je vous [26] rende jamais pareil service ; car, à moins de sortir de notre hémisphère, il serait impossible de trouver un homme de science et de probité qui ne vous vénère, ne vous aime, et ne se propose vos exemples pour modèle. Et si vous n'aviez pas toutes les qualités qu'on vous attribue, c'est précisément à François Girard, d'après ce que vous me dites de lui dans votre lettre, que je devrais aller pour les rencontrer... Vous voyez donc que ma preuve ressort plus évidemment par sa propre force que par l'habileté de celui qui l'expose.

            Pour en venir à une conclusion déjà manifeste, comme il n'est plus personne qui ne vous honore grandement, comme il ne reste plus d'autre François Girard, je déclare que, dans cette affaire, je vous dois absolument tout. Je ne vois rien en moi qui puisse provoquer (pour me servir de la propre expression de François Girard) l'amitié de ce personnage si grave, déjà vénérable par l'âge, et si magnifiquement [27] orné de toutes les sciences et de toutes les vertus. C'est en vous, c'est dans l'affection singulière que vous me témoignez qu'il faut chercher la cause de mon bonheur. Tous m'aiment pour cela seulement qu'ils me voient honoré de votre estime, tant il est vrai qu'on suit facilement les grands hommes, même quand ils se trompent.

            Il convient donc que vous appeliez compagnon celui qui veut bien m'aimer, il est vrai, mais seulement par amour pour vous, puisqu'il ne me connaît pas personnellement, mais seulement d'après l'opinion que vous avez conçue de moi. Certes, pour moi l'affaire est terminée… [28]

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XI. Au même (Minute). Exposition des mêmes pensées.

 

[Fin octobre, 1593.]

 

Amplissimo Senatori Antonio Fabro, Franciscus de Sales, Ecclesiæ Gebennensis Præpositus, salutem dicit.

 

            Si tuis virtutibus jam pridem, aut tuæ erga me humanitati me totum non deberem, deberem nunc profecto titulo omni exceptione majore, ob benevolentiam Francisci Girardi, cujus tu mihi author extitisti, tua scilicet, uti litteris ad me suis mandavit, eloquentia et apud eum auctoritate. Quid enim tali amico optabilius in humanis esse potest? Donum istud est ipsa raritate illustre, ac quod nullo possit æstimari pretio longe pretiosissimum, mihique eo suavius possidendum, quo certius agnosco nihil unquam tale meis meritis accedere potuisse.

            Neque vero propterea in te quicquam imprudentiæ [29] esse dixerit quispiam, quod num donatarius cum dono sibi certa respondeat proportione parum prospexeris; verum enim est quod Alexander Magnus credidit, satius fore si donatore dignum sit donum, licet alioquin imparem sortiatur donatarium, ut in eo non tam ad quem, quam a quo proficiscatur considerandum sit. Rem ergo fecisti meis longe superiorem meritis, Francisci Girardi humanitate dignam, ei quam tu mihi tecum esse voluisti amicitiæ consentaneam, qui mihi bonum illud animi tui singulare, hoc est, voluntatem eximii viri Francisci Girardi, mihi quoque fecisti commune, atque, quod consequens erat, me, jampridem in solidum tuum, Francisco quoque Girardo tuo in solidum adduxeris, ne vel minimæ rei inter vos societas desideraretur.

            Qua in causa nullam plane sentio formidinem ne aliquam inter vos concissionem dividendo experiri velitis, quandoquidem ambo si amici estis individui, estis et vestra utriusque erga me benevolentia ; uti et mea erga vos observantia, cum animæ penitus hæreat, ipsi cedat necesse est ejusque sequatur naturam, quæ tota est in toto, et tota, ut secundum artem loquar, in qualibet parte. [30] Quo fit ut si res ulla, ex Salomonio  placito, duplicem admittat possessorem, ea maxime est amicitia.

            Vivet vero semper in pectore meo ardens quoddam desiderium omnes quidem amicitias, sed hanc maxime Francisci Girardi, et cæteras quæ ex tua, Faber optime, prodibunt officina diligenter colendi ; quod ut præstare possem, utinam non verbis tantum (qualia solet Franciscus Præpositus, et id genus alia, in quibus nescio quid inter nos est similitudinis), sed re etiam et meritis, quod tu credis, conjungeremur, ut amore præstantissimorum virorum vel eo nomine merito non indignus videar qui me indignum esse agnoscam libenter, et tenuitatem meritorum desiderii amplitudine resarciam.

            De cætero, quod parum promptus fuerim in respondendo, vel tuis vel Francisci Girardi litteris, causam profero, non meo quidem judicio minus honestam, nec [31] tibi, ut arbitror, minus jucundam, qui familiaritate delectaris, quod scilicet ex media familia deprompta sit. Accepi vestras utriusque litteras Sanctorum Simonis et Judæ die, quas decies et iterum, uti soleo omnia tua, repetitas, dum demitto postridie scripturus, ut per occasionem etiam stati temporis quo togatæ militiæ sacramentum faciendi [gratia] ad vos plerique contendunt, ego quoque in præcepta tua jurarem…

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat.

 

 

 

Au très illustre Sénateur Antoine Favre,

François de Sales, Prévôt de l'Eglise de Genève, présente ses salutations.

 

            Si vos vertus et votre bienveillance pour moi ne vous assuraient depuis longtemps des droits à mon dévouement, il vous serait acquis aujourd'hui à juste titre en retour des agréables relations que vous m'avez procurées avec François Girard ; car, d'après sa lettre, c'est à l'influence et à l'autorité que vous avez sur lui que j'en suis redevable. Que pouvait-il, en effet, m'arriver de plus heureux, humainement parlant ? La rareté de ce don suffirait seule à le rendre glorieux, tellement précieux qu'il ne saurait être estimé à sa juste valeur, et d'autant plus flatteur pour moi que j'étais loin de le mériter.

            Ne craignez pas toutefois d'être taxé d'imprudence pour avoir [29] oublié la disproportion qui existe entre le don et l'homme qui le reçoit ; car Alexandre le Grand pensait avec raison qu'un présent doit être plutôt digne de celui qui l'offre que de celui qui l'accepte. Vous avez donc fait une chose bien supérieure à mes mérites, mais bien digne de la bonté de François Girard et de l'amitié qui existe entre vous et moi, en me faisant participer à ce trésor singulier de votre âme, c'est-à-dire à l'intimité de votre ami. Par suite, me mettant en union de sentiments avec vous, vous m'y mettez aussi avec François Girard, de telle sorte que tout, jusqu'à la moindre bagatelle, vous devient commun.

            Certes, je ne crains pas qu'à ce sujet survienne entre vous la moindre division ; car si l'amitié que vous vous portez mutuellement vous rend indivisibles, il en sera de même de votre bienveillance pour moi. Pareillement l'estime que je vous porte à tous deux étant établie comme elle l'est dans mon âme, s'identifie avec elle, et participe à sa nature qui est, selon les termes de l'école, d'être tout entière dans le tout et tout entière dans

chaque partie. D'où il suit que si, d'après [30] la sentence de Salomon, un même bien peut appartenir à deux personnes à la fois, c'est assurément une intimité de ce genre.

            Le désir qui, dans mon cœur, demeurera toujours très ardent est de conserver toutes mes amitiés, surtout celle de François Girard, et, excellent Artisan, toutes celles qu'il vous plaira me fabriquer. Afin qu'il en soit ainsi, puissé-je vous ressembler non seulement dans la manière d'exprimer mes sentiments (comme a coutume de faire le Prévôt François, et en cela, ainsi qu'en plusieurs autres choses, il existe entre nous un certain air de famille), mais encore en réalité et par le mérite, comme vous vous persuadez que je le fais. Alors je serais moins indigne de l'amitié d'hommes aussi éminents que vous l'êtes. Que du moins cette indignité soit atténuée par l'aveu que j'en fais, et que je compense les qualités qui me manquent par le vif désir que j'éprouve de les acquérir.

            Du reste, si j'ai mis quelque retard à répondre soit à votre lettre soit à celle de François Girard, la raison de ce délai, qui vient de ma famille, est, je pense, également légitime en soi et agréable pour [31] vous qui aimez à remplir les devoirs de l'amitié. Vos deux lettres me sont parvenues le jour des saints Simon et Jude. Après les avoir relues plus de dix fois, comme j'ai coutume de faire pour toutes les vôtres, pendant que je remettais d'y répondre au lendemain, afin qu'en un jour où la plupart des avocats vont prêter serment entre vos mains, j'eusse aussi moi-même des protestations à vous faire…

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XII. Au même (Minute). Prières publiques ordonnées à l'occasion de la détention du duc de Nemours ; sermon prononcé à cette occasion. — Naissance de Jeanne de Sales. — Affaire litigieuse d'un paysan de Thorens. — Témoignages d'affection. — Désir de le voir prochainement.

 

Annecy, commencement de décembre 1593.

 

            Ecce ab Antistite nostro supplicationes obsecrationesque pro captivo Gebenensi Duce  (quod Dux ipse per [32] litteras postulaverat) per 9 dies publice decretæ ; ac uti populus Deo placando ardentius incumbat in sequentem Dominicain diem concionem indicunt, idque muneris tyroni tuo, qui extra scholas vix negare novit, impositum. Ergo in sequentem hebdomadam scripturus, concioni parandæ (nec enim insalutatis Doctoribus id facere noster ferre potest vel genius vel ingenium) mentem attribuo.

            Qua absolutus cura, audio charissimam matrem, anno 42 ætatis suæ, decimum tertium propediem parituram filium, acutioribus torsionibus ac adeo non levi [33] mortis suspicione vexari. Quare missis omnibus ad eam, mea enim præsentia plurimum recreari solet, propero, nec primum redii quin melius per Dei gratiam, licet propinquiore partu, haberet ; vixque consedi cum adest nuncius eam nullo fere negotio peperisse, dolorum nimirum præcedentium ex imminentium summa substractione. Quare iterum redivivam veluti visurus discedo, ac in itinere cum occurreret D. Porterius, unus ex canonicis nostris,  ad te brevi profecturus rogavi uti te meo nomine salutaret,  quando scribendi nulla dabatur opportunitas.

            Quare ea mihi nunc demum constat conditio quam pro tua humanitate ascripsisti : « cum tibi commodum erit. » Cujus ego eam vim quod ad rem attinet esse credo, ut tum demum obtineat cum nullum officit impedimentum quod « in virum constantem cadere possit. » [34]

            Nescio vero fœliciusne an infœlicius mecum actum sit, ut nimirum tum acceperim ter a te litteras cum ne semel quidem dare potuerim. Etsi enim tanto viro, dicam suavius (quod per summam humanitatem tuam jam mihi licere existimo) etsi tanto amico, suavissime alloquenti non respondere durum fuerit, jucundissimum tamen fuit, interea, inter acerbas nonnullas animi occupationes, mellificium illud tuum degustare ac te ex litteris veluti loquentem subaudire.

            Rogor enim inter hæc uti in quadam agricolæ nostri Thorentiani causa adversus Soudanum ejusdem loci notarium apud te intercessorem agam, ac rogem ut rustici jus suum supersit. Æqua sane petitio rustici sed rustica, quam si facerem stultus merito judicarer. Quod enim tibi curæ ac cordi non est, jus non est ; quod vero cuique juris est, id quoad per te potest integrum est ac tutum. Imo vero cum nescio quid criminis in ea causa versari audirem, prope fuit ut clamaverim : Viri [35] sanguinum declinate a me.  Nihil in iis causis clericis negotii esse debet.

            Accepi quidem ter a te litteras, quibus hac una sola satisfacere sequum minime duxerim ; seorsum namque de senatoris dignitate recusanda vel desideranda huic tuo tironi, Faber clarissime, alio tempore scribam, nisi coram, uti spero, hac de re tractandi sese det occasio. Subolfacio etenim mihi brevi te visendum, cui fœlicitati meæ promovendæ non deero. Ac si quid erit in ea tractatione difficultatis, opportunus omnino judex occurret Franciscus Girardus, utriusque nostrum licet in dispari causa amantissimus, juri pariter ac theologiæ addictissimus. Sed hac de re alias…

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy. [36]

 

 

 

            Notre Evêque vient d'ordonner une neuvaine de prières publiques pour le duc de Genevois fait prisonnier. (Ce Prince a sollicité [32] lui-même par lettres ces prières.) Afin que le peuple s'attachât avec plus d'ardeur à fléchir la justice de Dieu, un sermon a été annoncé pour le Dimanche suivant, et on a imposé le soin de le prononcer à votre apprenti qui, hors de l'école, ne sait guère refuser. J'ai donc été obligé, pour préparer ce sermon, de renvoyer ma lettre à la semaine suivante, car ni mon caractère ni mon talent ne me permettent de prêcher sans avoir consulté les Docteurs.

            Délivré de ce souci, j'apprends que ma très chère mère, étant déjà dans sa quarante-deuxième année, doit prochainement donner le jour à son treizième enfant, et qu'elle est si fortement travaillée de douleurs aiguës qu'elle appréhende d'en mourir. Dès lors, remettant [33] toute autre affaire, je me rends en grande hâte auprès d'elle, car ma présence lui donne toujours beaucoup de consolation. Je ne revins chez moi que lorsque je la vis beaucoup mieux, grâces à Dieu, quoiqu'elle approchât de son terme. A peine avais-je eu le temps de m'asseoir à mon foyer que voilà venir un messager m'annonçant qu'elle était délivrée presque sans peine, comme si ce qu'elle avait enduré auparavant avait été pris en déduction de ce qu'elle aurait dû souffrir à ce moment. Je retournai donc visiter celle qui était pour ainsi dire revenue à la vie. En chemin, je rencontrai M. Portier, l'un de nos chanoines, que je priai de vous saluer en mon nom, puisque je n'avais aucune facilité pour vous écrire.

            Me voici maintenant dans la condition que vous aviez la bienveillance de me poser en disant : « Ecrivez-moi quand vous le pourrez. » C'était, ce me semble, me demander de vous écrire tant que je ne serais pas retenu par un empêchement qui arrêterait même « l'homme fort et constant. » [34]

            Je ne sais si je dois m'estimer heureux ou malheureux d'avoir dans cet intervalle reçu trois de vos lettres tandis que je n'ai pas même pu vous en adresser une seule. Si d'une part il m'a été très pénible de ne pouvoir répondre à un homme tel que vous, j'oserais même dire (pour employer un terme plus doux qu'autorise votre extrême obligeance) à un tel ami, qui m'écrit avec tant d'affection, d'un autre côté ce m'a été une immense joie au milieu de préoccupations très pénibles de savourer le miel qui découle de votre plume, et de vous entendre en quelque sorte parler par vos lettres.

            On me sollicite en ce moment d'intercéder auprès de vous en faveur d'un de nos paysans de Thorens au sujet du différend qu'il a avec Soudan, notaire dans la même localité, et de vous prier de faire prévaloir les droits du villageois. La requête de cet homme rustique est rustique elle-même, mais juste. Toutefois, si je vous la recommandais, je passerais pour un sot ; car ce que vous ne prenez pas à cœur n'est pas juste, toute cause juste, quelle que soit la personne intéressée, étant toujours patronnée par vous. De plus, j'ai entendu dire qu'il y a en cette affaire je ne sais quoi qui relève de la justice criminelle, c'est pourquoi j'ai été près de m'exclamer ; Eloignez-vous de moi, [35] hommes de sang ; car en telles matières les ecclésiastiques ne doivent pas intervenir.

            Ayant reçu trois lettres de vous, je n'estime pas, seulement par celle-ci, m'acquitter à votre égard. Je compte vous en adresser, illustre Artisan, au sujet de la question que vous soulevez à votre apprenti, à savoir s'il doit désirer ou refuser la dignité sénatoriale ; à moins que je n'aie, comme je l'espère, la possibilité de vous entretenir de vive voix ; car je pressens que j'aurai bientôt ce plaisir, et je ne manquerai pas d'en faire naître l'occasion. Si nous trouvons quelque difficulté dans cette négociation, nous aurons recours à un juge tout désigné pour cela, François Girard, qui est versé dans le droit aussi bien que dans la théologie et nous aime tous deux également, quoique à des titres divers. Mais nous parlerons de cela une autre fois… [36]

 

XIII. Au même (Minute). Sentiments qui se pressent dans l'âme du Saint à l'approche de son ordination sacerdotale.

 

Annecy, vers le 15 décembre 1593.

 

            Appetente et imminente jam tremendo illo ac, uti Chrisostomi verbo loquar, horrendo mihi tempore, quo ex Antistitis placito, id est, Deo volente tantum, non enim alio ad Dei voluntatem explorandam utor interprete, postquam per omnium Ordinum gradus sacratissimos iter hucusque feci, tandem ad augustissimum Sacerdotii apicem evehendus sum, committendum non duxi quominus te de hac mea tanta (sic) tam excellents honoris et boni expectatione admonerem, ne tanta te inscio in re tua fiat mutatio. [37]

            Etsi namque etiam nescientis melior fieri conditio potest, et hæc omnium quæ in hac mortalitate expectari queunt mutationum sit maxime gloriosa,  multo tamen mihi jucunda erit [compassio tua]. Cum enim me omnium quas antea sensi maxima me torqueat solicitudo, timorque et tremor venerint super me, [tuæ benevolentiæ maxime indigeo.] Id enim moris est amantibus, si quid arduum ac periculosum aggredimur, sollicitudinem  ac formidinem nostram solari amicis [communicatione] facta, ac formidinis motus sedantur si negotium ipsum mentemque nostram amicis exponere  possimus. Nihil vero unquam tam arduum tamque periculosum, ni fallor, mortalibus occurrere potest quam id manibus tractare ac, ut cum Hieronimo [loquar], id ore suo conficere quod vix ac ne vix [quidem] cogitatione complecti vel ore laudare satis possunt beatissimæ illæ mentes, quibus nos (sic) laudandis aut intellectu percipiendis nos minime satis sumus. [38]

            Et quidem non eram nescius, observatissime vir,  magno cum periculo hanc tantam (sic) sacram dignitatem conjunctam esse. At male providis oculis distantia illusit, aliudque jam dicam esse rem eminus aliud vero cominus metiri. Tu vero unus es, amplissime vir, qui huic mentis meæ perturbationi percipiendæ  maxime mihi videris idoneus. Tanta namque observantia, tanta veneratione rerum divinarum [cultum] prosequeris, uti facile tecum reputes quam periculosum sit ac tremendum earum officinæ prseesse, in iis quam facile simul et graviter peccetur, quam vero difficile et leviter (sic) pro dignitate tractentur. Atque si ingenii mei imbecillitatem tam probe cognosceres, nihil in te aliud desiderarem quo sorti meæ eam quam a te suo jure quærit misericordiam adhiberes, cum non animo jam indigeo, quem integrum erectumque hactenus sustinui.

            Verum hæc dixisse sat est ; tantum commovendæ [misericordiæ tuæ] gratia ita tibi sensus meos explicavi, [39] quod scirem medelam esse ægris amicis opportunam. Quamvis nescio (ut me sensim teque ab iis cogitationibus substraham quas exposuisse omnino sat est) quanam id ratione fiat ut cum amicus commiseratione malum abesse velit ab amico misero, miser hic contra miseratione amici recreetur, cum miseratione mali particeps [miserens] non fieri nequeat. Nisi forsitan illud est quod miseratione clarissime illucescit amicitia, quæ cum sit optima rerum omnium, in amico longe melius est deprehendere cum miseratione quam si sine ulla mali communione vel nulla vel exigua superesset benevolentia.

            Cæterum, neque vellem ego me existimes tanto pavore afficere misteria illa sacrosancta uti suus recte spei ac lætitiæ nullus supersit locus, quantum nullis unquam meritis promereri possum. Lætor plurimum et gaudeo me posthac eo saltem officio respondere posse quod omnium supremum est, nimirum sacrificiis, iisque medullatis

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy. [40]

 

 

 

            A l'approche de ce jour terrible, de ce jour effroyable, comme l'appelle saint Chrysostome, où d'après la volonté de notre Evêque, c'est-à-dire d'après la volonté de Dieu (car je ne cherche pas d'autre interprète de cette divine volonté), à l'approche de ce jour, dis-je, où après avoir passé par tous les degrés des saints Ordres, je vais être promu à l'auguste dignité du sacerdoce, je ne puis me dispenser de vous annoncer l'insigne honneur et le bien excellent qui m'attendent. Il ne convient pas en effet qu'une telle transformation s'opère à votre insu dans un homme qui est tout vôtre. [37]

            On peut améliorer, il est vrai, la condition d'un autre sans qu'il le sache, et le changement que je vais subir est le plus glorieux qui puisse m'arriver en ce monde ; néanmoins votre sympathie me sera très avantageuse, car je suis assailli par la plus grande inquiétude que j'aie jamais ressentie. La frayeur et le tremblement se sont emparés de moi : plus que jamais, j'ai donc besoin de votre bienveillance. C'est l'usage entre ceux qui s'aiment de se confier leurs soucis et leurs appréhensions au moment d'entreprendre une œuvre ardue et périlleuse, afin d'obtenir quelque consolation. Leurs craintes s'apaisent par cette communication. Et certes, si je ne me trompe, il ne saurait rien arriver de plus difficile et de plus périlleux à l'homme que d'être appelé à tenir entre ses mains et à produire par sa parole, selon l'expression de saint Jérôme, Celui que les Anges, ces intelligences que nous sommes incapables de concevoir ou de louer dignement, ne peuvent pas même embrasser par la pensée ni célébrer par de justes louanges. [38]

            Assurément je n'ignorais pas, mon vénérable Ami, que d'effroyables responsabilités ne fussent jointes à une si sainte et si auguste dignité ; mais l'éloignement trompe les yeux, et c'est chose bien différente de mesurer un objet de près ou de l'apprécier de loin. Vous êtes le seul, Monsieur le Sénateur, qui me paraissiez capable de comprendre le trouble de mon esprit ; car vous traitez les choses divines avec tant de respect et de vénération que vous pouvez facilement juger combien il est dangereux et redoutable d'en présider la célébration, combien il est facile de pécher et de pécher gravement, et combien difficile de remplir dignement ces saintes fonctions. Si vous connaissiez aussi bien ma faiblesse, je solliciterais seulement sur ma situation actuelle votre commisération qui m'est bien due. Cependant je ne manque pas de courage ; jusqu'à présent il ne m'a jamais abandonné.

            Mais c'est assez. Je vous ai déclaré mes sentiments uniquement pour exciter votre sympathie ; c'est un remède utile, je le sais, pour soulager [39] le cœur souffrant. Et pourtant, comment se fait-il (ici je m'éloigne insensiblement des considérations qu'il me suffit de vous avoir indiquées), comment se fait-il que si un ami s'efforce par la compassion qu'il porte à son ami malheureux d'éloigner de lui les maux qui le menacent, celui-ci se sente réconforté par cette compassion même, bien qu'en s'apitoyant sur lui, le premier n'ait pu s'empêcher de ressentir les mêmes maux ? Sans doute cela vient de ce que la commisération est la marque incontestable de l'amitié, ce sentiment le plus exquis de tous, lequel, dans nos amis, nous est bien plus précieux étant mêlé de compassion que s'il se terminait à une froide bienveillance qui ne participerait en rien à nos douleurs.

            D'autre part, ne vous persuadez pas que les saints mystères m'inspirent un effroi tel qu'il ne laisse en moi place à une espérance et à une allégresse bien supérieures à ce que pourraient me valoir mes propres mérites. Je me réjouis spécialement et j'exulte de pouvoir correspondre au moins par cet office le plus sublime de tous, je veux dire par des sacrifices et par le sacrifice de la plus auguste des victimes… [40]

 

Année 1594

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XIV. Au même (Minute). Espoir d'une prochaine réunion à Sales. — M. et Mme de Boisy contraints de s'absenter à cette époque. — Envoi d'une lettre de M. de Montrottier. — Le Saint part pour Seyssel où il doit prêcher le Dimanche suivant.

 

Antonio Fabro Senatori, Franciscus de Sales,

Præpositus Ecclesiæ Gebennensis, salutem dicit.

 

[Annecy,] commencement de février 1594.

 

            Ego vero contra, Frater optime, tanta me sensi totum perfundi voluptate in tuarum litterarum lectione, ut  nihil aliud ejus confirmandæ quam Deo volente jam recuperaveram valetudinis, nullum opportunius desiderari videretur remedium. Quid enim convalescentibus optabilius, quid opportunius, quam ex unius domusculæ umbra [41] in amœnissimorum florentissimorum hortorum conspectum frequenter exire, ibique inter medios flores exspatiari ac auras odoribus gratissimis onustas colligere ? Sic nempe amicissimas tuas litteras lego.

            Illud autem moleste admodum fero, quod tam meo nimirum morbo angi te scribas, maxime cum ego vel nullum vel minimum sentirem dolorem ; ac cum tu per summam amicitiam de febricula mea doleres, prope fuit ut nostra dicerem si malorum ut bonorum inter nos communio inducta foret (quod ego vix indemnis facere possem, hoc genere longe locupletior), ovationem propemodum ipse deportassem ; at mihi jam vicissim dolendum de tuo dolore foret, nisi iis doloribus modum facere tandem aliquando satius esset.

            De Antoniano convivio recte procuratorem egit Chappasius ; dicam libere pro candore pectoris fraterni Antonianum. Si a Sancto Antonio velis non recte dici aliter posse quam Antonianum, appelles quod minime taie sit, cum nullum aliud convivium dicatur Antonius habuisse, [42] præter unicum illud in quo convivator corvus affuit, convivæ Paulus et Antonius, pro lautissimo edulio panis, pro potu aqua.

            Quandoquidem sperare jubes hisce bacchanalibus futurum ut ambo incolumes et una simus, ab hac expectatione tantam mente concepi lætitiam, uti nullus sit futurus cui tantam nauseam edulia quadragesimalia pariant, ut magis festa Paschalia, quam ego bacchanalia desideret. Sicque urbanitatis Christianæ antiqua illa forma inter nos reviviscet, qua solebant ad honestam recreationem amici usque ante quadragesimale jejunium convivia celebrare, ac simul aliquantulum feriari, ut liberius toto pœnitentiæ tempore sederent solitarii, et tacerent, ac elevarent se supra se, quasi longioris silentii licentiam vicissim simul expetentes.

            Praecipua vero quam appellas amœnitas loci in quo mei habitant, quod nimirum eos omnes mecum sis visurus, vereor ne nobis desit, quoniam per idem tempus clarissimus senator, nostrum omnium amantissimus, Dominus [43] Rogetius, filiæ natu majoris matrimonium cum judice majore Focunacensium celebrabit ; parentes mei pro sua erga senatoris universam familiam observantia, jam per litteras rogati, deesse minime poterunt.

            Te veniente, non committam ut alibi sim quam tecum. Etiam te non veniente, non intrarem ; quomodo enim nuptiis interessem qui vestem nullam habeo nuptialem ? Antonianum timeo namque convivalem illum senatum.

            Iterum scribit Dominus de Montrotier, qui caracteris tui elegantiam et subtilitatem admiratus se deinceps silentio responsurum dicit. Ejus litteras simul cum meis procuratori Chappasio commendo ; jamjam enim Seyssellum versus pergo, die Dominica concionaturus. Sic [44] enim scribo familiariter. Baro Chivronius facillime a Principibus impetravit ut in sententiam Antistitis nostri consentirent, quod ad ea spectat de quibus ipse tecum coram disseruit. Utinam tam consentaneum rectæ rationi foret ! Hæc raptim.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat. [45]

 

 

 

Au Sénateur Antoine Favre,

François de Sales, Prévôt de l'Eglise de Genève, présente ses salutations.

 

            Moi au contraire, mon excellent Frère, je me suis senti inondé d'une si grande joie en lisant votre lettre, que je n'aurais pu désirer aucun remède plus efficace pour rétablir ma santé, si, grâces à Dieu, elle n'eût été déjà remise. En effet, quoi de plus doux, de plus avantageux pour un convalescent que de quitter l'obscurité d'une [41] maisonnette pour aller souvent contempler des jardins les plus agréables et les plus émaillés de fleurs et d'y respirer à souhait l'air embaumé des parfums les plus suaves ! Telle est l'impression que me fait éprouver la lecture de votre lettre si amicale.

            Cependant une chose m'attriste, c'est d'apprendre les angoisses que vous a causées ma maladie, d'autant plus que je n'ai rien ou presque rien souffert. Même, comme par l'effet d'une souveraine affection vous ressentiez ma fièvre, je dirais presque notre fièvre, si entre nous les maux étaient communs comme les biens (et de ceux-là je pourrais vous enrichir sans m'appauvrir, car j'en suis de beaucoup le mieux pourvu), j'en aurais été pour ma part tout glorieux ; mais alors j'aurais souffert à mon tour de vos douleurs, à moins qu'il n'eût été préférable de mettre un terme à cette communication de peines.

            Chappaz vous a bien représenté au festin antonien ; je dis vraiment bien antonien par la sincérité de la tendresse fraternelle. Si vous vouliez faire remonter à saint Antoine l'origine de ce mot, vous vous [42] tromperiez ; car dans la vie de ce Saint il n'est question d'aucun banquet, si ce n'est celui dont l'amphytrion était un corbeau, les convives, Paul et Antoine, et où, à la place de mets somptueux, l'on ne servait que du pain et de l'eau pour boisson.

            Puisque vous me donnez espoir que nous passerons ensemble et en bonne santé le carnaval prochain, mon cœur est rempli d'une si douce joie qu'aucun de ceux qui sont dégoûtés du maigre quadragésimal ne désire plus vivement les fêtes de Pâques que je ne soupire après le carnaval. Alors renaîtra pour nous cette antique forme de l'urbanité chrétienne selon laquelle les amis avaient coutume, aux approches du jeûne de la sainte Quarantaine, de s'accorder quelque honnête récréation en s'invitant à de gracieux festins, et de diminuer aussi quelque chose du travail ordinaire. C'était afin d'avoir l'esprit plus libre pendant le temps de pénitence pour s'asseoir dans la solitude, se taire et s'élever au-dessus de soi-même. Ils prenaient en quelque sorte congé les uns des autres avant cette longue retraite.

            Quant à ce qui fait à vos yeux le principal charme du séjour habité par ma famille, le plaisir de nous y voir tous réunis, je crains que nous en soyons privés ; car vers ce même temps de carnaval, [43] M. le sénateur Roget, un ami qui nous est si cher, devant célébrer le mariage de sa fille aînée avec le juge-mage du Faucigny, mes parents, qui ont déjà reçu des lettres d'invitation, ne pourront se dispenser d'assister à ce mariage sans manquer aux égards qu'ils doivent à la famille du Sénateur.

            Si vous venez ici je me garderai bien d'aller ailleurs, si ce n'est avec vous. Et, lors même que vous ne viendriez pas, je n'assisterais pas à cette fête ; car comment aller aux noces, moi qui n'ai pas la robe nuptiale ? D'ailleurs, je redoute ces réunions et ces festins.

            M. de Montrottier écrit encore une fois, mais il me dit que désormais il ne répondra que par le silence à vos lettres, dont le style élégant et délicat le remplit d'admiration. Je confie ma lettre et la sienne au procureur Chappaz, et je pars à l'instant pour Seyssel, où je dois prêcher Dimanche. C'est ainsi que je vous écris [44] familièrement. Le baron de Chivron a facilement obtenu que nos princes entrassent dans les vues de notre Evêque, relativement à l'affaire dont il vous a entretenu. Plût à Dieu que le bon sens y trouvât son compte ! Ceci à la hâte. [45]

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XV. Au même (Minute). Rendez-vous à Faverges. — Salutations faites à M. de Montrottier de la part du sénateur Favre.

 

[Annecy,] mi-février 1594 .

 

            Ne nihil omnino scriberem, hanc licet brevem mittendam duxi epistolam, quasi ejus quam brevi peracturum me puto coram salutationis prodromum. Sic enim mea res se habet, ut cum vicariam pro matre præsentiam huic nuptiarum celebritati conferre deberem, quando ipsa interesse posse non crederet, et ego molestissime ferrem præsentiam etiam pro matre vicariam cuiquam tunc [46] conferre cum ex ea ab amantissimo tuo conspectu sequeretur absentia, enimvero factum est ut, rebus aliter succedentibus, mater ipsa vices jam meas expleverit. Quare, quod antea sperabamus, erimus simul, Frater amantissime, hisce liberalibus, si intra Fabricarum limina Fabrum viderint Fabricenses. Ego namque cum primum scivero adesse te intra Fabricarum limina, non committam quin inter Fabricenses imperitum sed alacrem videas tyronem ; succedetque Tulliana deinde casa, quæ omni meliori modo [a te nomen sortietur]. Cætera coram.

            Litteras Antistiti meo heri reddidi, quas mira voluptate iterum et iterum perlustravit. Dominum de Montrotier, hodie ad Marchionem Sansorlinum redeuntem, tuo nomine adeo opportune salutavi ut cum eo vel ea causa [47] actum optime ducam quod de te Necienses (sic) ultima discedenti verba animo sint injecta, quasi odoratissimi conditus oblectamentum…

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy.

 

 

 

            Pour ne pas garder un silence absolu, j'ai jugé à propos de vous écrire cette courte lettre comme avant-coureur de salutations que je pense vous adresser sous peu de vive voix ; car voici où en sont les choses. Je devais représenter ma mère à ces noces auxquelles elle croyait ne pouvoir assister, et j'étais bien désolé de devoir être ailleurs, même pour représenter ma mère, puisqu'il en résulterait pour moi la privation d'une rencontre avec vous, le meilleur de mes [46] amis. Les choses se sont arrangées autrement, et c'est ma mère elle-même qui me remplace. Ainsi, comme nous l'avions espéré, mon bien aimé Frère, nous passerons ensemble ces jours de liberté si les Favergiens ont le bonheur de voir Favre à Faverges. Quant à moi, dès que j'aurai connaissance de votre arrivée dans cette ville, je prendrai mes mesures pour que vous puissiez voir parmi les Favergiens votre inhabile mais diligent apprenti ; nous irons ensuite à la maison Tulliane, qui ne saurait être plus illustrée que de recevoir son nom de vous. Nous dirons le surplus quand nous nous verrons.

            J'ai remis hier votre lettre à mon Evêque, qui l'a lue plusieurs fois avec un plaisir extraordinaire. M. de Montrottier retournait aujourd'hui chez le marquis de Saint-Sorlin. J'ai eu l'occasion la plus favorable de le saluer de votre part. Ce qui m'a le plus réjoui, [47] c'est qu'à son départ d'Annecy, j'ai pu, dans les derniers mots que nous avons échangés, jeter, en lui parlant de vous, comme le parfum d'un baume odorant dans son esprit…

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XVI. Au même (Minute inédite). Excuses au sujet d'une lettre écrite à la hâte. — Remerciements pour celle que le Saint a reçue du Sénateur.

 

Sales, 24 février 1594.

 

            Accepisti sane tu nostras litteras tardius quam volueram ; cum enim præceptori meo litteras antepenultimas dares, Chamberii te constantem fore iis totis feriis uti dixerat sic credebam, atque litteras do Joanni Baptistæ Valentiano (quo cum ex communione studiorum multa mihi intercessit necessitudo) vixdum scriptas, ne [48] accipiendis eis minus avunculo suo D. de Passier excedenti officiosus comes videretur ; illi alioquin vix daturus qui tam cito volebat scribi, nisi multo magis dari quam cito dari ; quamvis et hoc maxime postulasset quod tibi quem, ut est litterarum amans, unice colit, rem facturus gratam crederet si litteras nostras redderet.

            At vero quonam fieri potest modo ut non sat cito litteras acceperim, qui tam bene excepi quam bene aliud unquam sum excepturus ? Non quidem quam bene sunt scriptæ et elaboratæ, (quis enim tuum illud mellificium satis pro dulcedine non dicam collocare sed gustare quidem possit ?) sed jam tam eleganter, tam amice ! Illud certe mihi accidit percommode ut priores tuæ litteræ cum ad me perlatæ sunt, secederem in avitam [49] Salesiorum domum ; ut enim eas excepi tanta legere sum aggressus aviditate ut aviditas saporem omnem præriperet, at ubi mihi ipsum otium itidem relegendi facultatem comparavit, tum vero undique sese mihi effudit voluptas.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mme Doroz, née d'Arcine, à Besançon.

 

 

 

            Vous avez reçu ma lettre, mais assurément plus tard que je n'eusse voulu. En effet, d'après celle qui précédait l'avant-dernière, remise à mon précepteur, je croyais, comme il me l'avait dit, que vous demeureriez à Chambéry toutes ces vacances, et j'ai confié ma lettre à Jean-Baptiste de Valence, qui, en qualité d'ancien condisciple, me reste spécialement cher. A peine ai-je eu le temps d'écrire ; il [48] accompagnait son oncle, M. de Passier, qui était sur son départ, et je craignais, si je l'eusse prié d'attendre, qu'il ne parût plus empressé à m'obliger qu'à répondre aux désirs de son oncle. Du reste, je n'eusse pas confié ma lettre à un homme qui me pressait de la sorte, s'il n'eût importé davantage de vous écrire qu'il n'était regrettable de le faire d'une manière trop précipitée. Il avait surtout insisté pour être mon intermédiaire auprès de vous parce que, étant lui-même ami des lettres, il vous a voué une spéciale admiration, et qu'il pensait vous être agréable en vous remettant mon message.

            Mais comment se fait-il que le vôtre ne me soit pas arrivé assez tôt, à moi qui l'ai reçu avec un plaisir tel que je n'en éprouverai jamais de plus grand en recevant tout autre envoi ? C'est que vos lettres ne sont pas seulement merveilleusement écrites et pensées (personne en effet ne saurait assez, je ne dis pas apprécier, mais même savourer l'extrême douceur de ces rayons de miel) ; elles sont aussi des chefs-d'œuvre d'élégance et des monuments d'amitié. Par une [49] heureuse coïncidence assurément, votre lettre précédente me parvint au moment où je me retirais dans ma maison paternelle de Sales. Lorsque je la reçus, je me pris à la lire avec une avidité telle que je ne pus la savourer ; mais quand le loisir me permit de la relire, alors un bonheur incomparable s'empara de tout mon être.

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XVII. Au même (Minute inédite). Recommandation en faveur de Mme de Ville. — Eloge du P. Chérubin.

 

Annecy, commencement de mars 1594.

 

            Nobilis vidua Villæi illius qui hæreticorum insidiis inter sedium suarum incendia ante aliquot annos peremptus est, cum te referente de causa quadam quæ inter Villæos filios, et Dominum Bessonet agitatur ex Senatu [50] proximis hisce diebus sententiam expectaret, nescio quanam ratione resciverit, mulier quam nunquam vidi, me præcipuo quodam amore tibi charissimum esse, rem sibi admodum utilem et fructuosam facturam existimavit si me, matris optimæ meæ implorata authoritate, intercessorem apud te faceret, quo ei quod a candidissimo judice honestissimum amicum petere posse antea monuisti, bonam exoptes causam. Idque fecit.

            Ego vero ne existimationi quam ex tuo in me amore optimam colligo vel levi aliqua suspicione detraherem, scripturum me recepi. Quod vix postea faciendum ducebam, cum non præcedentibus tantum sed posterioribus quoque litteris animorum nostrorum vicissim tantam exprimamus unitatem, ut supervacaneum fere crederem te de cogitationibus meis deinceps aliter certiorem facere quam profunda quadam attentione. Unico tantum hac in [51] re perculsus argumento, quod meis exhortatiunculis interesse tantopere desideres, quas tamen cum habeam summa quadam intensione simul et attentione, alioquin cogitatione subaudire posses. Sed præstat uni Franciscano Cherubino mentem auresque præbere, quem tanto spiritus fervore concionantem audio, ut in promptu jam habeamus : Deum ascendisse super Cherubin et volasse.

            Sed me jam D. de Chavanes, uti meas suis jungat litteras expectat, vir nostri amantissimus. Episcopo nostro hodie tuas reddidi summa sua voluptate. De Domini de Montrotier statu nihil suis hucusque compertum est.

 

Revu sur l'Autographe conservé au 1er Monastère de la Visitation de Naples. [52]

 

 

 

            Une noble femme, Mme de Ville, veuve de celui qui par suite des embûches des hérétiques périt, il y a quelques années, dans l'incendie de son château, attendait ces jours derniers la sentence d'un procès qui se plaidait devant le Sénat entre ses fils et M. Bessonnet, procès [50] dans lequel vous êtes rapporteur. Cette dame, que je n'ai jamais vue, a été informée je ne sais comment de la très grande affection que vous me portez. Elle a jugé qu'il lui serait fort utile et avantageux d'implorer l'autorité de mon excellente mère, pour me décider à vous demander de faire en sa faveur ce que, de votre propre aveu, l'ami le plus loyal peut solliciter du juge le plus intègre : que vous patronniez sa cause. C'est ce qu'elle a fait.

            Quant à moi, je me suis déterminé à vous écrire pour qu'on ne puisse mettre en doute le crédit que me donne sur vous l'amitié que vous me portez. Il me semblait à peine nécessaire de le faire parce que nos dernières lettres, comme les précédentes, témoignent si bien de l'unité de nos esprits, que volontiers je croirais superflu de vous communiquer mes pensées autrement qu'en concentrant sur elles une profonde attention. Toutefois cette hypothèse est détruite [51] par votre vif désir d'assister à mes petites prédications, lesquelles vous devriez pouvoir entendre de la seule oreille spirituelle, puisque je les prononce avec autant d'attention que de force. Vous ferez mieux de ne prêter l'esprit et l'oreille qu'au Franciscain Chérubin. J'apprends qu'il prêche avec une si grande ferveur qu'elle semble réaliser cette parole : Dieu s'élève et prend son vol, porte sur les Chérubins.

            Mais M. de Chavanes, notre si cher ami, attend pour joindre sa lettre à la mienne. J'ai remis aujourd'hui votre lettre à notre Evêque ; elle lui a causé le plus grand plaisir. Quant à M. de Montrottier, les siens jusqu'à présent n'ont encore rien appris sur son état. [52]

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XVIII. Au même (Minute). Envoi d'une lettre de Mgr de Granier.

 

Annecy, mars 1594.

 

Amplissimo Senatori Antonio Fabro, Fratri optimo, Francisais De Sales salutem dicit.

 

            Cum hesterna die litteras Rmi Antistitis quas ad te mitterem accepissem, et non tam scribendi quam litteras mittendi otium occasionemque fecerit mihi nunc bonus hic vir, qui me, in itinere verius quam in urbe, in ipso discessu salutavit, non tantum laconice sed etiam incitate et præpropere potius scribere volui quam non scribere ; excusatione dignum ratus si, per hæc jejuniorum tempora, macillentam aliquantulum accipias epistolam, a me præsertim qui vix aliter soleo, et cui non tam edulii quam præsentiæ tuæ recenti privatione arida videantur omnia et insipida. [53]

            Corpore videlicet ac mente hucusque jejunus, mox mentis jejunium soluturus, dum e mensa Domini sacratissimam illam terræ pinguedinem medullatamque hostiam tuo meoque nomine, uti soleo, et offeram et sumam.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy.

 

 

 

Au très illustre Sénateur Antoine Favre, son excellent Frère, François de Sales présente ses salutations.

 

            J'ai reçu hier de mon Révérendissime Evêque une lettre à vous transmettre, et maintenant je n'ai que le temps de vous l'envoyer, car ce bon homme qui vous la portera est venu me saluer au moment de son départ, et en chemin plutôt qu'en ville. Cependant je préfère vous écrire non seulement d'une façon laconique, mais à la hâte et avec précipitation, que de ne pas le faire du tout ; car, dans ce temps de jeûne, j'ai pensé que je serais excusable de vous adresser une lettre un peu maigre, moi surtout qui rarement en écris d'autres, et qui, moins par la suppression des mets, que par la récente privation de votre présence, trouve tout fade et insipide. [53]

            En ce moment, je suis encore à jeun de corps et d'âme ; mais je ne tarderai pas à rompre le jeûne spirituel en me nourrissant à la table du Seigneur de cette très sainte graisse de la terre, de cette victime de choix que j'offrirai, comme j'ai coutume de le faire toujours, en votre nom et au mien.

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XIX. Au même (Minute). La brièveté de cette lettre est occasionnée par le départ précipité du porteur. — Témoignages d'affection.

 

Annecy, mars 1594.

 

            Illud a te, Frater optime ac amantissime, enixe peto quæsoque uti me iterum ad laconismum redeuntem benigne uti soles complectaris ;  [profectio] enim hujus [Tulliani] alioquin domestici hominis [me ad scribendum [54] compellit]. Quomodo namque hominem domesticum lit— teris ad te meis vacuum abire permitterem ? Repentina nihilominus ejus profectio, commodum hoc et succisivum scribendi otium propemodum antevertit, cum, parentibus meis absentibus, rusticorum Tullianorum nomine negotium quoddam in urbe gesturus, fere alia via iter capere decrevisset.

            Jam vero epistola illa tua postrema cum mea quam ad te eodem die scripseram adeo mente convenit, ut eosdem duorum fratrum animorum sensus esse, in amando præsertim,  clare commonstret, quamvis non uno quidem ore expressos, cum elegantia longissimo præcedas intervallo. Quo fit ut quod hactenus feci tu quoque vicissim faciendum existimes, ut nimirum qualis unus es in me talem me esse erga te nusquam dubites ; sic enim summa mea voluptate conficio omnino te fratrem amantissimum et omni meliori modo meum esse, qui adeo me fratrem tuum esse perspicio ut a me fere alter mihi [55] videar, ne si alter a me non sim, tyro grægarius, idem summo meo incommodo cum tanto fabro esse nequeam.

            Bene vale, Frater optime, ac te iis Paschalibus quo jucundius ver appetat nobis, hic habeamus efficias.

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy.

 

 

 

            Je vous prie et vous conjure, mon très bon et très aimant Frère, d'accueillir avec votre bienveillance accoutumée le laconisme auquel je suis obligé de revenir ; car le départ de cet homme de la Thuille, qui est aussi notre domestique, m'oblige à vous écrire. Comment [54] en effet laisser partir l'un de nos serviteurs sans lui remettre une lettre pour vous ? Mais son départ précipité m'a ôté le loisir et la facilité d'écrire à mon gré ; en l'absence de mes parents, il doit aller à Chambéry traiter une affaire au nom des paysans de la Thuille. Il était presque résolu à prendre une autre route [lorsqu'il s'est décidé à passer par Annecy].

            Quant à votre dernière lettre, elle offre une telle harmonie de pensées avec celle que je vous ai adressée le même jour, qu'elle montre clairement la parfaite unanimité de sentiments qui existe entre les deux frères, surtout en matière d'amitié, bien que ces sentiments ne soient pas exprimés de la même manière, car par l'élégance de votre style vous me laissez bien loin derrière vous. En conséquence, il est juste qu'à votre tour vous fassiez pour moi ce que j'ai fait jusqu'à présent pour vous : puisque je vous tiens pour un ami hors de pair, que vous me considériez aussi comme tel ; vous devenez donc ainsi pour moi le frère le plus aimant, et tout mien de la meilleure manière possible, et je me sens devenu le vôtre, au point de me croire un autre homme que moi-même. En effet, si je [55] n'étais pas différent de moi-même, qui ne suis qu'un apprenti du commun, je ne saurais être une même chose avec un tel artisan.

            Adieu, mon excellent Frère ; faites en sorte que nous vous ayons en ces fêtes de Pâques ; votre présence augmentera pour nous les charmes du printemps.

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XX. Au même (Minute). Remerciements pour la protection accordée à diverses personnes. — Attente de la prochaine visite du Sénateur.

 

Annecy, vers le 28 mars 1594.

 

            Ego autem, Frater suavissime et optime, his omnibus præteritis diebus, non diligens tantum, sed anxius fui in quærendo uno ex multis qui ad vos iverunt, atque, quæ mea sors fuit, [de suo discessu me facturos] certiorem non inveni. Non enim id, vel a servis D. de [56] Charmoysi, aut D. de Beaumont, vel a D. Porterio, Ecclesiæ nostræ canonico, vel a Chappasio expectabam, uti me inscio discederent, quod vel in primis causæ fuit ut de iis nihil inquirerem. Jam vero Chappasius laconicam mihi profert scribendi occasionem. Qua dum utor laconice, peto a te, Frater optime, ne unquam, si quidem me quod facis scribendo expleveris, satiatum credas. Sunt enim tuæ litteræ ejusmodi ut vel insipidissimum gustatum reficiant semper, obruant autem nunquam ; imperfectæ namque suavitatis est copia obtundere gustantem. Obruunt me potius tot tantaque beneficia quibus non sine labore Tullianis nostris tuam in Salesios tuos benevolentiam navasti ; quæ, qua parte tui in me amoris sunt effectus, recreant illa etiam plurimum, obruunt dum cum tanto otii sacri tui incommodo proficiscuntur.

            Mitto nobilem viduam Villæam, cujus causa, tum suo [57] jure, tum mei gratia tam bene apud te est. Venio ad Rodulphum Mellierum, Torentianum rusticum, quem dum ut commendatum habeas peto, jam nunc gratias ago quantas maximas possum quod meæ commendationi longe plus deferas quam meis meritis deferre te par esset. Neque vero cuiquam videri possum causam temerariam fovere velle, si quando ejusmodi tibi per ignorationem commendarem ; non enim aurichalcum pro auro dare velle mala fide videri debet qui peritissimo fabro offert. Sed missa hæc jam facio ; « bona verba, quæso. »

            Venies igitur post festa Paschalia quamprimum ; nihil jucundius accidere mihi potuit quam id audire ex D. de Charmoysi, quocum heri in multam noctem mihi de te fuit sermo. Expectamus te uterque (sic) avidissime ; hoc tamen cum incommodo meo, quod dies Crucifixo solemnes, qui mihi ob Divinorum tam solemnem et lectissimam [58] celebrationem brevissimi mihi futuri erant, eo longiores sint quo te avidius expecto.

            Vale, Frater, iterum et iterum suavissime.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy.

 

 

 

            C'est non seulement avec empressement, mon très bon et très doux Frère, mais avec une véritable anxiété que j'ai cherché tous ces jours derniers à rencontrer un des nombreux personnages qui se sont rendus auprès de vous ; mais, par un regrettable contretemps, aucun ne m'a prévenu. Je ne pouvais supposer que les gens de M. de [56] Charmoisy, de M. de Beaumont, que M. Portier, chanoine de notre Eglise, aussi bien que Chappaz, dussent partir sans m'avertir, et c'est la principale raison pour laquelle je ne m'informai pas de l'époque de leur départ. Enfin Chappaz me donne un court moment pour vous tracer quelques lignes. J'en profite, mon excellent Frère, et je vous prie de croire que, bien que vous me combliez de vos lettres, vous ne parviendrez pas à m'en rassasier ; car telle en est la douceur que, loin d'accabler jamais, elles charmeraient toujours l'esprit le plus blasé, tandis qu'une douceur trop fade inspire le dégoût. La seule chose dont je sois accablé, ce sont les bienfaits si nombreux et si grands par lesquels, non sans peine, vous avez montré à nos gens de la Thuille votre amitié pour la famille de Sales ; et si d'une part cette preuve d'affection me réjouit, de l'autre je déplore le sacrifice de vos précieux instants de loisir.

            Je ne vous parle pas de la noble veuve Mme de Ville, puisque sa [57] cause est en si bonne voie, soit parce qu'elle est juste, soit aussi parce que, en ma faveur, vous avez bien voulu la prendre en considération. J'en viens maintenant à Rodolphe Démeiller, ce bon paysan de Thorens ; en le recommandant à votre bonté, je vous rends d'avance mille actions de grâces de ce que vous avez déféré à ma recommandation dans une mesure bien supérieure à mes mérites. Je ne crains pas qu'on m'accuse de vouloir favoriser une mauvaise cause, si par ignorance je vous en recommandais une qui fût telle ; car celui qui présenterait du cuivre pour de l'or à un orfèvre aussi habile que vous ne saurait être soupçonné d'agir de mauvaise foi. Mais laissons tout cela ; « soyez-moi indulgent. »

            Vous viendrez donc immédiatement après les fêtes de Pâques : je ne pouvais recevoir de M. de Charmoisy une nouvelle plus agréable. Nous avons passé hier une bonne partie de la nuit à nous entretenir de vous. L'un et l'autre nous vous attendons avec une vive impatience ; mais avec cet inconvénient pour moi, que les jours solennels consacrés au divin Crucifié, lesquels m'auraient paru bien courts à [58] raison des cérémonies si graves et si belles qui les remplissent, me paraîtront d'autant plus longs que je vous attends avec plus d'impatience.

            Adieu, mon Frère deux fois aimé.

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XXI. Au même (Minute inédite). Désir de profiter des nombreuses occasions que procurera la belle saison pour se voir plus fréquemment. — Nouvelles de plusieurs amis communs.

 

Annecy, vers le 16 avril 1594.

 

            Jam vero, Frater suavissime, iniquum prorsus ac ab omni humanitatis lege alienum [judico] si Paschales hosce lætissimos dies Quadragesimalibus in tanta agrorum, arborum aviumque vernantium amœnitate, tristi nescio quo silentio, conjungamus. Etsi namque incommodum est et inopportunum spontaneum omni sane tempore inter fratres silentium (quo me longe ab eo sensu abfuisse scias quem te aliquando secutum esse [59] subverebar), at vero longe nunc acerbius et iniquius esset, cum non modo colloquium, sed garritum verni ipsius temporis leges permittere videantur.

            Neque tamen velim credas Domini Monodii reditu alia ratione me non usum esse quam quod me inscio discesserit. Neque deinceps ipsa ad iter faciendum gratissima tempestas opportunitate carere sinet, cum litigatores vel recreationis gratia frequentissime ad vos proficiscentur. Quibus ne amantes diligentia cedant, curabo quam potero impensissime ut quod operæ miserandum illud genus hominum suis discordiis ac inimicitiis [non] recte fovendis tam libenter insumunt et turpiter, id amicitiæ ac concordiæ liberaliter simul pariter et honestissime conservandæ, per summam quæ iis bonis inest voluptatem, amantes saltem acerrimi attribuant.

            Atque eam in rem jam paratum habeo animum patris, habeboque omnino, uti me Senatoris nostri familiæ [60] adjungam in eleemosinarium, si me, sicut spero, de suo itinere tantisper præmonuerit. Sin minus, quam primum sequar, ne Quadragesimalia, nisi tui conspectus saluberrimo [condimento] et ab initio et a fine condiantur, edulia pessime stomachum afficiant. Sic enim efficiam quod insolentius soient ventres quidam, qui, bacchanaliorum ritu Paschalia celebrantes, obtendunt consilium uti semper hinc inde inter bacchanalia, veluti carcere conclusam, retineant Quadragesimam.

            Bene habet Antistes noster, tui cum primis amantissimus ; Dominus item de Chavanes. Affinem vero nostrum D. de Charmoysi podagra torquet plurimum. Præses noster  ad suos Lutetianos crastina die proficiscitur, et quando reversurus sit nescio.

            Bene vale, suavissime Frater, et Christum habeto propitium.

 

Revu sur une copie conservée à la Visitation d'Annecy. [61]

 

 

 

            A mon avis, très aimable Frère, il serait tout à fait injuste et absolument

en dehors de toutes les lois de la bienséance d'assimiler au temps du Carême, par je ne sais quel triste silence, ces jours de Pâques si pleins de joie, alors surtout que les prairies, les arbres, les oiseaux célèbrent le printemps avec tant de suavité. Le silence entre frères est toujours pénible, inopportun (voyez que je suis loin du sentiment que parfois je craignais un peu vous voir adopter) ; mais [59] ce silence serait bien plus amer, plus dur, aujourd'hui que les lois de la saison printanière semblent nous permettre non seulement une conversation sérieuse, mais un babillage amical.

            Si je n'ai pas profité du retour de M. Monod, c'est seulement, croyez-moi, parce que je l'ai ignoré. D'ailleurs, la saison si favorable aux voyages nous fournira plus d'une occasion de nous rapprocher, alors que les plaideurs, même par simple divertissement, se rendront bien souvent auprès de vous. Pour ma part, je veillerai avec grand soin à ce que des amis comme nous ne le cèdent pas à cette malheureuse sorte de gens. Puisqu'ils se donnent volontiers tant de peine pour entretenir leurs discordes et leurs inimitiés, la bienséance et la noblesse exigent que des amis très affectionnés prennent au moins autant de soin pour conserver entre eux la concorde et l'amitié, à raison de la souveraine jouissance attachée à ce bien.

            J'ai déjà sur ce point incliné le consentement de mon père, et je l'obtiendrai tout à fait pour m'adjoindre à la famille de notre [60] Sénateur en qualité d'aumônier, pourvu qu'il me donne, ainsi que je l'espère, quelque avis de son départ. S'il en va autrement, je le suivrai le plus tôt possible ; les mets de Carême chargeraient trop douloureusement mon estomac, si, au commencement et à la fin, je ne les relevais par le condiment très salutaire de votre présence. J'imiterai en cela certains gourmands lesquels ont la coutume extravagante de célébrer les fêtes de Pâques à la manière du carnaval, et semblent vouloir retenir le Carême comme prisonnier, en le faisant précéder et suivre de bacchanales.

            Notre Evêque, qui est l'un de vos meilleurs amis, se porte bien. Il en est de même de M. de Chavanes ; mais la goutte fait terriblement souffrir notre parent M. de Charmoisy. Notre Président part demain pour visiter ses Parisiens ; j'ignore l'époque de son retour.

            Portez-vous bien, Frère très aimable, et que le Christ vous protège ! [61]

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XXII. Au même (Minute). Prochaine réunion du synode diocésain. — Obstacle imprévu qui a empêché le Saint de se rendre à Chambéry. — Ses regrets en apprenant que le Sénateur est allé inutilement à sa rencontre.

 

Annecy, vers le 23 avril 1594.

 

            Quid facerem jam, mi Frater, aut quo me verterem, qui tam ardenti tuo illi desiderio hactenus nec satisfeci, et jam exclusus penuria temporis in promptu satisfacere minime possum ? Ecce namque synodica tempora jam appetentia, clericis omnibus hujus provinciæ celeberrima, cui si non intersim anathemati caput ipsum objicio. Subsequitur deinde de reipublicæ nostræ ecclesiasticæ negotiis per aliquot dies tractatio, quo toto tempore abesse me, quamvis inutilem, omnino non patitur Rmi Antistitis et parentis authoritas. [62]

            At vero nudiustertius, cum venirem huc uti sequenti die cum D. Copperio ad vos pergerem, cum ad tria circiter milliaria inter medios ac densissimos imbres processissem, sese mihi de quo nihil cogitaveram, ita se sane res habet, rapidissimus quidam torrens sese objicit qui nullo loco tum vado transiri poterat, sicque cogor retrocedere. Id autem causse fuit quo minus D. Copperio me in comitem adjungerem, qui ex opposito lacus littore iter habuit omnino pervium.

            Angor desiderio incredibili id præstandi quod promisi, quod quamprimum potero faciam; nullamque dicam diem ne obviam accedas iterum, quod te cum tali ac tanto comitatu semel fecisse, mei scilicet causa, nisi amor ille eximius (cæcusne dicam an cæcutiens?) erga me tuus excusaret, intolerabile omnino videretur in tanto senatore. Id ubi rescivi, hesterna scilicet nocte, tanto me rubore sensi perfundi uti ne tuas quidem litteras amplius per summam verecundiam respicere auderem. [63]

            Pudet me, Frater optime, majorem in modum tam vehementer expetitum abfuisse. Quid dicam ? Si mihi in mala causa bonus desit advocatus, actum quidem est de capite meo. At Saltorio digna res erit ut in desperata causa remedio adsit præsentissimo, et mihi jam tam magno pudore et damno castigato veniam, utpote quæ nemini noceat, obtineat. Utinam, mi Frater, quam imis persentio medullis ex hac re perturbationem quam primum Deus avertat; alioquin fieri nunquam posse reor ut te exporrectis (sic) videam oculis…

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy. [64]

 

 

 

            Que ferais-je, mon Frère, et de quel côté me tourner, moi qui n'ai pas encore satisfait à votre désir, et qui ne puis maintenant y répondre, faute de temps ? Car nous voici à l'époque très solennelle du synode, auquel tous les membres de notre clergé sont tenus d'assister ; et m'en dispenser, ce serait attirer sur moi l'excommunication. Ensuite, vient pour quelques jours le règlement des affaires de notre Eglise ; et encore que j'y sois inutile, notre Révérendissime Evêque et père ne permet absolument pas que je m'absente pendant tout ce temps. [62]

            Avant-hier, me rendant ici dans l'intention d'aller à vous le lendemain avec M. Coppier, après environ trois milles de marche sous une pluie torrentielle, je fus arrêté par un obstacle que je n'avais pas prévu, je vous assure : le torrent était si enflé qu'il ne présentait aucun endroit guéable, et je fus forcé de rebrousser chemin. C'est ce qui m'empêcha de rejoindre M. Coppier, lequel faisait route sans difficulté par le côté opposé du lac.

            Je suis pressé par un incroyable désir de tenir ma promesse, et je le ferai aussitôt que je le pourrai ; mais je me garderai bien de vous indiquer le jour, de peur que vous ne veniez encore à ma rencontre. Vraiment, si cette amitié extrême (je dirais aveugle ou presque aveugle) que vous me portez ne vous servait d'excuse, je jugerais intolérable qu'un sénateur aussi distingué que vous l'êtes se fût dérangé une fois déjà pour moi avec toute une illustre compagnie. Lorsque je l'appris (c'était hier au soir), je sentis la rougeur me monter au visage, à tel point que je n'osais plus jeter les yeux sur votre lettre. [63]

            Après avoir été attendu avec tant d'impatience, je suis on ne peut plus confus, mon excellent Frère, d'avoir manqué au rendez-vous. Que dirai-je ? Eh quoi ! si dans une aussi mauvaise cause je suis dépourvu d'un bon avocat, c'en est fait de moi. Mais il est digne de Salteur de plaider victorieusement une cause désespérée, et d'obtenir un pardon qui ne peut nuire à personne, pour celui qui est déjà puni de sa faute par la confusion qu'il en éprouve et par la perte qu'il a faite. Qu'il plaise à Dieu, mon Frère, me délivrer au plus tôt du trouble que je ressens jusque dans les profondeurs de mon être, sans quoi je cours risque de ne plus oser vous regarder en face !... [64]

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XXIII. Au même. Projet d'un pèlerinage à l'église de la Sainte-Croix d'Aix. — Ordre que doivent suivre pendant le trajet les pèlerins d'Annecy et de Chambéry.

 

Annecy, vers le 28 mai 1594.

 

Senatori amplissimo Antonio Fabro, Franciscus Salesius, Ecclesiæ Gebennensis Præpositus, salutem dicit.

 

            Fere conscriptam habebam jam epistolam aliam quam ad te mitterem, Frater suavissime, cum Soudanus tuam hanc ultimam undique Spiritus Sancti odorem suavissimum spirantem reddidit ; ego illa dimissa ut ad hanc responderem animum adjicio.

            Laus ergo Deo per Christum pro vobis omnibus (ut Paulino jam utar scribendi modo) quia fides vestra nunc passim ubique annunciatur. Ad Aquas, uti [65] scribis, peregrinationem tertio Spiritui Sancto sacro die institutam, Deo dante, faciemus, non alio apparatu quam quo vidisti nuper cum adesses, easdemque Crucifixi Litanias dicemus. Calceamenta pedum nostrorum solvemus, locum enim ad quem pergemus sanctum existimamus, ligno illo pretiosissimo exornatum in quo Deus longe ardentiori charitatis specie quam in rubo illo Mosaico majoribus nostris apparuit. Non tamen totum iter, sed quædam tantum milliaria nudis pedibus conficiemus, ea enim lex non sine causa dicta est. Et quoniam recreandis viribus necessarium erit cibum aliquem capere, in unum omnes idemque hospitium secedere decrevimus, in quo dum omnes simul modestissime ac frugaliter prandebimus, pii alicujus libelli lectio audiatur, ne videlicet sacræ peregrinationi prophana admisceatur confabulatio. Horam certam vix possum ego dicere, cum turba plurima eidem peregrinationi nobis invitis sese addixerit, præsertim nonnullæ matronæ, quas quia ad Communionem cæteraque pia exercitia Societas hæc nostra ab initio admisit, ab hoc cœpto repellere [66] nullis unquam potuit verbis. Sane ante meridiem ad Sanctæ Crucis Aquentium ecclesiam Missæ sacra audiemus, atque adeo ante meridiem vel decima vel undecima hora adesse nos posse credimus, vel forsitan citius. Vestrum erit siquidem eodem die veniatis, nos, quia viciniores estis nec aliis hominum cuneis impediti, ibidem expectare.

            Ita, mi Frater, non poterit ea non esse vera fraternitas quæ ad ejus ligni conspectum jurejurando firmanda est quod cœlites ipsos immortales mortalibus hisce inferioribus conciliavit. Neque vero prætermittam unum hoc loco mirandum, quod vos eo ipso scivistis momento hujus nostræ peregrinationis decretum quo vixdum statutum inter nos fuerat ; extrema namque Mercurii die hac de re deliberavimus, ut divinitus factum videri [67] possit, ut qui ad eamdem respiciebamus Crucem, eumdem sensum receperimus. Soli Deo gloria.

            Leges hujus nostræ Societatis ex ordine descriptas jam habeas ; si quid incommodum vobis videbitur pro locorum varietate, immutabitis. Hæc una omnino vobis nobisque lex sit perpetua, uti fratres hinc inde vicissim omnes et filii Dei nominemur et simus.

            Sed jam iter ipsum aggrediamur. Bene vale, mi Frater suavissime, amantissime, dulcissime, ac Crucifixum habeto propitium. Salutamus te iterum quotquot sumus cæterosque omnes sanctissimæ Crucis filios, sperantes protinus vos videre et os ad os loqui, ut gaudium omnium nostrum sit plenum in Domino. [68]

 

 

Au très illustre Sénateur Antoine Favre, François de Sales, Prévôt de l'Eglise de Genève, présente ses salutations.

 

            J'avais presque achevé une autre lettre qui vous était destinée, mon très aimable Frère, lorsque Soudan m'a remis de votre part cette dernière, qui est toute remplie de la très suave odeur de l'Esprit-Saint. Laissant de côté la première, je réponds à celle-ci.

            Louange soit donc à Dieu pour vous tous par Jésus-Christ, vous dirai-je avec saint Paul, parce que votre foi est maintenant annoncée partout. Le mardi de la Pentecôte, Dieu aidant, nous ferons à Aix, [65] ainsi que vous l'écrivez, le pèlerinage convenu. Le cérémonial ne sera pas différent de celui que vous avez vu dernièrement quand vous étiez ici, et nous dirons les mêmes Litanies de Jésus crucifié. Nous ôterons les souliers de nos pieds, car nous regardons comme saint le lieu où nous nous rendons, ce lieu orné du bois très précieux sur lequel Dieu s'est montré à nos pères avec une charité bien plus ardente que dans le buisson de Moïse. Toutefois nous ne ferons pas tout le chemin pieds nus, mais seulement quelques milles, car ce n'est pas sans raison que nous l'avons ainsi réglé. Comme il sera nécessaire de réparer nos forces en prenant un peu de nourriture, nous avons résolu de nous retirer tous sous un même toit, où nous dînerons ensemble modestement et frugalement, écoutant la lecture de quelque livre de dévotion, afin que nul discours profane ne se mêle aux conversations pendant ce saint voyage. Je ne puis guère vous dire l'heure précise, puisque, contre notre gré, une foule nombreuse s'est jointe à nous pour ce pèlerinage, principalement quelques dames que tous nos arguments n'ont jamais pu faire changer de résolution, notre Confrérie les ayant, dès le commencement, admises à la [66] Communion et autres pieux exercices. Nous entendrons la Messe en l'église de la Sainte-Croix d'Aix sûrement avant midi, et même nous croyons pouvoir arriver à dix ou onze heures du matin, peut-être plus tôt. Puisque vous venez le même jour, vous aurez à nous attendre là, parce que vous êtes plus rapprochés et que vous n'êtes point embarrassés d'un si grand nombre de personnes étrangères au pèlerinage.

            Ainsi, mon Frère, il sera impossible qu'elle ne soit pas véritable cette fraternité, laquelle doit être jurée en la présence de ce bois qui a réconcilié les immortels des Cieux avec les mortels d'ici-bas. Et il ne faut pas que j'oublie une chose merveilleuse : vous avez su que notre pèlerinage était décidé au moment où nous venions à peine de prendre cette détermination, car c'est mercredi soir seulement que nous avons délibéré à ce sujet ; de sorte qu'on peut attribuer à une inspiration divine ce fait que, portant les regards sur la même Croix, nous [67] avons eu les uns et les autres le même sentiment. A Dieu seul en soit la gloire.

            Je vous envoie les Statuts de notre Confrérie mis en ordre ; si quelque point vous paraît offrir des inconvénients à cause de la variété des lieux, vous le modifierez. Il faut seulement que vous et nous ayons à jamais cette unique loi, d'être non seulement appelés, mais d'être en effet tous frères et enfants de Dieu.

            Mais il est temps de nous mettre en chemin. Adieu, mon très aimable, très aimant et très doux Frère, et que le divin Crucifié vous soit propice. Nous vous saluons encore une fois, tous tant que nous sommes, et nous saluons aussi tous les autres enfants de la très sainte Croix, espérant de vous voir au plus tôt et de vous parler bouche à bouche, afin que notre joie soit pleine dans le Seigneur. [68]

 

 

XXIV. Au même (Minute). Le Sénateur est attendu à Annecy ; plusieurs maisons lui sont offertes. — Il est instamment prié d'amener sa femme.

 

Annecy, vers le 7 juin 1594.

 

Fratri suavissimo Antonio Fabro, Senatori amplissimo, Franciscus De Sales salutem dicit.

 

            Expectabunt te quamplurimi, suavissime Frater, ad extremum diem decimumquintum calend. Julii. Ego vero cum D. de Charmoysi, affini nostro, paulo citius expectaturi sumus ; quorum enim longe majus futurum est bonum, expectationem anteriorem esse par est.

            De domo quam urbanam in epistola ad D. de Charmoysi appellas nihil est quod cures, habemus enim paratam, non unam tantum aut alteram, sed tertiam quoque ; quandoquidem uti mea hoc nomine censeatur velle non debeo, Domini vero de Charmoysi, ut video, tu [69] ipse noluisti. Laconismum non tam verborum quam temporum inopia sequar.

            Bene vale, expectatissime Frater. Suavissimæ sorori, conjugi tuæ clarissimæ et charissimæ, salutem dicerene debeam non satis scio, qui te illi jam nolim sane addicere nisi tu ipse vicissim eam etiam nobis tecum addicas. Christum vobis precor propitium et nobilissimis liberis.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy. [70]

 

 

 

A son très doux Frère Antoine Favre, très illustre Sénateur, François de Sales présente ses salutations.

 

            Bon nombre de nos amis vous attendront le 17 juin au soir ; mais notre parent, M. de Charmoisy, et moi nous vous attendrons de meilleure heure. Il est juste que ceux dont le bonheur doit être plus grand devancent, en vous attendant plus tôt, le moment de le goûter.

            Ne vous mettez nullement en souci de ce que, dans votre lettre à M. de Charmoisy, vous appelez une maison de ville. Nous en avons non seulement deux toutes prêtes, mais trois, puisque je ne dois pas vouloir que la mienne porte ce nom, et je vois que vous n'avez [69] pas voulu celle de M. de Charmoisy. Je vise à la brièveté, faute de loisir et non de choses à vous dire.

            Adieu, mon Frère impatiemment attendu. Je ne sais trop si je dois envoyer mes salutations à ma très aimable sœur, votre épouse très distinguée et très chère, car je ne voudrais pas la reconnaître pour vôtre si, à votre tour, vous ne la rendiez nôtre ainsi que vous. Je prie Jésus-Christ de vous être propice à tous deux et à vos très nobles enfants. [70]

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XXV. Au même (Minute). Déception du Saint et de ses amis en ne voyant pas arriver le Sénateur. — Le Prévôt va prêcher à La Roche.

 

Annecy, 13 juin 1594.

 

            Quod D. de Charmoysi affini nostro scripseras, te ad diem postremum Veneris vel Sabbathi venturum, utroque die fuimus cum D. de Chisse, vicario Rmi Episcopi nostri, D. de Montrotier et de Noveri in insidiis inter utrumque iter ad solis occasum usque, ut te, sicuti prioribus scribebam litteris, paulo citius expectaremus quam reliqui plurimi. Atque nihilo fere minus te inter cænandum apud Dominum de Charmoysi frequentissime [71] salutavimus, quid causæ esse posset, mi Frater, cur non venires, in utramque partem ad multam noctem disputantes. De solemni quidem Sancto Sacramento Dominico die veniebat in mentem, sed Dominus de Charmoysi ex tua ad eum epistola confutabat.

            Plurimum autem mea intersit (sic) hæc retardatio, etsi hodierna die venires, qui die Mercurii ad Rupenses concionandi gratia pergo. Ergone te accedente discedam ? Non facerem omnino nisi scandali vitandi causa subesset, et si te non antea venturum credidissem, nullis rationibus iturum me recepissem. Tuum est videre quanam ratione tantam meam jacturam resarcire velis Sane cujusvis diei major pars est horarum septem primarum.

            Jam ergo quando venire non vis, salutem plurimam clarissimæ uxori tuæ quam impensissime dico, itemque nobilissimis liberis. Dolorem quem sentio cohibeo quanto possum maximo conatu, cum qui raptim scribere cogor, [72] cum stomacho et modestia simul non possim. Bene vale.

            Habes urbanas domos quibus utaris si venias, ne te hæc moretur dubitatio. « Cuncta timemus amantes ; » facile est enim minus volenti excusationes invenire. De valetudine tua nihil ambigo, audivimus enim ex itinere virum qui te togatum ambulantem animi gratia die Veneris viderit.

            Bene vale, et tertium Principis decretum ut venias, si ita tibi e re tua esse videbitur, expecta.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy. [73]

 

 

 

            Comme vous aviez écrit à notre parent, M. de Charmoysi, que vous viendriez vendredi ou samedi soir, M. de Chissé, grand-vicaire de notre Révérendissime Evêque, M. de Montrottier, M. de Novery et moi nous sommes tenus chaque jour en embuscade entre les deux chemins jusqu'au coucher du soleil, afin de vous attendre, ainsi que je vous l'avais écrit précédemment, un peu plus tôt qu'un grand nombre d'autres. Notre déconvenue ne nous a pas empêchés de vous envoyer force compliments en soupant chez M. de Charmoisy, où [71] nous avons discuté jusque bien avant dans la nuit sur les raisons qui vous avaient arrêté, mon Frère. On pensait à la solennité du Dimanche du Saint-Sacrement ; mais, d'après la lettre qu'il a reçue de vous, M. de Charmoisy réfutait cette supposition.

            Quoi qu'il en soit, alors même que vous arriveriez aujourd'hui, ce retard peut être bien fâcheux pour moi qui me rends mercredi à La Roche pour prêcher. M'en irai-je donc quand vous venez ? Assurément je ne le ferais pas sans la raison du scandale à éviter, et si je n'avais cru que vous arriveriez plus tôt, rien n'aurait pu me déterminer à cette absence. A vous maintenant de voir comment vous me dédommagerez d'une perte si considérable. Songez seulement que les sept premières heures du jour en constituent la majeure partie.

            Si donc vous ne voulez pas venir, laissez-moi saluer cordialement votre digne épouse et vos nobles enfants. Je réprime autant que je le puis, et avec bien des efforts, la peine que j'éprouve, ne pouvant [72] en même temps, dans une lettre écrite à la hâte, allier le courroux et la modération. Adieu.

            Ne vous laissez pas arrêter par la crainte de n'avoir pas d'appartement ; si vous venez, vous aurez des maisons de ville à votre disposition. « Tout éveille les craintes de ceux qui aiment, » parce qu'il est facile, quand on n'a pas une très bonne volonté, de trouver des excuses. Je n'ai aucune inquiétude au sujet de votre santé, car nous avons entendu dire à un voyageur qu'il vous a vu vendredi vous promener en grande tenue.

            Adieu, et attendez un troisième arrêt du prince pour venir, s'il vous semble à propos. [73]

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XXVI. A François Girard, Prévôt de l'Église Notre-Dame de Bourg (Minute). Gracieuses excuses de n'avoir pas écrit plus tôt. — Le Saint est à Hautecombe avec le sénateur Favre.

 

Hautecombe, vers le 24 juillet 1594.

 

            In tanta quam feci scribendi cessatione, humanissime et clarissime Girarde, id mihi fere accidit quod probis pueris interdum usuvenire solet, qui si statis collegii horis quibusdam lectionibus per imprudentiam non interfuerint, quamvis in officium gratiamque magistri quam primum redire cupiant, nesciunt tamen inter spem [et] metum nutantes horam sibi ipsis dicere, qua in irati præceptoris conspectum venire debeant ; dum præsentem ejus iram declinare cum veniæ speratæ jactura, an veniam [74] cum tanta molestia obtinere satiusne sit, dubia mens pueri vix statuere potest. Quam male ac imprudenter fecerim hactenus, qui per tot menses nihil ad te scripsi, ego ipse omnium maxime sentio ; atque eo molestius fero quo me abs te amari quale quantumque sit bonum nemo me melius percipere potest. Unde vel per epistolam intueri te absentem cui tantam iracundiæ causam dederim, per summam verecundiam vix audebam, nisi tuæ humanitatis ac pietatis recordatio animos addidisset.

            Ecce ergo me culpam libenter agnoscentem atque tuam implorantem humanitatem, ut quam jus æquumque negat majoribus integram restitutionem clementia bonumque concedant. Sic enim fiet ut qui me totum semel pro ea qua me complexus [es] benevolentia tibi Fabroque nostro observandissimo, qui ejus mihi fuerit [auctor], ex unica causa debebam, jam tibi uni idem ipse totum me debeam ; eoque sane majore ratione quo in eo sum magnificentissimo cœnobio quod qui ingreditur eam [75] subeat sententiam necesse est : « Difficilius est reformare quam formare. »

            Est enim undevigesimus hic dies quo cum fratre meo Fabro nostro vitam ago suavissimam, cui ad perfectam fœlicitatem id defuisse unicum videbatur quod te nobiscum non haberemus. Atque heri cum in hanc Altæcombæ sanctissimam simul et augustissimam solitudinem venissemus, Rmum Albiensem Episcopum visendi gratia, qui ut doctissimus est sic Fabrum hunc nostrum summo prosequitur amore, antequam a fratre suavissimo divelli me patiar sic tam diuturnæ cessationis veniam impetraturum abs te credidi, si pollicear me futura diligentia et frequentia deinceps moram hanc præteritam repleturum. Id loci majestas, integerrimi ac optimi Antistitis [76] sanctitas, uti credas efficiet (sic) ; efficientque eadem reor ut et tu redeuntem me per epistolam in officium amice excipias et ego in officio diligentior permaneam…

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy.

 

 

 

            Après être demeuré si longtemps sans vous écrire, mon très bon et très respectable Girard, je suis à peu près dans la situation où se trouvent parfois de bons écoliers qui, n'étant pas arrivés aux heures fixées, ont manqué inconsidérément certaines leçons. Ils voudraient bien rentrer dans le devoir et reconquérir les bonnes grâces de leur professeur ; mais flottant entre la crainte et l'espérance, ils ne savent se déterminer pour l'heure où ils devront paraître en présence du maître irrité : faut-il éviter sa colère présente en sacrifiant le pardon espéré, ou obtenir leur pardon en s'exposant à être punis ? Dans une [74] telle hésitation l'esprit de l'enfant a bien de la peine à discerner ce qui lui est plus avantageux. A quel point j'ai été jusqu'ici inconsidéré et coupable en passant tant de mois sans vous écrire, je le sens mieux que personne, et j'en suis d'autant plus affligé que personne n'apprécie mieux que moi les grands avantages de votre amitié. Aussi, dans la confusion que j'éprouve de vous avoir donné un pareil sujet de mécontentement, à peine aurais-je osé, même par lettre, diriger sur vous mes regards, si le souvenir de votre douceur et de votre indulgence ne m'avait encouragé.

            Me voici donc reconnaissant volontiers ma faute, implorant votre pitié, afin que la clémence et la bonté m'accordent la totale restitution que la justice et l'équité refusent aux majeurs. Ainsi moi, qui me devais déjà une fois tout entier à vous, à raison de la bienveillance dont vous m'avez entouré, et à notre très digne Favre parce qu'il m'a obtenu cette faveur, je me devrai désormais tout entier à vous seul, et cela avec d'autant plus de raison que je me trouve dans ce [75] magnifique monastère où l'on ne peut entrer sans se rappeler cette sentence : « Il est plus difficile de réformer que de former. »

            C'est aujourd'hui le dix-neuvième jour que je passe la vie la plus douce avec mon frère notre cher Favre ; il ne manquait, ce semble, à notre bonheur que de vous avoir avec nous. Nous sommes venus hier dans cette sainte et auguste solitude d'Hautecombe pour voir l'Evêque d'Albi, prélat aussi savant que très affectionné à ce cher Favre. Avant que j'aie la peine d'être séparé d'un très aimable frère, je me suis persuadé que je pourrais obtenir le pardon de mon silence prolongé en vous promettant de vous dédommager à l'avenir par ma diligence et mon exactitude. La majesté de ce lieu, le caractère sacré de cet excellent et très vertueux Pontife vous feront croire à ma parole ; pour le même motif aussi, je l'espère, vous [76] recevrez amicalement un coupable qui en vous écrivant revient au devoir, et j'aurai moi-même plus de soin de rester fidèle à ce devoir…

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XXVII. Au sénateur Antoine Favre (Minute). Compliments affectueux.

 

[Annecy, vers le 13 août] 1594 .

 

            Nulla sane minori authoritate ea quam maximam apud me habes adduci omnino possem ut crederem id ita semper esse verum quod scribis, respondere nimirum facilius esse quam provocare. Alioquin cum in ipso fere [77] provocandi articulo, tuas illas amœnissimas et, quod caput est, amicissimas litteras accepissem, tanto tuæ humanitatis lumine mentem meam obtundi sensi ut qui jam jam scripturus eram, tantæ humanitati respondere posse omnino deinceps desperarem. Sic enim Apollinem cum tanta subtilitate respondentem inducunt, ut si interrogasset nulla humani ingenii virtute responderi potuis set. Tam multis namque partibus superior es nobis ut nulla proportione tecum certare possimus, nisi tunc agamus cum agere nondum cæperis, vel si voluntate res tractanda sit.

            Tanta enim mea est erga te observantia, ut ex hac parte vix equidem parem, superiorem omnino neminem habere possim, nec alio egeat monumento quæ tam justo caractere sit insculpta nullius ut temporis injuria deleri possit.

            Bene vale, et Christum habeto propitium.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy. [78]

 

 

 

            Il ne faut rien moins que la très grande autorité que vous avez sur moi pour me convaincre, comme vous me l'écrivez, qu'il est toujours plus facile de répondre à un ami que de le provoquer ; car [77] lorsque j'étais sur le point de vous prévenir, votre lettre si gracieuse et, qui plus est, si amicale, m'est parvenue. L'éclat de votre érudition m'a si fort ébloui l'esprit, que, tout en me disposant à vous écrire, je désespérais de pouvoir m'élever à la hauteur de votre savoir. C'est ainsi que l'oracle d'Apollon répondait, dit-on, avec tant de subtilité, que s'il eût posé lui-même des questions, la sagesse humaine aurait été incapable de les résoudre. Vous nous êtes tellement supérieur sous tous rapports que nous ne pouvons en aucune façon nous mesurer avec vous, à moins toutefois que nous n'entamions la correspondance ou que nous n'en choisissions le sujet.

            Si grande est l'estime que je vous ai vouée, que sur ce point on peut tout au plus rivaliser avec moi, mais l'emporter, jamais. Cette estime n'a pas besoin d'un monument qui en conserve le souvenir ; elle est gravée en caractères assez durables pour défier l'action du temps.

            Adieu ; que Jésus-Christ vous soit propice ! [78]

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XXVIII. Aux fils du sénateur Antoine Favre (Minute inédite). Remerciements pour une lettre reçue d'eux. — Encouragements à suivre les exemples de leur père. — Message pour leur mère.

 

[Annecy, vers le 15 août] 1594.

 

            Duo maxime nunc præstabo, Amici charissimi : alterum quidem ut vestris litteris quibus non ita pridem auctiorem me sane fecistis et jucundiorem respondeam ; alterum vero ut quoniam sentiunt ex iterata lectione detrimentum, hac eadem epistola, recentes a vobis expetam, cum eadem utrumque ratione nitatur.

            Rectissime namque facitis qui, patris vestri clarissimi et optimi authoritatem secuti, ad me tam amanter scripsistis. Hunc vobis prælucentem sequamini, quæso, [79] religiose ; in hoc, Amici charissimi, splendidissimum exemplar oculos vestros noctes diesque intendite. Sic enim fiet ut ex ejus officina ingenui nunc quidem tyrones, subinde fabri nobilissimi prodeatis, ac me uti facit imprimis diligatis.

            Meo nomine impensissime salutate clarissimam matrem vestram, quam tanta prosequor observantia nulla ut aptius quam filiorum reputari possit. Itaque, eam meo nomine salutate.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy.

 

 

 

            Deux raisons principales me portent à vous écrire, mes très chers Amis : la première est de répondre à la lettre dont vous m'avez favorisé récemment, et qui m'a causé tant de plaisir ; la seconde est de vous demander une nouvelle lettre, car celle que vous m'avez écrite est tout endommagée par la lecture répétée que j'en ai faite. Ce double motif s'appuie sur un même fondement.

            Vous faites très bien d'imiter l'exemple de votre illustre et excellent père en m'écrivant si affectueusement. Ayez jour et nuit, mes [79] très chers Amis, les yeux fixés sur le modèle éclatant qui resplendit devant vous ; suivez-le religieusement. En agissant de la sorte, vous qui êtes dans son atelier d'excellents apprentis, vous en sortirez très nobles ouvriers, et spécialement vous aurez appris de lui à m'aimer.

            Saluez en mon nom votre illustre mère à qui j'ai voué un respect si grand qu'il ne peut être justement comparé qu'à la piété filiale. Saluez-la donc en mon nom.

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XXIX. Au sénateur Antoine Favre (Minute inédite). Explications amicales. — Remerciements pour l'envoi de Méditations sur la pénitence.

 

[Annecy, août] 1594.

 

            Quam bonus eram vir et bardus, mi Frater, cum uti sororis meæ consuetudini ac ustricitati (sic) tantisper indulgeres, tam candide suadebam, mi Frater. Quasi vero tu aliquid aliud cogitasses, et jam me puderet in tam [80] aperta luce deceptum esse si ab alio quam ab ingeniosissimo fabro. Gaudeo sane plurimum gratulorque tibi ex animo et sorori ne bonæ fidei viatori spinas pedibus injicias, ut est in proverbio.

            Gratulor sane plurimum sorori de diuturniori illo tuo amœnissimo conspectu ; at quorsum eam in causam rogari, suaderi ac propemodum cogi velle, et locum quem omnino tibi selegeris, non nisi post multas aliorum præces, per summam artis aulicæ subtilitatem, more Locatellæo occupare ? Bene est. Semel falli vel prudentissimus quisque potest ; iterum si me iis artibus fallas, indignus omnino sim tua officina alumnus.

            Opportune pœnitentiales Meditationes quibus exercear dum aberis misisti, in quibus quid meum fuerit non [81] video, tot nempe prætiosis tuis illis lapillis intertextum et consitum opus illud est ut fœlici mutatione nomen antiquum et formam omnem perdiderit.

            Nuper misi litteras Episcopi Albiensis ; nescio num exceperis. Bene vale et ut valere vis, cum clarissima conjuge.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Turin.

 

 

 

            Que j'étais donc simple et ingénu, mon Frère, quand je vous conseillais si naïvement d'être un peu condescendant envers ma sœur, [votre femme,] comme si jamais vous aviez eu d'autres pensées ! Je serais déjà plein de confusion d'avoir été trompé en chose aussi [80] évidente si je ne l'avais été par un artisan tel que vous. Je m'en réjouis vivement et je vous félicite tous deux de ce que, suivant le proverbe, vous ne jetez pas des épines sous les pieds du voyageur de bonne foi.

            Certes, je félicite aussi grandement ma sœur de pouvoir jouir longuement de votre agréable présence ; mais pourquoi vouloir être prié, pressé et presque contraint dans cette affaire ? Pourquoi n'occuper qu'après les nombreuses instances de plusieurs, la place que vous avez choisie vous-même, si ce n'est par une extrême finesse digne des hommes de cour, à la manière de notre Locatel ? C'est bien. Le plus sage peut être trompé une fois ; mais si je me laisse tromper de nouveau, que je sois tenu pour un apprenti bien indigne de votre atelier.

            Vous m'avez envoyé fort à propos les Méditations sur la pénitence, afin que je m'y exerce pendant que je suis privé de votre [81] présence. Mais je ne vois pas ce qui peut m'être attribué dans cet ouvrage, car vous l'avez vous-même tissé et enrichi de tant de belles pierreries, que, par une heureuse transformation, il a perdu son ancien nom et sa première forme.

            Je vous ai transmis dernièrement la lettre de l'Evêque d'Albi, je ne sais si vous l'avez reçue. Portez-vous bien et à souhait, ainsi que votre illustre épouse.

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XXX. Au même (Minute inédite). Les prévenances d'un ami commun attribuées à la recommandation du Sénateur. — Désir de se procurer quelques formules de prières.

 

[Annecy, fin août] 1594.

 

            Accepi tuas ab homine tuo litteras. Quid autem ju cundius fuerit, an hominem tuum an litteras tuas videre ? Non jucundissimum quicquid tuum esse non potest. [82]

            Sane, quantum conjicere potui, non alia me ratione amare cupiebat Franciscus Chosallius quam quod me amares ; alioquin cum in me tam pauca e multis quæ dixeras deprehenderit, neque te neque me jam amaret, nisi amari me abs te, te quidem excusatione, me benevolentia, utrumque admiratione dignum redderet. Quo mihi suavior est ea qua me prosequitur benevolentia quod a tua omnino proficiscatur, ac ad tuam pœnitus, ut « ad primam in suo genere et cæterarum mensuram, » immediate referatur. Jam autem tuum illud erit ut cujus boni author mihi fuisti conservator ejusdem esse velis.

            Pergo. Audivimus confratrem nostrum, tuum vero in Cruce filium, virum optimum Saldium, centum præcum [83] ad sanctissimi Crucifixi [honorem] ritus penes se habere ; nos unde habere possimus non videmus nisi, quoad commodum erit, decem vel duodecim ex ipso accipiamus, quorum prætium…

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Turin.

 

 

 

            J'ai reçu votre lettre par le porteur à qui vous l'aviez remise. Qu'est-ce qui m'agréa davantage, ou de voir votre envoyé ou de lire votre lettre ? Tout ce qui vient de vous ne peut que m'être extrêmement agréable. [82]

            En vérité, autant que j'ai pu le conjecturer, François Chosal désirait lier amitié avec moi pour cette seule raison que je suis votre ami. Du reste, comme il aura trouvé en moi si peu des qualités que vous m'avez attribuées, il ne voudra plus être ni votre ami ni le mien, à moins que, pour s'expliquer l'amour que vous me portez, il ne vous considère avec beaucoup d'indulgence, moi avec beaucoup de bienveillance, et tous deux avec quelque surprise. Cette bienveillance dont je suis l'objet de sa part m'est d'autant plus douce qu'elle procède uniquement de celle que vous avez pour moi et qu'elle se rapporte immédiatement à celle-ci, puisque « la première chose en chaque genre sert de mesure à tout le reste. » A vous maintenant de me conserver ce bien dont je vous suis redevable.

            Je poursuis. Nous avons entendu dire que notre confrère, votre fils dans la Croix, l'excellent Saldoz, possède une centaine de formules [83] de prières à Notre-Seigneur crucifié. Nous ne voyons pas le moyen de nous en procurer, à moins qu'il ne nous en cède dix ou douze exemplaires, dont le prix…

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XXXI. A François Girard, Prévôt de l'Église Notre-Dame de Bourg (Minute). Congratulations pour le zèle qu'il déploie au service de Jésus crucifié, et pour son agrégation à la Confrérie de la Sainte Croix.

 

Annecy, fin août 1594.

 

            Et vero nunc tibi ex animo gratulandum est, clarissime Girarde, cum te totis viribus sub sanctissimi [84] Crucifixi signo serio militantem videamus. Quid enim est quos Deus odivit odio habere et super inimicos Crucis tabescere quam pro Christo decertare ? Nulla gloriosior bene de Deo ipso et Ecclesia merendi occasio potest esse quam hæc quæ tibi summa Dei providentia occurrit. Et quidem facillimum est cuique Christiano ac omnibus fere obvium, Christum languentibus medentem, mortuos excitantem sequi, at Christum languentem et morientem id paucissimis concessum est. Non arduum est admodum Crucem erectam amplecti dum nemo impellat nitaturve disturbare, at contra pugnantium impetum eam ne labatur sustinere, id confirmates virtutis est. O fœlix pugna in qua Christo pariter et morimur et vivimus. Quid, quæso, tanta religione gloriosam nobis antiquorum [85] Ecclesiæ Patrum memoriam commendavit quam quod nullis se minis a Crucifixi patrocinio (ut interim ita loqui concedas) abduci se passi sint ? Martinos sane, Chrysostomos, Hilarios, Damascenos nulla adeo sursum evexit eruditio quam ea Christiani animi celsitudo qua Imperatoribus cæterisque falsis fratribus pugnam pro Christo indixerunt, fortesque sese omnino ad prælia Domini prælianda præbuerunt.

            Quæ quidem non eo animo a me esse dicta velim intelligas quo tibi animum addere vellem ; non enim est discipulus super magistrum,  et importunum omnino foret te veteranum et gravions armaturæ militem a grægario tyrone doceri. Gratulor potius tibi majorem in modum quod in provecta jam hæc ætate, tam alacriter bellum pro Christo susceperis ac susceptum sustinueris ; ut verum jam sit illud etiam de te pronunciare quod est apud Hieronimum : « Bos lassus fortius figit pedem. » Quæ tua mihi gloria eo suavior est perfecta, quo nuper te in confratrum ex Cruce nostrorum numerum majore cum oblectamento [86] renunciavit vir optimus et ipsa canitie venerandus, Joannes Tissotius, communis hujus Confraternitatis prior meritissimus ; ut jam certo quodam jure omnium nostrum bona videantur esse communia qui, tum aliis nominibus tum hoc peculiari fratres ex Cruce censemur. Quo fiet ut et nos gloria tam præclari tui certaminis et tu nostris præcibus et sacrificiis participes vicissim efficiamur.

O nimium dilecte Deo, tibi militet æther !

Dominus tibi adjutor, non timebis quid facit tibi homo.

            Commilitoni tuo, viro clarissimo Domino Fabro, salutem plurimam dico. Bene vale.

 

Revu sur l'Autographe, dont la partie déjà publiée est conservée à la Visitation d'Annecy et la partie inédite à la Visitation de Turin. [87]

 

 

 

            Il faut maintenant vous féliciter du fond du cœur, excellent Girard, puisque nous vous voyons combattre de toutes vos forces sous [84] l'étendard du très saint Crucifié ; car n'est-ce pas combattre pour le Christ que de haïr ceux que Dieu hait, et de sécher de douleur à cause des ennemis de la Croix ? Vous ne pourrez jamais rencontrer une occasion plus glorieuse pour bien mériter de Dieu et de l'Eglise que celle qui vous est présentement offerte par la souveraine providence divine. Oui sans doute, il est très facile à un Chrétien, et c'est une chose pour ainsi dire à la portée de tous, de suivre Jésus-Christ guérissant les infirmes, ressuscitant les morts ; mais de suivre Jésus-Christ souffrant et mourant, voilà ce qui n'est accordé qu'à un fort petit nombre. Il n'est pas très pénible d'embrasser la Croix lorsqu'elle est debout, que personne ne l'ébranle et ne s'efforce de la renverser ; mais la soutenir contre le choc des assaillants pour qu'elle ne tombe pas, voilà le propre d'un courage éprouvé. O bienheureux combat dans lequel à la fois nous mourons et nous vivons pour le Christ ! Qu'est-ce qui a, je vous le demande, environné de tant de gloire et [85] d'une si religieuse vénération la mémoire des anciens Pères de l'Eglise ? C'est que jamais aucune menace n'a pu les empêcher de patronner (permettez-moi cette expression) la cause de Jésus crucifié. Ce n'est certainement pas la science seule qui a élevé si haut les Martin, les Chrysostome, les Hilaire, les Damascène ; mais bien plutôt cette magnanimité chrétienne avec laquelle ils ont déclaré la guerre pour le Christ aux empereurs et aux autres faux frères, et se sont montrés intrépides à combattre les combats du Seigneur.

            Ne vous persuadez pas, du reste, qu'en vous disant ces choses je prétende exciter votre courage. Le disciple n'est pas au-dessus du maître. Il serait en effet déraisonnable qu'un vétéran accoutumé à porter la plus lourde armure reçût les leçons d'un nouvel enrôlé. Bien plutôt, je vous félicite hautement de ce que, dans un âge avancé, vous avez entrepris et poursuivez si hardiment la guerre pour le Christ. Nous pouvons avec vérité vous appliquer la parole de saint Jérôme : « Le bœuf fatigué enfonce plus fortement le pied. » Votre gloire me [86] devient d'autant plus douce que l'excellent Jean Tissot, déjà vénérable par ses cheveux blancs, très digne prieur de notre Confrérie, vous a dernièrement inscrit avec plus de bonheur au nombre des confrères de la Croix ; car maintenant il y a entre nous une certaine communauté de biens à divers titres, et principalement parce que nous sommes frères dans la Croix. En conséquence nous participons aux avantages les uns des autres : nous, à la gloire de vos combats, vous, au mérite de nos prières et de nos sacrifices.

O bien aimé de Dieu, que le Ciel vous soit en aide !

            Le Seigneur est votre défenseur, vous ne craindrez pas ce que l'homme fera contre vous.

            Je salue votre compagnon d'armes, l'illustre seigneur Favre. Adieu. [87]

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XXXII. A un gentilhomme de la cour du duc de Savoie (Minute). Prière d'intervenir auprès du duc de Savoie en faveur du Chapitre de Genève.

 

Annecy, [vers la fin août 1594.]

 

            Monsieur,

 

            Il pleut a Son Altesse, il y a quelque tems despuys ces guerres, declairer pour l'eglise de ce diocæse estre de son intention et playsir que tous les biens qui se trouveroyent en ses estats avoir esté de l'eglise anciennement, devant que Geneve eut chassé les ecclesiastiques, retournassent a l'eglise, comme vray patrimoyne de Jesuchrist. Qui a faict que le Chappitre de Saint Pierre ayant esté advisé, ou pensant quil se devoit tenir quelque journëe a Thurin touchant ces balliages et autres affayres, il a pris resolution, en l'asseurance de vostre zele et pieté, de vous supplier tres humblement de leur faire ausmosne de vostre credit et intercession en cest endroict, affin qu'en cas de quelque restitution de païs, ils ressentent le prouffit de la devote intention de sa dicte Altesse, et que les biens qui se trouveront avoir esté dudict Chappitre au tems de la subversion de Geneve leur soient restitués. [88] Ils vous supplient donques, Monsieur, tres humblement, tous en general et moy en particulier, comm'ayant cest honneur d'estre Prevost en leur compaignie, de prendre ce leur affere en main ; se promettans que si la bonne intention de Son Altesse, dressëe sur la pieté de la cause, est aydëe de vostre faveur et authorité, elle sortira en son effect avec grand merite de sa dicte Altesse, qui nous aura remis nostre pain en la main, et de vous, Monsieur, qui nous aures procuré ce bien, duquel je puys bien vous asseurer avec verité que nous avons bon besoin, pour s'estre la pauvreté de cest'eglise cathedrale de trente chanoynes, quasi tous gentilhommes ou gradués, fort rengregëe par ces guerres, sans avoir voulu jamais diminuer aucune chose de ce qui s'observoit pour la decoration du service divin.

            Vous suppliant donques nous avoir pour recommandés, nous recommanderons de toute nostre devotion vostre santé et prosperité a Nostre Seigneur, et demeurerons obligés a jamais de prier plus particulierement sa divine [Majesté] qu'elle vous comble de ses benedictions. Et pour mon regard, Monsieur, continuant en la condition de monsieur de Boysi mon pere, je demeureray

            Vostre tres humble serviteur.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy. [89]

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XXXIII. Au sénateur Antoine Favre (Minute). Nouvelles de la mission du Chablais. — Premières difficultés suscitées par les ministres protestants. — Energique résolution du Saint.

 

[Forteresse des Allinges,] commencement d'octobre 1594 .

 

            Non antea potui, mi Frater, suavissimis illis tuis litteris respondere quam hic idem qui tuas attulerat Chamberium versus rediret. Fecissem id quidem libentissime, nulla enim cogitatio alia me dulcius recreat quam ea qua quotidie te mihi præsentem quoad expressissime fieri potest efficio. Enimvero tum post densissimas tenebras mihi lux quædam oboriri videtur, adeo mihi caliginosus hic est aer, cui procul dubio princeps tenebrarum harum de quibus loqueris præest.

            Post tuum enim discessum non cessavit animos horum [90] hominum in deterius quodque obvolvere. Gubernator, cum cæteris his Catholicis, rusticos circum circa, necnon et cives Aquenses, secretis suasionibus ad conciones nostras convocare, rem Christianam recte ac impensissime promovere [non destitit.] Quamprimum vidit dæmon ; enimvero, tunc advocato suorum concilio, per summam perfidiam, fidem vicissim Tononienses quotquot sunt ex primariis sibi faciunt, nullis se cæteramque multitudinem unquam adfuturos Catholicis prædicationibus, ne nimirum satis non esset privata cujusque pertinacia nisi nefaria ac communi cohortatione, in suam perniciem, Principis desiderio ac nostris conatibus illudant ac omnino cervices opponant temulentas. Idque actum est, quantum audio, nudiustertius in urbis ipsius sedibus publicis, cum jam antea abiissent in concilio impiorum, hoc est, per speciem matrimonii cujusdam, uti soient, dirimendi convenissent in suo quod appellant [91] consistorio, in quo idem jam plerique inter se decreverant.

            Quid faceres, mi Frater ? Induratum est cor eorum ; dixerunt Deo : Non serviemus ; recede a nobis, viam mandatorum Dei nolumus. Nolunt audire nos, quoniam nolunt audire Deum. Mihi autem videre videor quo hujusmodi perditissimi homines tendant. Nimirum vellent nos tandem, rerum agendarum spe amissa, ad discessum quodammodo compellere. At apud nos contra. Quamdiu per inducias et Principis utriusque tum ecclesiastici tum secularis licuerit voluntatem, operi instare, nullum non movere lapidem, obsecrare, increpare in omni qua nos Deus donaverit patientia et doctrina omnino ac firmissime constitutum est. [92]

            Atque non modo conciones imo vero Sacrificia, si quis me judice certare in hac palæstra velit, quamprimum fieri poterit instituenda sunt, uti non tam animos demere nobis quam addere suis artibus sentiat inimicus homo. Verum ea in re magnam requiri video prudentiam, ut nimirum ea expectetur conditio : si hac temporaria pace diutius fruamur.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy.

 

 

 

            Je n'ai pu, mon Frère, répondre à votre délicieuse lettre, avant que le porteur retournât à Chambéry. Certes, je l'eusse fait plus tôt très volontiers, car nulle autre pensée ne m'est aussi douce, ne me récrée autant que celle par laquelle je tâche chaque jour de vous représenter à mon esprit le plus fidèlement qu'il m'est possible ; il me semble alors qu'après de très épaisses ténèbres, une certaine lumière luit pour moi, tant me paraît sombre le nuage auquel commande sans doute le prince de ces ténèbres dont vous me parlez.

            Après votre départ, il n'a pas cessé de voiler de plus en plus les [90] esprits de ces hommes. Le gouverneur, avec quelques autres Catholiques, n'a rien négligé pour attirer, par de secrètes persuasions, les paysans des environs et les bourgeois d'Evian à nos sermons, et pour faire avancer, avec un zèle ardent et éclairé, les affaires de la religion. Mais le démon s'en est bien vite aperçu ; car les principaux de Thonon ayant assemblé leur conseil, se sont juré, par une souveraine perfidie, que ni eux ni le peuple n'assisteraient jamais aux prédications catholiques. Ce ne serait pas assez, sans doute, de l'obstination privée de chacun, s'ils ne se moquaient des désirs du prince aussi bien que de nos efforts, et ne s'acharnaient à leur perte par une abominable entente. Cela fut fait, à ce que l'on m'a dit, avant-hier à la maison de ville, et plusieurs avaient déjà pris cette résolution à l'assemblée des impies, qu'ils nomment leur consistoire, où ils [91] s'étaient réunis sous prétexte d'invalider, selon leur coutume, certain mariage.

            Que feriez-vous, mon Frère ? Leur cœur est endurci ; ils ont dit à Dieu : Nous ne servirons pas ; retirez-vous de nous, nous ne voulons point marcher dans la voie des commandements de Dieu. Ils ne veulent pas nous écouter parce qu'ils ne veulent pas écouter Dieu. Certes, il me semble voir où tendent les desseins de ces hommes perdus. Ils voudraient assurément nous faire perdre l'espérance de mener nos affaires à bonne fin, et partant nous contraindre à nous retirer. Mais il n'en sera pas ainsi ; car aussi longtemps qu'il nous sera permis par les trèves et par la volonté du prince tant ecclésiastique que séculier, nous sommes absolument résolus de travailler sans relâche à cette œuvre, de ne pas laisser une pierre à remuer, de supplier, de reprendre avec toute la patience et la science que Dieu nous donnera. [92]

            Je soutiens à quiconque voudra discuter avec moi sur cette affaire, que non seulement les prédications sont nécessaires, mais encore qu'il faut rétablir la célébration du saint Sacrifice le plus tôt qu'il se pourra, afin que l'homme ennemi voie que par ses artifices il nous donne du courage au lieu de nous l'enlever. Mais en cela, il faut user d'une grande prudence dans l'attente de cette condition, à savoir : si la paix temporaire dont nous jouissons sera durable.

 

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XXXIV. A un religieux (Fragment inédit)

 

Octobre 1594 .

 

... que vous sçaves trop mieux comme l'on manie ces affaires, et que l'affection et devotion que vous y aves vous y conseille asses. Mays seulement je vous rends ainsy conte de mes pensers, lesquelz vous advoueres ou rayeres comm'il vous playra.

            Ce pendant je prieray Dieu pour vostre heureuse santé et longue vie, vous suppliant tres humblement me [93] continuer en lhonneur que j'ay de vostre Reverende Paternité, et lequel je prise tant, d'estre advoüé pour

            Vostre tres humble filz selon Dieu et tres obeissant serviteur.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Dorn B. Mackey, O. S. B.

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XXXV. A Monseigneur Claude de Granier, Évêque de Genève. Endurcissement des hérétiques. — Aveu des ministres en faveur des missionnaires.

 

Fin octobre 1594 .

 

            Monseigneur,

 

            Je diray donq simplement a Vostre Seigneurie Illustrissime que l'opiniastreté de ce peuple est si grande, qu'ilz ont derechef confirmé l'ordonnance publique que personne n'ayt a revenir a nos predications catholiques ; et lhors que nous croyions que plusieurs viendroyent a nous, soit par curiosité, soit par quelque reste du goust de l'ancienne religion, nous avons experimenté leur endurcissement commun par leurs mutuelles exhortations. Et apportent pour excuse le mauvais traittement qu'ilz recevroyent des Bernois et Genevois, qui les traitteroyent comme des deserteurs de leur creance, s'ilz les [94] voyoyent seulement venir a nous d'autre façon qu'avec des injures a la bouche ou des pierres a la main. Et non seulement il faut que nous ostions l'heresie, mais tout premierement l'amour du siecle.

            Dans les discours familiers, les ministres mesmes ont confessé que nous tirions de tres bonnes conclusions des Saintes Escritures touchant nostre foy, mesme sur le tres auguste Mistere de l'autel ; les autres confessent la mesme chose, et plusieurs viendroyent a nous s'ilz n'estoyent empeschés par ceste trop grande crainte du monde. Mais, Monseigneur, nous esperons avec patience que ce fort armé qui garde sa mayson sera chassé par un plus fort que luy, qui est Nostre Seigneur Jesus Christ. Voyla l'estat de nos affaires…

 

Revu sur le texte inséré dans un ancien Manuscrit de l'Année Sainte de la Visitation, conservé au Monastère d'Annecy.

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XXXVI. Au senateur Antoine Favre (Inédit). Heureux présages pour le succès de la mission du Chablais.

 

Evian, 2 novembre 1594.

 

            Nunc demum mihi de rebus Tononiensibus bene sperare licet, quod te scire par est, Frater suavissime, cum me nudiustertius ex eis quidam tanto [obsequio] prosecutus fuerit quanto nihil jucundius nihil gratius, immutata [95] jam ex parte eorum lege qua cautum fuerat uti ne mecum non beneficiis modo, sed ne quidem verbis agerent. Bonum dubio procul omen, si ex uno omnia sunt ex veteri proverbio cognoscenda. Tuas nimirum litteras Tononienses quidam attulerant : et quidnam præstantius, quæso, quo mihi munere ingentes erga eos animos addiderunt ? Adeo nempe alterum te esse me comperio, ut sine te horum hominum colloquiis uti minime possim.

            Exigebant tuæ illæ litteræ uti quæ de Rolandi nostri rebus scriberem. Verum prioribus id jam actum est, et inter Sanctorum Omnium et Fidelium Defunctorum sacra solemnia vix mihi otium suppetit tecum colloquendi nisi nobilis hic vir Blonnayus in aliam horam discessum referat. Alioquin et D. Guichardo ut admodum [96] monuisti dedissem, moxque dabo, si tamen receperis te antea bona fide facturum ut et me scripsisse noverit, et tam male quam soleo nesciat ; sic enim fiet ut me diligentem sui cultorem agnoscat, tam incultum non omnino existimet. Bene vale.

            Aquiani, 4 non. Novembris 1594.

 

Revu sur le texte inséré dans le 1er Procès de Canonisation.

 

 

 

            Aujourd'hui enfin il m'est permis de bien augurer des affaires de Thonon, et je dois vous faire savoir, très aimable Frère, qu'avant-hier l'un de ces messieurs m'a témoigné tant de bienveillance et d'amabilité qu'il ne se peut rien dire de plus. Ils ont donc en partie [95] changé de dessein, car ils s'étaient fait une loi non seulement de ne point me rendre de bons offices, mais de ne pas même m'adresser la parole. Voilà qui est de bon augure, sans doute, si d'après le vieux proverbe, par un individu on peut juger de tous. Quelques Thononais avaient donc apporté votre lettre : je vous le demande, pouvait-il y avoir rien de plus efficace que ce présent qui relevait mon courage pour aller à eux ? En effet, je me trouve tellement devenu un autre vous-même, que sans vous je ne pourrais traiter avec ces hommes.

            Vous me demandiez de vous écrire au sujet des affaires de notre Rolland, mais je l'ai déjà fait. D'ailleurs, la solennité des fêtes de la Toussaint et des Fidèles Trépassés me laisse à peine le loisir de m'entretenir avec vous, à moins que ce noble M. de Blonay ne remette son départ à une autre heure. S'il m'eût été possible, j'aurais écrit aussi à M. Guichard, comme vous me l'avez [96] recommandé, et je le ferai au plus tôt, pourvu qu'auparavant vous vous engagiez de bonne foi à l'assurer que j'ai écrit, et à lui laisser ignorer que j'ai l'habitude d'écrire si mal. Il connaîtra par là combien je désire l'honorer, et ne me jugera pas tout à fait inculte. Adieu.

            Evian, le 2 novembre 1594.

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XXXVII. Au même (Minute). Témoignages d'estime et de reconnaissance pour le P. Chérubin. — Envoi de plusieurs lettres. — Premiers fruits des prédications.

 

Forteresse des Allinges, milieu de novembre 1594.

 

... Dum de patre et compatre [mater] cogitabit, prolem etiam patri pariter et compatri [similem] efficiat ; scis [97] enim imaginationem facere casum. Verum iis rebus tuum erit curam providere.

            Venio ad posteriores, quæ Patris Cherubini nostri præclaram de sua mei recordatione testificationem proferebant. Ego quidem ejus erga me amorem eo jucundius et gratius præstantiorem esse existimo quod in eo me tecum conjungat. Sane vir est hic noster in Christo pater, qui pro sua in Deum ac eos qui sunt Dei charitate omnem omnium mereatur observantiam, et nonnisi ab [98] nostri simillimis amatoribus satis amari possit. Has meas ad eum litteras cum aliis ad Guichardum nostrum, Girardum et Præsulem Albigensem commendatas habeas velim ; et a me quamprimum recentes expectes, cum de nostra hac provincia et re Christiana conscribam. Lætiores enim fructus in dies allatura mihi videtur verbi hæc divini pluvia, quod ubi paulo pressius deprehendam, non committam quin te, qui rem tantopere consilio, auctoritate et opera promovisti [certiorem faciam].

Interim, bene vale, et Christum tibi mihique in dies magis ac magis concilia. Sororem meam et commatrem nepotesque omnes salutatos omnino velim.

            Ex Allingiana. [99]

 

 

 

... Tandis que [la mère] pensera au père et au parrain, la ressemblance avec tous les deux se produira chez l'enfant, car vous savez [97] que l'imagination fait son œuvre. Mais ces choses-là sont de votre ressort.

            Je viens à votre dernière lettre qui m'apportait un témoignage très manifeste du souvenir que me conserve notre P. Chérubin. Pour moi, j'estime d'autant plus précieuse son affection si aimable et si bienfaisante qu'il me fait partager cet avantage avec vous. Cet homme est vraiment notre père en Jésus-Christ ; sa charité envers Dieu et envers ceux qui sont à Dieu lui donne droit à la vénération de tous, et il ne peut être aimé dignement que par des hommes qui [98] aiment comme nous. Permettez-moi de vous confier une lettre pour lui, ainsi que d'autres pour notre Guichard, pour Girard et pour l'Evêque d'Albi. Je ne tarderai pas à vous écrire de nouveau pour vous parler de ce qui se passe ici et des affaires de la religion.

 me semble que cette divine rosée de la parole de Dieu va porter chaque jour de plus heureux fruits. Lorsque je l'aurai mieux constaté, je ne manquerai pas de vous le faire savoir, à vous qui avez employé votre conseil, votre autorité, votre action pour favoriser cette entreprise.

            En attendant, portez-vous bien, et que le Christ nous soit de plus en plus propice à vous et à moi. Veuillez saluer de ma part ma sœur et commère et tous mes neveux.

            De la forteresse des Allinges. [99]

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XXXVIII. A Monseigneur Alphonse Delbene, Évêque d'Albi (Minute). Protestations de respect et de dévouement.

 

Forteresse des Allinges, milieu de novembre 1594.

 

            Quæ mihi causa fuit hactenus quominus tuam humanitatem, gravissimis semper studiis vel occupationibus intentam, litteris aliquot meis provocarem, observantia nimirum summa ac præcipua qua te veneror ac suspicio, ea me nunc ad scribendum peculiari jure compellit. Cum enim te discessum ad Albienses tuos parare audiverim, non debui committere quin, sin minus sacras illas [100] tuas manus religiose coram uti par est exosculari queam, saltem et veniam a te peterem simul ac, levi licet significatione, testatum facerem me immortali recordatione tuam illam qua me quondam complexus es benevolentiam animo servaturum, tuæque Paternitatis Reverendissimæ perpetuum ac humillimum cultorem futurum.

            Quod cum ita sit, tuæ erit humanitatis ac amplitudinis, mihi inter tuos ita locum aliquem fixum firmumque attribuere, ut me non minus unquam tuum existimare possis quam esse possim, et quando tuorum Allobrogum numerum inire placuerit, ego ultimus in mentem tandem tibi veniam, qui si propensionem ac erga te observantiam animorum tam probe perspectam haberes quam merita, inter primos facile apparerem.

            Quod reliquum est, nobis tuisque omnibus Albigensibus ac reipublicæ litterariæ Christum quam diutissime [101] habeas servatorem, ac Albigenses tuos ita ad Christianam disciplinam compositos ut ex tua præsentia tantum percipiant fructum ac voluptatem quanta nos ex absentia et dolorem et jacturam.

            Ex arce Allingiana.

 

 

 

            Le très grand respect et la profonde vénération dont je suis pénétré à votre égard m'ont seuls empêché jusqu'à présent de vous prévenir par mes lettres, sachant Votre Seigneurie toujours appliquée à des études ou à des occupations très importantes. La même cause me presse à bon droit de vous écrire aujourd'hui. J'ai entendu dire en effet que vous vous préparez à votre départ pour Albi, et, s'il ne m'est pas possible d'aller, comme il conviendrait, baiser religieusement [100] vos mains sacrées, il est au moins de mon devoir de vous en demander pardon, et je ne voudrais pas y manquer. Ce faible témoignage de gratitude vous prouvera l'impérissable souvenir que je garde de la bienveillance dont vous m'avez précédemment honoré ; il vous montrera également mon désir d'être à jamais le très humble serviteur de Votre Révérendissime Paternité.

            Les choses étant ainsi, il appartiendra à votre bonté et à votre magnanimité, Monseigneur, de m'attribuer entre ceux qui vous sont dévoués une place si sûre et si stable que je ne puisse jamais être moins vôtre que vous n'aurez daigné me croire. En conséquence, lorsqu'il vous plaira de faire le dénombrement de vos Allobroges, je me présenterai enfin le dernier à votre mémoire ; je serai d'ailleurs facilement des premiers si vous voulez bien prendre en considération non pas le mérite personnel, mais l'estime et l'affection dont tous ces cœurs vous entourent.

            Pour nous, unissant nos prières à celles de tous vos Albigeois et [101] de ceux qui cultivent les lettres, nous demanderons au Seigneur de vous conserver longues années et de rendre vos diocésains parfaitement soumis au joug de la religion. Ils retireront ainsi de votre présence autant de bien et de plaisir que votre absence nous causera de douleur.

            De la forteresse des Allinges.

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XXXIX. Au sénateur Antoine Favre (Fragment). Prédications de l'Avent.

 

[Thonon,] 27 novembre 1594 .

 

……………………………………………………………………………………………………...

            Dieu me faict icy entreprendre une besoigne digne de la seule vertu de sa droitte. Je commence aujourd'huy a prescher l'Avent a quatre ou cinq petites personnes ; tout le reste ignore malicieusement que veut dire Avent, et ce tems si auguste dans l'Eglise est en opprobre et [102] en derision parmy ces infidelles. L'orayson, l'aumosne et le jeusne sont les trois parties qui composent le cordon difficilement rompu par l'ennemi ; nous allons, avec la divine grace, essayer d'en lier cest adversaire…

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XL. A un curial (Minute). Réponse obligeante à la demande de quelque service.

 

8 décembre 1594.

 

            Monsieur le Curial,

 

            Celuy auquel vous voulies que je parlasse pour vous n'estant icy, je n'ay peu fayre ce dont vous m'avies escrit ; mays en toute sorte d'occasion vous me trouveres tous-jours prompt a vous servir. Je prie Dieu quil vous doint parfaitte santé et sa grace, et me recommande bien fort a vostre bonne grace, de Madame la curiale et de vostre beaufilz et fille, attendant de bien tost aller voir mes pere et mere et leur…

            Le 8 decembre 94.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. le Chanoine Collonges,  aumônier de la Visitation de Chambéry.

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XLI. Au père Antoine Possevin, de la Compagnie de Jésus (Minute). Assurance de respectueux attachement. — Le Saint parle de son ordination et de ses débuts dans le ministère.

 

[Entre le 8 et le 20 décembre 1594.]

 

            Monsieur [mon Reverend Pere],

 

            Je fays tant d'estat de lhonneur que j'ay eu a Padoue d'estre receu en roole avec vos enfans spirituelz, que je penserois avoir faict une perte signalëe si j'estois rayé de ce nombre. Pour me nourrir en vostre memoyre [et] [104] conserver ce bien pour moy, je vous ay voulu addresser ceste lettre comm'une humble requeste, pour vous supplier m'entretenir tousjours en la faveur laquelle une foys vous m'avies accordëe, n'ayant rien faict des lors qui m'en puysse priver, sinon que ce fut d'avoir tant attendu de vous escrire et salluer. En quoy, le peu d'asseurance que j'avoys du lieu ou vous esties et le respect que je dois a vos occupations me pourroit beaucoup excuser, puysque je n'ay pas layssé de demander a toutes occasions de vostre santé, tant quil y a quelques moys que j'en eus des nouvelles par le P. Jean Lorrini. Mays le seul souvenir de vostre bonté m'en promet un total pardon.

            Et au reste, pour vous rendre quelque conte du vostre despuys que je suys de retour d'Italie, je me suys tellement faict ecclesiastique que j'ay celebré Messe le jour de saint Thomas l'Apostre dernier, en nostre eglise cathedrale de Saint Pierre de Geneve, ou je suys indigne Prævost, qui est la premiere dignité apres l'episcopale, et, par le commandement de mon Evesque, des demy annee en ça j'ay praesché icy et ailleurs parmi le diocæse la parole de Dieu ; en quoy je m'accuseroys bien fort de temerité si l'obeissance ne m'en avoit osté le scrupule. [105] C'est ce que j'ay faict et que je fays encores le mieux que je scay, vous portant bien souvent avec moy en imagination en chaire. Pleut a Dieu seulement que j'y portasse quelque mediocrité de vos perfections pour le service [de] sa divine Majesté, laquelle je prie continuer longuement en santé Vostre Paternité, a laquelle baysant les mains, je demeureray

            tres humble filz et serviteur.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. le Chanoine Collonges,

aumônier de la Visitation de Chambéry. [106]

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Année 1595

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XLII. Au sénateur Antoine Favre (Minutes inédites). Commencement de la rédaction des Controverses.

 

Vers la fin de janvier 1595.

 

            Et reipsa mihi nunc id faciendum est quod per jocum dixeram, gallice scribendum est mihi, Frater. Nam cum inter cænandum cognoverim Tovaysium hunchac ipsa nocte ad vos discessurum, non possum [hora] profecta graviter hispanico more scribere. Satis illud quidem est superque, graviter me admodum et moleste ferre recentem hunc meum a te discessum ; post suaves illos dies omnia deinceps mihi noctis instar esse [107] videntur. Sic graviter ego sentio qui tam leviter scribo…

            Sperabam, mi Frater, ad te aliquid nunc rerum nostrarum transmittere ; verum satius, mutato consilio, duxi ut expectarem donec aliquod possint corpus constituere, quam ea membratim exponere ; neque vero sum adeo diligens ut extra limina pedem adhuc posuerim, variis aliis distentus occupationibus. Scripseram tamen nudiustertius litteras quas Tovaysio ad te perferendas darem ; at ille, contra quam promiserat, non accepit. Mirum ergo non fuerit si, quod per jocum nuper dixeram, nunc reipsa gallice scribendum mihi sit ; cum enim Servetanus noster jam discedat et de hæreticorum hujus temporis instabilitate Meditationes animo volvam, vix quidem fieri posse reor ut graviter hispanico more scribere possim. Sentio tamen graviter et moleste recentem hunc meum [108] a te discessum. Sed tu, mi Frater, inter tuam fabram Benedictam clarissimam, tuosque omnes fabros et fabritios, bene vale et me quod facis ama.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. l'abbé Paul Waille, à Poligny.

 

 

 

            Je dois de fait maintenant écrire à la française, comme je vous le disais dernièrement, mon Frère, par manière de plaisanterie, car j'ai appris seulement pendant le souper que Thovex doit retourner vers vous cette nuit même. Je ne puis à une heure si tardive écrire gravement à l'espagnole. C'est assez, et même trop, de ressentir avec une peine très vive mon récent éloignement de vous. Après ces jours délicieux, toutes choses sont pour moi [107] comme la nuit. Aussi je sens péniblement, moi qui écris si légèrement…

            J'espérais, mon Frère, vous envoyer dès maintenant quelque chose de notre travail ; mais, changeant d'avis, j'ai résolu d'attendre qu'il formât pour ainsi dire un corps, plutôt que de vous le soumettre pièce à pièce. Aussi bien suis-je si peu diligent que, partagé entre diverses autres occupations, je n'ai pas même bien commencé. Je vous avais cependant écrit avant-hier une lettre que Thovex devait vous porter ; mais contre sa promesse il n'est pas venu la prendre. Vous ne vous étonnerez donc pas si, comme je vous le disais récemment par manière de plaisanterie, je dois maintenant de fait écrire à la française. Notre ami de la Servette est sur le point de partir ; d'autre part je roule en mon esprit des Méditations sur les mutations des hérétiques de notre temps. Je ne vois donc pas la possibilité d'écrire gravement à l'espagnole. Ce que je ressens, ce qui me peine gravement c'est mon récent éloignement de vous. [108] Quant à vous, mon Frère, portez-vous bien en la compagnie de votre illustre artisane Benoîte et de tous vos artisans grands et petits, et aimez-moi comme vous le faites.

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XLIII. Au même (Minute inédite). Ingénieuses excuses pour un silence trop prolongé.

 

Forteresse des Allinges, février 1595.

 

            Tantæ me sane pudet tarditatis, qui suavissimis illis litteris quibus meas expectabas hactenus non satisfecerim. At vero in tanta temporis opportunitate, moram hanc culpa purgare non aliter difficile fuit apud te, virum tam religiosum, quam si agnoscere culpam nolim. Hoc enim pœnitentiæ solemni tempore, etiamque committendo in te peccassem, dimitteres ; ergo veniam omissorum impetrare facile posse me extimavi. Mora est, fateor, et quæ culpa non careat ; ea tamen ex parte [109] excusationem aliquam habeo, quod me tantopere tuæ delectant litteræ, ut quamvis continua confractatione detrimentum charta sentiat, novara tamen mihi quotidie suggerant voluptatem qua mihi recentes subinde videantur esse, maxime cum nullam temporis habeant notam. Quod autem inter milites pacem dilexisti, strenuum te præstas militem ; sic enim monet Augustinus : Uspiam « pacem habere debet voluntas, bellum necessitas. » Cum ego conditiones quaslibet a te ultro recipere sum paratus, ignosce.

            Vale in Christo, vir clarissime.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation.

 

 

 

            Je suis très confus d'avoir tant tardé jusqu'ici de répondre à votre aimable lettre par laquelle vous réclamiez la mienne. Mais dans ce temps vraiment favorable, m'adressant à un homme si pieux, il n'y aurait de difficulté à obtenir le pardon de ma faute en ce retard que si je refusais de l'avouer. En effet, j'ai pensé que dans ce temps solennel de pénitence où vous me remettriez même les péchés commis contre vous, j'obtiendrais facilement grâce pour les omissions. Le retard existe, je le confesse, et il n'est pas sans coulpe ; mais voici une raison qui m'excuse un peu. Vos lettres me sont si agréables [109] que, bien que le papier en soit tout endommagé par un continuel maniement, je trouve chaque jour tant de charme à les relire qu'elles me paraissent toujours récentes, surtout lorsqu'elles ne sont pas datées. En somme, parce que vous avez aimé la paix au milieu des guerriers, vous vous montrez bon soldat. C'est ce qu'enseigne saint Augustin : « Nous devons vouloir la paix toujours, et la guerre seulement quand elle est nécessaire. » Puisque me voilà prêt à recevoir toutes les conditions que vous voudrez m'imposer, oubliez tout.

            Adieu dans le Christ, très illustre Ami.

 

XLIV. Au même (Minute inédite). Difficultés qu'offre la rédaction des Controverses.

 

Forteresse des Allinges, milieu de février 1595.

 

            Scribam nunc brevius, mi Frater, quam ingens illa lataque voluptas quam ex tuis ultimis litteris sensim [110] exposcat. Ergo quod optas, priores mei in hæreticos operis paginas videre, ego quoque summopere desidero, nec prius qua par est alacritate in hostium cuneos signa inferam quam tu consilium meum ac ordinem modumque certandi probaveris. Verum operis [gravitatem percipio], nec eas habeo copias auxiliares quarum ope fretus negotium premere possim, libris careo mihi necessariis, hoc est, homini memoria exiguam admodum servanti rerum supellectilem.

            Incœpi tamen, et ita incœpi ut paulo difficilius sit quam credideram ad exitum rem deducere ; « dulce » bellum « inexpertis. » Quamprimum commode fieri poterit nonnulla videbis. Quod reliquum est Quadragesimæ Tononi transigam ; id et re mea est. Guichardo nostro tandem conscientia adactus litteras dedi, idque raptim, qui colloquiis de re Christiana et concioni cæteram diem [111] insumpsi. Sic enim te quid etiam singulis agam horis scire vellem.

            Bene vale, mi Frater.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation.

 

 

 

            J'écrirai maintenant, mon Frère, plus brièvement que ne le demanderait le grand et immense plaisir que m'a fait éprouver votre [110] dernière lettre. Vous désirez voir les premières pages de mon ouvrage contre les hérétiques ; je le désire aussi extrêmement, et je ne porterai pas mes enseignes dans les rangs de l'ennemi avec toute l'ardeur que mérite cette cause, avant que vous ayez approuvé mon dessein, le plan de la bataille et la tactique adoptée. Mais je sens la difficulté de l'entreprise, et de plus, il me manque les troupes auxiliaires dont j'aurais besoin : je veux dire les livres nécessaires à un homme qui ne garde en sa mémoire qu'un très petit bagage de connaissances.

            J'ai cependant commencé, et commencé de telle façon qu'il sera un peu plus difficile que je ne pensais de mener mon affaire à bonne fin. La guerre « est douce à qui n'en a pas l'expérience. » Aussitôt qu'il se pourra facilement faire, vous verrez quelque chose de mon travail. Je vais passer à Thonon le reste du Carême ; c'est ce qui me paraît être le meilleur. Pressé par ma conscience, j'ai enfin écrit à notre Guichard, mais à la hâte, ayant employé la première partie de la journée à des conférences sur la doctrine chrétienne et à un [111] sermon. Je vous le dis parce que je voudrais que vous fussiez instruit de ce que je fais à toute heure du jour.

            Adieu, mon Frère.

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XLV. Au même (Inédite). Détermination de lutter intrépidement contre l'hérésie. — Avis du P. Chérubin pour assurer le succès de la mission.

 

Thonon, 7 mars 1595.

 

Antonio Fabro, viro clarissimo, Franciscus De Sales salutem dicit.

 

            Incœperam jam tum ex tuo ad Sebusianos discessu dolere, cum ex nota temporis cognovi te tunc cum litteras tuas accepi rediisse. Verebar enim ne charissimæ patriæ miseriam corde tuo illo piissimo exceptam paullo [112] durius, uti solemus qui nihil a nobis humani alienum putavimus, sustineres, videndo quam audiendo.

            Quod dum ita cogito, oculum in quemdam librum conjicio, cujus ea linea mihi primum occurrit : « Nemo læditur nisi a seipso. » O sententiam hisce temporibus peropportunam et magno Chrisostomo dignam, cujus homilia quædam, quod omnium optime nosti, clarissimo hoc frontispicio illustris est. Enimvero, tam solemni admonitione me meamque omnem illam de te solicitudinem immaturam dissolvi quam primum sensi, quonamque vento ii animi mei motus excitabantur. Noveram te, mi Frater, rerum omnium mortalium et temporum accurata observatione ac despectione, immortalium et æternitatis expectatione et amore, ejus qua te natura donavit animi fortitudinis numeros omnes absolvisse ; quibus præsidiis munitum ulla te harum rerum inferiorum mutatione lædi posse, inane sane fuit et debilis ingenii commentum. Lædebar ego a meipso, qui ideo lædebar quod te lædi existimarem. Si quis enim unquam utilitatis ex adversis capiendæ modum cognoverit, si [113] quis attrita et lacerata tempora resarcire unquam potuerit, id a te (senatore dicamne an veterano fabro ?) fuit expectandum.

 

« Dabit Deus his quoque finem ;

... et hæc olim meminisse juvabit. »

 

Lædebar ego a meipso qui ideo lædebar quod tu quoque lædi putarem, cum primos hos animorum motus ratione antevertere fabri sit non tyronis.

            Cæterum ad Tononienses tandem descendi ; hastam moræ tædio excitatissimam hostis expectet. Cum enim ex arce velut eminus impetitus conditiones justas neglexerit, cominus nunc extremum impetum faciam ; potior est numero at nos causa. Hi in curribus et hi in equis, nos autem in nomine Domine sperabimus ; si tamen inter rodomontia Davidis verba recte sequantur. [114]

            Frequentioribus concionibus impedior quominus justam operam possim impendere Meditationibus nostris in hæreticos. Non sum nescius, mi Frater, quantopere te meæ litteræ delectent; id enim facile ex ea qua tuæ me vivissima afficiunt voluptate conjicio. Quo fit, licet omnem scribendi nimium idoneam arripiam occasionem, [nunquam tamen dixisse] et scripsisse sat est.

            Accepi hodie litteras a R. P. Cherubino nostro, qui inchoatum hoc opus promovendi sua industria et opera se summo desiderio teneri scribit, ac ita nos ad illud hortatur, ut interim si a primo, secundo vel tertio servo ad nuptias invitati noluerint venire, quartus demum sit advocandus qui compellat intrare. Veniat ergo ipse qui omnium instar esse poterit, ac tum demum succedat quartus. Non miror sane si tam frigido invitatore qualis sum non veniant; at si ab aliquot spectatissimis viris accersiti venire recusent, ego vero tunc in sententiam P. Cherubini descendere non recusabo. At hæc animi gratia dicta sint, cum ego, nec vi ulla ingenii neque [115] aliqua scientia sed patientia fretus, in hanc arenam venerim: Expecta, reexpecta, manda, remanda, utinam, quod sequitur apud Isaiam, non vadant et cadant retrorsum et confringantur.

            Cæterum, velim a te scire quonam [modo] latine exprimere possim commissaire des guerres ; et num procurator Principis idem sit quod procurator fisci ? vel enim id antea numquam scivi, vel servisse non memini. Etsi enim recuperatores Præfecti et cætera id genus nomina viderim, non tamen mihi constat num huic significationi pressissime conveniant. Hæc expecto.

            Jamque vale, et Christum habeto propitium, cum omnibus fabris et fabritiis.

            Tononi, non. Martii 95.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation. [116]

 

 

 

Au très illustre Antoine Favre, François de Sales présente ses salutations.

 

            Je commençais à m'affliger de votre départ pour la Bresse, lorsque j'ai vu, par la date de votre lettre, que vous étiez de retour au moment où je la recevais. Je craignais en effet que, selon notre habitude de ne regarder comme étranger à nous-mêmes rien de ce qui touche [112] l'humanité, votre cœur si tendre eût un peu plus de peine à supporter la vue des misères de notre chère patrie qu'à en entendre le récit.

            Pendant que je suis dans ces pensées, mes yeux tombent sur un livre dont je remarque tout d'abord cette première ligne : « Nul n'est blessé que par soi-même. » O maxime bien propre à notre temps et digne du grand Chrysostome, dont une certaine homélie, vous le savez mieux que personne, est illustrée par ce célèbre frontispice. En présence d'un avertissement aussi solennel, j'ai senti s'évanouir aussitôt toute la sollicitude prématurée qui avait d'abord agité mon cœur à votre sujet. Je le savais, mon Frère : par l'observation attentive et le mépris des choses périssables du temps, par l'attente et l'amour des biens incorruptibles de l'éternité, vous avez porté jusqu'au dernier degré de perfection cette force d'âme dont la nature vous a gratifié. Supposer que, si bien protégé et défendu, vous pouviez être blessé par quelque changement survenu dans les choses d'ici-bas, ce ne pouvait être que vaine imagination d'un esprit faible. J'étais donc blessé par moi-même, moi dont la blessure venait de ce que je vous croyais blessé. Si quelqu'un a jamais su le moyen de [113] mettre à profit l'adversité, si quelqu'un a jamais pu remédier aux ruines et aux désastres de son époque, c'est de vous (dois-je dire sénateur ou bien artisan expérimenté ?) qu'il faut attendre cela.

 

« Dieu mettra encore un terme au malheur présent ;

... et un jour ce souvenir ne sera pas sans charmes. »

 

J'étais blessé par moi-même, moi qui l'étais parce que je vous croyais aussi blessé ; c'est qu'il appartient non à un apprenti, mais à un artisan de prévenir par la raison ces premiers mouvements de l'âme.

            Enfin je suis descendu à Thonon ; que l'ennemi s'attende à une lance très excitée par l'ennui du retard. Attaqué des hauteurs lointaines de ma citadelle, il a méprisé de justes conditions ; maintenant je lui livrerai de près le dernier assaut. Il l'emporte par le nombre, nous l'emportons par la cause. Ceux-ci se confient dans des chariots et ceux-là dans des chevaux ; mais nous, c'est dans le nom du Seigneur que nous espèrerons, si toutefois les paroles de David peuvent être citées au milieu de ces rodomontades. [114]

            Des prédications plus nombreuses m'empêchent de donner à nos Méditations contre les hérétiques toute l'attention qu'il faudrait. Je n'ignore pas, mon Frère, combien mes lettres vous sont agréables ; je le devine en effet facilement, puisque les vôtres me causent un si vif plaisir. D'où il suit que, nonobstant mon grand empressement à saisir toute occasion favorable d'écrire, [je ne crois jamais] avoir assez écrit.

            J'ai reçu aujourd'hui une lettre de notre R. P. Chérubin. Il m'écrit qu'il a un très ardent désir de donner à l'œuvre commencée ici une plus grande impulsion par son industrie et son action personnelles, et voici ce qu'il nous recommande : Si ceux qui sont conviés à la noce refusent l'invitation d'un premier, d'un deuxième, d'un troisième serviteur, il faut en appeler un quatrième qui les force à entrer. Qu'il vienne donc lui-même, qui vaudra tous les autres ensemble, et qu'un quatrième lui succède enfin. Je ne m'étonne pas qu'ils refusent de venir sur l'invitation d'un homme aussi froid que je le suis ; mais s'ils refusaient encore après avoir été appelés par des hommes qui ont bien fait leurs preuves, alors je n'hésiterais pas à adopter le sentiment du P. Chérubin. Ceci soit dit par plaisanterie, car ce n'est pas en [115] comptant sur la force de mon esprit, ni sur aucune science, mais sur la patience, que je suis descendu dans l'arène. Attends, attends encore ; commande, commande encore ; et plaise au ciel, pour continuer à employer les paroles d'Isaïe, qu'ils ne se retirent pas, qu'ils ne tombent pas en arrière et qu'ils ne se brisent.

            Encore un mot : je voudrais apprendre de vous comment il faut traduire en latin commissaire des guerres, et si procureur du Prince a la même signification que procureur fiscal. Je n'ai jamais su cela, ou, si je l'ai su, j'en ai perdu le souvenir. J'ai bien vu l'expression de recuperatores Præfecti, et autres semblables, mais ces titres répondent-ils très exactement à ce sens ? J'attends votre réponse.

            Adieu, et que le Christ vous soit propice, ainsi qu'à vos grands et petits artisans.

            Thonon, le 7 mars 1595. [116]

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XLVI. A Monsieur de Boisy son père. Courage invincible en face des dangers que présente la mission du Chablais.

 

Thonon, milieu de mars 1595.

 

            Monsieur mon tres honnoré Pere,

 

            Si Roland estoit vostre filz aussi bien qu'il n'est que vostre valet, il n'auroit pas eu la couardise de reculer pour un si petit choc que celuy ou il s'est trouvé, [117] et n'en feroit pas le bruit d'une grande bataille. Nul ne peut douter de la mauvaise volonté de nos adversaires ; mays aussi vous faict on tort quand on doute de nostre courage. Par la grace de Dieu, nous sçavons que celuy qui perseverera sera sauvé, et que l'on ne donnera la couronne qu'a celuy qui aura legitimement combattu, et que les momens de nos combatz et de nos tribulations operent le prix d'une gloire eternelle.

            Je vous supplie donq, mon Pere, de ne point attribuer ma perseverance a la desobeyssance, et de me regarder tousjours comme

 

            Vostre filz le plus respectueux.

 

Revu sur un ancien. Manuscrit de l'Année Sainte de la Visitation,

conservé au Monastère d'Annecy.

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XLVII. A Monseigneur Claude de Granier, Évêque de Genève. Difficulté et lenteur des conversions.

 

[Thonon, vers le commencement d'avril 1595.]

 

            Monseigneur,

 

            Si vous desires de sçavoir, comme il est convenable que vous le sçachies, ce que nous avons faict et ce que nous faisons maintenant, vous le trouveres tout en la lecture des Epistres de saint Paul. Je suis indigne d'estre mis en comparayson avec luy, mais Nostre Seigneur sçait fort bien se servir de nostre infirmité pour sa [118] gloire. Nous marchons, mais a la façon d'un malade qui, apres avoir quitté le lict, se trouve avoir perdu l'usage de ses piedz et, dans son infirme santé, ne sçait s'il est plus sain que malade.

            C'est la verité, Monseigneur, ceste province est toute paralytique, et devant qu'elle puisse marcher, je pourray bien penser au voyage de la vraye patrie. Une pieté semblable a la vostre me peut obtenir ce que je ne meriteray jamais. Je suis pecheur, et rien plus, indigne tout a faict des graces que Dieu espanche sur moy. Vous le sçaves plus que tous, Monseigneur, aussi bien que ceste verité, que toutes choses me rendent plus fort de jour en jour,

            Vostre tres humble et tres obeissant filz et serviteur.

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XLVIII. Au père Antoine Possevin, de la Compagnie de Jésus (Minute). Témoignages de reconnaissance et désir d'une prochaine entrevue. — Etat des affaires religieuses en Chablais. — Nouvelles intimes.

 

Thonon, commencement d'avril 1595.

 

            Monsieur mon Reverend Pere,

 

            Je ne vous sçaurois dire, et ne sçay si vous sçauries croire, combien j'ay receu de consolations de vostre lettre, car il y a longtems que je desirois infiniment d'estre [119] asseuré de vostre santé ; mays en avoir l'asseurance de vous mesme, et de si pres comme je l'ay eue, je ne l'eusse pas osé si tost esperer. J'en loue Dieu mille fois, et vous remercie tres humblement de la souvenance que vous daignés avoir de si peu de chose que je suys et du desir que vous aves de me voir, que je ne pense pas pouvoir estre plus grand que celuy que j'ay de jouir de vostre præsence, quoy qu'on die que l'amitié descend plus vistement qu'elle ne monte. Et si ce n'estoit que je suys icy engagé en un jeu ou qui la quitte la perd, je me serois desja rendu par devers vous ; ce que je me prometz de faire, Dieu aydant, plus tost que je ne vous puys promettre et non jamays si tost que je souhaitteroys. Si ne veux je pas m'en remettre du tout a ce tems la de vous dire de mes affaires spirituelz.

            Monsieur le senateur Favre, mon frere, vous aura bien dict, a ce que je voys, comme je suys venu en ce païs, voyci desja le septiesme moys. Et toutefois, ayant presché en ceste ville ordinairement toutes les festes, et bien souvent encor parmi la semayne, je n'ay jamays esté oùy des huguenotz que de troys ou quatre qui sont venuz au sermon quatre ou cinq fois, sinon a cachetes, par les portes et fenestres, ou ilz viennent presque tous-jours, et les principaux. Ce pendant je ne perds point d'occasion de les accoster ; mays une partie ne veulent pas entendre, l'autre partie s'excuse sur la fortune quilz courroyent quand la trefve romproit avec Geneve, silz avoyent faict tant soit peu semblant de prendre goust aux raysons catholiques ; qui les tient tellement en bride quilz fuyent tant quilz peuvent ma conversation. Neant-moins il y en a quelques uns qui sont desja du tout [120] persuadés de la foy ; mays il ni a point de moyen de les tirer a la confession d'icelle pendant l'incertitude de l'evenement de ceste trefve. C'est grand cas combien de pouvoir a la commodité de ceste vie sur les hommes. Et ne faut pas penser d'apporter aucun remede a cela, car de leur apporter en jeu l'enfer, la damnation, ilz se couvrent de la bonté de Dieu ; si on les presse, ilz vous quittent tout court. Et cest'occasion seule me prive pour quelques jours du bien que je recevray de vous ouyr, parce que Son Altesse ayant un gentilhomme en Suysse qui doit bien tost revenir, si par fortune il apportoyt point de bonnes nouvelles, je pourrois, me trouvant icy, fair'esclorre ceste foy secrette. Quand aux vilages il ni aura pas grand peyne.

            J'en dis trop, a vous qui sçaves bien de quell'estouffe doit estre la resolution qui faict abandonner le soucy des biens de ce monde et de la famille. C'est tout ce qu'on peut faire que de faire garder aux Catholiques naiz et nourrys, leur foy a ce pris la. Au reste, tous les benefices de ce pais sont es mains des seculiers, ou bien peu s'en faut ; on attendoit que leurs Altesses en fissent lascher quelques uns pour l'entretenement de quelques prædicateurs, mays nous en sommes encor là, sans autre ordre que celuy que le Gouverneur y a mis par provision.

            Au reste, j'ay icy quelques parens et d'autres qui me portent respect pour certaynes raysons particulieres que je ne puys pas resigner a un autre ; et c'est ce qui me tient du tout engagé sur l'œuvre. Je m'y fascherois desja beaucoup, si ce n'estoit l'esperance que j'ay de mieux ; outre ce, que je sçay bien que le munier ne perd pas tems quand il martelle la meule. Aussy seroit il bien dommage qu'un autre employast icy sa peyne pour neant, qui pourroit faire plus de fruict ailleurs que moy, qui ne suys encor gueres bon pour præcher autre que les murailles, comme je fais en ceste ville.

            Voyla ce que pour cest'heure je puys escrire, me reservant de vous dire le reste a bouche plus seurement et bien tost, Dieu aydant, quand vous me favoriseres de vos saints conseilz et instructions, qui ne seront jamays [121] recueillys plus humblement et affectionnement que de moy. Je prie Nostre Seigneur quil vous conserve longuement pour son service, et demeure,            Monsieur mon Reverend Pere,

            Vostre tres humble filz et serviteur.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Turin.

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XLIX. Au sénateur Antoine Favre. Eloge d'un ouvrage du P. Possevin. — Motifs qui retardent la conversion de Pierre Poncet. — Présents des PP. Possevin et Chérubin. — Encouragements reçus d'un ami au sujet de la mission.

 

Thonon, 11 avril 1595.

 

Clarissimo Senatori Antonio Fabro, Fratri suavissimo, Franciscus De Sales salutem dicit.

 

            Dicamne, mi Frater, quanta animi voluptate tuas litteras et clarissimi viri Antonii Possevini nudius tertius exceperim ? Et cum alterius seorsim recordatio sola animum omnem delectare posset et soleret, quid quæso non recordatio solum, sed utriusque erga me tantum benevolentiæ pignus effecerit ? Epistola per se scribentis [122] quædam effigies manualis est ; at in selecto illo libello de Poësi et Pictura, tam genuina est Possevini effigies, ut non in messem alienam miserit manum qui tam eleganter et graphice seipsum representant et pinxerit ; ac nihilo fere minus se libello mihi præsentem exhibeat quam ipsissima præsentia tibi. Ob id tamen nollem existimes minori me teneri ejus in se videndi desiderio quod ex libro viderim ; quin tam jucundo invitamento ipse acuitur appetitus. Nihil est in hac mea oblectatione durius quam quod in id tempus ceciderit quo mihi, per aliquot saltem dies, fixo pede in hoc agro sit permanendum.

            Nam tandem aliquando albescunt aliquot hujus tantæ messis spicæ, quæ si tempore tam incommodo non [123] tempestive colligantur, verendum est ne ventis maxime aquilonaribus (nam ab aquilone, ut est in Prophetia, omne malum panditur) vehementius iis in terris flantibus, rectæ fidei grana disjiciantur. In iis est Petrus Poncetus jurisconsultus doctus et vir bonus, qui cum jampridem de præsentia corporis Christi in Eucharistia recte sentiret, etsi in quamplurimis turpissime erraret, a scola Calviniana quæ in tanto Sacramento falleret et falleretur abduci se facile passus est ; ad caulas vero Catholicas redire peculiare fuit negotium. Quod tamen nunc facere se debere fatetur ; sed rei familiaris perdendæ timor, antiquorum amicorum objurgatio, induciarum incerta duratio, currenti alioquin compedem injiciunt. [124] « Per calcatum perge patrem, et ad Crucis vexillum evola, » Beati Hieronymi sententia, si unquam alibi, hic imprimis locum habet, sed plus æquo verum est vetus dictum : « Morbos equites venire, pedites abire. » Ergo oh primi hujus et septimestris partus dolores subsisto ; mox eo velocius iturus quo nullis unquam aculeis patientia mea tentata fuit acrius quam hac tam morosa mora. Tarditatem suavitas compensabit.

            Interim nolo te lateat clarissimorum PP. Possevini et Cherubini nostri erga me concursus animorum. Misit [125] hic icunculam Virginis Matris Christum Infantem dormientem adorantis. Ego cum nihil propemodum aliud hic oculis reficiendis haberem, identidem præ manibus charum piumque munus amantissimi viri sumebam. Ille vero libellum perelegantem, quem dum primum aperio, næniola venustissima Virginis ad Christum Infantem Horatii Torcellini sese objicit. Hic ergo picturam pictam et dictam, ille picturam veram et factam dedit. Alter oculos templorum solitudine et vastitate obtusos oblectavit, alter aures dudum horrendis blasphemiis tinnientes recreavit ; quo nimirum ambo tam sanctis piisque munusculis pro sua erga me benevolentia altius mentis mes oculis Christum Dominum imprimerent. Quorum tu mihi bonorum author cum sis, quid concludam tu ipse cogita. [126]

            Eques Compesius vestras attulit litteras, ac me simul cumulatius iisce de rebus Christianis sperare jussit, nescio quibus, faustis quidem si veris, prædictionibus ; quibus, cum vir sit summe Catholicus et Sabaudus, ipse facillime credit, ac adeo me uti crederem vehementissime compulit. Is idem has nostras ad te perferendas curabit, et alias a te item ad me referendas si voles. Hermentianus Baro te quam impensissime salutat.

            Bene vale, et ne suam erga me benevolentiam remittat P. Possevinus, ut facis, cura, et Christum habeto propitium.

            Tononi, 3 idus Aprilis 95.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Enghien (Belgique), chez les RR. PP. Jésuites, maison Saint-Augustin. [127]

 

 

 

Au très illustre Sénateur Antoine Favre, son très doux Frère, François de Sales présente ses salutations.

 

            Dirai-je, mon Frère, avec quelle joie intime j'ai reçu avant-hier votre lettre et celle du très digne P. Antoine Possevin ? Si le seul souvenir de l'un de vous séparément suffît d'ordinaire pour délecter toute mon âme, qu'en a-t-il été, je vous le demande, non du souvenir seulement, mais de ce gage précieux de la bienveillance de l'un et [122] de l'autre à mon égard ? Une lettre est déjà comme un portrait de celui qui écrit ; mais l'image de Possevin est si naturelle dans ce charmant ouvrage de la Poésie et de la Peinture que, pour se représenter et se peindre soi-même avec tant de grâce et d'exactitude, il n'a certainement pas emprunté les pensées d'autrui. Il ne m'est guère moins présent par cet écrit qu'il ne vous l'est en réalité. N'allez pas croire cependant que, pour l'avoir vu dans son livre, j'éprouve un désir moins vif de le voir en personne ; au contraire, l'appétit est aiguisé par un si agréable alléchement. Une seule chose m'est pénible dans cette jouissance, c'est qu'elle m'est offerte en un temps où je dois rester de pied ferme dans ce champ, au moins pour quelques jours.

            En effet, voici enfin que commencent à jaunir quelques épis de cette grande moisson, et si, à cette époque malheureuse, je ne les [123] recueillais à temps, il serait à craindre que les grains de la vraie foi ne fussent dispersés, surtout si le vent du nord venait à souffler plus fort en ces quartiers ; car tout mal vient du côté de l'aquilon, selon l'expression du Prophète. Au nombre des épis dont je parle, est Pierre Poncet, savant jurisconsulte et cœur droit. Malgré ses erreurs grossières sur presque tous les points de notre croyance, il avait depuis longtemps des idées justes sur la présence réelle du corps de Jésus-Christ dans l'Eucharistie ; ainsi ce fut chose aisée de le détacher de la secte de Calvin, laquelle se trompe et trompe les autres en ce qui concerne cet auguste Sacrement. Mais il fut plus difficile de le faire rentrer au bercail de l'Eglise. La crainte de la perte de ses biens, les reproches des amis, l'incertitude de la durée des trèves, tout se réunit pour entraver sa conversion. Si jamais on put [124] appliquer ailleurs le conseil de saint Jérôme : « Foulez aux pieds votre père et courez vous réfugier sous l'étendard de la Croix, » c'est bien ici en particulier le cas de le faire. Mais le vieux proverbe est également vrai : « Le mal vient à cheval et s'en retourne à pied. » Je m'arrête donc ici à cause des tranchées de cet enfantement qui arrive au septième mois. Je m'échapperai bientôt, d'autant plus vite que jamais ma patience n'a été mise à plus cruelle épreuve que par cet ennuyeux retard. Le plaisir compensera la longueur de l'attente.

            Cependant je ne veux pas vous laisser ignorer avec quelle unanimité de sentiments les PP. Possevin et Chérubin m'ont prévenu. [125] Celui-ci m'a envoyé une image de la Vierge Mère adorant l'Enfant Jésus qui dort. Comme je n'ai ici presque aucun autre objet pour reposer ma vue, je me plais à prendre en main de temps en temps ce cher et pieux présent d'un très tendre ami. De Possevin j'ai reçu un livre magnifique, et, à peine l'ai-je ouvert, que j'y trouve la charmante berceuse de la Vierge Mère au Christ enfant, composée par Horace Torsellini. L'un m'a donc donné un portrait parlé, l'autre, un portrait véritable et naturel. L'un a charmé mes yeux, que fatigue la vue de nos temples déserts et ruinés, l'autre a récréé mes oreilles, continuellement étourdies par d'horribles blasphèmes. Ainsi, par leurs présents si pieux et si saints, tous les deux, remplis de bienveillance à mon égard, impriment plus profondément Jésus-Christ dans mon cœur. Pensez vous-même quelle conclusion je tirerai de ceci par rapport à vous qui êtes l'auteur de ces biens. [126]

            Le chevalier de Compois m'a apporté votre lettre et m'a exhorté à concevoir de meilleures espérances de nos affaires religieuses. Il se fonde sur je ne sais quelles prédictions, favorables assurément si elles sont vraies. Comme c'est un homme éminemment catholique et savoyard, il y croit lui-même très facilement et a fortement insisté auprès de moi afin que je croie aussi. Ce même chevalier se chargera de vous porter cette lettre et, si vous le voulez, de m'en rapporter une autre de vous. Le baron d'Hermance vous salue affectueusement.

            Adieu, veillez, comme vous le faites, à ce que le P. Possevin ne diminue rien de sa bienveillance à mon endroit. Que le Christ vous soit propice !

            Thonon, le 11 avril 1595. [127]j

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L. Au même (Minute). L'avocat Poncet promet d'abjurer prochainement le protestantisme.

 

Thonon, vers le 15 avril 1595.

 

            Quod non ad dictam diem servum suum in urbem miserit eques Compesius, alia via litteras ad te et ad P. Possevinum nuperrime perferendas curavi ; at cum nunc idem ipse iter conficiat, noluit propter moram sine meis ad te litteris proficisci ac ea occasione salutandi te destitui. Et qua est statura et voce, ut vides, rodomontea, non ausus sum omnino negare inermis homuncio ; quamvis nihil aliud habeam quod iterum scribam, præsertim sic ex tempore, quam Poncetum, de quo superioribus, jam promisisse se in verba Ecclesiæ Catholicæ palam paulo post juraturum, [ac primo] quidem Compesio, [128] qui id ab eo primum expressit, ipsaque eadem hora mihi. Qua in re videbis verbis militaribus non parum sibi gralulari hunc nostrum equitem, quod meam hanc lætitiam anteverterit.

            Cæterum P. Possevinum Neciine an Chamberii malim videre, difficile dixerim, nisi tu utrimque adsis. Sed Neciensibus diem dicere debeo, ut si, qua est in me humanitate, venire volet, expectent in ipso itinere medio, ne tanti viri visitatione priventur. Salutat te...

 

Revu sur l'Autographe conservé à Enghien (Belgique), chez les RR. PP. Jésuites, maison Saint-Augustin. [129]

 

 

 

            Comme le chevalier de Compois n'a pas envoyé son serviteur en ville au jour convenu, j'ai eu soin d'expédier tout récemment par une autre voie des lettres pour vous et pour le P. Possevin. Mais le chevalier lui-même se mettant en route maintenant, n'a pas voulu partir sans une lettre de moi, afin de n'être pas privé, à cause de son retard, d'une occasion de vous saluer. Et parce qu'il a, comme vous voyez, une stature et une voix de géant, je n'ai pas osé refuser tout à fait, moi petit homme sans défense, bien que, pris ainsi à l'improviste, je n'aie rien de nouveau à vous écrire, si ce n'est que Poncet, dont je vous ai parlé dans ma dernière lettre, a maintenant promis de faire publiquement profession de la foi catholique d'ici à peu de temps. Cette promesse fut faite d'abord à Compois, qui la lui extorqua en premier [128] lieu, puis à moi sur l'heure même. Vous verrez que notre chevalier, avec son langage militaire, ne se vante pas peu de m'avoir devancé dans la joie de cette conversion.

            Au reste, il me serait difficile de dire si j'aime mieux voir le P. Possevin à Annecy ou à Chambéry, si vous n'êtes pas en l'un et l'autre endroit. Mais je dois prévenir les Annéciens du jour de son arrivée, afin que, si sa bienveillance pour moi le décide à venir, ils ailllent l'attendre à mi-chemin et ne soient pas privés de la visite d'un tel homme… vous salue… [129]

 

LI. Au même (Minute). Arbitrage du Sénateur réclamé par le Chapitre de Genève et un ecclésiastique qui demande à en faire partie.

 

Annecy, [mai] 1595.

 

            Facient sua negligentia, mi Frater, quibus ad te litteras meas extremas perferendas dederam ut et has simul accipias. Porterio huic nostro cum quodam sacerdote nomine Capituli negotium coram te forsitan erit. Nimirum vult hic in canonicum haberi, nos repugnamus ; habemus enim Constitutiones decreto Apostolico firmatas quæ cuiquam locum inter nos facere vetant, qui vel nobilis ex utroque parente vel doctor non sit. Solus Pontifex hac nos conscientia potest solvere ; at Pontifex non aliter illi in Bulla canonicatum concessit, quam si ad doctoratum intra annum promoveatur. Horum nihil ab ipso factum est. Nuper cum in Romana [130] Curia conditionis remissionem postularet, repulsam quod certo scimus passus est ; et vult nihilominus canonicus et dici et esse. Martinus Quintus anathemati caput Præpositi, nominatim, et canonicorum objicit si secus consenserint.

            Verum petivit ut te judice controversia hæc finiatur. Nemo recusavit. Quare, cum in Bulla sua, illi nobisque lex dicta sit, eam proferat. Tu judica ; si enim tuta possit fieri conscientia non abnuo, non abnuunt cæteri, imo cupimus omnes eum optimo modo canonicum esse ; vir enim est et doctus et pius. Sed cum in odiosis versemur si Constitutionum nostrarum venerationem, et, si excommunicationis asperitatem spectes, in periculosis, difficile adduci nos ab alio quam a te patiemur, quem non modo ut peritissimum fabrum, sed ut religiosissimum confratrem veneramur.

            Hæc communia ; at ego a te expecto quid de Possevino [131] nostro, nam de Cantore, fratre nostro, et de Girardo a canonico quodam Sebusiano qui nobiscum est audivi. Bene vale, Frater millies suavissime, et Christum habeto propitium.

            Necii, ex Episcopi nostri domo, 95.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy.

 

 

 

            La négligence de ceux que j'avais chargés de vous remettre ma dernière lettre sera cause, mon Frère, que vous recevrez celle-ci en même temps. M. Portier, au nom de notre Chapitre, portera peut-être devant vous une affaire concernant un certain prêtre. Cet ecclésiastique veut être chanoine, mais nous nous y opposons ; car, en vertu de nos Constitutions, confirmées par un décret apostolique, nous devons exclure tout candidat qui ne serait pas noble dans les deux souches ou n'aurait pas le grade de docteur. Le Souverain Pontife seul peut nous délier de cette obligation de conscience ; mais la Bulle par laquelle Sa Sainteté admet ce prêtre au canonicat, stipule expressément qu'il sera reçu docteur dans l'espace d'une année. Le candidat ne se trouve donc dans aucune des conditions voulues, [130] et nous savons qu'ayant sollicité une dispense en Cour de Rome, il a subi un refus. Néanmoins il veut être chanoine et en porter le titre. Martin V menace d'excommunication les chanoines, et le Prévôt nommément, s'ils donnent leur consentement en telle occasion.

            Le postulant a demandé enfin que vous soyez juge en cette discussion. Personne ne s'y est opposé. Ainsi donc la Bulle étant pour lui comme pour nous la base du jugement, qu'il la produise. C'est à vous de décider. Si la chose peut se faire en sûreté de conscience, je n'y mets pas d'obstacle, les autres non plus ; au contraire, nous désirons tous qu'il soit chanoine dans les meilleures conditions, car c'est un homme docte et pieux. Mais nous sommes dans l'odieux, eu égard au respect dû à nos Constitutions, et dans le dangereux si vous considérez le grand malheur d'une excommunication. En conséquence, nous ne voudrions pas voir la question tranchée par un autre que par vous, en qui nous honorons non seulement un très habile artisan, mais un très religieux confrère.

            Voilà ce qui concerne le général. Pour moi, j'attends de vous des [131] nouvelles de notre Possevin, car j'en ai eu du Chantre, notre frère, et de Girard par un certain chanoine de Bresse qui est auprès de nous. Adieu, Frère mille et mille fois très aimable ; que le Christ vous soit propice.

            Annecy, de la maison de notre Evêque, 1595.

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LII. Au même (Minute). Visite à Sales. — Remerciements pour l'envoi de la Centurie premiere de Sonnets.

 

Annecy, 16 mai 1595.

 

            En iterum paululum recedo, mi Frater, mox rediturus ; nam me pater advocat. Nolui tamen pedem movere te [132] inscio, ne si Possevinus veniat quonam loco sim ignorare possitis ; ubi monueris recurram.

            Ero igitur diebus aliquot apud Salesios nostros. Nescio vero debeamne nunc ex equo propemodum de sacra tua poesi mihi tam amice nuncupata gratias agere ; et sane opportunum fuerit, si ex temporis penuria mihi liceat brevius agere quod si semper agam nequidem semel satis egisse videar. Nulli magis pœnitentiam amoremque divinum suadere [occurrit] quam mihi. At hæc fusius cum integrum opus attentius paulo, iis quatuor aut quinque diebus, consideravero ; vix enim aliquot paginas, partim concionibus, partim aliis negotiis abstractus, degustasse licuit ; eramque in officio apud Dominum de Montrotier quod dixeras, cum libellum et litteras a te excepit.

            Accepisti nunc demum credo priores meas, quas utinam Porterius noster habuisset ; retulisset reor responsum [133] de rebus nostris Chablasianis vel promovendis vel removendis ;

 

« Frigida pugnabant calidis. »

 

Sane tandem exceptio locum habebit ; per me non stetit.

            Bene vale, mi Frater, Christumque habeto propitium. Clarissimam sororem, fabrosque nostros et fabritios impensissime salutatos velim.

            Necii, in ipso profectionis articulo, 16 Maii, 3 Pentecostes die, 95.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. l'abbé Chavaz, à Genève, église Notre-Dame. [134]

 

 

 

            Je vais de nouveau m'absenter, mon Frère, mais pour revenir bientôt. Mon père m'appelle, et je n'ai pas voulu partir à votre insu, [132] de peur que si Possevin venait, vous ne sussiez où je suis. Aussitôt averti par vous, j'accourrai.

            Je passerai donc quelques jours chez nos parents de Sales. Je ne sais si je dois maintenant, ayant presque le pied à l'étrier, vous remercier de ces poésies sacrées que vous me dédiez si affectueusement ; certes, l'occasion est bonne, car la pénurie de temps m'autorise à faire plus courtement ce que je ne croirai pas avoir bien fait une seule fois, alors même que je le ferais toujours. Personne plus que moi n'a besoin d'être exhorté à la pénitence et à l'amour divin. Mais je vous dirai cela plus au long lorsque j'aurai considéré un peu plus attentivement l'ouvrage entier pendant ces quatre ou cinq jours. A peine ai-je pu jusqu'ici en savourer quelques pages, entraîné que j'étais, soit par les prédications, soit par d'autres affaires. Je m'acquittais de votre commission chez M. de Montrottier lorsqu'il reçut votre opuscule et votre lettre.

            Vous aurez reçu maintenant enfin, je pense, ma précédente lettre ; plût à Dieu que j'eusse pu la remettre à notre ami Portier ! Il m'aurait [133] sans doute rapporté la réponse au sujet de nos affaires du Chablais. Fallait-il les poursuivre ou les abandonner ?

 

« Le froid luttait contre la chaleur. »

 

Certainement, tôt ou tard, quelque changement aura lieu ; la chose n'a pas dépendu de moi.

            Portez-vous bien, mon Frère, et que le Christ vous soit propice. Je salue avec effusion ma très illustre sœur et nos grands et petits artisans.

            Annecy, au moment même de partir, le 16 mai, troisième jour de Pentecôte 1595. [134]

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LIII. Au même (Minute inédite). Emotion causée par le malheur d'un ami commun ; vif désir de défendre sa cause. — Eloge de l'ouvrage du Sénateur. — Pénible situation du Saint en Chablais.

 

Annecy, fin mai 1595.

 

            De Guichardi nostri casu cum primum audivi, attonito similis, oculis mens et vox faucibus hæsit, nihilque vel lætum vel infaustum altius cordi insidere unquam mihi poterit quam quod [dicis] de tanto amico ; ut vix tuam ferre possim elegantiam, qua meam diligentiam tuæ in hac causa vices gerere velis, cum nec si diligentissimus sim mortalium, meam erga ipsum clarissimum Guichardum observantiam et propensionem explere possim. Quamquam et tuam illam diligentiam quibus quæso modis supplere poteram ? [135]

            Experiri tamen decreveram ecquidnam possit ex me vel ingenii vel solicitudinis elicere extremus conatus, nullum unquam a meipso pensum industriæ majus accuratiusque expressurus. Nulla par me, fœlicius dicamne an infœlicius, ex clerico aulicum fecisset occasio. Scio namque primum te esse Guichardum, et ordine naturæ, quod aiunt, et temporis, me vero secundum ; qui si ordinem affectionis spectes, neque primus sim neque secundus, ne forte vel numero simus diversi. Gratias autem Deo omnipotenti quantas possum ago maximas, quod amicitiæ nostræ vires hisce conatibus experiri nos non sit passus qui ex amici communis miseria prodire debuerant. Sic enim animi quietem hac in causa tuo nomine indixit idem qui tuas attulit, hesterna die, urbis hujus præsbiter. Quamquam vix mihi temperare possim omnino nisi quidnam paulo pressius rem intelligam. [136]

            Montroterio vero, viro nobilissimo et tui amantissimo, [injuriam faciam] si quid in hanc rem verborum, quando rerum non potuit, et quam enixe contulerit, non referam ; vel si tam elegantem et mellitissimam personam referre velim, injuriam insignem, ni fallor, fecero, et tu facilius apud te cogitaveris quam ego memoria repetam.

            Cæterum ita est ut scribis, mi Frater : ad priores illas tuas respondisse me, quibus opus tuum illud poeticum neque probandum neque improbandum sumpseram. Nec enim sigillatim adhuc singula inspexeram, et nostra laus deinceps, non minus quam mea, si quæ mihi foret propria, in ore meo, verecundiam movet. Amo, ut uno dicam verbo, modestiam. Quid autem alii sentiant, id est. Mirantur leporem verborum, rerum copiam dignitatemque ; et tam egregium, nobile et fabrefactum opus obscuro meo nomine sordescere propemodum dicebant nisi fratrem me tuum appellasses.

            Dicam præterea libenter, in tua ad me epistola, ut [137] venustate mirifice recreor, sic candorem desidero. Quis enim nesciat talia qualia sunt quæ scribis ex paupercula officina mea non prodire, tamque grandes materias ingenia parva sustinere non posse ? Et quidem si nonnulla quæ tu procul dubio prius noveras, ego vel prius dixi vel ad memoriam revocavi, esto mea dicas ; sed tabulæ sunt rasæ et informes quas tam accuratæ picturæ cedere necesse est. Tu vero pro parte totam materiam dixisti, et ut omnibus numeris amoris amica hiperboles constaret, formam etiam meam esse propemodum asseveras. Vel meum ergo tuumque pœnitus inter nos non audiatur, vel candidius tunc proferatur cum me tuum teque meum dicere volueris.

            Expectabasne pro tanto munere tam gravem expostulationem ? Vetus tamen mos est debitorum, cum non sunt solvendo, hac uti solemni diversionis arte. Ego vero iterum et iterum inter vernantes aves opus suavissimum ad amussim apud Salesios nostros contemplatus, ne tu hoc nescias, pulchrius nusquam carmen cantatum fuisse [138] reor quam quo Alexandri Magni lachrimas tam belle et luculenter urges ut nullus

 

« Talia fando temperet a lachrimis . »

 

            Propero jam, mi Frater, Tononum versus, te propemodum solo, quod satis est, probante ; sicque sum animatus ut sequentes post menses quatuor, expleto nimirum anno, nisi suas quisque partes hoc in negotio fideliter obeat, nullis me deinceps aliis retineri in officio verbis quam tuis patiar. Dicam planius. Nos in ea provincia credunt versari præter Principis voluntatem omnes fere, quin et contra plerique, nec abs re. Magno namque est argumento silentium ubi vel levissimum sufficeret Mot, et homines videre, inter media Ecclesiæ prædia, sub principe Catholico, præcario propemodum et in dies [139] vivere. Nolim tamen alii hæc cuiquam dicas, nam, ut vides, suum possunt habere periculosum sensum.

            Si quid de Possevino audies, doceas quæso. Bene vale, et humillimum fratrem, quod facis, ama ; nostrisque omnibus salutem, meo si placet nomine, dicas, seorsim clarissimæ sorori meæ, quæ mihi non aliter…

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Voiron.

 

 

 

            Lorsque j'ai appris l'accident de notre Guichard j'ai été comme un homme frappé de la foudre, ma langue est restée sans paroles et mes yeux fixes. Aucune nouvelle triste ou joyeuse n'a jamais pu m'impressionner à l'égal de celle que vous me donnez d'un si grand ami. Je comprends donc à peine l'estime que vous faites de moi, lorsque vous voulez substituer mon zèle au vôtre en cette affaire. Mais serais-je le plus diligent des mortels, que je ne pourrais témoigner tout ce que je porte de respect et d'affection à ce très illustre Guichard. Et d'ailleurs, comment, je vous prie, suppléer à un zèle tel que le vôtre ? [135]

            J'avais résolu cependant de tenter ce qu'un suprême effort de mes aptitudes et de mon dévouement pouvait tirer de moi. Jamais tâche plus haute ni plus délicate ne s'offrirait à mon activité ; aucune occasion comparable ne pourrait faire, dirai-je plus heureusement ou plus malheureusement, d'un clerc que je suis un courtisan. Je sais, en effet, que le premier à qui il appartient de venir en aide à Guichard, c'est vous, et par ordre de nature, comme on dit, et par ordre d'ancienneté ; moi, je ne suis que le second ; mais au point de vue de l'affection, que je ne sois, je vous prie, ni le premier ni le second, et que rien n'altère l'unité qui existe entre vous et moi. Je rends les plus vives actions de grâces au Dieu tout-puissant qui n'a pas permis que notre amitié mesurât ses forces à des efforts suscités par le malheur d'un ami commun. C'est ainsi que le prêtre de cette ville qui m'apporta hier votre lettre, me tranquillisa l'esprit de votre part touchant cette affaire. Toutefois, je ne puis me calmer entièrement avant d'avoir compris d'une manière plus précise ce dont il s'agit. [136]

            Je ferai injure à ce très noble M. de Montrottier, qui vous est des plus attachés, si je ne vous dis combien il a dépensé d'énergie pour soutenir cette cause par son éloquence lorsqu'il ne pouvait le faire par l'action. Ou plutôt, si je ne me trompe, ce serait déjà une grande injure que de vouloir rendre la grâce, la douceur toute de miel de ce plaidoyer ; vous vous le représenterez mieux par la pensée que je ne pourrais vous le redire de mémoire.

            Oui, comme vous l'écrivez d'ailleurs, mon Frère, il est vrai que j'ai répondu à votre précédente lettre sans entreprendre de louer ni de blâmer votre œuvre poétique, car je n'en avais pas encore examiné chaque partie isolément. Du reste, notre louange, la mienne surtout, si j'en mérite quelque peu, est malséante dans ma propre bouche. Pour le dire en un mot, j'aime la modestie. Mais quelle est l'opinion du public ? La voici : on admire le charme du style, la richesse et l'élévation des pensées ; on semblait même dire que si vous ne m'eussiez appelé votre frère, l'obscurité de mon nom aurait rabaissé un ouvrage si excellent et fait de main de maître.

            J'avouerai volontiers encore qu'autant la dédicace que vous m'en [137] faites m'a merveilleusement charmé par sa grâce, autant elle laisse à désirer pour la franchise. Qui ne sait, en effet, que des écrits tels que les vôtres ne sortent pas de mon pauvre atelier et que de petits esprits ne peuvent traiter de si grands sujets ? Et en vérité, si j'ai énoncé le premier ou rappelé à votre mémoire quelques idées que sans doute vous connaissiez déjà, soit, attribuez-le moi ; mais ce ne sont là que des tables rases et brutes qui doivent disparaître sous une peinture si achevée. Vous, au contraire, vous nommez fond ce qui n'est que partie, et, pour que l'hyperbole amicale corresponde en tout point à votre affection, vous semblez affirmer que la façon même est de moi. Eh bien ! qu'on n'entende plus entre nous ces mots mien et vôtre, ou qu'ils ne se profèrent en toute vérité que lorsque vous voudrez me dire vôtre, ou vous dire mien.

            Vous attendiez-vous, pour un si beau présent, à un si grave réquisitoire ? Mais c'est la vieille coutume des débiteurs insolvables de recourir à cette adresse ordinaire de la diversion. Pour moi, étant chez nos parents de Sales, au milieu des oiseaux qui chantent le printemps, j'ai admiré et admiré encore dans tous ses détails ce très suave poème, et il ne faut pas que vous ignoriez ceci : je ne crois pas [138] qu'on ait jamais chanté plus belle ode que celle où, avec autant d'esprit que d'élégance, vous rappelez les larmes d'Alexandre le Grand, au point

 

« Qu'à tel récit nul ne retient ses pleurs. »

 

            Je me dispose, mon Frère, à regagner Thonon. Vous êtes à peu près le seul qui m'approuviez, mais c'est assez, et voici ma résolution : dans quatre mois, c'est-à-dire mon année achevée, si chacun ne remplit pas fidèlement son devoir en cette affaire, je ne souffrirai plus qu'aucun autre que vous me retienne dans cette charge. Parlons plus ouvertement. On croit communément que nous travaillons dans cette province en dehors du prince ; bon nombre même disent, non sans raison, contre sa volonté. Quand le moindre mot suffirait, son silence est en effet un grand argument. C'en est un aussi de voir des hommes au milieu des domaines de l'Eglise, sous un prince catholique, vivre d'une vie précaire et pour ainsi dire au jour le jour. [139] Je ne voudrais cependant pas que vous en parlassiez à personne, car, vous le voyez, ces propos pourraient être mal interprétés.

            Si vous apprenez quelque chose de Possevin, dites-le-moi. Portez-vous bien ; aimez, comme vous le faites, votre très humble frère, et s'il vous plaît, saluez en mon nom tous les nôtres, en particulier ma très illustre sœur qui ne m'est pas autrement…

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LIV. Au Bienheureux Pierre Canisius de la Compagnie de Jésus. Vénération qu'inspire sa vertu. — Désir d'entrer en relations avec lui. — Nouvelles de la mission ; conversion de Pierre Poncet. — Question de controverse.

 

Thonon, 21 juillet 1595.

 

            Virtutis is est splendor, quod tu omnium minime ignoras, Pater observandissime, nullis ut locorum intervallis [140] impediri possit quominus et videatur ipsa, et eos a quibus possidetur suo lumine reddat omnibus qui vel virtutis nomen tantum honorant conspicuos et amabiles. Quo minus excusatione indigere nunc me reor quod, ignotus et obscurus homuncio, litteras ad te dare non verear. Non enim tu ignotus es vicissim aut obscurus, qui tot recte (ut modestissime dicam) factis, dictis, scriptis pro Christo universis Christi fidelibus innotuisti, ut mirandum non sit eum qui omnibus toties scripsit Christianis, a multis hoc solum nomine quod Christiani sint, litteras item accipiat.

            Cum ergo non longo multum intervallo, et solo fere quod aiunt Lemano lacu a te cognovissem me abesse, rem quidem tibi non ingratam, mihi vero in posterum [141] longe utilissimam facturum existimaverim si qui præsens nequeo, absens per litteras, commodum aliquando de rebus et dubitationibus theologicis interrogarem, et docentem te per litteras item interdum audirem. Scriptum est enim : Interroga generationem pristinam et diligenter investiga patrum memoriam, et ipsi docebunt te ; loquentur tibi, et de corde suo proferent eloquia.

            En igitur nonum jam ago mensem inter hæreticos, et in tanta messe octo tantum spicas in arcam Dominicam inferre potui ; summo Dei beneficio, quippe qui non tam sim operarius quam operariorum prodromus. In iis Petrus Poncetus, jurisconsultus eruditus sane, et quod ad hæresim spectat etiam Calviniano ministro loci longe doctior. Quem cum antiquitatis authoritate non nihil moveri viderem inter familiaria colloquia, porrexi tuum illud Opus Cathechisticum, cum sententiis Patrum a Busæo fuse descriptis ; cujus lectione abduci se ab [142] errore in tritam veteris Ecclesiæ viam passus est, ac manus tandem dedit ; quo etiam tibi nomine plurimum plurimum uterque debemus.

            Cum vero nuper pro libero hominis arbitrio illud urgerem Genes., 4 : Sub te erit appetitus ejus, et tu dominaberis illius, objecit ex Calvino voces (ejus et illius) referri ad Abelem, nimirum ut dicatur dominaberis fratris, non peccati. Rationemque reddebat eorum, Calvino authore, quod relativa illa apud Hebræos sint masculina, vocem autem Hæbraicam qua peccatum exprimitur esse fœmininam. Huic nimirum rationi refellendæ, etiam adhibita Bellarmini opera, satis esse non potui, libris autem in id necessariis hic careo, quod paucos tantum de controverses hujus sæculi, ut fit, mecum attulerim. Hujus ergo phrasis Hæbraicæ interpretationem, a peritissimo nimirum et humanissimo doctore, rudis et incultus tirunculus postulo, et tua in proximos omnes adjuvandos propensione fretus expecto. [143]

            Quodque reliquum est, Deus optimus maximus venerandam tuam canitiem quam diutissime reipublicæ Christianæ servet incolumem ; at tu me, quod e vestra Societate jampridem fecit Antonius Possevinus, in humillimum, quæso, et addictissimum servum habeto et filium in Christo.

Humillimus servus

FRANCISCUS DE SALES,

Ecclesiæ Cathedralis Sti Petri Gebennen.

Præpositus indignus.

 

            Tononi, 12 calend. Augusti, anno millesimo quingentesimo nonagesimo quinto.

 

Observandissimo et plurimum Reverendo in Christo Patri,

Patri Petro Canisio,

Societatis Jesu Theologo meritissimo.

Friburgi.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation. [144]

 

 

 

            Tel est l'éclat de la vertu, vous le savez mieux que personne, très vénéré Père, qu'aucune distance ne peut l'empêcher d'être aperçue [140] et, par sa lumière, d'illustrer ceux qui la possèdent et les rendre aimables à quiconque honore au moins le nom de la vertu. C'est pourquoi je ne pense pas avoir besoin d'excuse quand j'ose vous écrire, moi, homme de rien, inconnu et obscur ; car vous n'êtes pas également un homme inconnu et obscur, vous qui vous êtes signalé auprès de tous les fidèles du Christ par tant de choses (j'emploie le terme le plus modéré) si bien faites, dites et écrites pour le Christ. Il n'est pas étonnant que celui qui a écrit si souvent à tous les Chrétiens reçoive aussi des lettres de plusieurs, pour cela seul qu'ils sont Chrétiens.

            Ayant donc su que je n'étais pas à une grande distance de vous, et que nous n'étions séparés, pour ainsi dire, que par le seul lac Léman, j'ai pensé ne point vous être désagréable et m'être extrêmement utile [141] à moi-même, si, ne pouvant m'entretenir avec vous, je vous adressais par lettres, à l'occasion, des questions sur les matières théologiques et sur les difficultés qu'elles présentent, afin de recevoir aussi par lettres vos instructions. Il est écrit en effet : Interroge l'ancienne génération, recueille avec soin les souvenirs de nos pères, et ils t'enseigneront ; ils te parleront et te feront entendre le langage de leur cœur.

            Or, voici le neuvième mois que je suis au milieu des hérétiques, et si vaste que soit la moisson, je n'ai pu renfermer que huit épis dans le coffre du Seigneur ; encore est-ce un grand bienfait de Dieu en faveur d'un homme qui est moins un ouvrier qu'un avant-coureur d'ouvriers. Au nombre de ces convertis se trouve un certain Pierre Poncet, jurisconsulte très érudit et, pour ce qui concerne l'hérésie, beaucoup plus savant que le ministre calviniste du lieu. Voyant dans des entretiens familiers, que le témoignage de l'antiquité faisait impression sur lui, je lui prêtai votre Catéchisme qui contient les enseignements des Pères rapportés au long par Busée. Cette lecture le tira de [142] l'erreur et le ramena dans la voie frayée qui conduit à l'Eglise. Enfin il s'est rendu, ce dont nous vous sommes l'un et l'autre très, redevables.

            Comme dernièrement j'appliquais au libre arbitre de l'homme ce passage de la Genèse : Ton appétit sera sous ta puissance et tu le domineras, Poncet objecta, d'après Calvin, que les mots ejus et illius se rapportent à Abel, en sorte qu'on doit interpréter : tu domineras ton frère, et non le péché. Il en donnait cette raison, empruntée à Calvin, qu'en hébreu ces deux pronoms sont du masculin, tandis que le mot hébraïque qui désigne le péché est du féminin. Or, je ne pouvais suffisamment réfuter cette objection, même avec le secours des œuvres de Bellarmin ; les livres nécessaires pour cela me manquent ici, car il est arrivé que je n'en ai apporté avec moi qu'un petit nombre traitant des controverses de notre temps. Je m'adresse donc à vous, qui êtes un docteur très habile et très obligeant, et je vous demande, moi pauvre débutant sans aucune science ni expérience, l'interprétation de cette phrase hébraïque ; je l'attends de l'inclination que vous avez d'aider tout le monde. [143]

            Il me reste à souhaiter que notre bon et grand Dieu conserve longuement à la république chrétienne votre vénérable vieillesse exempte d'infirmités. Veuillez vous-même me tenir, comme l'a fait depuis longtemps Antoine Possevin, de votre Société, pour votre très humble et très dévoué serviteur et fils en Jésus-Christ.

Votre très humble serviteur,

FRANÇOIS DE SALES,

            indigne Prévôt de l'église cathédrale de Saint-Pierre de Genève. Thonon, le 21 juillet 1595.

 

Au très vénéré et très Révérend Père en Jésus-Christ,

Le Père Pierre Canisius, très digne théologien de la Société de Jésus.

A Fribourg. [144]

 

 

Minute de la lettre précédente

 

            Virtutis quidem ea est præstantia, Pater observandissime, ut quod tu omnium minime ignoras, nullis terrarum aut locorum intervallis impediri possit, quomimis et videatur et eos a quibus possidetur iis etiam reddat ronspicuos et amabiles qui, quamvis quid ipsa sit virtus ignorent, virtutis tamen nomen honorant. Quo minus excusatione nunc indigere me reor quod, ignotus et obscurus homuncio, litteras ad te dare non verear. Non enim tu vicissim ignotus es aut obscurus, sed tot rebus bene (ut modestissime loquar) hactenus pro Christo gestis, dictis, scriptis, universis Christi fidelibus innotuisti, ut mirandum non sit eum qui universis toties scripsit Christianis, a multis hoc solum nomine quod Christiani sint, epistolas item accipiat.

            Cum ergo non longo admodum intervallo, et solo propemodum quod aiunt Lemanno lacu a te me abesse cognovissem, rem tibi quidem non ingratam, mihi vero in posterum longe utilissimam facturum existimavi, si qui præsens nequeo, familiarius per litteras absens interrogarem, et docentem te per litteras item interdum audirem, pro tua in proximos charitate. Sic enim scriptum est : Interroga generationem pristinam et diligenter investiga patrum memoriam, et ipsi docebunt te ; loquentur tibi, et de corde suo proferent eloquia.

            En igitur nonus agitur hic mensis quo sum inter hæreticos hos Tononienses, jussu Rmi Antistitis Gebenensis, [145] ut quando nulla vi ad caulas Ecclesiæ eos reduci vult Serenissimus Allobrogum Princeps, pro pacto cum Bernensibus eam in sententiam facto, videam etiam atque etiam num iis ad Christum convertendis verbo et colloquiis sit aliquis locus. Quem ubi nactus fuero, immittet in messem hanc idoneos plerosque, tum alios quidem, tum etiam ex vestra Societate, operarios. Hæc vero rem omnino in multos hos dies protrahunt. Princeps cujus tamen authoritate res incæpta, quod aliis rebus sit impeditus, nullam huic rei dat operam. Inter rumores bellicos metuunt incolæ ne si iterum Bernensium aut Gebenensium in nos explicentur arma, et non modo ad Ecclesiam redeat aliquis (quod se nunquam facturos pollicentur omnes), sed tantum aures Catholicis theologis dederit, is pessime et crudelissime excipiatur.

            Non commisi tamen quin, pro mea tenuitate, concionem singulis Dominicis diebus bis saltem haberem et quidem in templo publice, quo veluti prodromus aliis opere et [146] verbo potentioribus viam aperirem. Pauci tantum qui supersunt Catholici ea re recreati [sunt] ; hæreticorum nullus propemodum accessit unquam, nisi videndi me potius (est enim genus hominum curiosum) quam audiendi gratia. Dei interim beneficio factum est ut aliquot animæ, octo nimirum, iis novem mensibus Christo nomen reddiderint. In iis Petrus Poncetus, jurisconsultus eruditus sane, et quod ad hæresim spectat etiam ministro longe doctior. Quem cum antiquitatis authoritate nonnihil moveri viderem et saltem torqueri, explicavi Opus tuum illud Cathechisticum, cum authoritatibus sententiisque Patrum a Busseo descriptis ; cujus lectione sensim ab errore abduci se in tritam veteris Ecclesiæ viam passus est manusque tandem dedit ; quo etiam tibi nomine plurimum uterque tibi debemus.

            Is autem cum nuper pro libero hominis arbitrio urgerem locum Genes., 4 : Sub te erit appetitus ejus, et tu dominaberis illius, objecit referri voces (ejus et illius) ad Abelem ; nimirum, dominaberis fratris non peccati ; rationemque ex Calvino reddebat quod in Hebreo relativa illa sint masculina, peccatum vero apud Hebræos fœminina voce exprimatur. Ego vero interpretationem Catholicam satis confirmavi, sed objectionem clare refellere non potui, quippe qui libris hic caream necessariis. Advexi namque pauca tantummodo, ut fit, præcipua de hujus seculi controversiis volumina, inter cætera quidem Belarmini opus illud illustre Controversiarum quem dum hac in difficultate consulo, non satis loci nodum explicuisse comperio, dum de cohærentia relativi fœminini ad nomen masculinum nihil agit. Quare cum bonum hunc virum et ex auditoribus meis Catholicum ad vos [147] discedentem moxque rediturum cognovissem, hujus a te quæstionis solutionem, a peritissimo nimirum magistro et humanissimo doctore, rudis tirunculus petere constitui, tua in proximos omnes juvandos fretus propensione.

            Quod reliquum est, Deus optimus maximus venerandam canitiem tuam quamdiutissime reipublicæ Christianæ servet incolumem, et tu me, quod e vestra Societate Antonius Possevinus jam pridem fecit, in humillimum habeto servum in Christo et filium.

Francis...

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy.

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LV. A Monseigneur Jules-César Riccardi, Archevêque de Bari, Nonce Apostolique a Turin (Minute). Violation des immunités ecclésiastiques ; le Saint sollicite l'intervention du Nonce auprès du duc de Savoie.

 

Chambéry, [fin juillet 1595.]

 

            Illustrissimo et Reverendissimo Monsignore,

 

            Comminciavano gli ofïiciali de l’  Illustrissimo Duca de Nemours et de Genevois a far recherca de' peccati dell' usura commessi dalle personne ecclesiastiche nella [148] diocæsi de Geneva, et anco della contraventione fatta di un editto annuale di Sua Altezza Serenissima, qual prohibiva la vendita de' frumenti et altri grani fuor del mercato ; credendo essi ufficiali laici potere castigare indifferentemente per cotesti peccati et laici et ecclesiastici, et questo per privilegio speciale di Sua Santità, concesso a' serenissimi prædecessori di Sua Altezza. Monsignor Rmo Vescovo de Geneva, vedendo esser contra l'una et l'altra ragione et contra la libertà ecclesiastica questo privilegio, m' ha mandato qui in Chiambery dal supremo Senato di Sua Altezza, acciò che se ce ne fosse lo potessi veder, per poi darne avviso a V. S. Illma et Rma. Il Senato adunque no retrovando nell' archivi ducali alcun simile privilegio, et sapendo che in simile caso fa poco Sua Altezza haveva prohibito a' suoi ministri di por mano sopra l'Archa di Dio, anzi haveva commandato che lasciassero questo negotio a' prælati, ha scritto anchora sopra di ciò a Sua Altezza per saperne generalmente sua volontà.

            D'il che ho giudicato dover dar avviso prontamente a V. S. Illma et Rma, acciò si degni pigliar il fatto in [149] mano appresso di Sua Altezza, comm' essendo il refugio nostro et protettrice della libertà ecclesiastica. Nè sarà cosa difficile che Sua Altezza prohibisca di nuovo tali atti a' ministri suoi et inferiori, poichè già una volta ne ha fatta la prohibitione et che ha havuto sempre in gran reverenza la santa Chiesa. L'Illustrissimo, poi, Duca de Nemours, non solo non darà impedimento nessuno, chè più tosto ci giovarà in ogni modo, essendo di coscienza delicatissima et persona molto timorata; conciosiachè egli m'ha detto che se non si trovarà il privilegio della Santissima Sede Apostolica chiarissimo et apertissimo, non ne vuol godere, nè prevalersene.

            Ho dubbio che Monsigr Vescovo di Geneva havendo avviso di quanto habbiam fatto qui col Senato, scriverà sopra di ciò amplissimamente a V. S. Illma et Rma ; nè per questo ho volsuto lasciar di scriverne io, acciò no dia risposta Sua Altezza al suo Senato innanzi che lo sappia V. S. Illma, a cui pregando dal nostro Signore [150] Iddio ogni vero contento, basciogli humilissimamente le reverendissime mani et resto,

Di Sua Signoria Illma et Rma,

Divotissimo et infimo servitore

FRANCESCO DE SALES,

            Prevosto indegnissimo della Cathedrale de Geneva.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat.

 

 

 

            Illustrissime et Révérendissime Monseigneur,

 

            Les officiers de l'illustrissime duc de Nemours et de Genevois commençaient à faire la recherche des délits d'usure commis par [148] les ecclésiastiques dans le diocèse de Genève, et même de la contravention faite à un édit annuel de Son Altesse Sérénissime défendant la vente des blés et autres grains hors du marché. Ces officiers laïques croyaient pouvoir châtier indifféremment pour ces délits aussi bien les ecclésiastiques que les laïques, et cela en vertu d'un privilège spécial accordé par Sa Sainteté aux sérénissimes prédécesseurs de Son Altesse. Mgr l'Evêque de Genève, voyant que ce privilège serait contre l'un et l'autre droit et contre la liberté ecclésiastique, m'a envoyé ici à Chambéry auprès du souverain Sénat de Son Altesse afin que, si ce privilège existait, je pusse le voir, pour en avertir ensuite Votre Seigneurie. Or, le Sénat ne trouve aucun semblable privilège dans les archives ducales, et sachant que depuis peu en pareil cas Son Altesse avait interdit à ses ministres de porter la main sur l'Arche du Seigneur, et que même elle avait ordonné qu'on laissât cette affaire aux prélats, il a écrit encore sur ce sujet à Son Altesse pour connaître d'une manière générale sa volonté.

            J'ai jugé à propos de donner promptement connaissance de cela à Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime afin qu'elle daigne [149] prendre le fait en main auprès de Son Altesse, puisque vous êtes notre refuge et le protecteur de la liberté ecclésiastique. Il ne sera pas difficile à Son Altesse d'interdire de nouveau de tels actes à ses ministres et subordonnés, puisqu'une fois déjà elle les a défendus et qu'elle a toujours porté un grand respect à la sainte Eglise. Quant à l'illustrissime duc de Nemours, il n'y mettra aucun empêchement ; au contraire, il nous aidera de toute manière, car il est fort timoré et doué d'une grande délicatesse de conscience ; il m'a même dit que si le privilège du Saint-Siège Apostolique ne se trouve pas très clair et très positif, il n'en veut point jouir ni s'en prévaloir.

            Je présume que Mgr l'Evêque de Genève étant averti de ce que nous avons fait ici auprès du Sénat, écrira très amplement sur cela à Votre Seigneurie. Néanmoins je n'ai pas voulu laisser de vous en écrire, afin que Son Altesse ne donnât pas une réponse à son Sénat avant que Votre Seigneurie Illustrissime en fût informée. En [150] implorant pour vous de Dieu notre Seigneur tout contentement, je baise humblement vos mains vénérées et je demeure,

De Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime,

Le très dévoué et petit serviteur

FRANÇOIS DE SALES,

très indigne Prévôt de la cathédrale de Genève.

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LVI. Au Chanoine Gallois de Monthoux (Inédite). Recommandation en faveur de l'abbé de Ronis.

 

Annecy, 31 juillet 1595.

 

            Monsieur mon Cosin,

            Je voudrois bien vous salluer avec autre occasion que cellecy, mays les occasions ne sont pas en nostre pouvoir ; elles viennent, nous ne les allons pas querir.

            Monsieur de Ronis m'est venu voir ce matin et m'a monstré une vostre lettre par laquelle il semble que [151] vous aves desplaysir de le voir poursuyvre le droict que son neveu a sur la cure d'Argonnay. Et par ce que d'un costé il desire infiniment ne faire chose qui vous despleut, et de l'autre il est obligé au proufit de son neveu, tant qu'il se peut maintenir avec rayson, il m'a prié d'employer mon credit vers vous affin qu'il vous playse ne vous desplaire point s'il met a effect le droit de son neveu, quil a desja acheminé si avant et avec tant de frais quil demeureroit en grosse perte sil le quittoit ainsy tout court, sinon que sa partie voulut entendre a ce que Monseigneur le Reverendissime et monsieur d'Angeville en avoyent une fois ordonné a l'amiable. L'obligation que j'ay a monsieur de Ronis et a Monseigneur le Reverendissime, chez qui son neveu sert, m'a faict aysement vous prier, comme je fays, que sil ny a point d'autre interest pour vous que pour l'affection que vous pourries avoir a celuy qui est leur competiteur, il vous playse leur permettre la poursuitte de leur prætention ; quilz vous rendront autant de service que l'autre.

            Pour moy, je n'employe point autre merite vers vous pour estre continué en vostre bonne grace, que lhonneur que j'ay de ma nature d'estre a jamays,

Monsieur,

Vostre plus humble cosin et serviteur

FRANÇOIS DE SALES.

            A Necy, le dernier julliet 95, ou je bayse bien humblement les mains de monsieur et madame de Monthou, mes cosin et cosine.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. le baron Ludovic de Viry, au château de Cohendier (Haute-Savoie). [152]

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LVII. Au sénateur Antoine Favre (Minute). Souffrances du saint Apôtre ; il désire s'adjoindre d'autres missionnaires. — Remerciements pour un ouvrage de Sponde ; calomnies des hérétiques contre ce personnage et contre Pierre Poncet. — Sentiments de foi et de confiance.

 

Annecy, 2 août 1595.

 

            Non sum nescius, suavissime Frater, non mediocriter inter nos hinc inde pariter molestum esse silentium, ac propterea excusationem ullam non affero. Peregrinationibus partim, partim necessariis cursitationibus insumpsi totum mensem; ac si quando pedem firmavi, defuit qui litteras perferendas susciperet.

            Onus messis Tononiensis, meis impar humeris, non nisi te volente, jubente, deponere constitui; in eam tamen rem alios operarios iisdemque commeatum dum artibus modisque omnibus pergo parare, nullum, inter infinitas hostis generis humani versutias, exitum, nullum finem facio. Id me non leviter torquebat, torquet autem [153] maxime, tot clades capitibus nostris, mi Frater, imminere, ut interea vix ullus pietatis procurandæ, cum ipsa maxime sit necessaria, superesse locus videatur. Animus tamen in meliorem spem, Christo propitio, attollendus est. Cum audiveritis bella ac seditiones, nolite terreri.

            Recreor autem plurimum Possevini nostri de me accurata recordatione. Accepi namque et ejus munusculum, ut ais, et Girardi nostri Spondæum, utrumque te auctore, te meæ scilicet apud eos observantiæ commendatore. Ac Spondæus quidem quam opportune cum sua recenti præfatione venerit, vel ex eo intelliges quod et Gebennenses et Chablasiani ministelli nihil quod tanto viro tonderent habebant quam eum, in pœnam fractæ fidei, amentatum et furiosum in angulo quodam Galliæ delitescere. Quin Gebennenses gloriabantur quemdam de sua schola Demosthenem tanta verborum ac rerum vi Spondæi rationes oppugnasse, ut susceptam religionem [154] primum, mox mentem ipsam abjecerit. Quod ego ne crederem faciebat, tum dicentium authoritas mentiendi, tum quod recenti et insigni petulantia Poncetum a demone crudelissime vexari dicerent iidem, et me nocturnis exorcismis abigendo spiritui immundo operam secretam navare. Quid enim [qui] in tanta vicinitate tam audacter mentiuntur non audeant de homine tot intervallis disjuncto comminisci ?

            Redeo crastina die ad Spartam meam (utinam si non ornandam saltem aliis præstantioribus conservandam), faciamque deinceps ne integro mense inter nos audiatur silentium. Interim, mi Frater, inter hos patriæ nostræ [155] tumultus (dicamne, an tumulos ?), dum circum circa oculis nostris ingrata quæque sese offerunt, in patriam illam cœlestem oculos intensissime figamus, cogitemusque perpetuo Heliam illum Thesbitem non aliter quam per turbinem ad cœlum ascendisse.

            Bene vale, mi Frater, et Christum habeto propitium et Servatorem.

            Necii, 4 non. Augusti, 95.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation.

 

 

 

            Je n'ignore pas, mon très doux Frère, que le silence entre nous vous est aussi pénible qu'à moi ; aussi je ne viens nullement m'excuser. J'ai passé tout le mois soit en pèlerinages soit en courses indispensables, et si je me suis arrêté quelquefois, je n'ai trouvé personne qui se chargeât de vous porter ma lettre.

            La moisson de Thonon est un fardeau qui dépasse mes forces, mais j'ai résolu de ne l'abandonner qu'avec votre agrément, par votre ordre. Cependant, je continue à préparer par toutes sortes d'expédients et d'industries de nouveaux ouvriers pour cette œuvre, et à leur chercher des moyens de subsistance. Je n'aperçois nul terme, nulle issue parmi ces ruses infinies de l'ennemi du genre humain. [153] J'ai été tourmenté et je le suis encore, mon Frère, en voyant que parmi tant de catastrophes qui menacent nos têtes, il nous reste à peine un moment pour cultiver la dévotion dont nous aurions un si pressant besoin. Il faut cependant, comptant sur la miséricorde de Notre-Seigneur, élever nos cœurs à de meilleures espérances. Lorsque vous entendrez parler de guerres et de séditions, n'en soyez point effrayés.

            Je suis extrêmement réjoui du fidèle souvenir que me conserve notre Possevin. J'ai reçu en effet son petit présent, comme vous le dites, et le Sponde envoyé par notre Girard, double hommage dont je vous suis redevable, à vous qui avez fait valoir auprès de tous deux le respect que je leur ai voué. Quant au Sponde avec sa nouvelle préface, vous pourrez juger par un seul fait combien il est arrivé à propos. Les prédicants de Genève et du Chablais, ne sachant comment tondre un personnage si important, disaient qu'en punition du serment violé, cet homme, devenu fou furieux, était caché dans quelque coin de la France. Bien plus, les Genevois allaient répétant avec orgueil qu'un certain Démosthène de leur école avait réfuté les arguments de Sponde avec tant d'éloquence et des raisons si [154] probantes que l'auteur avait d'abord renoncé à sa religion, puis, bientôt après, perdu la raison. Ce qui m'empêchait de m'en rapporter à leur témoignage, c'était d'une part leur supériorité dans l'art de mentir, et de l'autre, l'insigne impudence avec laquelle ces mêmes hommes affirmaient dernièrement que Poncet était affreusement tourmenté du démon, et que je passais les nuits à l'exorciser en secret pour chasser l'esprit immonde. Quand on calomnie si audacieusement ses proches voisins, que n'osera-t-on pas inventer contre un homme qui se trouve à une si grande distance ?

            Je retourne demain à ma Sparte (si ce n'est pour l'embellir, plaise au Ciel que ce soit du moins pour la conserver à de meilleurs ouvriers), et je ferai en sorte qu'il ne soit plus question entre nous de ces silences d'un mois entier. Cependant, mon Frère, parmi ces [155] désordres (dirai-je plutôt cette ruine de la patrie ?), alors que nos yeux ne rencontrent que des sujets de tristesse, fixons plus attentivement nos regards sur notre patrie céleste, et souvenons-nous toujours qu'Hélie le Thesbite n'est monté au ciel que dans un tourbillon.

            Portez-vous bien, mon Frère, et que le Christ vous protège et vous conserve !

            Annecy, le 2 août 1595.

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LVIII. Au même (Minute inédite). Troubles qui régnent à Annecy.

 

Sales, commencement d'août 1595.

 

            Nonne bene dixeram, mi Frater, facturum me deinceps ne ullum inter nos audiretur silentium ? Cum inter nostros Tononenses vix semel in mense ad te possim scribere, scribo nunc ex paterna Salesiorum casa per [156] Coquinum, eo sane jucundius quod paulo meliora de rebus nostris jam audiverim. Hesterna namque die Necii omnia propemodum eversa ac inversa dicebantur ; adeo nimirum, sive in bonam sive in malam, res quam longissime protrahere solet vulgus ; ac adeo incredibile est quanta amaro animo de te tuisque omnibus, quem in primis, ut fit, periclitari, importuna cogitatione subibant. Non tamen bona spe vacuus omnino, itaque cum rem levius transigi audiam, mihi tibique plurimum gratulor ; quando infœlix hoc nostrum sæculum, pro faustis solent haberi quæ non sunt infaustissima.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. le baron Ludovic de Viry, au château de Cohendier (Haute-Savoie). [157]

 

 

 

            N'avais-je pas raison de vous dire, mon Frère, que je ferais en sorte désormais qu'il ne fût plus question de silence entre nous ? Comme au milieu de nos gens de Thonon, je puis à peine vous écrire une fois par mois, je vous écris maintenant de ma maison paternelle [156] de Sales, par Coquin, avec d'autant plus de plaisir que je viens de recevoir des nouvelles un peu meilleures de nos affaires. On disait hier à Annecy que tout était à peu près sens dessus dessous, tellement le vulgaire a coutume d'exagérer extrêmement soit en bien soit en mal. On ne saurait croire combien de pensées inquiétantes agitaient mon âme attristée, relativement à vous et à tous les vôtres, qui deviez, des premiers, comme il arrive, être mis en péril. Je ne suis pas cependant privé de tout espoir ; aussi, en apprenant que la chose se passe plus facilement, je m'en félicite beaucoup pour vous et pour moi. Puisque notre siècle est si infortuné, on s'accoutume à tenir pour heureux tout ce qui n'est pas absolument malheureux. [157]

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LIX. Au même (Minute). Ebranlement qui se produit parmi les héretiques ; ingénieuse tactique du Saint pour les provoquer à la discussion.

 

Thonon, 18 septembre 1595.

 

            Et jam, mi Frater, latior simul et lætior patet ad Christianorum messem aditus. Heri namque parum abfuit quin Avullæus cum urbis sindicis, uti vocant, ad concionem palam venirent, quod me de augustissimo Eucharistiæ Sacramento disputaturum audivissent. Quo de mysterio sententiam rationesque Catholicorum ex me audiendi tanto tenebantur desiderio, ut qui palam nondum venire, ne legis suæ immemores viderentur, ausi sunt, me ex diverticulo quodam secreto audiverint, si tamen per vocis meæ tenuitatem licuit.

            Ego hac iterum egi venatione ut promitterem me, sequenti concione, de Scripturis luce meridiana clarius [158] dogma commonstraturum, ac tantis rationum momentis propugnaturum, nullus ut futurus sit ex adversariis qui non cognoscat densissimis se tenebris excœcatum, nisi qui humanitati ac rationi nuntium remiserit. His nimirum rodomonteis propositionibus se ingeniumque suum ad arenam vocari recte cognoscunt, ne videlicet si non veniant existimentur imbelles omnino, qui Catholicam vel homuncionis nescio cujus impressionem reformident.

            Res est in tuto ; jam enim ad colloquia descendunt, mox, ut ex proverbio dicam, ad deditionem venturi ; sic enim Crescanus advocatus nos docuit Tononienses communi consilio confessionem, uti vocant, suæ fidei scriptis prolaturos, uti si quid a nobis differunt, ea de re familiari ac privato colloquio vel privatis scriptis agamus. Cumque legationem hanc ministro suo quidam imponere vellent, alii tutius contra fuere, ne nobiscum palæstram [159] ingrediatur, ne subtilitatibus scholasticis vincatur, cum philosophiæ sit ignarus.

            Bene sane quando per vicarium pugnam suscipiunt, et tam exiguis copiis nostris anguntur, et de conditionibus proponendis cogitant. Hos vero, erectis per Dei gratiam animis, concertationem hanc bona spe proni gaudentes expectamus.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation.

 

 

 

            Voici enfin, mon Frère, qu'une porte plus large et plus belle s'ouvre à nous pour entrer dans cette moisson de Chrétiens, car il s'en fallut peu hier que M. d'Avully et les syndics de la ville, comme on les appelle, ne vinssent ouvertement à la prédication, parce qu'ils avaient ouï dire que je devais parler du très auguste Sacrement de l'autel. Ils avaient un si grand désir d'entendre de moi l'exposé de la croyance des Catholiques et leurs preuves touchant ce mystère, que n'ayant osé venir publiquement, crainte de paraître oublieux de la loi qu'ils se sont imposée, ils m'entendirent d'un certain endroit où ils ne pouvaient être vus, si toutefois la faiblesse de ma voix n'y a pas mis obstacle.

            De mon côté, j'ai fait encore ceci dans cette chasse : j'ai promis qu'à la prédication suivante je mettrais, par les Ecritures, ce dogme en plus grande lumière que le plein midi, et que je l'appuierais [158] d'arguments si puissants que nos adversaires, sans aucune exception, à moins qu'ils n'aient renoncé au bon sens et à la raison, reconnaîtraient qu'ils sont aveuglés par les épaisses ténèbres dans lesquelles ils sont plongés. Ils savent bien que ces espèces de rodomontades les invitent à descendre dans l'arène, en sorte que s'ils ne venaient pas ils seraient tenus pour gens tout à fait pusillanimes, qui redouteraient de se mesurer avec la religion catholique, même quand elle est défendue par je ne sais quel homme de rien.

            C'est une chose assurée : puisqu'ils consentent déjà à parlementer, bientôt, suivant le proverbe, ils en viendront à capituler. En effet, ainsi que nous l'a appris l'avocat du Crest, les Thononais ont résolu d'un commun accord de nous présenter par écrit leur confession de foi dans les points où elle diffère de la nôtre, afin que nous puissions les discuter en particulier ou dans des entretiens familiers ou par écrit. Quelques-uns voulaient charger le ministre de cette négociation, mais d'autres plus prudents furent d'avis contraire, [159] craignant qu'il n'engageât la lutte avec nous et ne fût vaincu par les subtilités scholastiques, car il ne sait rien de la philosophie.

            Assurément nous sommes en bonne voie puisqu'ils acceptent le combat par leur lieutenant, que nos si petites forces les effraient et qu'ils pensent à nous proposer des conditions. Pour nous, ayant grand courage par la grâce de Dieu, nous attendons avec empressement et avec joie cette lutte qui donne bon espoir.

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LX. Au même (Minute inédite). Attente de quelques lettres attardées. — Allusion à la bénédiction apostolique envoyée à Henri IV. —Suite du travail des Controverses. — Accueil fait par les hérétiques à la Centurie premiere. — L'avocat de Prez adresse des vers à l'auteur.

 

Thonon, commencement d'octobre 1595.

 

            Et ego quidem, mi Frater, tantum posteriores, ad 6 non. Octobris datas a te litteras, idque nuperrime recepi ; de prioribus illis de quibus admones, nec de aliis item P. Possevini, Porterio nostro commendatis, ne levi [160] quidem susurro hactenus audivi quicquam. Tu vero quam me male nunc hæc tantarum litterarum tanta torqueat expectatio, si ad justam observantiæ amorisque mei erga te Possevinumque nostrum trutinam omnia uti par est expendas, facile cognosces.

            Recreor autem plurimum res tuas æquiori loco a te inventas quam credideras. Ea est propemodum temporibus calamitas non minima, ut eminus rem spectantibus apud viros probos et, ut sacro dicam verbo, quibus est cor, ipsa calamitate sit calamitosior opinio. Quod autem de Barone nostro scribis, male apud malos qui religionem ferream sequuntur audit, eo vero me nomine angit quod spes quæ differtur affligit animam. Audio equidem Henricum, felici nuntio, a Sanctissimo Patre nuperrime « Gallorum Regem, salutem et Apostolicam benedictionem » audivisse ; id si ita est, fiat pax in [161] virtute Domini. Quam eo beatiorem ego suspicor futuram, quod videam hæreticis omnibus Genevensibus maxime ingratam esse.

            Nunc paullo pressius rem cum iis Tononensibus ago, agamque brevi pressissime, ubi quod jampridem meditabar opusculum ad maturitatem qualem meum fert ingenium perduxero, et tu negotium probaveris. Sic enim apud me statutum est nihil nisi te censore proferre. Habent ii Tononienses meditationes tuas priores de Pœnitentia et Amore divino. Mirantur omnes operis elegantiam. Insanus tantum ministellus cum te fœlicem vocasse culpam « quæ talem ac tantum meruit habere Redemptorem » legeret : « O blasphemiam, atheismum, Papismum ! » inclamavit homo stultissimus et amentissimus. Ego vero quanta potui modestia per interlocutorem, quando ne quidem mecum manus conserere hactenus ausus est, hominis petulantiam ratione castigavi.

            Interim advocatus de Pres ad me versus quosdam in [162] tuam, quod ipse dixit, laudem misit, ea quantum audivi mente uti ad te quoque, non suo quidem sed meo nomine gratulabundus scilicet, perferre curarem. Habebis ergo qualecumque id carminis, si placet, amanter ; vir enim est admodum hæreticus, quem tamen propter spem melioris mentis et multa virtutum semina non mediocriter dilexi. Tu si separatim, cum ad me scribes, nonnullam de illis versibus amicam facias significationem (ad idem uti fit litterarium), mihi rem tuo genio dignam fecisse videaris ; hoc enim argumento, quod sæpius jam cum eo feci, Mot Dei admonebo. Vellem enim, si qua posset, eum a pertinaci illa mente dimovere. At ipse, quod conscientiam rationibus Catholicis concuti sentiat, insequentem fugit Christum Dominum.

            Bene vale.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation. [163]

 

 

 

            Mon Frère, je n'ai reçu que votre dernière lettre du 2 octobre, et cela tout récemment. Quant à la première dont vous me parlez, et à celle du P. Possevin, qui avaient été confiées à notre Portier, [160] je n'en ai pas entendu souffler le moindre mot jusqu'ici. Si vous pesez toutes choses, comme il convient, à la juste balance de l'estime et de l'affection que j'ai pour vous et pour notre Possevin, vous comprendrez combien je souffre maintenant dans la longue attente de lettres d'une telle importance.

            Je suis très heureux de savoir que vous avez trouvé vos affaires en meilleur état que vous ne pensiez. Voilà bien en effet un des grands malheurs de notre temps : la crainte est plus nuisible que le mal lui-même à ceux qui, entre les honnêtes gens, ou pour employer l'expression du Texte sacré, les hommes de cœur, voient les choses de loin. Quant à ce que vous m'écrivez de notre baron, c'est une mauvaise nouvelle pour les méchants qui suivent une religion de fer ; et moi je souffre parce que l'espérance différée afflige l'âme. J'apprends, il est vrai, que le très Saint-Père aurait tout dernièrement envoyé à Henri l'heureux message : « Salut et bénédiction apostolique au Roi de France. » [161] S'il en est ainsi, que la paix règne par la force du Seigneur ! J'augure que cette paix sera d'autant plus heureuse que je la vois être plus désagréable à tous les hérétiques de Genève.

            Je presse maintenant davantage ces messieurs de Thonon, et les presserai encore beaucoup plus lorsque j'aurai conduit à terme, suivant ma capacité, le petit ouvrage que je méditais depuis longtemps, et que vous aurez approuvé mon entreprise. En effet, j'ai résolu ainsi à part moi de ne rien publier sans le soumettre à votre censure. Ces messieurs de Thonon possèdent vos premières méditations sur la Pénitence et l'Amour de Dieu. Tous admirent la beauté de l'œuvre. Seul, un pauvre ministre insensé ayant lu que vous nommez « heureuse la faute qui nous a valu un tel et si grand Rédempteur, » s'est écrié comme un homme tout à fait stupide et extravagant : « O blasphème ! ô athéisme ! ô Papisme ! » Mais avec toute la modération possible, j'ai, par un tiers, remis à la raison cet effronté, car lui-même n'a pas encore osé en venir aux mains avec moi.

            Cependant l'avocat de Prez m'a envoyé quelques vers, à [162] votre louange, dit-il. Son désir serait, si j'ai bien compris, que je vous les fisse parvenir pour vous féliciter non pas en son nom, mais au mien. Acceptez donc, s'il vous plaît, avec bienveillance cette poésie telle qu'elle est. Cet homme est enfoncé dans l'hérésie ; toutefois je lui ai témoigné beaucoup d'affection dans l'espoir de le ramener à de meilleurs sentiments, et parce qu'il y a en lui bien des germes de vertu. Si vous voulez me faire à part, lorsque vous m'écrirez, une aimable allusion à ses vers (dans le même style que lui), il me semble que vous ferez quelque chose digne de votre caractère. Je profiterai de cette occasion, comme je l'ai déjà fait plus d'une fois à son égard, pour lui prêcher la parole de Dieu. Je voudrais en effet, s'il était possible, le retirer de cette obstination d'esprit. Mais parce qu'il sent sa conscience ébranlée par les arguments des Catholiques, il fuit le Christ Notre-Seigneur qui le poursuit.

            Portez-vous bien. [163]

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LXI. Au même (Inédite). Prochain envoi d'une partie de son introduction au Code Fabrien. — Question de droit.

 

Thonon, 14 octobre 1595.

 

            Antonio Fabro, clarissimo Senatori,

            Franciscus De Sales salutem dicit.

 

            Accepi tandem breviores illas tuas cum Possevini nostri libro et litteris; nihilo sane longiores redditurus, quod concionibus crastinis texendis tempus instet. Ita quid singulis horis momentisque faciam scire te vellem.

            Habebis a me quam primum caput unum meorum adversus hæreticos Commentariorum, in quo quam veri non Ecclesiæ sed antiquarum hæresum sint reformatores conabor ostendere. Ac, ne sine te quidquam [164] hic etiam agatur, peto a te, Frater suavissime, uti ad regulam illam, «aienti non neganti incumbit probatio,» sensum genuinum, rationem a priori et a posteriori adjicias, idque Gallice; nam habeo caput unum in Commentariis quo hæreticos ex hac regula velim ad probationem cogere, quantumvis negativa potius quam affirmativa sit eorum theologia. Quod tua limandum erit, si placet, opera, ut me deinceps eo vehementius reformident ministri quod me tuo pugnare Marte certius cognoscent.

            Bene vale, Frater suavissime, et me, quod facis, ama Christumque imprimis habeto, cum clarissima universa familia, propitium ac Servatorem.

            Tononi, pridie id. Octobris 1595.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation. [165]

 

 

 

            A Antoine Favre, très illustre Sénateur,

            François de Sales présente ses salutations.

 

            J'ai enfin reçu votre trop courte lettre avec le livre et la lettre de notre Possevin. Ma réponse ne sera pas beaucoup plus longue, parce que je dois composer mes sermons de demain, et le temps presse. Je désirerais vous tenir ainsi au courant de ce que je fais à chaque heure, à chaque instant.

            Je vous enverrai le plus tôt possible un chapitre de mes Commentaires contre les hérétiques, dans lequel je m'efforcerai de montrer que, loin d'être les vrais réformateurs de l'Eglise, ils font revivre les anciennes hérésies. Et afin que, même ici, rien ne se fasse sans vous, [164] je vous demande, très doux Frère, de donner son vrai sens à cette règle : « La preuve incombe à celui qui affirme et non à celui qui nie. » Veuillez ajouter les preuves a priori et a posteriori, et cela en français. J'ai en effet, dans mes Commentaires, un chapitre où, d'après cette règle, je voudrais forcer les hérétiques à produire leurs preuves, bien que leur théologie soit plus négative qu'affirmative. Mettez, s'il vous plaît, tous vos soins à le bien établir, afin que désormais les ministres me redoutent d'autant plus qu'ils verront plus clairement que je combats sous votre égide.

            Portez-vous bien, très doux Frère, aimez-moi comme vous le faites, et surtout que le Christ vous protège et vous conserve, vous et toute votre très noble famille.

            Thonon, le 14 octobre 1595. [165]

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LXII. Au père Antoine Possevin, de la Compagnie de Jésus (Inédite). Nécessité pour le Saint d'obtenir la permission de lire les livres hérétiques. — Remarques sur les Institutions de Calvin et sur un ouvrage de Théodore de Bèze. — Témoignages de respectueuse confiance.

 

Thonon, 14 octobre 1595.

 

            Monsieur mon Reverend Pere,

 

            Je receu seulement avanthier vostre lettre et le livre. Je prie Dieu qu'il vous rende la peyne et le soin que vous prenes pour son honneur, et vous remercie tres humblement de l'affection qu'il vous plaict prendre a ce dont je vous avois prié.

            Pour vray, mon Pere, si mon insuffisance n'est point l'occasion que Sa Sainteté me refuse ces graces, il n'y a point faute [de] tres urgente necessité. Je n'ose reprendre Calvin ni Beze en façon que ce soit, la ou ilz sont imposteurs et blasphemateurs, que chacun ne veuille sçavoir ou ce que je dis se trouve ; dequoy j'ay desja receu deux affrontz que je n'eusse pas eu si ne me fusse pas fié aux citations des livres qui m'ont faict faute. Et quoy que toutes ces gens ne disent ni escrivent rien de nouveau, si escrivent ilz en nouvelle façon qui requiert quelque prælusion. En fin, en ce balliage chacun manie les Institutions ; je suis es lieux ou chacun sçait ses Institutions par cœur. Au reste, vostre livre me fera un tres grand office, quoy que j'eusse desja vostre Musæum et alia opera de statu hujus sæculi. Quant a Beze, [166] j'ay sceu despuis, que tant s'en faut qu'il escrive pour appoincter de religion, que son livre monstre le differend estre inappoinctable et rejette l'opinion d'un autre de mesme forme qui vouloit mesler les tenebres avec la lumiere ; mays comme je n'en sçavois rien que par ouÿ dire, aussy j'avois esté trompé de l'autre costé pour trois relaps, gens de simple condition et de peu d'importance.

            Je ne pense pas que Sa Sainteté refuse. Si mon esperance reussit, je ne doute point que Sa Sainteté mesme ne reçoive grand contentement de ceste besoigne. Mays il seroit requis pour la gloire de Dieu et le salut des ames que, selon la malice du tems et la distance des lieux, Sa Sainteté nous ouvrist par deça un peu liberalement la main de sa clemence in foro conscientiæ.

Je parle a vous comme a celuy duquel j'attens toute correction, laquelle je subiray tousjours sans replique. Si est il, a mon advis, necessaire que les necessités particulieres [soient] sceües, et revelees par ceux qui les voyent. Je vous entretiens comme celuy que je sçay se trouver en des grandes occasions d'y prester ayde et avoir sur tout en zele le salut des ames. Ce pendant je ne lairray pas de solliciter vers Monseigneur de Geneve affin qu'il procure vers Monseigneur le Prince, de son costé, a ce qu'il soit prouveu a ces pauvres ames tant desolees et affligees, avec toute la charité qu'il sera possible.

            Excuses moy, Monsieur mon Reverend Pere, si j'use tant librement avec vous. Je ne laisse pas d'estre tres humble en l'affection que j'ay de vivre et mourir

Vostre serviteur et filz en Nostre Seigneur,

FRANÇOIS DE SALES.

De Thonon, le 14 octobre 1595.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation. [167]

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LXIII. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier . Exposé des mesures à prendre pour assurer la conversion du Chablais. Heureuse influence de M. d'Avully.

 

Thonon, 29 décembre 1595.

 

            Monseigneur,

 

            Puysqu'il plaict a Vostr' Altesse de sçavoir les moyens que je pense estre plus pregnans pour faire sortir en effect le saint desir qu'ell'a de voir ces peuples de Chablaix reunis a l'Eglise Catholique, comme j'ay appris de monsieur d'Avully auquel il vous a pleu d'en escrire, je diray purement et fidellement ce que j'en crois.

            Il est du tout necessaire qu'il y aÿe un revenu certain et infallible pour l'entretenement de quelque bon nombre de prædicateurs qui soyent debrigués de tout autre soucy que de porter la sainte parole au peuple. A faute dequoy voyci la second'annëe qui se passe des qu'on a commencé de precher icy a Thonon, sans jamais interrompre, avec fort peu de fruict, tant par ce que les habitans n'ont voulu croire qu'on prechast par commandement de Vostr'Altesse, ne nous voyans entretenir que du jour a [168] la journee, qu'aussy par ce qu'on n'a peu attirer nombre suffisant d'ouvriers a ceste besoigne, pour n'avoir ou les retirer ni dequoy les nourrir, puysque les frais mesmes qui s'y sont faitz jusqu'a present ne sont encor paÿés. Et a cecy pourroyent suffire les pensions qu'on employoit avant la guerre a l'entretenement de passé vingt ministres huguenotz qui prechoyent en ces balliages, sil playsoit a Vostr'Altesse de commander qu'avec une prompt'execution elles y fussent appliquëes.

            Encores seroit il necessaire de faire redresser les eglises et y establir revenu convenable pour les curés qui en auront la charge, ne pouvans les precheurs s'attacher a aucun lieu particulier, mays devans estre libres pour aller par tous ces balliages comme la necessité portera. Et sur tout il est besoin au plus tost de dresser et parer les eglises de ceste ville de Thonon et de la parroisse des Alinges, et y loger des curés pour l'administration des Sacremens, veu qu'en l'un et en l'autre lieu il y a ja bon nombre de Catholiques et plusieurs autres bien disposés qui, faute de commodités spirituelles, se vont perdans ; outre ce, que cela servira beaucoup pour apprivoiser le peuple a l'exercice de la religion Catholique, principalement sil y a moyen de faire les offices honnorablement, comm'avec orgues et semblables solemnités, au moins en ceste ville qui est le rapport de tout le duché.

            Mays l'on prechera pour neant si les habitans fuyent la prædication et conversation des pasteurs, comm'ilz ont faict cy devant en ceste ville. Playse donques a Vostr'Altesse fair'escrire une lettre aux scindiques de ceste ville, et commander a l'un des messieurs les [169] Senateurs de Savoÿe de venir icy convoquer generalement les bourgeois, et en pleyn'assemblëe, en habit de magistrat, les inviter de la part de Vostr' Altesse a prester l'oreille, entendre, sonder et considerer de pres les raysons que les precheurs leur proposent pour l'Eglise Catholique, du giron de laquelle ilz furent arrachés sans rayson, par la pure force des Bernois ; et ce, en termes qui ressentent la charité et l'authorité d'un tres bon prince, comm'est Vostr'Altesse, vers un peuple desvoÿé. Ce leur sera, Monseigneur, une douce violence qui les contraindra, ce me semble, de subir le joug de vostre saint zele, et fera une grand'ouverture en leur obstination. Et s'il plaict a Vostr'Altesse y employer monsieur le senateur Favre, je tiens que son affection et sa suffisance y seroit extremement sortable.

            Monsieur d'Avully aussy, avec son exemple et la sollicitation familiere quil pourra faire vers les particuliers, aydera beaucoup a l'œuvre ; ce que je crois quil fera volontiers selon la bonne volonté et disposition quil a, en laquelle mesme je l'ay tous-jours veu des le commencement que je vins icy.

            Apres cela, dresser une compaignie de gens d'armes ou cavallerie pour engager la jeunesse, suyvant l'advis de feu monsieur le baron d'Hermance, pourveu qu'elle fut dressëe religieusement, avec quelques institutions chrestiennes, ne seroit pas un moyen inutile d'attirer les courages a la religion ; ny aussy, en cas d'obstination, de priver a forme des edictz de tous offices de justice et charges publiques les persistans en l'erreur. En fin, qui adjousteroit a tout cecy un college de Jesuites en ceste ville, feroit ressentir de ce bien tout le voysinage, qui, quand a la religion, est presque tout morfondu.

            Reste, Monseigneur, que je remercie Dieu qui vous presente de si signalëes occasions, et allum'en vous de [170] si sains desirs de luy faire le service pour lequel il vous a faict naistre prince et maistre des peuples. Il y a de la despence en ceste poursuite, mais c'est aussy le supreme grade de l'aumosne chrestienne que de procurer le salut des ames. Le glorieux saint Maurice, auquel Vostr'Altesse porte tant d'honneur, sera nostr'advocat en ceste cause pour impetrer de son Maistre toute benediction a Vostr'Altesse, qui est l'instrument principal et universel de l'establissement de la foy catholique en ces contrëes, lesquelles il arrousa de son sang et de ses sueurs pour la confession de la mesme foy. Ainsy prie je sa divine Majesté pour la prosperité de Vostre Altesse, comme je dois, puysque je suis né et mourray,

Monseigneur, de Vostr'Altesse,

Tres humble et tres obeissant sujet et serviteur,

FRANÇOIS DE SALES,

indigne Prævost de l'Eglise de Geneve.

            De Thonon, le 29 decembre 1595 .

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat. [171]

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Minute de la lettre précédente

 

            Monseigneur,

 

            Puysque il plaict a V. A. de sçavoir quelz moyens je cuyderoys estre plus preignans pour la reduction de ces peuples a la foy catholique, comme j'ay appris de monsieur d'Avully auquel il vous a pleu d'en escrire, je produyray purement et fidellement ce qu'il m'en semble.

            Voicy la second'annëe que, par vostre bon playsir et le commandement de Monseigneur le Rme Evesque de Geneve, quelques vertueux personnages et moy avons preché icy a Thonon et es Alinges. Il est du tout necessaire quil y ait un revenu certain et infallible pour l'entretenement de quelque bon nombre de predicateurs, puysque pour croire il faut ouïr et l'on ne peut 0uyr sans precheur, et que ceux qui viendront icy pour precher doivent estre debrigués de tout autre soucy que de porter la parole de Dieu. A faute dequoy voicy la second'annëe que l'on preche icy a Thonon sans beaucoup de fruict, tant par ce que les habitans ne peuvent croire que ce soit par l'aveu ou bon playsir de V. A., ne nous voyans entretenir que du jour a la journee, que par ce qu'on n'a peu attirer nombre suffisant d'ouvriers a ceste sainte besoigne, pour n'avoir ou les retirer ni moyen de les y nourrir, mesme que la despence qui s'y est faite jusqu'a present n'a encor esté payëe. A quoy pourroyent suffire les pensions qu'on employoit avant ces guerres a l'entretenement de vingt et tant de ministres huguenotz qui [172] prechoyent en ce duché, sil playsoit a V. A. de commander qu'avec une prompt'execution elles y fussent appliquëes.

            Encores seroit il necessaire de faire redresser quelques eglises en quelques lieux qui seroyent jugés plus a propos, avec les autelz bien proprement parés, pour apprivoyser les habitantz a l'exercice de la religion catholique ; et en ces lieux la establir revenu competent pour les curés qui en auront charge, ne pouvans les precheurs demeurer fermes en aucun lieu, mays devans discourir de costé et d'autre pour l'instruction de tout le duché, et mesme des deux autres balliages, s'il y eschoit. Mays sur tout il faudroit qu'au plus tost on dressat l'autel et fit on parer l'eglise en ceste ville et de la parroisse des Alinges, et qu'on y logeat des prestres pour y administrer les Sacremens, y ayant en l'un et en l'autre lieu bon nombre de Catholiques, et plusieurs autres prestz a se convertir quand ilz verront bon ordre en cest affaire, qui, faute de ce secours, se perdent bien souvent. Et puys, de main en main, a mesure qu'on jugera convenable, faudra ainsy par toutes les parroisses remettre sus l'exercice de la foy catholique et y colloquer des pasteurs.

            Et par ce que l'on precheroit pour neant, sur tout en ceste ville, si les habitans fuyoyent les precheurs et la predication, comm'ilz ont faict cy devant, et ne veulent prester l'oreille a l'instruction ni conferer avec ceux qui viendront, je crois, Monseigneur, que sil plaict a V. A. fair'escrire une lettre au cors de ceste ville, et commander encores a l'un de messieurs les Senateurs de Savoÿe de venir icy faire assembler le conseil general des bourgeois de ceste ville, et en pleyne assemblëe, en habit de magistrat, les inviter de la part de Vostr'Altesse a prester l'oreille, ouyr, sonder et considerer de [173] pres les raysons et predications de l'Eglise Catholique, du giron de laquelle ilz ont estés arrachés par les Bernoys sans aucune rayson, et ce en termes qui ressentent et la charité et l'authorité d'un tres bon prince, vrayement catholique comm'est V. A., vers un peuple desvoÿé, ce leur sera une douce violence qui les contraindra de subir librement le saint joug de vostre zele. Ceste bonté et authorité fera, ce me semble, une bien grande ouverture a leur obstination, et mettra les voysins en admiration de la suavité de vostre domination. Et pour ceste negociation je tiens la devotion et la suffisance de monsieur le senateur Favre pour extremement sortable.

            Monsieur d'Avully aussy, avec son exemple et la sollicitation familiere quil pourra faire vers les particuliers, aydera beaucoup a l'œuvre, ce que je crois quil fera volontiers, selon la bonne volonté et disposition quil a, en laquelle mesme je l'ay tousjours veu des le commencement que je vins icy.

            Mays qui adjousteroit a tout cecy un college de Jesuites en ceste ville, feroit ressentir de ce grand bien tout le voysinage, qui, quand a la religion, est quasi tout morfondu.

            Reste, Monseigneur, que je remercie de tout mon cœur nostre Sauveur qui vous presente de si grandes occasions, et donne de si ardantz desirs de luy faire le service pour lequel il vous a faict naistre prince et maistre des peuples. Il va de la despence en ceste poursuite, mays c'est le supreme grade de l'ausmone chrestienne que de procurer le salut des ames. Le glorieux Martir saint Maurice, auquel vous portes tant d'honneur, demandera vangeance a son Maistre contre ceux, quelz [174] quilz soyent, qui empecheront et retarderont l'establissement de la foy catholique en ces contrëes, lesquelles il a arrousëes de ses sueurs et de son sang pour le tesmoignage de ceste mesme foy. Au contraire, [il] attirera par ses prieres la benediction du Pere celeste a quicomque l'advancera, et particulierement sur Vostre Altesse qui en est la cause principale et universelle, pour la prosperité de laquelle je prie ordinairement Dieu, comme je dois, puysque j'ay ce bien d'estre né et nourry, ainsy que je vivray et mourray, sil plaict a sa divine bonté,

           

            Monseigneur,

            Vostre tres humble et tres obeissant serviteur.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy. [175]

 

Année 1596

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LXIV. Au sénateur Antoine Favre (Inédite). Rencontre avec Martinengo. — Visite du Saint à sa famille et au baron de Chevron. — Bienveillance que manifestent à son égard le duc de Savoie et le Nonce apostolique. — Désir de recevoir le douzième Livre des Conjectures. — Encouragement à dédier à l'Evêque la Centurie seconde de Sonnets.

 

Annecy, 6 février 1596.

 

            Habes sane, fateor, suavissime Frater, quod de me conqueraris qui hoc anno a me nihil litterarum accepisti ; habeo vero quod de anno hoc conquerar qui tot me cursitationibus initio torsit ac contorsit ut nullibi secundum propemodum diem quiescere licuerit. Martinengius [176] quidem cum ad Divæ Catharinæ arcem venturus speraretur, nostrorum precibus adactus sum ut partim nocturno, partim diurno itinere ad condictum locum et diem, negotiorum quorumdam pro clericis cum eo tractandorum gratia, [me conferrem ;] cumque mœnia Gebenensia mane lamberemus, didici te inde [aurora] ejus diei discessisse, quo mecum longe durius actum existimavi quod tam parvo temporis intervallo disjungeremur, ac ut fieri solet, veluti præcurrentem consequuturus, ad multam usque noctem iter feci ; sed frustra, nam ut, si tamen factu possibile foret, desiderium quo crucior fruendi te acueres, mihi ejus ingenium imitatus videbaris, quæ fugiebat « ad salices sed » se cupiebat « ante videri. » At ego, ne igitur spinetum rosa carens ingrediar (non [177] enim me ad sui contemplationem infœlix civitas, sed unius quidem hominis, sed qui instar multorum mihi sit, præsentia pertraxerat), et ut suavissimi complexus jacturam aliquo modo resarcirem, ad Salesios nostros venio, mox ad Baronem nostrum Chivronium, qui me tanta benevolentia quanta maxima dici potest exceptum, per multos dies quibusdam suis cum fratribus et agnatis rebus componendis retinuit, ut litteras illas suavissimas ad 7 calend. Februarii scriptas, hesterna tantum die acceperim. Sed plurima nihilominus me de te docuerat frater ille propemodum alter Locatellus, quem semel et iterum vidi epistolam de me tuam lectitantem, per quam nobiscum fere colloqui videbaris, si ea de te non dixissemus quæ te præsente dici ipsa tua modestia non pateretur.

            At me nunc nulla potest diutius continere modestia quin tibi paullulum succenseam, quem cum toties serio dicentem audiverim summopere optare te nomen tuum ab ore et aure principum quam longissime abesse, te [178] jam lætitiam de eo maximam capere videam quod magnifice Principem nostrum de me passim et sentire et loqui cognoveris. Ego vero, mi Frater, quod postea dicis, Genandi nostri fœlicitati invidere, vel potius deinceps niti non invidere, beatius semper existimavi. Quod si stationem inferiorem navicula nostra sortiatur, portum tamen teneat secura ; ne si velificationi velit incumbere, fiat tempestas magna, ita ut operiatur fluctibus.

            Quod autem attinet ad prioratus, prior ratus sum egomet nihil ad me spectare ; hoc autem ad me spectat uti Chaventius, qui a secretis est Principis, ingratum me non existimet. Is autem nuper elegantissime et [179] amantissime ad me scripsit quænam Princeps et Nuntius Apostolicus de me protulerit præjudicia, suamque ipsius erga me hominem alioquin ignotum propensionem copiose explicat. Ego per litteras gratias acturus, quo gratius habeat, si tamen ita videbitur, tu quoque pro me et habeas et agas.

            Duodecimum Conjecturarum librum, mihi quod ais inscriptum, videre non minus cupio quam soleant alii amicorum liberos legitimos ; et quod duodecimus sit, universitate numerorum quam universam totius amicitiæ summam inter nos esse commonstrabit, quod nihil mihi gloriosius. Sacrum autem de Eucharistiæ mysteriis poema non video quare non possis Episcopo dicare, cum altius profundiusque sit opus priore, et præterea non semper a supremis ad infima, sed interdum ab infimis ad suprema transcurrere æquissime ordo patiatur.

            Caput illud de discordi hæreticorum cum hæreticis concordia mecum non attuli, vitio famuli cui cum quæ [180] afferre statueram commissem, omisit. At faciam [ne] diutius expectes ; redeo namque ad opus Thononiense, neque prius quicquam agam quam ut fragmentum illud remittam. Illud autem unum te hæc scribere me scire par est.

            Ecce a nobili atque bona illa vidua de Plana epistolam accipio qua modestissime creditam pecuniam a Domino de Chisse expetit. Jamque vale, atque me sine otio scribentem excusatum habeto. Universis nostris salutem plurimam.

            Necii, octava idus Februarii, anno millesimo quingentesimo nonagesimo sexto.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation. [181]

 

 

 

            Je l'avoue sans peine, très aimable Frère, vous avez sujet de vous plaindre de moi, car vous n'avez pas encore, cette année, reçu de ma part la moindre lettre. Et moi aussi j'aurais raison de me plaindre de cette année dont le début m'a mis et remis en tourment par toutes sortes de courses, au point de ne pas me laisser, pour ainsi dire, deux jours de tranquillité de suite. On espérait que Martinengo [176] viendrait au fort Sainte-Catherine. Sur les instances de nos amis, je fus obligé de me rendre, partie de jour et partie de nuit, au lieu et au jour convenus pour y traiter certaines affaires concernant le clergé. Au matin, comme nous longions les remparts de Genève, j'appris que vous en étiez parti à l'aube de ce même jour. J'en ai ressenti un regret d'autant plus vif que moindre était l'espace qui nous séparait, et pour atteindre celui qui semblait, ainsi qu'il arrive souvent, courir devant moi, j'ai voyagé une bonne partie de la nuit, mais en vain. Comme pour attiser, si toutefois la chose eût été possible, le désir dont je brûlais de jouir de votre présence, vous sembliez imiter l'industrie de celle « qui s'enfuyait vers les saules, tout en cherchant auparavant à se faire voir. »

            Quant à moi, ne voulant pas m'enfoncer dans un buisson d'épines [177] sans rose (car ce n'était pas la malheureuse cité qui m'attirait pour se faire admirer, c'était la présence de cet homme qui seul a pour moi plus d'attraits que la foule), et afin de compenser en quelque sorte la perte que j'avais faite de vos embrassements, j'allai chez nos parents à Sales. Bientôt après je me rendis chez notre baron de Chevron, qui me fit un accueil bienveillant au dessus de toute expression, et me retint plusieurs jours pour règlement d'affaires avec quelques-uns de ses frères et autres parents. Ainsi je n'ai reçu qu'hier votre très suave lettre du 26 janvier. Toutefois Locatel, que je considère presque comme un second frère, m'avait beaucoup parlé de vous. Je l'ai vu lire et relire attentivement cette lettre où il était question de moi, et grâce à elle, vous auriez semblé partager notre causerie, si, en nous entretenant de vous, nous n'eussions dit des choses que votre modestie n'eût pas souffert être dites en votre présence.

            Mais aujourd'hui aucune modestie ne pourra me contenir plus longtemps. Il faut que je me fâche un peu contre vous. Comment ? Je vous ai entendu dire si souvent et sérieusement que votre ardent désir était que votre nom fût écarté le plus possible de la bouche et de l'oreille des princes, et voici que je vous vois dans la plus grande [178] joie parce que vous avez appris que notre prince manifestait parfois dans ses paroles de magnifiques sentiments à mon égard ! Et moi au contraire, mon Frère, je considère aussi bien que vous, comme le plus heureux le parti choisi par notre Genand, dont vous me dites plus loin envier le bonheur, ou plutôt essayer de ne pas l'envier. Si notre nacelle occupe un rang inférieur, que du moins elle soit en sécurité dans le port, de peur que si elle voulait livrer sa voile au vent, elle ne s'exposât à une grande tempête et ne fût couverte par les flots.

            Pour la question des prieurés, je suis le premier persuadé qu'elle ne me concerne aucunement. Une chose pourtant m'intéresse : je ne voudrais pas que Chavent, le secrétaire du prince, me crût ingrat. Récemment, dans une lettre très élégante et très aimable, il [179] m'a écrit les jugements avantageux que portaient sur moi le prince et le Nonce apostolique, et exposé amplement son inclination personnelle pour moi, qui lui suis d'ailleurs inconnu. Je dois le remercier par une lettre, et, afin de lui être plus agréable, si vous le trouvez bon, vous le ferez aussi en mon nom, après avoir retenu pour vous-même une part de mes remerciements.

            Vous m'avez dédié, dites-vous, le douzième livre des Conjectures. Je désire le voir avec autant d'ardeur que d'autres aiment à voir les enfants légitimes de leurs amis. C'est le livre douzième, nombre parfait qui prouvera qu'entre nous existe la somme parfaite de toute amitié. Rien ne saurait me donner plus de gloire. Quant au poème sur les mystères de l'Eucharistie, je ne vois pas pourquoi vous ne pourriez le dédier à l'Evêque. Cette œuvre est, en effet, plus élevée et plus profonde que la première ; d'ailleurs, c'est dans l'ordre de ne pas toujours descendre des plus hauts degrés aux plus bas, mais de monter parfois des degrés inférieurs aux degrés supérieurs.

            Je n'ai pas apporté avec moi le chapitre sur l'accord discordant des hérétiques entre eux. C'est la faute d'un serviteur qui l'a oublié, [180] quoique je lui eusse donné la liste de ce que je voulais emporter ; mais je prendrai mes mesures pour que votre attente ne soit pas trop longue. Je retourne en effet à l'œuvre de Thonon et, avant toute autre chose, je vous expédierai cette pièce. Il est bon toutefois que vous seul sachiez que j'en suis l'auteur.

            Je reçois de cette noble et bonne veuve de Planaz une lettre par laquelle elle réclame très respectueusement au seigneur de Chissé l'argent qu'elle a prêté. Adieu donc, et veuillez m'excuser, car je vous écris sans loisir. Mille saluts à tous les nôtres.

            Annecy, le 6 février 1596. [181]

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LXV. A Monsieur Chavent (Minute inédite). Témoignages de reconnaissance et d'affection. — Eloignement du Saint pour les dignités ecclésiastiques.

 

Annecy, vers le 8 février 1596 .

 

            Monsieur,

 

            Mon insuffisance ne me despleut onques tant qu'elle fit quand je vis avanthier la lettre que vous aves daigné m'escrire ; car j'eus tant d'honte de me voir si peu de chose au pris de l'opinion que Son Altesse, de sa bonté, en a conceu et qu'avec son authorité il m'a faict valoir vers Monseigneur le Nonce, que l'honneur lequel j'en reçois ne m'en peut pas relever.

            J'ay receu la faveur avec laquelle vous m'offres vostre amitié avec d'autant plus d'humilité que j'en ay moins de merite, avec ceste seule apprehension, que peut estre la connoissance du sujet pourroit cy apres apporter du changement a ceste vostre volonté ; si ce n'est que vous y reg*ardies l'affection que j'ay de me rendre capable de vous faire humble service, puisque vous me verries aussi bien assorti de ce costé la que vous pourries jamais voir homme. Mais quant a la coadjutorie, toutes raysons et ma propre experience me defend de la desirer ; et le [182] devoir, l'honneur et le zele que j'ay a Monseigneur le Reverendissime Evesque m'empechera tousjours de penser a l'evesché pendant que Dieu le me prestera pour Prelat, et mon incapacité, quand Dieu m'en auroit privé.

            Je supplie sa divine Majesté pour vostre santé, et vous, de me faire cest honneur de vous asseurer que je vivray tousjours,

 

            Monsieur,

            Vostre tres humble et affectionné frere et serviteur.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation.

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LXVI. A Monseigneur Jules-César Riccardi, Archevêque de Bari, Nonce Apostolique a Turin (Minute). Joie qu'éprouvent les Savoisiens de la nomination du Nonce. — Récit de l'apostasie du Chablais et des tentatives faites pour la conversion de cette province. — Mesures à prendre pour en assurer le succès.

 

Thonon, 19 février 1596.

 

            Illustrissimo et Reverendissimo Signore mio colendissimo,

 

            Dobbiamo quanti siamo de Savoyani, et io particolarmente, laudar Iddio et rallegrarci della felice elettione che fece Sua Beatitudine di V. S. per Nuncio Apostolico [183] presso Sua Altezza Serenissima, poichè più zelante, prudente et pietoso protettore et medico non potevano desiderare queste povere et afflitte chiese di Savoya. Dicano gli altri quel che gliene pare, ma io dico che alle afflittioni et piaghe de queste chiese savoyane si conveniva un rettor et medico qual non solo fosse sufficiente et prudentissimo, ma anco zelante et pietoso.

            Laudato [sia] Iddio benedetto quale ci ha dato V. S. Illma et Rma, qual nella lettera che mi scrisse un pezzo fa et che ho un poco fa ricevuta, mostra quanto sia il suo zelo nell' aiutare questa afflitta provincia col degnarsi scrivere et trattare così amorevolmente meco, che dalla predica in poi son persona privata et vile. Onde mi rincresce infinitamente di non haver in me le altre cose corrispondenti all'opinione che V. S. Illma et Rma tiene di me, se non un buon desiderio di servire a santa Chiesa et di ubedire prontissimamente alli commandamenti de'superiori miei, massime di V. S. Illma ; [184] alla quale, per communicare di quello che mi commanda per la lettera sua, darò quanto più spesso far si possa fedele avviso di quanto giudicarò degno della notitia sua et de Sua Beatitudine, per beneficio spirituale della Savoya. Ma per hora bastarà che io gli dia ragguaglio dell' opera alla quale piacque a Monsignore Rmo Vescovo di Geneva di destinarme fa un anno et mezzo.

            Fu occupata dai Bernesi una parte di questa diocesi di Geneva, fa sessant' anni, [e] rimase heretica ; la quale essendo ridotta in pieno potere di Sua Altezza Serenissima questi anni passati, per la guerra, [e riunita al] suo antico patrimonio, molti degli [abitanti,] mossi piuttosto dal rimbombo delli archebuggi che dalle prediche che ivi si facevano per ordine di Monsignor Vescovo, si ridussero alla fede nel seno della santa madre Chiesa. Ma poi, essendo infestate quelle contrade dalle incursioni de' Genevesi et Francesi, ritornarono nel fango ; al quale male volendo provedere sì d'un canto Sua Altezza Serenissima, sì dall'altro Monsignore Rmo Vescovo, io venni qua per ordine di detto Rmo Vescovo, no come medico [185] convenevole per tanta infirmità, ma piuttosto come esploratore et forriero per vedere come si potrebbe provedere di rimedi et di medici. Ma consegliato dall' occasione et da pochi Catholici che v'erano invitato, io incominciai [a] fare alquante prediche, non senza qualche speranza di buon frutto ; et da quell'hora in poi, io per lo più, et a varie occasioni altri, parte canonici della Cathedrale, parte curati di questa diocesi, non habbiam mai intermesso l'essercitio di predicatione le feste, se non due volte per certe necessità. Et se bene il timore delli heretici vicini ci ha portato grave impedimento a questa impresa, si va facendo tuttavia sempre qualche frutto nella conversione di alquante persone, fra le quali ve ne sono due le più sufficienti nell' heresia che si trovassero.

            Siamo di più adesso in procinto, con questa nuova di pace, di fare la raccolta di quanto sin hora habbiamo [186] seminato. Perchè lo santo desiderio di Sua Altezza Serenissima venga in effetto, [alcuni mezzi sarebbero da impiegarsi,] secondo gl'articoli che io glie ne mandai ci è un pezzo, nelli quali davo avviso di quanto stimai necessario. Cioè : che bisognava havere modo et entrata certa per molti predicatori, quali in diverse parti di questa provincia heretica potessero spargere la santa parola, et altra entrata per sacerdoti che nelle parrochie convertite si devono lasciare per l'administratione dei Sacramenti ; non potendo li predicatori fermarsi in un luogho particolar, ma dovendo esser liberi per transcorrere ove la necessità de'popoli richiederà. Ma sopra tutto, che in questa terra di Tonone, che è recapito generale della provincia, si deve prontissimamente drizzar l'altare et ristaurare la chiesa, con ornamenti et entrata da potersi fare officio honorato, come sarebbe con organi o simili cose ; et oltra di questo, doverebbe nel medesimo tempo esser proveduto a quatro o cinque altre parrochie, quali hanno dimandati preti per regerle. Poi, se Sua [187] Altezza commandasse al Governatore della provincia di accarezzare li convertiti, invitare gl'ostinati et privarli, [se ricusano,] d'ogni officio et honore publico, et in particolare, se commandasse a uno de' supremi Senatori di Savoya di venire qui in Tonone invitare questi citadini, no sarebbe poco aiuto.

            Tutta l'importanza sarà nel modo de havere le intrate necessarie, perchè se bene sono in questo paese molti beneficii, sono tuttavia occupati da varie persone, et per

Lo più da Cavaglieri di Santo Mauritio et Lazaro. Ma il servitio d'Iddio, di santa Chiesa, di Sua Altezza Serenissima richiede che prima si stabilisca la santa religione, ogni altra cosa lasciata da parte…

All'Illmo et Rmo Patron et Sigre mio osservandissimo,

Il Sigre Archivescovo di Bari,

Nuncio Apostolico appresso S. A. Serenma.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation. [188]

 

 

 

            Mon très honoré, Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

 

            Nous devons tous, tant que nous sommes de Savoisiens, et moi particulièrement, louer Dieu et nous réjouir de l'heureux choix que Sa Sainteté fit de Votre Seigneurie pour l'accréditer en qualité de [183] Nonce apostolique auprès de Son Altesse Sérénissime ; car ces pauvres églises de Savoie si affligées ne pouvaient désirer un protecteur, un médecin plus zélé, plus prudent et plus compatissant. Que les autres disent ce que bon leur semble ; quant à moi je dis que pour remédier aux maux et aux afflictions de ces églises savoisiennes, il fallait un guide, un médecin qui fût non seulement capable et très prudent, mais encore zélé et compatissant.

            Loué soit le Dieu béni qui nous a donné Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime laquelle, dans la lettre qu'elle m'adressa il y a longtemps et que j'ai reçue depuis peu, montra quel est son zèle pour secourir cette province désolée en m'écrivant, et traitant si cordialement avec moi qui, mettant à part ma qualité de prédicateur, suis une personne privée et peu digne de considération. C'est pourquoi je regrette infiniment de ne posséder aucune des autres conditions qui justifieraient l'opinion avantageuse que vous avez conçue de moi, si ce n'est un ardent désir de servir la sainte Eglise et d'obéir avec une grande promptitude aux commandements de mes supérieurs, surtout à ceux de Votre Seigneurie. Afin de commencer [184] à exécuter les ordres qui me sont intimés par sa lettre, je la renseignerai fidèlement, et aussi souvent que faire se pourra, sur tout ce que je jugerai digne d'être porté à sa connaissance et à celle de Sa Sainteté pour le bien spirituel de la Savoie. Mais, pour le moment, il suffira que je lui rende compte de l'œuvre à laquelle il plut à Monseigneur le Révérendissime Evêque de Genève me destiner, il y a un an et demi.

            Une partie de ce diocèse de Genève fut envahie par les Bernois, il y a soixante ans, et demeura hérétique ; mais, ces années passées, ce pays, par la force des armes, rentra sous la domination de Son Altesse et fut réuni à son antique patrimoine. Bon nombre des habitants, plus touchés du fracas des arquebuses que des prédications qui leur étaient faites par ordre de Monseigneur l'Evêque, revinrent à la foi et rentrèrent dans le sein de notre mère la sainte Eglise ; mais ensuite ces contrées ayant été infestées par les incursions des Genevois et des Français, le peuple retomba dans son bourbier. Son Altesse Sérénissime d'un côté, et Monseigneur notre Révérendissime Evêque de l'autre, voulant remédier à ce mal, je vins ici par ordre de mondit [185] Révérendissime Evêque, non comme médecin capable de guérir tant d'infirmités, mais plutôt comme explorateur et comme fourrier, afin d'examiner les moyens à prendre pour pourvoir le pays de remèdes et de médecins. Cependant, inspiré par l'occasion et invité par le petit nombre de Catholiques qui se trouvaient là, je commençai à faire plusieurs prédications, non sans quelque espérance de leur voir produire d'heureux fruits ; dès lors, soit par moi-même le plus souvent, soit par d'autres prêtres, en partie chanoines et en partie curés de ce diocèse, l'exercice de la prédication s'est continué sans interruption tous les jours de fête, si ce n'est deux fois que nous avons été contraints de l'omettre. Bien que la crainte des hérétiques nos voisins ait grandement nui au succès de cette entreprise, on obtient néanmoins toujours quelques fruits par la conversion de plusieurs personnes, parmi lesquelles il s'en trouve deux des plus versées dans l'hérésie.

            Nous sommes maintenant, grâce à cette nouvelle d'une prochaine paix, à la veille de récolter ce que nous avons semé jusqu'ici. Pour [186] que le saint désir de Son Altesse Sérénissime s'effectue, [plusieurs mesures sont à prendre,] selon les articles que je lui en envoyai, il y a longtemps, dans lesquels je lui indiquai ce que j'estimais nécessaire. Il faudrait avoir des moyens et des revenus assurés pour nombre de prédicateurs qui pussent répandre la sainte parole dans les diverses parties de cette province hérétique. Il faudrait d'autres revenus destinés aux prêtres qui doivent demeurer dans les paroisses converties pour y administrer les Sacrements ; car les prédicateurs ne peuvent se fixer dans un lieu particulier, mais doivent être libres pour se rendre là où les besoins des populations les réclameront. Mais surtout en cette ville de Thonon, qui est le rendez-vous de toute la province, on doit très promptement ériger l'autel, restaurer l'église et se procurer des ornements et des revenus pour y faire l'office convenablement, avec accompagnement d'orgue et choses semblables. Et en outre, il devrait être pourvu dans le même temps aux besoins de quatre ou cinq paroisses qui ont demandé des prêtres pour les [187] desservir. Ce serait un grand secours pour nous si Son Altesse commandait au gouverneur de la province de favoriser les convertis, d'inviter les obstinés, et de les priver [en cas de refus] de toute charge et de tout honneur public, et surtout s'il ordonnait à l'un des membres du souverain Sénat de Savoie de venir ici à Thonon exhorter les habitants.

            Le plus important consiste à prendre les moyens pour avoir les revenus nécessaires ; car bien qu'il y ait en ce pays bon nombre de bénéfices, ils sont détenus par diverses personnes, et surtout par les Chevaliers des Saints Maurice et Lazare. Mais le service de Dieu, de la très sainte Eglise et de Son Altesse Sérénissime exige que premièrement on rétablisse notre sainte religion, toute autre considération étant laissée de côté…

A mon très honoré, Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

Monsieur l'Archevêque de Bari,

Nonce apostolique auprès de Son Altesse Sérénissime. [188]

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LXVII. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Nécessité de rendre une des églises de Thonon au culte catholique. — Ebranlement général parmi les hérétiques du Chablais.

 

Thonon, 19 mars 1596.

 

            Monseigneur,

 

            La disposition en laquelle je vois maintenant ce peuple de Chablaix est telle que si, en execution de la sainte intention de Vostr'Altesse, on dressoit prontement l'eglise a Thonon et quelques autres lieux, je ne doute point d'asseurer Vostr'Altesse qu'elle verroit dans peu de moys le general de tout ce pais reduict, puysqu'en la ville plusieurs sont si bien disposés et les autres, tant esbranlés en leur conscience, que si on leur presente l'occasion ilz prendront infalliblement le port que Vostr'Altesse leur desire. Et quand au reste du pais, ilz sont venus pieça de dix ou douze parroisses prier qu'on leur donnast l'exercice de la foy catholique. Si que le tems est venu de voir Dieu loué et le zele de Vostr'Altesse en effect, de laquelle j'attens l'ordre et provision necessaire ; et la supplie tres humblement croire, quoy que peut estr'on luy die le contraire, que je ne luy escris qu'avec la realité et conscience en laquelle il faut servir son sauverain Prince et Dieu mesme.

            Je prie sa divine Majesté qu'ell'accroisse tousjours ses benedictions en Vostr'Altesse, de laquelle j'ay cest honneur d'estre,

Monseigneur,

Tres humble et tres obeissant serviteur et sujet,

FRANÇOIS DE SALES,

indigne Prævost de St Pierre de Geneve.

            De Thonon, 19 mars 1596.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat. [189]

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LXVIII. A Monseigneur Jules-César Riccardi, Archevêque de Bari, Nonce Apostolique a Turin. Instances pour obtenir l'intervention du Nonce auprès du duc de Savoie. — Opposition à redouter de la part des Chevaliers de Saint-Lazare. — On découvre en Chablais quantité de personnes possédées du démon.

 

Thonon, 19 mars 1596.

 

            Illustrissimo et Reverendissimo Signor mio osservandissimo,

 

            La speranza nella quale io mi ritruovo adesso di veder far raccolta di buon numero d'anime in questa provincia di Chablaix, se si darà l'ordine conforme al zelo di Sua Altezza Serenissima, mi fa pregar colla debita humiltà V. S. Illma di degnarsi di intercedere acciò no solo si faccia questo bene, ma si faccia ancora con quella prontezza che è tanto grata al Signore ; perchè in questa terra di Tonon, recapito de tutta la provincia, sono molti ben disposti, et quasi tutti gl'altri tanto commossi nella conscienza, che se vedessero l'essercitio della religione catholica stabilito, facilmente et fra pochi giorni si ridurrebbono. Quanto poi a'luoghi circonvicini, di dieci o [190] dodeci parrochie son già venuti i capi addomandare l'essercitio catholico ; sì che il soprastare in tanto negocio mi pare gran peccato.

            Sua Altezza poi è affettionatissima a questa impresa ; resta la diligenza nell' essequire, la qual forse potrà esser impedita da' Cavaglieri di San Lazaro, i quali hanno l'intrate ecclesiastiche di questo paese, che alla restauratione delle chiese et alla provisione per curati et predicatori saranno necessarie. Ma si ricordarà Sua Altezza che la religion catholica è fondamento de tutte l'altre, et che no sarà mai tanto servita da altra croce come da quella che nel cuore de'suoi sudditi si va scolpendo. Oltre che sua divina Maestà richiede adesso questo servitio, poichè permette che fra queste genti vi siano tanti inspiritati et tuttavia se ne scuoprano ogni giorno più, i quali rimedio et refrigerio no sanno trovare se non nel segno della Croce, nell' acqua et candele benedette, nell' Agnus Dei et simili cose sacre che per lo innanzi abhorrivano tanto ; il che mi pare un dolce invitamente della Providenza suprema a questo popolo di ritornare al grembo [191] della santa Chiesa, et a quelli che possono di porgergli aiuti convenienti. Priego adunque Vostra Paternità Illma si degni di procurare un ordine pronto da le Loro Altezze.

            Et io, continuando nella ubedienza di V. S. Illma et Rma, no mancarò di darglie poi certi avvisi importanti per aiuto spirituale di questa diocesi et altre della Savoya.

            Fra tanto pregarò l'eterno Iddio che la conservi ad utilità della Chiesa, et basciandoli riverentemente le sacre et paterne mani, restarò,

Di V. S. Illma et Rma,

Perpetuo et divotissimo servitore,

FRANCO DE SALES,

indegno Prevosto di S. Pietro de Geneva.

            In Tonon, alli 19 Marzo 1596.

A l'Ilimo et Revermo Sigr mio osservandissimo,

Monsigr l'Archivescovo di Bari,

Nuncio Apostolico appresso Sua Altezza Serma.

Turino.

 

Revu sur l'Autographe conserve à Rome, Archives du Vatican. [192]

 

 

 

            Mon très honoré, Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

 

            L'espérance en laquelle je me trouve maintenant de moissonner bon nombre d'âmes dans cette province du Chablais, si l'on donne des ordres conformes au zèle de Son Altesse Sérénissime, me fait prier en toute humilité Votre Seigneurie de daigner intercéder, afin que non seulement ce bien s'effectue, mais encore que ce soit avec cette promptitude si agréable au Seigneur. Dans cette ville de Thonon, rendez-vous de toute la province, beaucoup sont bien disposés, et presque tous les autres, si ébranlés dans leur conscience que s'ils voyaient l'exercice de la religion catholique rétabli, ils se rendraient facilement et en peu de jours. Quant aux lieux circonvoisins, les [190] principaux de dix ou douze paroisses sont déjà venus demander l'exercice du culte catholique, si bien que différer en semblable affaire me paraît grand dommage.

            En outre, Son Altesse est fort affectionnée à cette entreprise ; reste à l'exécuter diligemment. Il pourra se faire qu'on en soit empêché par les Chevaliers de Saint-Lazare qui détiennent les revenus ecclésiastiques de ce pays, revenus nécessaires pour la réparation des églises et pour l'entretien des curés et des prédicateurs. Mais Son Altesse se souviendra que la religion catholique est le fondement de tous les Ordres religieux, et que jamais les intérêts du prince ne seront aussi bien servis par aucune autre croix que par celle que nous tâchons de graver dans les cœurs de ses sujets. De plus, la divine Majesté montre qu'elle réclame maintenant ce service, en permettant qu'il y ait parmi ces gens tant de possédés et que chaque jour on en découvre davantage. Ils ne peuvent trouver remède et soulagement que dans le signe de la Croix, l'eau bénite, les cierges bénits, les Agnus Dei et semblables pratiques sacrées que jusqu'ici ils avaient en si grande horreur. Je crois voir en cela une douce invitation de la [191] souveraine Providence pour engager ce peuple à rentrer dans le giron de la sainte Eglise, et pour déterminer ceux qui en ont le pouvoir à leur procurer les secours nécessaires. Je prie donc Votre Paternité Illustrissime de vouloir bien nous obtenir promptement un ordre de la part de Leurs Altesses.

            Et moi, persévérant dans la soumission que je dois à Votre Seigneurie, je ne manquerai pas de lui donner avis dans la suite de certaines choses importantes pour le bien spirituel de ce diocèse et des autres de la Savoie.

            En attendant, je prierai le Dieu éternel de vous conserver pour l'avantage de l'Eglise, et baisant respectueusement vos mains sacrées et paternelles, je demeurerai,

De Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime,

Le perpétuel et très dévoué serviteur,

FRANÇOIS DE SALES,

indigne Prévôt de Saint-Pierre de Genève.

            A Thonon, le 19 mars 1596. [192]

LXIX. Au sénateur Antoine Favre (Minute inédite). Ardent désir de voir le duc de Savoie effectuer un voyage projeté en Chablais. — Envoi d'une lettre pour le P. Chérubin.

 

Thonon, 16 avril 1596.

 

            Quam verum spem quæ differtur animam affligere, et certius ex Sacro Codice cognoveram, et nunc quod peccata mea meruerunt, in causa propria durius experior. Crastinus enim hic et semper crastinus Principis adventus, quod crastinum etiam tandiu faciat hujus nostri Christiani negotii eventum hodiernum, mihi jampridem excitat animi dolorem.

 

« Dic mihi, cras istud, Posthume, quando venit »

 

et accedit, Frater suavissime ? Videndi te ingens, ut par [193] est, et me apud te de mora in scribendo purgandi desiderium [erat] quod litteris nulla possum ex parte explere ; nec otium quidem affuit, nec tabellarius ; dicam candide, nec etiam animus, cum singulis propemodum momentis profectioni intenderem. Quod enim optamus credimus.

            Jam vero, hoc redeunte otio et abeunte nuntio, languescente etiam de profectione spe, brevem hanc animi mei mitto sententiam. Si venerit Princeps, ad te propero quamprimum ; si, quod Deus avertat, non venerit, non committam quin ad te quoque, si qua fieri possit, ex itinere omnino divertam ; namque ecquid in animo habeat, quando per litteras nequeo, coram extorquere in nomine Domini decrevi. Res namque hujus status nullam deinceps sine gravi damno patietur dilationem. De demonomania ista scribo, uti jubebas, ad R. P. Cherubinum. Res est memoria digna ; si placet, perlegas antequam reddendi cures copiam.

            Itaque, suavissime Frater, me quod facis plurimum [194] ama, et bene vale cum clarissima familia tua, quam plurimum salvere cupio, Christumque habeto propitium.

            Tononii, tertio resurgenti Salvatori sacro die, 1596.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation.

 

 

 

            Combien il est vrai que l'espérance différée afflige l'âme ! Je le savais très certainement par les Livres Saints ; mais aujourd'hui, en punition de mes péchés, j'en fais personnellement une dure expérience. Ce demain, ce sempiternel demain auquel est toujours remise l'arrivée du prince me cause depuis longtemps une vive douleur ; car ce retard renvoie aussi au lendemain ce qui devrait être fait aujourd'hui : l'achèvement de nos affaires religieuses.

 

« Dis-moi donc, Posthumus, quand viendra ce demain ? »

 

Quand arrivera-t-il, Frère très aimable ? J'ai eu, c'est tout naturel, un [193] immense désir de vous voir et de m'excuser de vive voix de mon retard à écrire, car je ne puis en aucune façon satisfaire par lettres mon affection pour vous. Je n'avais d'ailleurs ni loisir ni courrier, et, je l'avouerai naïvement, pas même de courage, étant pour ainsi dire préoccupé à chaque instant de mon départ, tant nous croyons ce que nous souhaitons.

            Mais voici que le loisir m'est rendu, que le courrier va partir, qu'en même temps mon espérance de voyage s'évanouit, et je vous envoie cette brève expression de ma pensée. Si le prince vient, j'accours aussitôt vers vous ; si, ce qu'à Dieu ne plaise, il ne vient pas, je ne manquerai pas de me détourner de mon chemin, s'il m'est possible, pour me rendre auprès de vous. Puisque je ne puis savoir par lettres quels sont ses sentiments, j'ai résolu de lui en extorquer l'aveu au nom du Seigneur. Cet état de choses ne peut se prolonger sans un grave dommage. Selon vos désirs, j'écris au R. P. Chérubin au sujet de cette démonomanie. La chose est digne de mémoire. Lisez attentivement la lettre, s'il vous plaît, avant de chercher l'occasion de la faire parvenir.

            Cependant, Frère très aimable, aimez-moi beaucoup, comme vous [194] le faites, et portez-vous bien, ainsi que toute votre très noble famille, que je désire en excellente santé. Que le Christ vous soit propice !

            Thonon, troisième jour des fêtes de la Résurrection du Sauveur, 1596.

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LXX. A Monseigneur Jules-César Riccardi, Archevêque de Bari, Nonce Apostolique a Turin. Séjour à Annecy à l'occasion du synode. — Remerciements pour trois lettres reçues du Nonce. — Conversions qui s'opèrent en Chablais. — Nécessité d'y envoyer un nombre suffisant de prédicateurs, et de nommer aux cures des prêtres dignes de les occuper.

 

Annecy, 6 mai 1596.

 

            Illustrissimo et Reverendissimo Signore mio osservandissimo,

 

            Essendo venuto qui appresso Monsignor Rmo Vescovo per il sinodo et  altri negotii, ho ricevuto tre delle [195] lettere che piacque a V. S. Illma scrivermi, due alli 8 di Aprile di medesima sostanza, et una al terzo, delle quali la ringratio con ogni humiltà, et della memoria che hebbe di me nel bisogno ch' io havevo della licenza de' libri prohibiti, la quale io son aspettando ogn' hora, et ancora di quella dispenza nel matrimonio contratto fra parenti, non potendo però mandare a V. S. Illma i nomi, cognomi, patria et dioccesi, come mi commandò, per non haver ancora risposta del loro curato che sta un pezzo lontano.

            Quanto poi alli frutti che si fanno et sonno per farsi tuttavia in Ciablais, no posso mandargliene raguaglio distinto, massime dei nomi de' convertiti, per haverli lasciati in Tonon ; et spero fra poco di darne a V. S. Illma un'allegressa compita, se si darà modo di potere inviare numero conveniente de predicatori [196] in quella provincia, il che aspettiamo della venuta di Sua Altezza et conclusione di questa benedetta pace.

            Et per conto degli beneficii, no credo esser espediente di restituirli a quelli che anticamente ne hanno [havute] le provisioni etiandio di Sua Santità, perchè ancora che fossero capaci per la cura dell'anime in luoghi pacifici, moltissimi tuttavia, per luoghi di guerra et contrasto non sono sofficienti, se non mettessero altri capaci in luogo loro. Et importa infinitamente in questo principio di far cosa illustre et compita, per esser quella provincia di Ciablais a petto de tanti heretici.

            Non è tempo di dar quelli avisi ch' io promisi, sin tanto che sii in pace questo desolato paese ; et allora no mancarò di farlo con ogni studio et colla divotione ch' io devo al servitio di santa Chiesa, et forse portandoli [197] io stesso a V. S. Illma, allaquale priegho continuamente dal Signore Iddio ogni contento, essendo,

Di Sua Paternità Illma et Rma,

Perpetuo et divotissimo servitore,

FRANCO DE SALES,

indegno Prævosto della Cathedrale di Geneva.

            Di Anessi, alli 6 di Majo 1596.

A l'Illmo et Revermo Sigr mio osservandissimo,

Monsigr l'Arcivescovo di Bari,

Nuntio Apostolico appresso di Sua Altezza.

Turino.

 

Revu sur l'Autographe conserve à Rome, Archives du Vatican.

 

 

 

            Mon très honoré, Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

 

            M'étant rendu ici auprès de Monseigneur notre Révérendissime Evèque pour le synode et pour d'autres affaires, j'ai reçu trois [195] des lettres qu'il plut à Votre Seigneurie Illustrissime m'écrire : deux du 8 avril, traitant du même sujet, et une autre du 3. Je vous en remercie avec toute humilité, comme du souvenir que vous avez eu de moi en la nécessité dans laquelle je me trouve d'obtenir la licence de lire les livres défendus. J'attends encore cette permission aussi bien que la dispense pour le mariage contracté entre parents. Je ne puis néanmoins indiquer à Votre Seigneurie Illustrissime, ainsi qu'elle me l'a ordonné, les noms, prénoms, patrie et diocèse des intéressés, faute d'avoir reçu la réponse de leur curé qui demeure assez loin.

            Quant aux fruits de salut qui se produisent et se multiplient de plus en plus dans le Chablais, je ne puis vous donner des renseignements détaillés, ni vous envoyer la liste des convertis, car je l'ai laissée à Thonon. J'espère vous annoncer bientôt des nouvelles qui seront pour Votre Seigneurie Illustrissime le sujet d'une joie parfaite, si on nous procure le moyen d'envoyer un nombre convenable de [196] prédicateurs en cette province. Nous attendons ce résultat de la venue de Son Altesse et de la conclusion de cette bénite paix.

            Et pour ce qui est des bénéfices, je ne crois pas expédient de les rendre à ceux qui précédemment en avaient été pourvus, même par Sa Sainteté, à moins qu'ils ne mettent à leur place d'autres prêtres capables. Encore qu'ils fussent aptes au ministère des âmes dans les lieux où tout est en paix, beaucoup d'entre eux toutefois ne sauraient s'en acquitter convenablement où l'on doit lutter et combattre. Il importe infiniment de prendre des mesures éclatantes et absolues, cette province de Chablais étant environnée d'un si grand nombre d'hérétiques.

            Ce serait hors de propos de vous communiquer les renseignements promis, jusqu'à ce que la paix soit rendue à ce pays désolé. Je le ferai alors avec le plus grand soin, avec tout le dévouement que je dois au service de la sainte Eglise, et peut-être pourrai-je les porter moi-même à Votre Seigneurie Illustrissime. [197]

            Je prie sans cesse le Seigneur notre Dieu de vous combler de toute sorte de contentement, demeurant,

De Votre Paternité Illustrissime et Révérendissime,

Le perpétuel et très dévoué serviteur,

FRANÇOIS DE SALES, indigne Prévôt de la cathédrale de Genève.

Annecy, le 6 mai 1596.

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LXXI. A Monsieur d'Avully Envoi d'un commentaire de saint Jérôme. — Joie d'apprendre la conversion de Mme de Rovorée. — Attente de l'arrivée du duc à Thonon.

 

Sales, 10 mai 1596.

 

            Monsieur,

 

            Je vous envoye le commentaire de saint Hierosme tout au long, duquel ont estés tirees les paroles qui [198] vous faysoyent difficulté. Il est clair et net, plein de doctrine catholique, puysque la parole de l'Apostre demeure : Quæ seminaverit homo, hæc et metet. Et le secours que les ames qui sont en Purgatoire reçoyvent, n'est autre qu'une recompense de la communion de l'Eglise en laquelle les personnes chrestiennes meurent, communion par laquelle elles ont merité d'estr' aydëes par nos prieres. Et c'est la ou se rapporte la premiere partie du commentaire, quand il dict : « Mortui vero nihil valent adjicere ; » c'est a dire, ilz ne peuvent plus acquerir de merites ni de justice, mais ilz peuvent bien percevoir le fruict de celle quilz ont eu en ce monde, et en vertu de la communion des Saintz, en laquelle ilz sont decedés, peuvent estr'aydés par les prieres, ausmones et satisfactions. Le dernier sens quil apporte du chien mort et lion vivant est mistique ou allegorique ; mays vous considereres mieux que moy tout cecy.

            J'ay eu ceste bonne nouvelle que madame de Ravoyrëe et sa fille de chambre avoyent abjuré l'heresie. [199] Je ne sçai si elles auront esté instruittes a plein fons, et partant je vous supplie, ou par lettre ou autrement, les consoler. Que si l'occasion se praesentoit, je voudrois bien sçavoir s'il leur sera point demeuré de scrupule, car il est mal aysé a personnes qui ne sçavent pas poiser la fermeté de la vraÿe Eglise de demordre ainsi tout a coup. Or, Monsieur, c'est chose vostre, que je ne vous dois pas recommander si je ne vous estois tant serviteur que je suis.

            Je languis en ceste si longu'attente de Son Altesse, laquelle ne venant pas ceste prochaine semayne, comme on prætend, je retourneray a Thonon pour l'attendre. Ce pendant j'y envoye mon cosin. Monseigneur le Nonce m'escrit que Son Altesse est tres bien resolue pour le revenu des benefices et affectionnëe a ceste besoigne.

            Je prie Dieu nostre Createur quil nous face vivr'et mourir pour son service, et vous supplie croire que je suys,

Monsieur,

Vostre humble serviteur,

FRANÇS DE SALES.

            A Sales, le 10 may 96, ou je bayse les mains de madame vostre compaigne et de toute vostre honorable brigade.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy.

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Extrait du commentaire de Saint Jérôme

(Voir la note (453) de la page précédente)

 

            Est confidentia quoniam canis vivens melior est leone mortuo ; quia viventes sciunt quod moriantur et mortui nesciunt quicquam, etc. Quia supra dixerat cor filiorum hominum impleri malitia et procacitate, et post hæc omnia morte finiri, nunc eadem complet, et repetit : donec vivunt homines eos posse fieri justos, post mortem vero nullam boni operis dari occasionem. Peccator enim vivens potest melior esse justo mortuo si voluerit in ejus transire virtutes ; vel certe, eo qui se [200] in malitia, potentia, procacitate jactabat et mortuus fuerit, melior potest quis pauper esse et vilissimus. Quare ? Quia viventes, metu mortis, possunt bona opera perpetrare ; mortui vero nihil valent ad id adjicere quod semel secum tulere de vita, et oblivione obvoluta sunt omnia ; juxta illud quod in Psalmo scriptum est : Oblivioni datus sum tamquam mortuus a corde. Sed et dilectio eorum et odium et æmulatio, et omne quod in seculo habere potuerunt, mortis finitur adventu ; nec juste quippe possunt agere nec peccare, nec virtutes adjicere nec vitia.

            Licet quidam huic expositioni contradicant, asserentes etiam post interitum excrescere nos posse et decrescere, et in eo quod nunc ait : Et pars non erit eis adhuc in seculo, in omni quod factum est sub sole, ita intelligunt ut dicant eos in hoc seculo, et sub hoc sole quem nos cernimus, nullam habere communionem, habere vero sub alio seculo (de quo Salvator ait : Non sum ego de hoc mundo) et sub sole justitiæ ; et non excludi opinationem quæ contendit, postquam de hoc seculo migraverimus, et offendere posse creaturas rationales et promereri. Aliter referebat mihi Hebræus versiculum istum in quo dicitur : Melior est enim canis vivens super leonem mortuum, ita apud suos exponi : utiliorem esse quemvis indoctum, et eum qui adhuc vivat et doceat præceptore perfecto qui jam mortuus est. Verbi causa, ut canem intelligerent unum quemlibet de pluribus præceptorem, et leonem Moysem aut alium quemlibet Prophetarum.

            Sed quia nobis hæc expositio non placet, ad majora tendamus ; et Chananæam illam cui dictum est : Fides tua te salvam fecit, canem esse juxta Evangelium dicamus, leonem vero mortuum circumcisionis populum, sicut Balaam Propheta dicit : Ecce populus ut catulus leonis consurget, et ut leo exultavit. Canis ergo vivens nos sumus, ex nationibus ; leo autem mortuus Judæorum est populus, a Domino derelictus : et melior est apud Dominum iste canis vivens quam leo ille mortuus. Nos enim viventes cognoscimus Patrem et Filium et Spiritum Sanctum ; illi vero mortui nihil sciunt, neque expectant aliquam repromissionem atque mercedem, sed completa est memoria eorum ; neque ipsi meminerunt quæ scire debuerant, neque illorum jam Dominus recordaturus est. Dilectio quoque qua aliquando Deum diligebant periit ; et odium, de quo audacter loquebantur : Nonne odientes te, Domine, odivi et super inimicos tuos tabescebam ? necnon et zelus eorum, juxta quem Phinees zelatus est et Mathathiæe intremuerunt poplites. Perspicuum est autem quod et pars eorum non est in sæculo ; non enim possunt dicere : Pars mea Dominus. [201]

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LXXII. A Monseigneur Jules-César Riccardi, Archevêque de Bari, Nonce Apostolique a Turin (Minute inédite). Calomnies répandues à la cour de Savoie contre M. d'Avully et l'Apôtre du Chablais. — Abandon dans lequel on laisse ce dernier. — Désir de faire un voyage à Turin.

 

Thonon, septembre 1596.

 

            Illustrissimo et Reverendissimo Signor mio osservandissimo,

 

Hebbi hieri da monsieur di Avully la lettra che si compiacque V. S. Illma di farmi alli 27 di Agosto, con intera et perfetta allegrezza del contento eh' essa hebbe nella reconciliatione di questo cavagliero. Speravo ch'egli havrebbe dato conto al Serenissimo Prencipe di quel poco che sin adesso habbiam potuto fare qui in questo paese, et di quanto è necessario per veder fra pochi mesi questa benedetta opra compita et perfetta. Ma, per quanto mi ha detto, fu avertito che non mancavano calomniatori in quella corte, et della sua conversione alla santa Chiesa, et della mia intentione in queste mie poche [202] fatiche ; et per questo hebbe opinione di non poter commodamente esser creduto, sì che lasciò di parlarne più. Il che mi fa tanto magiormente desiderar d'inviarme per Torino, acciò possa havere risolutione del beneplacito di Sua Altezza sopra questo tanto importante negotio.

            Et se si darà l'ordine pronto come si conviene, ritornarò certo et sicuro di veder ben presto lieta raccolta di migliaia d'anime ; se per contrario no si darà, pigliarò la benedittione di V. S. Illma et Rma et licentia di abandonnar questa impresa per altri più capaci, chè mi sento spezzar il cuore di veder le parrochie intere desiderar di esser satiate della santa dottrina catholica et non poterli (sic) provedere, per non havere il modo per inviare a quest' opra numero sofficiente de predicatori et pastori. Nò posso più io solo restare qui per esser favola delli nemici, i quali vedendo non si dar altr' ordine, sprezzano tanto più il mio ministerio, del quale nientedimeno io ad ogni modo devo esser zeloso.

            Quanto poi alli calomniatori, spero che in fine si cognoscerà, et lo sa Iddio benedetto, che quanto a questo [203] io da ogni ambitione sono libero, nè con queste poche fatiche cerco di esser cognosciuto da' superiori se non quanto basta per esseguire questo servitio et altri così fatti. Et contro de tutte queste lingue, ho sufficiente protettione nella bontà di V. S. Illma ; nè spruzaranno giamai i calomniatori tante aque de maledicentie che possano estinguere il zelo del quale arde il serenissimo cuore delle loro Altesse.

            Della conversione di monsieur d'Avully già ne scrissi ultimamente a V. S. Illma et glie ne darò conto più particolar ; chè invero non a luy (sic) solo et a me, ma ancora al general di questo negotio, fanno gran prejuditio questi tali maledicenti ; et in questo sonno favorevoli agli hæretici, quali vanno calomniando tutte le conversioni che si sonno fatte a' tempi nostri, per impedir l'effetto che suol far l'essempio dei primi nelle conscientie del popolo. Ma sopra questo et molte altre cose per servitio di Iddio et di santa Chiesa, spero che presto V. S. Illma et Rma me darà udientia con queir amorevolezza colla [204] quale si degna di invitarme al suo palazzo, acciò che io possi avantarme (sic) poi no solo di esser suo divotissimo et humilissimo, come sono, ma ancora domestico servidore. Come tal, bascio humilissimamente le reverendissime mani et resto,

Di V. S. Illma,

Ubedientissimo et indegnissimo servo,

F. DE S. P.

 

Revu sur l'Autographe conserve à la Visitation de Rennes.

 

 

 

            Mon très honoré, Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

 

            Je reçus hier, par M. d'Avully, la lettre que Votre Seigneurie Illustrissime eut la bonté de m'écrire le 27 août, et j'éprouvai une entière et parfaite allégresse du contentement que vous donna la conversion de ce chevalier. J'espérais qu'il aurait rendu compte au Sérénissime Prince du peu qu'il nous a été possible de faire jusqu'ici dans ce pays, et de ce qui est nécessaire pour voir en peu de mois cette bénite œuvre achevée et affermie. Mais, d'après ce qu'il m'a dit, on l'a prévenu qu'il ne manquait pas de gens à cette cour pour calomnier sa conversion à la sainte Eglise, et mon intention dans [202] ce peu de fatigues que j'ai soutenues. Il se persuada pour cette raison qu'il n'aurait pas été cru facilement ; aussi laissa-t-il d'en parler davantage. C'est ce qui me fait toujours plus désirer d'aller moi-même à Turin afin d'obtenir une déclaration du bon plaisir de Son Altesse sur cette affaire si importante.

            Que si, comme il convient, on donne promptement des ordres, je reviendrai sûr et certain de voir bientôt mûrir une heureuse moisson de plusieurs milliers d'âmes ; si au contraire on ne les donne pas, je demanderai votre bénédiction et la permission d'abandonner cette entreprise à d'autres plus capables que moi. J'ai le cœur brisé de me voir hors d'état de satisfaire des paroisses entières qui désirent être rassasiées de la sainte doctrine catholique, faute d'avoir les moyens de leur envoyer à cet effet un nombre suffisant de prédicateurs et de pasteurs. Je ne puis plus rester seul ici pour devenir la fable de nos ennemis, qui, voyant qu'on ne donne plus aucun ordre, méprisent mon ministère, dont cependant je dois être jaloux de toute manière.

            Quant aux calomniateurs, j'espère qu'à la fin on connaîtra, et Dieu [203] le sait, combien en ceci je suis libre de toute ambition, et que, par ces quelques travaux, je ne cherche pas à être bien vu de mes supérieurs, sinon autant qu'il le faut pour remplir cette mission et d'autres semblables. Contre toutes ces langues je trouve une protection suffisante dans la bonté de Votre Seigneurie ; du reste, les calomniateurs ne lanceront jamais les eaux de leurs détractions avec tant de profusion qu'elles puissent éteindre le zèle dont brûle le cœur de leurs Altesses Sérénissimes.

            J'écrivis dernièrement à Votre Seigneurie au sujet de la conversion de M. d'Avully, et je vous en rendrai un compte plus particulier encore ; car vraiment ce n'est pas seulement à lui et à moi, mais c'est au général de la mission, que ces médisants portent un grand préjudice. Ils sont en cela favorables aux hérétiques, qui calomnient toutes les conversions opérées de notre temps afin d'empêcher l'effet que produit ordinairement l'exemple des plus notables sur les consciences du peuple. Mais pour ceci et beaucoup d'autres choses qui regardent le service de Dieu et de la sainte Eglise, j'espère que bientôt Votre Seigneurie me donnera audience selon cette bienveillance avec laquelle elle daigne m'inviter en son palais, afin que je puisse [204] m'honorer non seulement d'être, comme je le suis, votre très humble et tout dévoué, mais encore votre serviteur familier. En cette qualité je baise humblement vos mains vénérées et reste,

De Votre Seigneurie Illustrissime,

Le très obéissant et très indigne serviteur,

FRANÇOIS DE SALES, Prévôt.

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LXXIII. Au même. Instances pour obtenir le rétablissement du culte catholique dans quelques paroisses du Chablais.

 

Sales, 14 novembre 1596.

 

            Illustrissimo et Reverendissimo Signor mio osservandissimo,

 

            Questa ritardatone della conclusione di pace me fa gran dubbio che Sua Altezza Serenissima no differisca [205] l' aiuto che se deve dar a quell' anime di Chiablais ; et no sapendo di dove rivolgermi, supplico humilissimamente V. S. Illma che per amor di Dio no permetta ch'io passi costì l' advento di Nostro Signore senza vederlo venuto in quelle contrade ; anzi procuri, colla solita carità, che almanco in tre o quattro luoghi si comminci l' essercitio catholico, se per il freddo no si potrà più ottenere.

            È molto il comminciare : se venirà piccolo Christo come bambino in queste feste natalitie, crescerà poi pian piano sino alla perfetta mesura della plenitudine. Et in questo, ad ogni modo non ciè altro pericolo se non di tralasciare l'impresa et fugire di Bethleem, in caso che questo trattato di pace se terminasse in guerra ; il che no solo nel Chiablais, ma in molti altri luoghi di questa diocesi traverrebbe. Chi sa se Iddio vuole che la pace spirituale sii preparatione et fondamento alla temporale.

            Son in procinto di passare in Tonone, quantunque io sia certo di esser favola delli nemici, sin tanto che ci venga l'ordine di Sua Altezza, il quale io sempre, lieto et sicuro, vado aspettando, mentre mi ricordo del zèlo [206] ardentissimo che V. S. Illma adopra in questa sollecitatione, alla quale pertanto no raccommando più il negotio. Solo dirò che la speranza che si differisce affligge incredibilmente l'anima mia et de molti buoni Catholici, massime delli principianti, et sarà forse causa d'afflittione æterna a molt' altre.

            Finisco con prieghar il Signore che ci conservi V. S. Illma, della quale io sono eternamente

Humilissimo et devotissimo servidore,

FRANCO DE SALES,

Prevosto di Geneva.

            Di Sales, casa paterna mia, alli 14 9bre 1596.

All' Illmo et Rmo Sigr mio osservandissimo,

Monsigr l' Arcivescovo di Bari,

Nuntio Apostolico appresso S. A. Serenma.

Turino.

 

Revu sur une copie authentique conservée à Rome, Archives du Vatican. [207]

 

 

 

            Mon très honoré, Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

 

            Ce délai apporté à la conclusion de la paix me fait grandement redouter que Son Altesse Sérénissime ne diffère de venir au secours [205] de ces populations du Chablais. Ne sachant de quel côté me tourner, je supplie humblement, pour l'amour de Dieu, Votre Seigneurie de ne pas permettre que l'Avent s'achève sans que je voie Notre-Seigneur rentrer en ces contrées. Veuillez donc nous obtenir qu'on commence l'exercice du culte catholique au moins dans trois ou quatre localités, si à cause du froid on ne peut faire davantage.

            C'est beaucoup de commencer : si le Christ vient à nous comme petit enfant en ces fêtes de Noël, il grandira ensuite peu à peu jusqu'à la parfaite plénitude de la maturité. Et en cela, il n'y a de toute façon aucun péril à courir, si ce n'est celui d'abandonner l'entreprise et de fuir de Bethléem, au cas où ces négociations de paix aboutiraient à une guerre ; ce qui traverserait [les intérêts de la religion] non seulement en Chablais, mais dans plusieurs autres lieux de ce diocèse. Qui sait si Dieu ne veut pas que la paix spirituelle soit la préparation et le fondement de la temporelle ?

            Je suis sur le point de me rendre à Thonon, bien que je sois certain d'être la fable de nos ennemis jusqu'à ce que nous arrive l'ordre de Son Altesse. Je l'attends toujours avec joie et assurance, me [206] souvenant du zèle très ardent que Votre Seigneurie déploie dans cette poursuite ; je crois donc superflu de la lui recommander encore. Je dirai seulement que l'espérance différée afflige incroyablement mon âme et celles de beaucoup de bons Catholiques, surtout des nouveaux convertis ; peut-être même sera-t-elle la cause de la désolation éternelle d'un grand nombre d'autres.

            Je termine en priant le Seigneur de nous conserver Votre Seigneurie Illustrissime, de laquelle je suis pour jamais

Le très humble et très dévoué serviteur,

FRANÇOIS DE SALES,

Prévôt de Genève.

            De Sales, ma maison paternelle, le 14 novembre 1596. [207]

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LXXIV. Au sénateur Antoine Favre (Minute). Désir de lui voir accepter la charge de Président du Conseil de Genevois. — Délais apportés aux affaires du Chablais. — Projet d'un pèlerinage au tombeau de saint Claude.

 

Annecy, 23 ou 24 novembre 1596 .

 

            Miraberis et merito fateor, mi Frater, me totis iis octo quibus [Necii] fui diebus nihil ad te dedisse litterarum. At ne propterea crede, quæso, nihil me dedisse cogitationum qui meæ menti unus perpetuo obversaris ; sed tot undique sum obrutus negotiis, et dico candide, ut Necii nunquam mihi firmus fuerim. Nunc vero in profectionis articulo, quod a mora non potui, ab ipso discessu otium hoc scribendi quale quale est expressi.

            In Ducis nostri Gebennensium mente et ore eo es imprimis loco ut meliore vix esse possit quisquam, et si permittas intelligi te (sic enim de more aulico loquor) [208] Præsidem, hic non optatissimum modo, sed his temporibus necessarium sumus habituri. Plura nequeo per epistolam et atramentum.

            Vidi summa mea voluptate fratrem nostrum ; nihil suavius, candidius, politius. Ita tamen vidi ut vix vidisse dici possim, cum enim ad extremum diei crepusculum convenissemus, magis utrimque audivimus quam vidimus, etsi per duas horas simul fuimus.

            De re nostra Tononiensi quid dicam, mi Frater ? Dominus de Jacob mira dedit in promissis. Undique captamus occasiones Principis hac in causa gratiam serio ineundi : per Nuntium Apostolicum, per Jesuitas, per Cappucinos. Incæperam bene sperare, sed de bello audio nescio quid quod meæ spei negotium facessit. Verum iis Deus optimus maximus pro sua pietate moderabitur. [209]

            Scribam quam primum peregrinationem ad Divi Claudii reliquias absolvero, quam post concionem diei Dominicæ Tononi, Deo dante, faciendam, incipiam.

            Bene vale, Frater suavissime, et me quod facis ama. Unicum id erit hoc tam acerbo tempore oblectamentum.

            Necii.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy.

 

 

 

            Vous serez étonné, mon Frère, et avec raison, que j'aie pu passer huit jours à Annecy sans vous donner de mes lettres ; mais ce n'a pas été sans vous donner de mes pensées, car vous êtes perpétuellement présent à mon esprit. Les affaires m'assiégeaient de toutes parts, à tel point que, je vous le dis en parfaite sincérité, je ne me suis pas appartenu un seul instant à Annecy. Maintenant toutefois j'obtiens au moment du départ ce que je n'ai pu me procurer en le différant : le loisir de vous écrire un mot n'importe comment.

            Vous occupez la première place dans l'estime de notre duc de Genevois, et il ne porte personne aussi haut que vous dans ses louanges. [208] Si vous permettez que l'on vous considère comme Président (c'est ainsi que je parle à la façon des hommes de cour), nous aurons un Président non seulement très désiré ici, mais tel qu'il nous le faut dans les circonstances où nous nous trouvons. Je ne puis vous en dire davantage par le moyen de l'encre et du papier.

            J'ai vu notre frère avec une très grande satisfaction : on ne saurait trouver quelqu'un de plus aimable, de plus simple, de plus gracieux. Cependant c'est à peine si je puis dire l'avoir vu, car notre rencontre eut lieu en plein crépuscule, de telle sorte que nous nous sommes entendus plutôt que nous ne nous sommes vus, bien que nous ayons passé deux heures ensemble.

            De notre affaire de Thonon, que vous dirai-je, mon Frère ? M. de Jacob nous a fait les plus belles promesses. Nous saisissons toutes les occasions d'intéresser le prince à notre cause, soit par l'entremise du Nonce apostolique, soit par celle des Jésuites et des Capucins. Je commençais à espérer un succès favorable, mais j'entends je ne sais quelles annonces de guerre qui ébranlent mes espérances. Dieu très bon et très grand disposera de tout dans sa miséricorde. [209]

            Je vous écrirai après le pèlerinage que je me propose de faire aux reliques de saint Claude. Je partirai, s'il plaît à Dieu, après le sermon que je dois prêcher Dimanche à Thonon.

            Adieu, mon très doux Frère, aimez-moi toujours comme vous le faites ; c'est la seule consolation que j'aie en ces temps malheureux.

            Annecy.

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LXXV. A un cousin (Inédite). Témoignages d'affection. — Annecy est menacé de la peste. — Message pour le P. de Lorini.

 

Coursinge, 25 novembre 1596.

 

            Monsieur mon Cosin,

 

            Je vous escris avec cest'asseurance que le peu de loysir et de commodité que j'ay ne vous empechera pas de croire a bon escient que vous n'aves point de parent qui soit plus vostre affectionné que je suis.

            Madame vostre mere, ma cosine, se porte tres bien, Dieu mercy. A Necy il y a eu quelque soupçon de contagion, mays ce ne sera rien, Dieu aydant. Je ne sçay si [210] le R. P. Jan de Lorini se resouviendra point de moy ; a toutes fortunes je vous prie le saluer de ma part.

            J'ay voulu vous saluer par ce mot de mauvays ancre et de mauvays papier, mais avec autant de bonne affection que peut et doit un qui desire de vous estre irrevocablement,

Monsieur mon Cosin,

Vostre tres humble et affectionné serviteur et cosin,

FRANÇOIS DE SALES,

Prævost de St Pierre de Geneve.

            A Coursinge, le jour sainte Catherine 1596, ou je salue tres affectionnement messieurs nos cosins.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat.

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LXXVI. Au sénateur Antoine Favre (Inédite). Recommandation en faveur de M. de Coursinge.

 

Fin novembre 1596.

 

            Monsieur mon Frere,

 

            L'obligation que j'ay d'affectionner le service de monsieur de Coursinge faict que sçachant qu'il alloit au Senat pour un sien affaire d'importance, je vous supplie que son droict vous soit en recommandation. Et bien que la singuliere recommandation en laquelle vous aves la justice soit un'inseparable proprieté de vostre vie et qui [211] vous rend digne de recommandation immortelle, si est ce que pour rendre l'amitié de laquelle vous m'honnores et l'honneur que je vous porte plus recommandable, j'ay deu, ce me semble, vous faire, et vous prie de recevoir, ceste humble recommandation qui part de celuy qui ne pense en rien estre recommandable qu'en l'honneur qu'il a d'estre advoué de vous,

Monsieur mon Frere,

Vostre tres humble et tres affectionné

frere et serviteur.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation.

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LXXVII. A Monseigneur Jules-César Riccardi, Archevêque de Bari, Nonce Apostolique a Turin. Réclamations au sujet d'un legs fait à trois églises de Savoie.

 

Thonon, 29 novembre 1596.

 

            Illustrissimo et Reverendissimo Signor mio osservandissimo,

 

            La bontà di V. S. Illma mi fa tuttavia maggior animo di adoprare i suoi favori. Furono legati ciè un pezzo [212] da un gentilhuomo Savoyano habitante in Roma, chiamato il signor Vignodi, 400 scudi per due chiese di questa diocesi et 200 per un'altra di Tarentasia. Hora essendovi, per quanto si dice, un statuto in Roma che i legati ad piam causam che no si pagano fra l'anno si riduccano ad utiltà della fabrica di Roma, gli soprastanti di quella fabrica, vedendo quelli legati non essersi pagati nel tempo prescritto, vogliono ritirarli di là. Supplico adunque humilissimamente V. S. Illma si degni scriverne a chi essa giudicarà più giovevole, acciò no sian private queste tanto povere chiesuole di qua di quello aiuto che da quelli legati glie può venire ; [213] chè in questo vi sonno da farsi queste considerationi. L'una, che i curati di queste chiese non han havuto noticia de'detti legati se non da poco tempo in qua, et manco di detto statuto romano, in che sonno stati in ignorantia invincibile ; l'altra, che se bene vi fosse crassa ignorantia de'detti curati, le parrochie nè le chiese non hanno da patirne il danno et castigo. Oltre poi che è litigiosa quella heredità, nè è ancora finita la lite, et si deve haver rispetto alla calamità che ha sin adesso fermati i passi d'Italia ; nè eran ubligati questi curati di villa a mandare per haver passaporti da Sua Altezza, chè a questo modo i legati si sariano dileguati in spese, nè hanno ingegno di farlo. [214]

            Mosso da queste ragioni et della compassione della povertà di queste chiese, ardisco di far' a nome loro questa supplica a V. S. Illma. Nè lasciarò di pregarla con ogni humiltà che seguiti col solito zelo di instare alla fabrica spirituale di questo Chiablais appresso di Sua Altezza Serenissima, laquale se in cosa veruna vuole adoprare la sua hereditaria pietà, lo può et deve fare con questa occasione, con prontezza et diligentia tanto grata a Dio.

            Non son ancora stato in Necy per il sospetto, se ben adesso no vi è male alcuno. Son in procinto di fare la secretta informatione che mi ha commessa, et subito [215] fatta la mandarò di là. In tanto priegho Iddio æterno si degni benedire a tante fatighe che V. S. Illma fa a beneficio nostro et della santa Chiesa, et basciandoli humilissimamente le reverendissime mani, restarò in perpetuo,

Di V. S. Illma et Rma,

Divotissimo et humilissimo servidore,

FRANCO De Sales,

Prevosto di Geneva.

            In Tonone de Chiablais, alli 29 di Novembre 1596.

All' Illmo et Rmo Sigr mio osservandissimo, Monsigr l'Arcivescovo di Bari, Nuntio Apostolico appresso di S. A. Sma.

Turino.

 

Revu sur l'Autographe conserve à Rome, Archives du Vatican. [216]

 

 

 

            Mon très honoré, Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

 

            La bonté de Votre Seigneurie Illustrissime m'encourage toujours plus à me prévaloir de ses faveurs. Un gentilhomme savoisien, [212] nommé M. de Vignod, habitant à Rome, légua, il y a longtemps, quatre cents écus à deux églises de ce diocèse, et deux cents à une autre de Tarentaise. Or, il existe à Rome, à ce que l'on dit, un décret d'après lequel les legs pour oeuvres pies qui ne sont pas acquittés dans le cours de l'année, doivent être appliqués à la fabrique de [Saint-Pierre de] Rome. Les administrateurs de cette fabrique, voyant que ces legs n'ont pas été payés au temps marqué, prétendent les retenir. Je supplie donc très humblement Votre Seigneurie de vouloir bien écrire à qui de droit, afin que ces si pauvres petites églises de notre pays ne soient pas privées du secours qui peut leur revenir de ces legs. Il faut faire à ce sujet les considérations [213] suivantes : l'une, que les curés de ces églises n'ont eu que depuis peu de temps connaissance de ces legs et qu'ils connaissaient moins encore le décret romain ; c'est donc de leur part une ignorance invincible. L'autre, que si les susdits curés ont été dans une ignorance crasse, ce n'est pas aux paroisses ni aux églises à en subir le dommagé et la peine. En outre, cet héritage est contesté, le procès n'est pas terminé. L'on doit aussi avoir égard à la calamité qui a jusqu'ici fermé les passages d'Italie ; ces curés de campagne n'étaient pas obligés à des démarches pour obtenir des passeports de Son Altesse, car ainsi ces legs auraient été consumés en dépenses qu'ils ne sont pas en mesure de faire. [214]

            Pressé par ces raisons et par la compassion que m'inspire la pauvreté de ces églises, j'ose adresser en leur nom cette supplique à Votre Seigneurie. Je ne laisserai pas de la prier en toute humilité de poursuivre, avec son zèle accoutumé, les instances auprès du duc pour la restauration spirituelle de cette province du Chablais. Si Son Altesse veut en chose aucune témoigner de la piété héréditaire dans sa Maison, elle peut et doit le faire en cette occasion, avec la promptitude et la diligence si agréables à Dieu.

            Je n'ai pas encore été à Annecy à cause des soupçons de peste, bien qu'en ce moment il n'y ait aucun cas de cette maladie. Je me dispose à faire l'information secrète que vous m'avez confiée, [215] et, aussitôt terminée, je vous l'enverrai. En attendant, je prie le Dieu éternel de bénir tant de travaux que Votre Seigneurie Illustrissime entreprend pour notre bien et pour celui de la sainte Eglise, et, baisant très humblement vos mains vénérées, je demeurerai à jamais,

De Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime,

Le très dévoué et très humble serviteur,

François de Sales,

Prévôt de Genève.

            De Thonon en Chablais, le 29 novembre 1596. [216]

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LXXVIII. Au sénateur Antoine Favre (Minute inédite). Espoir de solenniser à Thonon les fêtes de Noël. — Recommandation en faveur des nouveaux convertis de la paroisse de Mésinge.

 

Thonon, vers le 7 décembre 1596 .

 

            Quod optatissimum mihi fuerat, suavissime Frater, accepi nudius tertius tuas litteras, incolumitatis tuæ testes, eo etiam vel maxime jucundas quod de tuo ad nos adventu aliquam injiciant conjecturam ; ut enim in maximis desideriis fieri solet, etiam levissimum rei gerendæ indicium spei certissimæ vices sustinet. Et quidem si, quod Deo adspirante futurum speramus, iis in locis Christus, inter sacros Natalibus suis dies velut repuerascens, paucosque quos habet hic fideles, iterum tandem aliquando nascatur, certissimum mihi est te primum universa de re admonere, tum vero testem oculatum advocare. Quod si urbanorum pastorum colloquia cum [217] rusticanorum societate non facile commutaveris, at saltem te cum Orientalibus Dynastis venturum expectabimus. Faxit Deus optimus maximus uti tantæ felicitatis spem peccata nostra non antevertant.

            Cæterum viri isti Mezingenses, qui, te præsente, de extremo hæresi remittendo nuntio mecum egerant in ædibus nostris Marclianis, post rectam fidei quam vocant professionem, immunitatem, quam eo nomine a Serenissimo Principe consecuti sunt, ad principalis patrimonii procuratorem, quo eam ratam habeant deferunt. Hos ut imprimis tua opera et authoritate hoc in negotio juves etiam atque etiam obtestor ; quanquam tam sedulus Crucis discipulus, hac in causa, cohortatione non indiget. Scribo in eorum commendationem plurimis, sed ea lege ut si tu e re futuras putaveris, litteras unicuique statim deferant, sin minus referant easdem…

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Amiens. [218]

 

 

 

            Comme je le souhaitais ardemment, très aimable Frère, j'ai reçu avant-hier votre lettre attestant votre bonne santé. Elle m'a fait d'autant plus de plaisir qu'elle me permet de conjecturer votre arrivée auprès de nous ; car, ainsi qu'il advient ordinairement dans les grands désirs, le moindre indice de leur réalisation produit une espérance qui tient de la certitude. Si donc ce que nous attendons s'effectue par la grâce de Dieu : qu'en ces lieux, durant les jours consacrés aux fêtes de sa Nativité, le Christ, redevenant pour ainsi dire petit enfant, naisse enfin de nouveau parmi ce peu de fidèles qu'il a ici, je vous préviendrai très certainement de tout, puis je vous appellerai pour être témoin oculaire. Dans le cas où vous échangeriez difficilement la [217] compagnie des pasteurs de la ville contre la société de ceux de la campagne, nous comptons du moins que vous viendrez avec les Rois de l'Orient. Plaise au Dieu très bon et très haut que nos péchés ne ruinent pas l'espoir d'une telle félicité !

            Cependant ces hommes de Mésinge qui, dans notre maison forte de Marclaz, me parlaient en votre présence d'abjurer l'hérésie, ont fait ce qu'on appelle la due profession de foi. Ils vont solliciter du procureur principal du patrimoine ducal la ratification des immunités qu'ils ont obtenues du prince en conséquence de cet acte. Je vous supplie donc instamment de les aider de votre action et de votre influence en cette affaire. Mais un si fidèle disciple de la Croix n'a pas besoin d'exhortation sur ce sujet. J'écris à plusieurs personnes pour recommander ces hommes, mais à condition qu'ils remettront immédiatement mes lettres à qui de droit, si vous le jugez utile ; sinon, ils les rapporteront… [218]

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LXXIX. A Monseigneur Jules-César Riccardi, Archevêque de Bari, Nonce Apostolique a Turin. Remerciements pour l'autorisation d'absoudre des cas réservés. — Conversions opérées en Chablais ; état des esprits dans cette province. — Calomnies répandues contre M. d'Avully. — Nomination du nouvel Abbé d'Abondance.

 

Thonon, 12 décembre 1596.

 

            Illustrissimo et Reverendissimo Signor mio osservandissimo,

 

Ho ricevuto l'ordine di Sua Altezza per haver i scudi trecento per le spese già fatte, insieme con la lettera di V. S. Illma, d'il che ne ringratio humilissimamente sua bontà, et della licentia per i relapsi, laquale io adoprarò con quella maggior discretione che il Signor mi concederà ; et in vero che cie n'era gran bisogno.

            Da che son ritornato così vuoto di espedittioni necessarie per quest' opra, son stato la burla de questi infedeli, [219] et nondimeno si sonno guadagnate da ottant' anime fra piccoli et grandi. Se Sua Altezza, secondo il suo santo zelo, mandarà qui un senatore ad invitare gl' habitatori di Tonone all' udito della santa parola, sì com' io lasciai in memoria, spero che si farà un gran buon effetto.

            V. S. Illma mi ha dato la vita quando mi ha fatto certo che nonostante le querimonie de' Cavaglieri haveremo ben presto modo di incomminciar un poco più di essercitio catholico fra queste genti, perchè io mi son avveduto più che mai dell' estrema necessità che vi è de santi pascoli. Molti sonno Catholici da quel tempo in qua che passò qui Sua Altezza ; molti sonno relapsi in foro exteriori solamente, per forza et violentia dell'armate nemiche ; molti sonno indifferenti, nè sanno quel che si siano, et tutti, come erranti pecorelle, senza pastore. [220]

            Me piace che i signori Cavaglieri habbino per poca cosa li beni ecclesiastici di Chiablais, perchè essendo poi loro persone magnanime, le (sic) lasciaranno volontieri a servitio d'Iddio, et quell'oglio che glie (sic) par poco bastarà per far un lume di santo essercitio che mandarà raggi sin a mezzo [dei] Bernesi et Genevini, pur che senza contrasto cie lo lascino.

            Ho ritrovato ancora altre parrochie et persone qui molto ben disposte alla santa fede, et se si essequiranno le sante intentioni di Sua Altezza con fervore, si farà una grande conversione, massime essendo il trattato di pace in così pie et sante mani. [221]

            Haverà adesso V. S. Illma la lettera di monsieur di Avully in risposta del Breve di Sua Santità, perchè egli la mandò ciè un pezzo. Ma non voglio mancare di dire a V. S. Illma che no manca punto il nemico di far a questo cavagliere tutti gl' assalti che egli può per oscurare il lume che si era acceso della sua conversione, suscitandogli molti odii, sì dalla parte heretica come della catholica. Et particolarmente da Berna è stato minacciato acciò no sollecitasse altri alla fede ; il che nientedimeno egli fa ad ogni sorte di occasione, molto più consolato in queste tribolationi catholiche che egli non era nelle prosperitade heretiche. È mala bestia l' heresia, et sa prevalersi di ogni sorte di sinistro evenimento.

            Mando qui alligata la informatione secretta fatta per [222] commissione di V. S. Illma, la quale io supplico di perdonarmi se no sarà così ben acconcia, sì perchè questa è la prima che io feci, sì perchè non ho potuto haver secretano molto a proposito. Ma per quanto vedo, non sarà troppo necessaria questa informatione, poichè si ha da dar la badia ad un altro. Et laudo il Signore della buona monte che egli ha data a Sua Altezza Serenissima di presentar a Sua Beatitudine quel gentilhomo così ben qualificato, come mi scrisse V. S. Illma ; onde me ne viene certa speranza che se usarà a questo modo Sua Altezza, et ne sarà maggiore la gloria d'Iddio et la prosperità delle loro Altezze et de questi stati. Nè per questo lasciarannono di haver bisogno di visita apostolica queste badie et altri luoghi di Savoya, perchè, s'io no m'inganno, a tanta difformatione ciè bisogno d'altra authorità che di semplice prælato.

            No credo che Sua Santità possa far cosa più giovevole a [223] queste contrade che mandando un Visitator apostolico ; et piacess' al Signor che fosse V. S. Illma, allaqual con humilissima riverenza bascio le sacre mani, prieghandoli dal Signor ogni contento.

Di V. S. Illma et Rma

Devotissimo et humilissimo servitore,

FRANCO DE SALES,

Prevosto di Geneva.

            Da Tonone, alli 12 Decembre 1596.

All' lllmo et Revermo Sigr mio osservandissimo, Monsigr l'Arcivescovo di Bari, Nuntio Apostolico appresso di S. A. Sma.

Turino.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Rome, Archives du Vatican. [224]

 

 

 

            Mon très honoré, Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

 

            J'ai reçu l'ordre de Son Altesse pour percevoir les trois cents écus destinés à couvrir les dépenses déjà faites, en même temps que la lettre de Votre Seigneurie Illustrissime. J'en remercie très humblement votre bonté, ainsi que de l'autorisation d'absoudre les relaps : j'userai avec toute la discrétion qu'il plaira au Seigneur m'accorder de cette permission dont nous avions vraiment grand besoin.

            Depuis que je suis revenu ainsi dépourvu des expéditions nécessaires pour cette œuvre, j'ai été la fable de ces mécréants, et néanmoins quatre-vingts personnes ont été gagnées, tant parmi les petits [219] que parmi les grands. Si, conformément à son saint zèle, Son Altesse envoie ici un sénateur pour inviter les habitants de Thonon à l'audition de la sainte parole, ainsi que je le marquai dans le mémoire que je lui ai laissé, j'espère que cela produira un très bon effet.

            Votre Seigneurie m'a rendu la vie en m'assurant que, nonobstant les plaintes des Chevaliers, nous aurons bientôt le moyen de commencer à donner un peu d'extension au culte catholique parmi ces populations ; car je me suis convaincu plus que jamais qu'il est extrêmement nécessaire de leur ouvrir de saints pâturages. Un certain nombre sont catholiques depuis que Son Altesse a passé ici ; beaucoup, contraints par la force et par la violence des armées ennemies, sont relaps au for extérieur seulement ; quantité d'autres sont indifférents, ne sachant pas même à quelle religion ils appartiennent, et tous sont sans pasteur comme des brebis errantes. [220]

            Je suis bien aise que messieurs les Chevaliers estiment peu considérables les biens ecclésiastiques du Chablais, car étant si généreux, ils les cèderont volontiers pour le service de Dieu. Cette huile, qui leur paraît peu de chose, suffira pour produire une lumière de saints exercices qui projettera ses rayons jusqu'au milieu des Bernois et des Genevois, pourvu qu'ils nous laissent ce revenu sans contestation.

            J'ai retrouvé encore ici nombre de personnes et des paroisses entières bien disposées à l'égard de notre sainte foi. Si les intentions de Son Altesse s'exécutent avec zèle, il se produira un grand mouvement de conversions, surtout les négociations pour le traité de paix étant confiées à de si pieuses et saintes mains. [221]

            Votre Seigneurie aura reçu maintenant la lettre de M. d'Avully en réponse au Bref de Sa Sainteté ; car il y a quelque temps qu'il vous l'a adressée. Mais je ne laisserai pas de vous dire que l'ennemi ne manque point de diriger contre ce chevalier tous les assauts possibles, afin d'obscurcir l'éclat qu'a eu sa conversion ; il suscite contre lui beaucoup de haines, tant de la part des hérétiques que de celle des Catholiques. Et particulièrement Berne veut, par des menaces, l'empêcher d'en solliciter d'autres à se convertir à notre foi. Il le fait néanmoins en toute sorte d'occasions, et s'estime plus heureux d'endurer des tribulations étant catholique, que s'il jouissait de grandes prospérités étant hérétique. C'est une mauvaise bête que l'hérésie : elle sait exploiter tout évènement fâcheux.

            Je vous envoie ci-joint l'information secrète faite par ordre de [222] Votre Seigneurie. Je vous prie de me pardonner si elle n'est pas bien rédigée, soit parce que je m'acquitte pour la première fois de semblable commission, soit parce que je n'ai pu avoir de secrétaire capable. Mais, à ce que je vois, cette information ne sera pas très nécessaire, puisqu'on va donner l'abbaye à un autre. Je loue Dieu de la bonne pensée qu'il a inspirée à Son Altesse Sérénissime de proposer à Sa Sainteté un gentilhomme si bien qualifié, ainsi que me l'écrivit Votre Seigneurie. J'ai une certaine espérance que l'exécution de ce dessein contribuera à l'accroissement de la gloire de Dieu, à la prospérité de leurs Altesses et de ces pays. Néanmoins, la visite apostolique ne laisse pas d'être nécessaire à ces abbayes et à d'autres lieux de Savoie, car, si je ne me trompe, pour remédier à de tels dérèglements il est besoin d'une autorité supérieure à celle d'un simple prélat.

            Je ne crois pas que Sa Sainteté puisse faire chose plus avantageuse [223] à cette contrée que d'y envoyer un Visiteur apostolique. Plût à Dieu que ce fût Votre Seigneurie, dont je baise les mains sacrées avec un très humble respect, suppliant le Seigneur de vous combler de bonheur.

Je suis, de Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime,

Le très humble et très dévoué serviteur,

FRANÇOIS DE SALES,

Prévôt de Genève.

            Thonon, le 12 décembre 1596. [224]

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LXXX. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Opposition apportée par les syndics de Thonon à l'érection d'un autel, — Combien la protection du duc est nécessaire aux nouveaux Catholiques. — Conversion d'un ministre protestant.

 

Thonon, 21 décembre 1596.

 

            Monseigneur,

 

            J'attens le bon playsir de Vostre Altesse pour le restablissement de la religion catholique en ce balliage de Thonon, et ce pendant je pensois dresser un autel en l'eglise Saint Hypolyte, en laquelle je preche ordinayrement des deux ans en ça, affin d'y pouvoir celebrer Messe ces bonnes festes de Noel. Les scindiques de ceste ville y ont apporté de l'opposition, a laquelle par apres ilz ont renoncé. Je ne puis sçavoir avec quel fondement ilz se sont osés produir'en cest affaire, puysqu'on ne violoit point le traitté de Nion ; et, quand on l'eust violé, ce n'estoit pas a eux d'y prouvoir. On ne forçoit [225] personne, et ne faisoit on autre que se mettr'en la posture et au train auquel Vostre Altesse avoit laissé les Catholiques despuys ne fut elle icy, duquel ayant esté levés par force, on ne sçauroit dire pourquoy ilz ne puyssent s'y remettre toutes les fois qu'ilz en auront commodité, sous l'obeissance de Vostre Altesse.

            Le zele que j'ay au service de Vostre Altesse me faict oser dire qu'il importe, et de beaucoup, que layssant icy la liberté qu'ilz appellent de conscience, selon le traitté de Nyon, elle præfere neanmoins en tout les Catholiques et leur exercice ; et que partant elle se layss'entendre a ces gens quilz doivent simplement et seulement user de la permission quilz ont, sans se mesler d'empecher ceux qui, par toute rayson et par l'exemple mesme de leur souverain Prince, taschent d'avancer la foy catholique. Je ne pense point qu'il y ait aucune rayson qui puisse retarder l'affection sainte de Vostre Altesse en la sollicitation de [ce] grand bien, ni qui la rend'autre qu'aymable et admirable a ses plus endurcis ennemis. [226]

            M. de Lambert veut user de liberalité a l'endroit d'un ministre qui se convertit et qui par sa sollicitation en tirera beaucoup avant quil se descouvre ; je crois que Vostre Altesse l'aura agreable et luy commandera quil en face encores davantage. Je supplie donq Vostre Altesse commander comm'il luy plaira sur ce sujet, et priant Dieu tres affectionnement pour sa santé, je m'honnoreray du bien que j'ay d'estr'advoué,

            Monseigneur,

De Vostre Altesse,

Tres humble sujet et serviteur,

FRANÇOIS DE SALES,

Prævost de St Pierre de Geneve.

            A Thonon, jour St Thomas, 96.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat. [227]

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LXXXI. A Monseigneur Jules-César Riccardi, Archevêque de Bari, Nonce Apostolique a Turin. Instances pour obtenir la protection du Nonce auprès du duc de Savoie.

 

Thonon, 21 décembre 1596.

 

            Illustrissimo et Reverendissimo Signor mio osservandissimo,

 

            Scrivo a Sua Altezza Serenissima sopra un'oppositione che hanno fatta questi di Thonone quando, per celebrar queste feste di Natale, io volevo incomminciar a far un altare nella chiesa nella quale io ho sin adesso prædicato. Supplico V. S. Illma di procurarne la risposta, acciò che con lettere io possa mostrar a quei pochi che mi fanno impedimento che glie (sic) deve bastar l'haver la libertà chiamata di conscientia, senza dar disturbo a l'essercitio catholico. Questo è l'ultimo sforzo che vuol far il demonio in quest'opra, mentre vede che si va ritardando l'essecutione delle buone intentioni di Sua Altezza. Ma questo sarà poi un niente quando V. S. Illma ci aiutarà dei suoi soliti favori, et sollecitarà che quanto prima si metta qui [228] un honorato et convenevole essercitio catholico ; chè tuttavia ne vedo maggior numero disporsi alla santa fede, se bene alquanti ci fanno delle borrasche colla lingua et le maledicentie et simili arti diaboliche.

            Ho voluto più presto scriver così in fretta ch'a non darglie avviso delle nostre necessità. Supplico adunque V. S. Illma di perdonarmi se io glie son importuno, poichè non ho altro refugio humano di là che appresso la sua bontà et sollecitudine, alla quale, inchinandomi humilissimamente, bascio le mani reverendissime.

            Et prieghando (sic) dal Signore ogni contento, resterò æternamente,

Di V. S. Illma et Rma,

Perpetuo et divotissimo servidore,

FRANCO DE SALES,

Prevosto di Geneva.

            In Tonone, il giorno di S. Thomaso, 96.

A l' Illmo et Revermo Sigr mio osservandissimo,

Monsigr l'Arcivescoüo di Bari,

Nuntio Apostolico appresso di S. A.

Turino.

 

Revu sur l'Autographe conserve à Rome, Archives du Vatican. [229]

 

 

 

            Mon très-honoré, Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

 

            J'écris à Son Altesse Sérénissime au sujet de l'opposition que m'ont faite les habitants de Thonon quand j'ai voulu, pour célébrer ces fêtes de Noël, commencer à dresser un autel dans l'église où j'ai prêché jusqu'à présent. Je supplie Votre Seigneurie Illustrissime de me procurer des lettres que je puisse montrer à ce petit nombre d'opposants, pour leur prouver qu'il leur doit suffire d'avoir la liberté appelée de conscience, sans troubler l'exercice du culte catholique. Ceci est le dernier effort que le démon tente contre cette œuvre, en mettant à profit les délais que l'on apporte à l'exécution des bonnes intentions de Son Altesse. Mais ce ne sera rien si Votre Seigneurie nous secourt de ses faveurs accoutumées, et si elle intercède pour qu'au plus tôt on établisse ici d'une manière honorable et convenable [228] l'exercice du culte catholique. Je vois toujours un plus grand nombre de personnes disposées à embrasser notre sainte foi, bien que d'autres nous suscitent des orages par les propos de leur mauvaise langue, des calomnies et semblables autres artifices diaboliques.

            J'ai préféré vous écrire ainsi à la hâte, plutôt que de ne pas vous avertir de nos besoins. Je supplie donc Votre Seigneurie de me pardonner si je suis importun, car je n'ai humainement autre refuge à la cour que votre bonté et sollicitude, devant laquelle m'inclinant très humblement, je baise vos mains vénérées.

            Priant le Seigneur vous combler de tout bonheur, je reste à jamais,

De Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime,

Le perpétuel et très dévoué serviteur,

FRANÇOIS DE SALES,

Prévôt de Genève.

            A Thonon, le jour de saint Thomas, 96. [229]

 

Année 1597

 

 

LXXXII. A Monsieur Bochut, Curé d'Ayse (Fragment inédit). Invitation à venir desservir la paroisse de Thonon.

 

Thonon, commencement de 1597.

 

            Monsieur Bochut,

 

            En fin, Dieu soit beni. Je voy bien que vous et moy sommes condamnés a porter le tracas et difficultés de l'eglise de Thonon. C'est pourquoy je vous escris ceste [lettre], par laquelle je vous invite de nouveau m'estre en secours, attendu que la charge et distraction des affaires de l'Eglise me levent la commodité de m'arrester dans Thonon pour la continuation des divins offices et administration des saintz Sacremens. Et parce que vous estes desja en ce lieu conneu et aymé, pour y avoir prattiqué ceste mesme charge, si daignes prendre ceste peyne, je mettray ordre a la cuisine et obtiendray de Monseigneur Reverendissime vostre congé…

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation. [230]

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LXXXIII. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier (Minute inédite). Erection d'un autel dans l'église Saint-Hippolyte. — Recommandation en faveur du ministre Petit. — Combien il importe que les Chevaliers de Saint-Lazare cèdent les revenus ecclésiastiques qu'ils détiennent en Chablais.

 

Thonon, vers le 21 février 1597.

 

            Monseigneur,

 

            J'ay receu un'incroyable consolation quand j'ay veu par celle qu'il a pleu a Vostre Altesse signer le 7 janvier, qu'elle trouvoit bon que l'on aye dressé un autel en l'eglise Saint Hypolyte de Thonon. Pour vray, l'evenement a monstré qu'on n'a rien faict de trop ; et je puis dire a Vostre Altesse que je vay tant retenu en ceste besoigne que je ne crains point d'autre juste accusation que de trop de lascheté.

            Monsieur de Lambert ayant receu advis que Vostre Altesse avoit agreable qu'il eust secouru le ministre qui se veut catholizer n'a pas osé tirer consequence de la pour la continuation de ce bienfaict, qui me faict supplier Vostre Altesse de la luy declairer. Le seigneur chevalier Bergere, connoissant bien que l'assignation des six pensions que l'on a faicte sur les revenus de la Religion de Saint Lazare ne peut pas joindre a l'œuvre de la reduction de ces peuples a la foy catholique, a trouvé raysonnable la proposition que je luy ay faicte que la Religion rendist absolument les cures a cest effect. Plaise [231] a Vostre Altesse se resouvenir qu'elle la trouva desja juste quand j'eus cest honneur de la luy representer, et d'employer autant de son authorité qu'elle jugera necessaire pour reduire messieurs du Conseil de la Religion a ceste resolution.

            Et louant Dieu de tout mon cœur du saint zele dont je voy devoré le cœur de Vostre Altesse, je me resjouis d'estre comme je suis,

            Monseigneur,

De Vostre Altesse,

Tres humble et tres fidelle sujet et serviteur.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation.

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LXXXIV. Au Conseil des Chevaliers des Saints Maurice et Lazare (Minute inédite). Instances afin d'obtenir que les revenus ecclésiastiques dont les Chevaliers jouissent en Chablais soient affectés au rétablissement du culte catholique.

 

Thonon, vers le 21 février 1597.

 

            Illustrissimi Signori,

 

            Già che il signor cavaglier Bergera se ne ritorna, così non ho bisogno di dargli (sic) avviso particolar di quello che si è stabilito qui, per ordine delle Sigrie V. Illme, ad [232] honor d'Iddio et propagatione della santa fede catholica. Dico solamente che io dal canto mio farò, piacendo al Signore, tutto quel che da huomo tanto da poco come io sono si può giustamente sperar.

            Pur vedendo che a me è toccato la sorte di essere il forriero et procuratore de molti predicatori et altri honorati ecclesiastici che sonno per venir qua combattere li combattimenti del Signore delle armate, et che non potrò far di manco di esser forse importuno a Sua Santità, alle Loro Altezze et alle Sigrie V. Illme, per addimandar aiuto per le spese che di giorno in giorno andaranno [233] crescendo, secondo il numero di lavoranti che per progresso di questo negotio saranno necessarii, mi è parso di dover in una volta proporre alle Sigrie V. Illme quello espediente che, essequendosi, tagliarà la strada alla necessità in questa opera, et alla importunità che esse riceveranno delli aiuti che di tempo in tempo sariamo costretti di addomandargli. Et questo saria che, vedendo in effetto la sperata pace, le Sigrie V. Illme si contentassero di lasciare assolutamente tutte le cure et dependenze di esse che esse tengono qui; et così, giungendo quelle con altre che da particolari sonno processe, si potrà far un servitio, in questo balliagio, tanto chiaro che se ne vederà la luce d'ogni intorno.

            Et per questa propositione non ho bisogno d'altro procuratore, poichè vi è tanta ragione et che non mancarà il zelo et integrità delle Sigrie V. Illme, alle quali basciando humilissimamente le mani et pregando dal Signore Iddio ogni vero contento, le prego di accettarme per essere,

Delle Sigrie V. Illme,

Divotissimo...

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation. [234]

 

 

 

            Illustrissimes Seigneurs,

 

            Puisque M. le chevalier Bergera s'en retourne, je n'ai pas besoin de vous renseigner sur ce qui a été établi ici, par ordre de Vos Seigneuries Illustrissimes, à l'honneur de Dieu et pour la propagation [232] de la sainte foi catholique. Je dis seulement que, de mon côté, je ferai, s'il plaît au Seigneur, tout ce qu'on peut justement espérer d'un homme aussi incapable que je le suis.

            Néanmoins, puisque je me vois destiné à être le fourrier et le procureur d'un grand nombre de prédicateurs et d'autres honorables ecclésiastiques qui viendront ici combattre les combats du Seigneur des armées, je ne saurai manquer de me rendre peut-être importun à Sa Sainteté, à Leurs Altesses et à Vos Seigneuries pour leur demander de nous alléger les dépenses qui croîtront de jour en jour, selon le nombre des ouvriers nécessaires au progrès de cette œuvre. Il m'a [233] donc semblé devoir proposer une fois pour toutes à Vos Seigneuries Illustrissimes un expédient qui nous mettrait à l'abri du besoin dans l'accomplissement de cette œuvre, et préviendrait l'importunité que leur occasionneraient les demandes de secours que nous serions obligés de faire de temps en temps. Cet expédient consiste en ce que, étant donné le traité de paix désiré, Vos Seigneuries voulussent bien céder absolument toutes les cures dont elles jouissent en ce pays avec leurs dépendances ; en y ajoutant celles qui sont provenues des particuliers, on pourrait faire en ce bailliage un service religieux si éclatant que la lumière s'en répandrait de tous côtés.

            Et pour cette proposition je n'ai pas besoin d'autre intercesseur, puisqu'elle est si raisonnable et que le zèle et la justice de Vos Seigneuries ne se démentiront pas en cette occasion. Baisant très humblement leurs mains et leur souhaitant du Seigneur notre Dieu tout vrai contentement, je les prie de me tenir pour

            Leur très dévoué... [234]

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LXXXV. A Monseigneur Jules-César Riccardi, Archevêque de Bari, Nonce Apostolique a Turin (Minute inédite). Excuses pour le délai mis à répondre aux lettres du Nonce. — Proposition d'une conférence publique avec les ministres. — Instante prière de lui obtenir la collaboration du P. Chérubin, du P. Esprit et de plusieurs autres missionnaires. — Moyens à prendre pour fournir aux frais de la mission.

 

Thonon, vers le 21 février 1597.

 

            Illustrissimo et Reverendissimo Signore mio osservandissimo,

 

            Vedo, per l'ultima sua del 4 di Febraro, V. S. Illma stupirsi ch'io non havessi ricevute le ultime sue delli 4 et 6 di Genaro quando io glie scrissi l'ultima volta del 27 de Genaro. Et in vero hebbi dette lettere di V. S. Illma quello istesso giorno nel quale io mandai le mie ; et aspettando il mio ritorno qua, et essendo ritornato, aspettando di giorno in giorno che si desse principio all'ordine stabilito per li sei curati (che non si è dato sin adesso), son stato così tardo a scrivergli, d'il che, se peccato vi fosse delli reservati, ne chiedo perdono a [235] V. S. Illma con ogni humiltà. Et non era bisogno, per quanto mi pare, che V. S. Illma usasse meco il precetto in virtute sanctæ obedientiæ per far che io più spesso glie dia avvisi delle cose di qua, poichè la semplice volontà di V. S. Illma mi stringe tanto quanto basta per farme far ogni gran cosa possibile.

            Son stato consolatissimo vedendo che V. S. Illma gusta la cosa della conferenza, purchè si faccia con debito modo ; chè persevero io a dire che maggior cosa che quella non si è fatta ad honor d'Iddio da un pezzo, se perseverano i Genevrini in questa intentione, sì come da una lettera scritta da un citadino di Geneva, del 19 Febraro, al P. Cherubino, me par che si possa sperare. Ad ogni modo, sia che se faccia, sia che non se faccia questa conferenza, supplico V. S. Illma che con l'authorità [236] sua habbiamo qui in Chiablais per questo anno detto P. Cherubino et il P. Spirito, dello stesso Ordine, et altri quanto più si potrà, sì di quell' Ordine come della Compagnia di Gesù, acciò che uniti quelli con altri secolari che verranno, possiamo far un vivo assalto all'heresia in questi paesini, chè pian piano se ne sentirà l'odor in tutta la vicinanza, sì de'Bernesi come de'Genevrini. Et per farglie le spese (chè in vano cercarebbero la limosina fra queste genti), bisognarà far una di queste due cose : o risserbar a questo effetto per un poco di tempo due pensioni delle sei, o vero pigliar per via di contributione qualche parte delle intrate che i particolari cavano delli beni ecclesiastici di questo balliagio, già che da' Cavaglieri non bisogna sperar altro. [237]

            È vero che il signor cavaglier Bergera, lator di queste, mi ha promesso, mediante l'authorità di V. S. Illma, di far ogni sforzo appresso il Consiglio della Religione de'Cavaglieri acciò ci sian lasciate affatto tutte le cure di questo balliagio, per far poi il servitio compito, con questa conditione, che altro da loro non cercassero. Et sopra questa sua intentione mi ha sollecitato di scrivere a V. S. Illma ; il che io faccio molto volontieri, per esser la cosa et giusta et molto a proposito per conto di questa impresa, acciò non habbiamo da esser cortegiani de' Cavaglieri et loro pensionarii, che è cosa, se m'è lecito di dirlo, molto disdicevole et di gran danno al frutto che si può sperare. Esso ha ancora voluto che io ne scriva a Sua Altezza et al Consiglio de' Cavaglieri, il che ho fatto per non pretermettere dal canto mio quel poco che da me si può addimandare. Voleva ancora che io ne scrivessi a Sua Santità; ma quanto a questo non me basta l'anima di far volare le lettere mie così alto immediatamente, massime che in questo particolar V. S. Illma può et vuole tutto il necessario. Così ancora non ho dato altro raguaglio a V. S. Illma delli trecento scudi ordinati per pagar [238] le spese fatte sin adesso, per non esser ancora finito il pagamento di essi ; et tuttavia, et quello et ogni altra grati a venuta di là, la devo et ricognosco dalla bontà di V. S. Illma

All' Illmo et Rmo Patron Sigre mio osservandissimo,

Il Sigre Archivescovo di Bari,

Noncio Apostolico appresso S. A. Serenma.

Turino.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation.

 

 

 

            Mon très honoré, Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

 

            Je vois par votre dernière lettre du 4 février que Votre Seigneurie Illustrissime s'étonnait de ce que lorsque je lui écrivis la dernière fois le 27 janvier, je n'avais pas encore reçu ses deux dernières lettres du 4 et du 6. A la vérité, lesdites lettres me parvinrent le jour même où j'expédiai les miennes ; mais j'attendais mon retour ici pour y répondre, et à mon retour j'attendis de jour en jour la mise à exécution de l'ordre donné pour les six curés, ce qui n'a pas encore été fait jusqu'à présent : telle est la raison pour laquelle j'ai tant tardé à vous écrire. S'il y a en ce délai quelque péché de ceux qui constituent un cas réservé, j'implore en toute humilité mon pardon. Il me semble [235] qu'il n'était nullement besoin d'user à mon égard du commandement in virtute sanctæ obedientiæ pour m'obliger à vous donner plus souvent des nouvelles de nos affaires, puisque votre simple volonté me presse assez fortement pour me faire accomplir les plus grandes choses qui soient en mon pouvoir.

            J'ai été bien consolé en voyant que Votre Seigneurie Illustrissime goûte le projet de la conférence, pourvu qu'elle se fasse dans les conditions voulues ; car je persiste à dire que depuis longtemps il ne se sera rien fait de plus avantageux à la gloire de Dieu, si les Genevois persévèrent dans cette intention, comme il me semble qu'on peut l'espérer d'après une lettre écrite au P. Chérubin le 19 février par un bourgeois de Genève. Quoi qu'il advienne, soit que cette conférence se fasse ou qu'elle ne se fasse pas, je supplie Votre Seigneurie d'employer son autorité afin que cette année nous ayons ici [236] en Chablais le P. Chérubin et le P. Esprit, du même Ordre. Il nous faudrait encore d'autres missionnaires en aussi grand nombre que possible, soit de l'Ordre des Capucins, soit de la Compagnie de Jésus, afin qu'unis aux prêtres séculiers qui viendront, nous puissions livrer un vigoureux assaut à l'hérésie en ces petits pays ; ainsi, peu à peu, l'odeur s'en répandra dans tout le voisinage, tant à Berne qu'à Genève. Et pour les défrayer (car ils chercheraient en vain l'aumône parmi ces gens-ci), il faudra faire l'une de ces deux choses : ou réserver à cet effet, pendant quelque temps, deux des six pensions, ou bien prélever par voie de contribution une partie des revenus que les particuliers tirent des biens ecclésiastiques de ce bailliage ; car des Chevaliers il ne faut rien espérer de plus. [237]

            Il est vrai que M. le chevalier Bergera, porteur de ces lettres, m'a promis, moyennant l'autorité de Votre Seigneurie Illustrissime, de faire tous ses efforts auprès du Conseil de l'Ordre des Chevaliers, afin que toutes les cures de ce bailliage nous soient complètement abandonnées pour que le service divin puisse s'y faire entièrement ; mais cela, à la condition qu'on ne leur demanderait plus rien. Il m'a pressé de vous communiquer cette proposition, ce que je fais très volontiers, la jugeant juste et très utile à cette entreprise ; car il ne faut pas que nous ayons à devenir courtisans et pensionnaires des Chevaliers, ce qui, s'il m'est permis de le dire, serait inconvenant et préjudiciable au fruit qu'on peut espérer. Il a encore voulu que j'en écrivisse à Son Altesse et au Conseil des Chevaliers, ce que j'ai fait pour ne pas négliger de mon côté le peu qui est en mon pouvoir. Il voulait aussi m'engager à écrire à Sa Sainteté ; mais quant à cela je ne me sens pas le courage de faire voler directement mes lettres si haut, d'autant plus que Votre Seigneurie peut et veut tout ce qui est nécessaire à cet égard. De même, je ne vous ai point encore parlé des [238] trois cents écus destinés à couvrir les dépenses faites jusqu'ici, vu que le paiement n'en est pas achevé. Toutefois, ce bienfait et tous les autres qui nous sont venus de Son Altesse, je reconnais les devoir à la bonté de Votre Seigneurie Illustrissime…

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LXXXVI. Au même (Minute). Lettres reçues du Nonce. — Remerciements pour la protection accordée à trois églises de Savoie. — Eloge du chevalier Bergera. — Difficultés qui retardent l'établissement des curés en Chablais. — Pauvreté des paroisses. — Prétentions injustes des Chevaliers des Saints Maurice et Lazare relativement à la nomination des curés. — Pension due au prédicateur d'Evian.

 

Thonon, 2 mars 1597.

 

            Illustrissimo et Reverendissimo Signor mio osservandissimo,

 

            Da quindeci giorni in qua ho ricevuto tre lettre che si compiacque V. S. Illma et Rma di scrivermi : una alli [239] X di Decembre de l'anno passato, la seconda al 4 de Genaro et la terza alli 6, et la quarta alli 4 de Febraro. Ma quanto alla prima, nella quale V. S. Illma mi comandava di ritornar qui in Tonone, non ho da farglie altra risposta colla carta, poi che già l'ho fatta alla sua intentione col l'effetto.

            Quanto alla seconda, ho da ringratiare quanto più posso humilissimamente V. S. Illma qual si degna pigliarsi così volontieri in protettione le nostre cose di questa diocæsi, et particolarmente nel procurar che quel legato lasciato in Roma ci sia riservato, non ostante la prætentione della fabrica di San Pietro ; et già che per l'ultima sua V. S. Illma mi commanda che se ne scriva a qualche savoyardo stante in Roma, acciò ne tratti con li deputati della fabrica et habbia ricorso al signor Cardinale Aldobrandino, così si farà.

            Vedo poi la gran fatica che V. S. Illma havrà durata per haver la provisione per li sei curati, et no posso ch'io non ammiri il poco zelo de chi, in questo negotio, havrà [240] fatto le difficoltà. Et sia laudato Iddio æterno della patientia et zelo che ha dato a V. S. Illma per far infine spontar questa benedetta impresa con questo principio, del qual, per dar distinto raguaglio a V. S. Illma, dirò che ciè un pezzo che il signor cavaglier Bergera è giunto qui con quel ordine che mi scrisse V. S. Illma ; et essendo allhora in Annessi per certo negotio, ritornai quanto prima per non esser cagione della retardatione di così importante servitio, quantumque io fossi certo che questo cavaglier saria qui un pezzo, per haver a riscuotere da sette millia ducati per la sua Religione, che è una summa laquale no si fa così presto fra questi travagli di guerra. Onde essendo venuto, ho trovato questo gentilhuomo tanto ben disposto, che io son ubligato di dar testimonio a V. S. Illma che se tutti gli altri di quella Relligione fossero così fatti, V. S. Illma non fosse stata tanto travagliata. Et hieri si diede principio al [241] pagamento del frumento ; domani, per quanto mi ha detto, si comminciarà il pagamento de vino et denari.

            Et per dire del prætio di queste pensioni, secondo che me ne riferiscono questi habitatori di Thonone, no può esser uno anno per l'altro più di ottanta scudi ; et confesso che questo potria bastar dove li sacerdoti havriano qualche commodità di casa et albergo et di star molti insieme. Et si dovriano pensare i signori Cavaglieri, che in questo paese mancaranno tutte le cose mondane alli sacerdoti, dalla discortesia in poi. Ma, come mi scrive V. S. Illma, l'istesso Signore che da piccoli semi, per mezzo del tempo, fa uscir grandissimi alberi, darà ancora col tempo et la fatica di V. S. Illma un giusto augmento a questo debole principio.

            Ho buona provisione de sacerdoti, quali di subito si sbrigheranno per venire qui alla patientia et mortificatione, et usarò ogni diligentia acciò siano ricchi di buona vita et almanco commodi di lettere. Questa Quadragesima spero di collocarne quattro in diversi luoghi, et si (sic) io potessi li collocaria tutti sei. Ma no si possono [242] ben introdurre sensa far un poco de preparatione con il far qualche sermoni cathechistici ; il che si deve far da qualche predicatore prattico, et adesso non è possibile haverne per esser impediti tutti nelle quadregesimali prediche. Egli m'è necessario di star qui la Quaresima, nò posso io molto trascorrere adesso, poichè egli m'è necessario horamai, per mancamento d'altri, di attender alle confessioni per Pasqua.

            Non v'è poi nè chiesa ristaurata, nè altare drissato ; manco habbiam calici, messali et altre simili commodità necessarie per le sei parrochie. D'il che trattando col signor cavaglier Bergera et non havendo egli carico di lasciarci denari per questi servitii, si è contentato di spender da otto o dieci ducatoni per la chiesa di Tonone, dove ogni cosa era sotto sopra, sensa altra commodità se non d'un semplice et mal fatt'altare de legno che s'era fatto questo Natale. Et per aiutarci al restante che si conveniva haver sì in Tonone come nell' altre parrochie, [243] si [è] contentato di assegnar il principio delle sei pensioni dal 15 di Genaro sin al primo di Marzo, che si è dato principio al pagamento ; et dal primo di Marzo sin tanto che sian collocati li sei curati, correndo sempre le pensioni, potremo forse avanzare da 60 o 70 scudi per comperar le cose più necessarie et far il manco male che fia possibile. Et acciò li signori Cavaglieri no facciano compassione a Sua Santità col la loro povertà protestata, assicuro V. S. Illma che l'intrata che cavano da questo balliagio de' beni ecclesiastici sarà d'un anno per l'altro di quattro millia ducati buoni.

            Quanto alla polizza del signor di Ruffia, nella quale desiderano li Cavaglieri che alcuni curati che prestano il nome a' laici che tengono cure ne'balliagi rimettessero esse cure alla Religione, come proprietaria, per concessione di Sua Santità, de'beneficii de'balliagi, quando tai curati non siano habili a far servitio, et essendo habili, che siano admessi al numero delli sei, il signor cavaglier Bergera no m'ha proposto questo particolare ; nè posso intendere come vogliono questi clerici armati che un [244] curato confidentiario possa esser habile per esser admesso nel numero delli sei, che devono esser un poco più costumati che non sogliono esser li confidentiari.

            Laudo Iddio benedetto che Sua Santità habbia qualche intentione di collocare nell' abadia dell'Abondanza i riformati di San Bernardo, et priegho il Signore glie ne dia absolutissima volontà a beneficio dell' anime. Quanto poi al novo Abbate, vorrei ben preghar humilissimamente V. S. Illma si degni commandarglie che faccia paghar essattamente et compitamente la pensione che si suol dar dall'Abbate al P. Prædicator ordinario di Evian, il qual adesso è un meritevole dottor, Provinciale del Ordine di San Domenico ; et l'hanno fatto stentare già l' anno passato, et tuttavia lo fanno più stentare questo. Et io ho in questo un poco de l'interesse particolare, per esser Evian una terra vicina, catholica quanto si può dire, et ha gran bisogno di buon predicatore, quale non può havere senza questa pensione. [245]

            Vedo poi il dispiacere che ha sentito Sua Altezza dell'oppositione che fecero questi di Thonone all' erettione dell' altar, et ne ho ricevuto una lettera qual mi consola assai ; non havendo però lasciato di eriger l'altar nonostante l'oppositione fatta, perchè no si faceva dal consenso publico della terra, ma dalla sola passione de certi particolari…

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy.

 

 

 

            Mon très honoré, Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

 

            Depuis quinze jours j'ai reçu les trois lettres qu'il plut à Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime m'écrire : l'une du 10 décembre [239] de l'année passée, la seconde du 4 janvier et la troisième du 6, et la quatrième du 4 février. Quant à la première, par laquelle Votre Seigneurie m'ordonnait de revenir ici à Thonon, je n'ai pas à y répondre par écrit, puisque j'y ai répondu de fait en obéissant à votre intention.

            Pour la seconde, j'ai à vous remercier le plus humblement que je le puis d'avoir, avec tant de bienveillance, pris sous votre protection les intérêts de ce diocèse, surtout en procurant que le legs de Rome nous soit réservé, nonobstant les prétentions de la fabrique de Saint-Pierre. Puisque Votre Seigneurie me commande par sa dernière lettre d'écrire à quelque savoyard habitant Rome, afin qu'il traite de cette affaire avec les mandataires de la fabrique et qu'il recoure au Cardinal Aldobrandino, ainsi sera-t-il fait.

            Je vois les grands embarras que Votre Seigneurie Illustrissime aura eus pour obtenir la provision en faveur des six curés, et je ne puis que m'étonner du peu de zèle de ceux qui font des difficultés en [240] un pareil sujet. Loué soit le Dieu éternel de la patience et du zèle qu'il vous a départis pour faire, par un modeste commencement, éclore enfin cette bénite entreprise. Afin de vous donner pleine connaissance des choses, je dirai que M. le chevalier Bergera est arrivé ici depuis longtemps, muni de l'ordre dont vous m'avez écrit. Je me trouvais alors à Annecy pour quelque affaire, mais je revins aussitôt afin de ne pas causer de retard dans un aussi important service. Cependant j'étais sûr que le séjour de ce chevalier serait de longue durée, car il avait à percevoir pour son Ordre sept mille ducats, somme qui ne peut se toucher si vite parmi ces troubles de guerre. Or, à mon arrivée, ce gentilhomme me parut si bien disposé, que je dois lui rendre ce témoignage : si tous les membres du même Ordre lui ressemblaient, Votre Seigneurie Illustrissime n'aurait pas été si fort importunée. Hier on commença le paiement du blé : [241] demain, à ce qu'il m'a dit, on commencera les paiements en vin et en argent.

            Quant à la valeur de ces pensions, elle ne peut, au rapport de ces habitants de Thonon, dépasser en moyenne quatre-vingts écus. J'avoue que cela pourrait suffire là où les desservants auraient la jouissance d'une maison et habitation et la facilité de demeurer plusieurs ensemble. Cependant messieurs les Chevaliers devraient penser que, dans ce pays, les prêtres souffriront disette de toutes choses, si ce n'est de procédés désobligeants. Mais, comme Votre Seigneurie me l'écrit, le même Dieu qui, avec le temps, fait sortir de très grands arbres des petites semences, donnera aussi, moyennant le temps et votre travail, un accroissement convenable à ce faible commencement.

            J'ai un bon nombre de prêtres qui se dégageront bientôt pour venir s'exercer ici à la patience et à la mortification ; je mettrai tous mes soins afin qu'ils soient riches de bonne vie et du moins, bien pourvus de savoir. Ce Carême, j'espère en placer quatre en [242] divers endroits, et si je le pouvais je les placerais tous six. Mais on ne saurait les introduire sans leur préparer d'abord les voies par quelques sermons catéchistiques faits par un prédicateur expérimenté ; et maintenant il est impossible d'en avoir parce qu'ils sont tous retenus par les prédications quadragésimales. Pour moi, je suis contraint de passer le Carême ici ; je ne puis non plus beaucoup me déplacer, étant désormais obligé, à défaut d'autres, d'entendre les confessions pascales.

            Au reste, il n'y a ni église restaurée ni autel dressé ; nous n'avons pas même des calices, missels et tels autres objets indispensables aux six paroisses. J'en ai parlé au chevalier Bergera ; mais n'étant pas chargé de nous délivrer de l'argent à cet effet, il s'est borné à dépenser huit ou dix ducatons pour l'église de Thonon où tout était sens dessus dessous, sans autre ameublement qu'un simple autel de bois, mal fait, qui a été construit pour Noël. Afin d'aider à nous pourvoir de ce qui est encore requis, soit à Thonon soit dans les autres paroisses, il a bien voulu affecter à cette dépense le montant [243] des six pensions à partir du 15 janvier jusqu'au 1er mars, époque à laquelle on a commencé le paiement. Depuis le 1er mars jusqu'à ce que les six curés soient installés, ces pensions courant toujours, nous pourrons peut-être réaliser une avance de soixante à soixante et dix écus pour acheter les choses les plus nécessaires et faire le moins mal possible. Mais afin que messieurs les Chevaliers n'excitent pas la compassion de Sa Sainteté par leur pauvreté prétendue, j'assure Votre Seigneurie Illustrissime que le revenu qu'ils tirent des biens ecclésiastiques de ce bailliage est en moyenne de quatre mille bons ducats.

            Par un billet de M. de Ruifia, les Chevaliers témoignent désirer que plusieurs curés qui prêtent leur nom à des laïques, possesseurs actuels de certaines cures en ces bailliages, remettent ces cures, s'ils ne sont pas aptes à les desservir, à l'Ordre qui est propriétaire, par concession de Sa Sainteté, des bénéfices des bailliages ; et, s'ils ont les qualités requises, qu'ils soient compris au nombre des six curés pensionnés. Le chevalier Bergera ne m'a fait aucune proposition à ce sujet. A la vérité, je ne puis comprendre comment ces clercs armés prétendent [244] qu'un curé confidentiaire puisse être capable de compter parmi les six, qui doivent avoir des mœurs un peu plus réglées que n'en ont il'ordinaire les confidentiaires.

            Je loue le Dieu béni de ce que Sa Sainteté a quelque intention de placer dans l'abbaye d'Abondance les réformés de Saint-Bernard, et je supplie le Seigneur lui en donner une volonté absolue pour le bien des finies. Quant au nouvel Abbé, je voudrais supplier Votre Seigneurie Illustrissime de lui ordonner de payer exactement et entièrement la pension que l'Abbé de ce monastère a coutume de délivrer au P. Prédicateur ordinaire d'Evian. Celui-ci est actuellement un très digne docteur de l'Ordre de Saint-Dominique : on l'a déjà fait endurer l'année dernière, et on le fait encore plus endurer cette année. J'ai en ceci un certain intérêt particulier, parce qu'Evian est une ville de notre voisinage, catholique autant qu'on peut le dire ; elle a donc grand besoin d'un bon prédicateur, qu'elle ne saurait avoir sans cette pension. [245]

            Je vois de plus la peine que Son Altesse a éprouvée en apprenant l'opposition apportée par ces gens de Thonon à l'érection de l'autel ; j'en ai reçu une lettre qui m'a bien consolé. Nous ne laissâmes pas pour autant d'ériger l'autel, malgré cette opposition, car elle ne se faisait pas du consentement public de la ville, mais seulement par la passion de quelques particuliers…

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LXXXVII. Au même (Minute inédite). Protestations d'obéissance et de dévouement. — Nouvel exposé des difficultés de la mission. — Promesse faite par les Religieux d'Ainay. — Prédication du Saint à Cervens. — Destination du chanoine Roget. — Les hérétiques prétendent retirer à M. d'Avully la dignité de juge de leur consistoire.

 

Thonon, 12 mars 1597.

 

            Illustrissimo et Reverendissimo Signor mio osservandissimo,

 

            Hoggi ho ricevuta la lettera di V. S. Illma del 25 de Febraio, con il triplicato delle precedenti, laquale mi ha [246] recato altretanto di dolore quanto V. S. Illma mi mostra di haver in ammiratone la tardità della mia risposta a quelle precedenti, temendo che V. S. Illma m'habbia per poco desideroso di esseguire li suoi commandamenti. Et supplico humilissimamente la sua bontà di creder più tosto ogni altra cosa d'un servitor tanto ubligato et divoto, et che me è mancato la commodità, no la volontà ; massime perchè io andavo aspettando di giorno in giorno la partenza del signor cavaglier Bergera et il principio dell'essecutione dell'ordine dato per li sei curati, per dar poi risposta a V. S. Illma et più grata, et più sicura, et più compita.

            Hora ringratio humilissimamente V. S. Illma della protettione che s'è presa di queste chiese di Geneva et della risposta havuta dal signor Cardinale Aldobrandino.

            Dalla partenza del signor cavaglier Bergera in qua, non ho havuto nè danari, nè altro che quelle trenta coppe di fromento che lasciò. Nè questo è mancamento de detto cavaglier, qual è buon et di buona intentione ; [247] ma è mancamento di quelli che hanno tolto in affitto li beni de quella Religione, alli quali haveva datto ordine di pagare, et essi van differendo di giorno in altro quanto possono : et per questo non posso chiamare i sacerdoti et curati, non havendo danari da dargli per principiar le loro residentie qui in questo balliagio. Sì che io non ho speranza di veder grand' effetto de queste pensioni avanti Quaresima passata, si perchè io non ho ancora denari, sì perchè no potremmo cavare horamai li sacerdoti che devono venire dalle chiese dove sonno, per le confessioni et altre necessità ; et io no posso accompagnarli et collocarli, restando ancora qui impedito per l'istessa ragione.

            Oltre le sei pensioni assegnate dalla Religione di San Lazaro, ne haveremo doppo Pasqua una settima dalli Religiosi di Henai, di Lione, i quali havendo qui un buon priorato, mi han promesso di darne una tale quale io addimandarò, senza regolarsi alle pensioni cavaleresche. [248]

            Domenica passata, terza di Quaresima, havendo prædicato secondo il solito la matina a buon hora nella parrochia dell'Alinges, passai in una altra parrochia di là tre millia, dove sin allhora non ero stato, chiamata Cervens ; et havendo dato aviso al popolo che io desideravo di predicare, mi fecero una numerosa et gratissima audientia, et all' uscir della prædica mi diedero segno di haver desiderio grande di quel pane de figlioli. Ma hebbi gran difficoltà a ritrovarmi per tempo alla prædica di Thonone, che era discosto di Cervens de cinque or sei millia ; sì che, stando qui, è quasi impossibile di trascorrere in più luoghi. Havendo dunque provato l'animo del popolo di quella parrochia, son risoluto di collocarvi uno delli sei pensionarli ; nelli Alinges un altro. Qui verrà, per quanto mi ha promesso, il dottor Rogetto, il qual son certo che V. S. Illma haverà veduto, per esser stato deputato per il viaggio di Piemonte ; et essendo egli buono et prattico predicatore, potrà supplire in duoi luoghi. Ma io non son risoluto di ricevere [249] a l'abiuratione se non quelli che saranno ben instrutti, et da dovero, per quanto la loro capacità comportarà. Et così vede V. S. Illma d'onde avviene che le cose di religione no si facciano con quel fervore che si deve : ciò è dalla avaritia et mal uso de' beni ecclesiastici.

            No voglio lasciar di dire a V. S. Illma che monsieur d'Avully essendo per lo inanzi giudice del consistorio supremo delli hæretici, volendo questi giorni passati essi heretici ricusarlo, non lo ha voluto patire, allegando che non essendo questo consistorio per altro salvo per la correttione de' vitii, facendosi catholico non solamente non gli era mancato il zelo et giudicio necessario per quella correttione, ma gli era augmentato di gran lunga, sì che non doveva esser tenuto per incapace.

            Vengo a supplicare ancora una volta V. S. Illma si degni di incaricar strettamente al novo Abbate, o vecchio, qual si sia, di far paghar essattamente la pensione dovuta al prsedicator ordinario di Evian, perchè et quella terra è meritevole di esser aiutata, et il predicator che hanno adesso è risguardevole per più rispetti. [250]

            Dove non occorrendo altro particolar degno di essergli scritto, priegho Nostro Signor le dia ogni vero contento, et sarò sempre,

            Di V. S. Illma,

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Revu sur l'Autographe appartenant à Mme Doroz, née d'Arcine, à Besançon.

 

 

 

            Mon très honoré, Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

 

            J'ai reçu aujourd'hui votre lettre en date du 25 février, avec la triple copie des précédentes ; elle m'a causé autant de douleur que [246] Votre Seigneurie Illustrissime me montre d'étonnement du retard de ma réponse aux lettres précédentes, car elle m'inspire la crainte d'être tenu pour peu empressé à exécuter vos ordres. Je supplie très humblement votre bonté de croire plutôt toute autre chose d'un serviteur qui vous a tant d'obligations et qui vous est si attaché, et d'être persuadé que c'est l'occasion et non la volonté qui m'a manqué. C'est surtout que j'attendais de jour en jour le départ du chevalier Bergera et la mise à exécution de l'ordre donné pour les six curés, afin de faire ensuite une réponse plus satisfaisante, plus sûre et plus complète.

            Maintenant je remercie très humblement Votre Seigneurie Illustrissime de la protection accordée à ces églises du diocèse de Genève et de la réponse du Cardinal Aldobrandino.

            Depuis le départ de M. le chevalier Bergera je n'ai plus reçu ni argent ni autre chose, sinon les trente coupes de froment qu'il laissa. Ce n'est pas la faute dudit chevalier, qui est bon et bien intentionné, mais celle des gens

qui ont affermé les biens de la Religion [247] et auxquels déjà il avait ordonné de payer ; néanmoins ils diffèrent tant qu'ils peuvent d'un jour à l'autre. C'est pourquoi je ne puis appeler des prêtres et des curés, n'ayant pas d'argent à leur donner pour commencer à établir leur résidence dans ce bailliage. Je n'espère donc pas un grand résultat de ces pensions avant la fin du Carême, soit parce que je manque d'argent, soit parce que nous ne pourrions retirer les prêtres des églises où ils sont occupés à entendre les confessions et à exercer d'autres ministères. Quant à moi, je ne puis les accompagner ni les installer, me trouvant retenu ici pour la même raison.

            Outre les six pensions assignées par l'Ordre de Saint-Lazare, nous en aurons après Pâques une septième des Religieux d'Ainay, de Lyon, qui, ayant ici un bon prieuré, m'ont promis d'en donner une telle que je la demanderai, sans se régler sur les pensions des Chevaliers. [248]

            Dimanche dernier, troisième de Carême, ayant prêché le matin de bonne heure, selon la coutume, dans la paroisse des Allinges, je passai dans une autre paroisse distante de trois milles, appelée Cervens, où je n'avais pas encore été. Et ayant averti le peuple que je souhaitais prêcher, j'eus une nombreuse et bienveillante assistance qui, au sortir du sermon, me témoigna un ardent désir de ce pain des enfants. Mais j'eus grand'peine à me rendre à temps pour le sermon de Thonon, qui est à cinq ou six milles de Cervens, de sorte que, étant fixé ici, il m'est presque impossible d'évangéliser plusieurs localités. Ayant donc sondé la disposition du peuple de cette paroisse, j'ai résolu d'y placer un des six curés pensionnés et un autre aux Allinges. C'est le docteur Roget qui viendra ici, selon la promesse qu'il m'en a faite, lequel doit vous être certainement connu, puisqu'il a été député pour le voyage de Piémont ; étant bon et très expérimenté prédicateur, il pourra desservir deux paroisses. [249] Mais je suis résolu de n'admettre à l'abjuration que des personnes véritablement bien instruites, dans la mesure que leur capacité comportera. Votre Seigneurie Illustrissime voit donc la cause pour laquelle les affaires de la religion ne se font pas avec l'ardeur désirable : c'est l'avarice de ceux qui détiennent les biens ecclésiastiques et le mauvais usage qu'ils en font.

            Je ne veux pas omettre de vous dire que M. d'Avully ayant été jusqu'ici juge du consistoire suprême des hérétiques, ceux-ci prétendaient le récuser ces jours passés. Il n'a point voulu le souffrir, disant que ce consistoire n'étant établi que pour la correction des vices, sa conversion au catholicisme ne lui a point ôté le zèle et le jugement nécessaires à cette correction, mais qu'elle les lui a grandement augmentés, en sorte qu'il ne doit point être tenu pour incapable.

            Je viens supplier encore une fois Votre Seigneurie de vouloir bien presser le nouvel Abbé, ou l'ancien, n'importe lequel, de faire payer exactement la pension due au prédicateur ordinaire d'Evian, parce que cette ville mérite d'être aidée, et le prédicateur qu'ils ont maintenant est digne d'égards sous plusieurs rapports. [250]

            N'ayant présente à l'esprit aucune autre particularité qui vaille la peine d'être signalée, je prie Notre-Seigneur vous donner tout vrai contentement, et je serai toujours,

            De Votre Seigneurie Illustrissime,

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LXXXVIII. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Demande de secours pour des indigents. — Requête en faveur de quelques hameaux des Allinges. — Menées des protestants contre M. d'Avully.

 

Thonon, 12 mars 1597.

 

            Monseigneur,

 

            Dernierement, quand j'eu (sic) cest honneur de bayser les mains a Vostre Altesse, je luy repræsentay six ou sept pauvres gens, vieux et impuyssans a gaigner leur vie, qui ont vescu icy avec une admirable constance en la loi catholique. Et parce que leur pauvreté pourroit estre secourue avec une petite piece des graines de [251] Ripaille et Filly qui sont destinees aux aumosnes, je suppliay tres humblement Vostre Altesse, a leur nom, de leur en assigner quelque portion ; et selon la pieté dont Dieu l'a enrichie elle le trouva raysonnable. Maintenant je sçai que ces aumosnes se reduysent aux Alinges pour la munition de la garnison ; mays je ne laisseray pas pour cela d'oser supplier Vostre Altesse quil luy plais'ordonner que, d'une si grande quantité, quattre ou cinq muys en soyent appliqués a ces pauvres gens vieux et a un autre qui, estant encores de bon aage, ne laisse pas d'estre pauvre et, moyennant cest'aumosne, pourra servir au clocher pour les Catholiques.

            Il y a aussy certains petitz vilages qui estoyent anciennement de la parroisse d'Alinges, et personne ne leur contredisoit d'en estre encores maintenant ; mays par ce que Vostre Altesse, selon son saint zele, a gratiffié la parroisse d'Alinges d'un'immunité de toutes charges pour quattre ans a venir, en contemplation de [252] leur retour a l'Eglise, on a opposé a ces petitz vilages que du tems de l'occupation des Bernois on leur commanda d'aller ailleurs a la præche. Je supplie donques tres humblement Vostre Altesse d'eslargir plus tost sa liberalité sur ces vilages par une declaration, que d'estressir ceste premiere parroisse qu'on a dressé en ce païs a la foy catholique.

            Les gens du consistoire supreme de ce balliage taschent de lever a monsieur d'Avully la judicature qu'il y tient de Vostre Altesse ; mays puysque ce consistoire n'est que pour la correction des meurs et qu'il n'en est faitte aucune mention au traitté de Nion, a ce que j'ay peu apprendre, comm'on ne perd pas le jugement pour se faire catholique, aussy n'en devroit on pas perdre la judicature, specialement quand elle depend de la volonté de Vostre Altesse, pour la santé de laquelle je ne cesseray de prier Dieu nostre Seigneur, comm'ayant ce bien [de] me pouvoir et devoir dire,

            Monseigneur,

De Vostre Altesse,

Tres fidelle et tres humble sujet et serviteur,

FRANÇOIS DE SALES,

indigne Prevost de St Pierre de Geneve.

            A Thonon, le 12 mars 97.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat. [253]

 

 

LXXXIX. A Monseigneur Jules-César Riccardi, Archevêque de Bari, Nonce Apostolique a Turin (Inédite). Installation d'un curé à Cervens. — Eloge de M. de Blonay.

 

Thonon, 16 mars 1597.

 

            Illustrissimo et Reverendissimo Signore mio osservandissimo,

 

            Credo che tutti quelli ai quali ho dato lettere per essere appresentate a V. S. Illma fanno a gara per farmi parere negligentissimo, poiché il signor cavaglier Bergera non è ancora partito di Chamberi, per quanto mi vien detto, et a questo gentilhuomo, il quale doveva inviarsi la settimana passata, fu dato tempo di far questa giunta alle precedenti mie.

            Sono ritornato hoggi, quarta Domenica di Quaresima, nella parrochia di Cervens, dove quel popolo mi ha consolato con quell'avida et attenta audientia. In somma, quest'anime, da Tonone in poi, ci sonno date in preda, et mancano solo i cacciatori. Ho collocato a Cervens un buon sacerdote il quale, al principio di queste guerre, fu già nominato per star in quella parrochia se le cose [254] succedevano, et era cognosciuto da una gran parte degli habitanti. Ho ricevuto cento fiorini delle pensioni et non più, dei quali parte ne ho data per certe provisioni necessarie, parte ne darò a quello sacerdote di Cervens postdomani, acciò cominci la sua residentia. Hieri si diede un così grande rumore di guerra, che questi poveri Catholici ne sono restati tutti sbigottiti. Se per sorte il latore di queste, M. di Blonnay, havesse bisogno di ricorrere al favore di V. S. Illmo la supplico humilissimamente di fargliene gratia, perchè egli è buon catholico et zelante.

            Priegho il Signor si degni conservare V. S. Illma ad honor di sua divina Maestà et beneficio nostro, et io resto per sempre, di V. S. Illma et Rma,

Devotissimo et humillissimo servidore,

FRANCO DE SALES,

indegno Prevosto di Geneva.

            Tonone, alli 16 di Marzo 97.

 

Revu sur une copie déclarée authentique de l'Autographe conserve à la cathédrale de Nardo (Italie, Pouille). [255]

 

 

 

 

            Mon très honoré, Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

 

            Je crois que tous ceux à qui j'ai confié des lettres pour être présentées à Votre Seigneurie Illustrissime rivalisent entre eux pour me faire paraître très négligent, puisque, d'après ce qu'on me dit, M. le chevalier Bergera n'est pas encore parti de Chambéry, et on laisse assez de temps à ce gentilhomme qui devait se mettre en route la semaine dernière, pour me permettre d'ajouter ceci à mes lettres précédentes.

            Je suis retourné aujourd'hui, quatrième Dimanche de Carême, dans la paroisse de Cervens où ce peuple m'a consolé en montrant tant d'avidité pour la parole de Dieu et tant d'attention à l'écouter. En somme, si l'on en excepte Thonon, les âmes nous sont partout offertes comme une proie ; il ne manque que des chasseurs. J'ai placé à Cervens un bon prêtre qui, au commencement de ces guerres, avait [254] déjà été nommé pour desservir cette paroisse si les choses réussissaient et il était connu d'une grande partie des habitants. J'ai reçu cent florins des pensions et pas davantage. J'en ai donné une partie pour certaines provisions nécessaires ; je donnerai l'autre après-demain à ce prêtre de Cervens afin qu'il commence sa résidence. Hier on fit circuler de telles rumeurs de guerre que ces pauvres Catholiques en ont été tout effrayés. Si par hasard le porteur des présentes, M. de Blonay, avait besoin de recourir à votre protection, je vous supplie très humblement la lui accorder, car il est un bon et zélé catholique.

            Je prie le Seigneur de conserver Votre Seigneurie pour la gloire de sa divine Majesté et pour notre avantage, et je demeure à jamais,

            De Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime,

Le très dévoué et très humble serviteur,

FRANÇOIS DE SALES,

indigne Prévôt de Genève.

            Thonon, le 16 mars 1597. [255]

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XC. Au même (Minute inédite). Mesures à prendre pour pourvoir à la subsistance des curés du Chablais. — Voyage du chanoine Louis de Sales à Genève. — Désignation des PP. Capucins et Jésuites dont le concours serait le plus utile à la mission ; frais que nécessiterait leur entretien.

 

Thonon, 25 mars 1597.

 

            Illustrissimo et Reverendissimo Signor mio osservandissimo,

 

            Supplico humilissimamente V. S. Illma per amor di Dio si degni perdonarme se così spesso non haverà ricevute lettere da me, perchè la poca commodità che havemo qui, et massime io, di inviare le lettere in Chamberi, overo in Aousta, ne è stata la causa principale. Et credo che tutti quelli alli quali io do le mie lettere per farle appresentare a V. S. Illma fanno a gara per farme parere negligentissimo ; poichè uno, tre giorni fa, me ne mandò una che già molti giorni sono haveva tolto per portar in Piemonte, dicendo che egli non poteva passar ; [256] et il cavaglier Bergera, quale ne ha una altra, era ancora fa poco in Chamberi, per quanto mi vien detto. Hieri mi capitò nelle mani, per huomo mandato espresso da monsignor Vicario di Geneva, quella che V. S. Illma mi scrisse alli 12 di questo mese, insieme con l'altra alligata per monsieur d'Avulli et la copia della lettera del signor Cardinale di Santa Severina.

            Monsieur d'Avulli ha ragione dicendo che saranno necessarii vintidue curati in questo Chiablais, poichè (per venir al particolar) vi sono da 45 parrochie. Ma perchè io no so chi voglia dar tanta intrata necessaria a tante persone, ho sempre havuto opinione che basterebbero da 18 curati, li quali, per dire quanto io credo, devono havere honorata provisione per sè et per un vicario che [257] potesse aiutarli, già che le parrochie sariano molto grandi, et acciò possano con decentia far l'officio loro et no piglino le limosine per le confessioni, sepulture, Messe et altre cose ; chè se ben questo sarà forse lecito, tuttavia non è per nessun conto espediente. Se vorranno i Cavaglieri lasciar le cure et beneficii curati, purchè li particolari che ne hanno qui facciano il medesimo et se ne faccia un grosso per esser diviso in parti eguali, da Tonone in poi dove deve esser un essercitio più decente, crederei che questo saria un buon ordine. Ma non vorria che i Cavaglieri havessero il jus patronatus sopra queste cure, chè questo sarebbe rovinar il concorso, et col tempo se vederiano nominationi da non dire ; et essi non sonno nè fondatori, nè restauratori de queste cure.

            Quanto poi alle considerationi fatte in Roma sopra la conferentia, sono veramente degnissime, et io ne ho scritte memorie amplissime di quanto me ne pare, et le ho mandate al signor Ludovico de Sales, canonico de Geneva, persona prattica, zelante, facunda nel predicare et accortissima nel servitio d'Iddio, il quale è così ben [258] informato dei miei pensieri quanto io stesso ; et fu già mandato fa poco in Geneva, dal comune consenso di Monsignor Rmo et del Padre Cherubino, per scuoprir un poco meglio questo negotio, et vidde una gran porta aperta al santissimo Crocifisso in quella terra, purchè sia portato con secreto da persone pratiche di questi humori, humili et patienti. Bisogna far come facciamo la Settimana Santa : scuoprir una corna della Croce, poi l'altra piano piano, et così tutto, et gridar dolcemente : Ecce lignum Crucis, venite adoremus.

            Et io saria volentieri andato sin ad Annessi per esser un poco consolato con Monsignor Rmo et quelli Padri benedetti, poichè io son qui solo come leproso fuori dell’armata; ma un poco de ressentimento di febre che io hebbi questi giorni passati, le confessioni alle quali per forza bisogna che io attenda et le altre necessità di qua mi tengono alligato qui sin alla Pasqua. Dirò ingenuamente il mio parer: no potrà meglio far Sua Beatitudine che di lasciar in questo et simili negotii l'assoluta libertà et authorità fra V. S. Illma et Monsignor Rmo, perchè questa guerra devesi fare con l'occhio [259] et non coll'orecchio, perchè le occasioni si appresentano bene spesso, et passano senza ritornar più da quelli che non le pigliano. Questo sia detto da me con humillissima obedientia. È tanto ammalata questa provincia, che ogni minimo accidente che sopravenga impedisce un grande effetto.

            Ritornai la Domenica quarta a Cervens et hebbi magior audientia che la prima. Io vi lasciai un buon sacerdote che era già destinato per esser curato in quella parrochia al principio di queste guerre se le cose succedevano, et era già conosciuto da molti de gl'habitatori. Heri (sic) mi mandarono [ad] invitare per ritornare, chè desideravano farsi Catholici; ma parte la mia dappocagine, parte i negotii pure spirituali et paschalitii di questo Tonone [et] d'Alinges, mi diedero occasione di prorogar questo bene sino al dopo Pasqua che haveremo aiuto da altri predicatori.

            Li Padri Cappucini li quali io per adesso vorrei che fossero deputati a quest'opra, sono il Padre Cherubino et il Padre Spirito, dottissimi, santissimi, humilissimi, et [260] ambiduoi predicano nella diocesi ; li Padri Giesuiti, il Padre Giovan Saunerio, dei primi che habbiano di qua, et un altro che ha predicato questa Quaresima in Rumilly, ma no me sovienne il nome. Priegharò Monsignor Rmo che lo nomini. Et pur no mi par che si debba restringer il numero a questi soli, ma si estendere ad altri, se bisogno ne fosse a l'anime, chè in questo no vedo che vi possa esser abuso veruno. Et pertanto si potria observar quest'ordine, che commandi V. S. Illma alli Provinciali [che] essi mandassero secondo le occurrentie, chè faremo poi venir delli secolari quanti più potremo.

            V. S. Illma mi commanda che io le dica la spesa che ci potrebbe andar per mantener questi Padri. Dico in verità che cento scudi per huomo sonno necessarii, perchè bisognerà che habbino un compagno per uno, et quelli [261] che non saranno Cappucini, ancora un cavallo per trascorrere di luogho in luogho ; ma le cure faranno questa spesa sin tanto che siano stabiliti i curati, purchè ci sian lasciate. No sapria dire circa questa riduttione più particolarmente che io feci nelle memorie lasciate a V. S. Illma et al P. Giulio Coccapane, da presentarsi a Sua Altezza.

            Una sola cosa dirò di più : che la reformatione di queste badie di qua importa infinitamente per far un buon odor da per tutta la vicinantia…

All' Illmo et Rmo Sigr mio osservandissimo,

Monsigre l'Arcivescovo di Bari,

Nuntio Apostolico appresso S. A. S.

 

Revu sur une copie déclarée authentique de l'Autographe conservé à la cathédrale de Nardo (Italie, Pouille). [262]

 

 

 

            Mon très honoré, Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

 

            Je supplie très humblement pour l'amour de Dieu Votre Seigneurie Illustrissime de daigner me pardonner si elle n'a pas reçu de mes lettres aussi souvent qu'Elle le souhaitait ; le peu de facilité que nous avons ici, moi surtout, d'en envoyer à Chambéry ou à Aoste en a été la cause principale. Je crois que tous ceux à qui je confie mes lettres pour être présentées à Votre Seigneurie Illustrissime s'efforcent à l'envi de me faire paraître très négligent ; car, il y a trois jours, l'un d'entre eux m'en renvoya une qu'il avait depuis quelque temps pour la porter en Piémont, assurant qu'il ne pouvait [256] passer outre, et, d'après ce qui m'a été dit, le chevalier Bergera, qui en a une autre, était encore naguère à Chambéry. Hier je reçus, par l'entremise d'un exprès que m'envoya M. le Vicaire de Genève, celle que Votre Seigneurie m'écrivit le 12 de ce mois, avec une autre pour M. d'Avully et la copie de la lettre de M. le Cardinal de Santa-Severina.

            M. d'Avully a raison de dire que vingt-deux curés seraient nécessaires en Chablais puisque, pour en venir à quelque particularité, cette province comprend environ quarante-cinq paroisses. Mais parce que je ne sais qui voudrait fournir les revenus nécessaires à tant de personnes, j'ai toujours été d'avis qu'environ dix-huit curés suffiraient. Pour dire ce que je crois, les paroisses étant très étendues, ils doivent avoir une pension convenable, suffisant à leur entretien [257] et à celui d'un vicaire qui les seconde, en sorte qu'ils puissent remplir leur ministère avec bienséance, et qu'ils n'aient pas à exiger des aumônes pour les confessions, sépultures, Messes et autres choses ; car si cela est peut-être licite, toutefois il n'est en aucune manière expédient. Si les Chevaliers consentaient à céder les cures et les bénéfices-cures, et si les particuliers qui en détiennent ici faisaient de même, on pourrait les réunir en un lot qu'on diviserait en parties égales entre les paroisses rurales ; car à Thonon l'exercice du culte demande plus de solennité. Je crois que cet arrangement serait avantageux ; mais je ne voudrais pas que les Chevaliers eussent le droit de patronage sur ces cures : ce serait ruiner le concours, et, avec le temps, on verrait des nominations peu avouables. Du reste, ils ne sont ni fondateurs ni restaurateurs de ces cures.

            Quant aux considérations faites à Rome au sujet de la conférence, elles sont vraiment très sages ; j'ai écrit de très amples mémoires sur ce qu'il m'en semble, et je les ai envoyés à M. Louis de Sales, chanoine de Genève, homme expérimenté, zélé, éloquent dans la prédication, très prudent pour ce qui regarde le service de Dieu et [258] qui connaît mes pensées aussi bien que moi-même. Ayant été naguère mandé à Genève, du commun consentement de Mgr notre Evêque et du P. Chérubin, pour approfondir un peu mieux cette affaire, il vit en cette ville une grande porte ouverte au très saint Crucifix, pourvu qu'il y soit porté secrètement par des personnes humbles, patientes et familiarisées avec les mœurs des hérétiques. Il faut faire comme nous faisons pendant la Semaine Sainte : découvrir un bras de la Croix, puis l'autre, et ainsi peu à peu, la Croix tout entière, en chantant doucement : Ecce lignum Crucis, venite adoremus.

            Je serais allé volontiers jusqu'à Annecy pour me consoler un peu avec Mgr le Révérendissime et ces bons Pères, puisque je suis seul ici, comme un lépreux hors de l'armée ; mais un petit ressentiment de fièvre que j'eus ces jours passés, les confessions que je dois forcément entendre, et d'autres devoirs me tiennent lié ici jusqu'à Pâques. Je dirai ingénuement mon avis : Sa Sainteté ne pourrait faire mieux que de laisser toute autorité et liberté d'action en cette affaire et en d'autres semblables à Votre Seigneurie et à Mgr notre Evêque, puisque [259] cette guerre doit se diriger par l'œil et non par l'oreille ; car bien souvent les occasions se présentent et passent sans retour pour ceux qui ne savent pas les saisir. Ceci soit dit de ma part avec une très humble obéissance. Cette province est tellement malade que le moindre accident qui surviendrait empêcherait un grand succès.

            Je suis retourné le quatrième Dimanche de Carême à Cervens, et j'ai eu un auditoire plus nombreux que le premier. J'y ai laissé un bon prêtre, qui déjà au commencement de ces guerres avait été désigné pour être curé de cette paroisse si les affaires réussissaient ; il était déjà connu d'un grand nombre d'habitants. Hier les paroissiens me firent inviter à y retourner parce qu'ils désirent se faire catholiques ; mais mon insuffisance d'une part, et de l'autre les affaires spirituelles et les confessions pascales de Thonon et des Allinges m'ont contraint de différer ce bien jusqu'après Pâques, où nous serons aidés par d'autres prédicateurs.

            Les Pères Capucins que, pour le moment, je voudrais voir destinés à cette œuvre sont le P. Chérubin, le P. Esprit, l'un et l'autre très doctes, très saints, très humbles ; tous deux prêchent dans ce [260] diocèse. Quant aux Pères Jésuites, je voudrais le P.Jean Saunier, un des premiers qu'ils aient envoyés ici, et un autre qui a prêché ce Carême à Rumilly, mais dont je ne me rappelle pas le nom. Je prierai Mgr le Révérendissime de le demander. Cependant il me semble qu'on ne devrait pas se limiter à ce petit nombre, mais l'augmenter d'autres encore si les âmes en avaient besoin, car en ceci je ne vois pas qu'il puisse y avoir aucun abus. Partant, on pourrait procéder ainsi : Votre Seigneurie Illustrissime donnerait ordre aux Provinciaux d'envoyer des Religieux selon les occasions ; nous ferons ensuite venir autant de prêtres séculiers que nous pourrons.

            Votre Seigneurie m'ordonne de lui dire jusqu'où montera la dépense pour l'entretien de ces Pères. Je dis en vérité que cent écus par tête sont nécessaires, parce qu'il faudra à chacun un compagnon, et [261] à ceux qui ne sont pas Capucins il faut encore un cheval pour aller d'un lieu à un autre ; mais les cures fourniront à cette dépense, pourvu qu'elles nous soient cédées, jusqu'à l'établissement des curés. Je ne saurais sur cette réduction rien dire de plus spécial que le contenu des mémoires laissés à Votre Seigneurie Illustrissime et au P. Jules Coccapane pour être présentés à Son Altesse.

            Je n'ajouterai qu'une seule chose : c'est qu'il importe infiniment de réformer les abbayes de ce pays pour répandre dans tout le voisinage un parfum d'édification…

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XCI. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier (Minute inédite). Instances pour obtenir quelques libéralités déjà sollicitées en faveur de nouveaux Catholiques.

 

Sales, il avril 1597.

 

            Monseigneur,

 

            Je suppliay nagueres Vostre Altesse par une lettre qu'il luy pleust accorder une portion de cinq ou six muys de froment des aumosnes de Ripaille et de Filly pour le soulagement de sept ou huit vieux bons Catholiques, pauvres et indigens, et pour un qui servist a Thonon au clocher pour les Catholiques. Quand j'eus ce bonheur d'approcher Vostre Altesse l'annee passee a Turin elle eut aggreable la proposition que je luy en fis, et maintenant j'ay prié M. de Blonnay de la luy representer. Plaise donq lautrefois a Vostre Altesse de faire ceste aumosne a ces pauvres gens, puisque c'est d'un bien qui est desja destiné aux pauvres.

            Je supplie encor Vostre Altesse pour certains petitz vilages qui estoyent anciennement de la parroisse des Alinges et en furent distraitz sous les Bernois, lesquelz desirent estre reunis a leur ancienne eglise et y faire l'exercice catholique ; a quoy personne ne contrediroit, si ce n'estoit que Vostre Altesse a, par sa liberalité, exempté la parroisse des Alinges des charges et subsides, a quoy ilz auroyent part par consequent. Plaise donq a Vostre Altesse estendre plustost sa liberalité sur ces petitz vilages, qu'accourcir la premiere parroisse qui s'est faitte catholique par deça.

            Ces huguenotz ont intention de priver monsieur d'Avully de la judicature du supreme consistoire parce qu'il est catholique ; mais puysque cecy ne touche en rien au traitté de Nion et qu'il a esté institué en cest office par [263] Vostre Altesse, je cuyde que ce soit pour l'honneur de Dieu et de Vostre Altesse qu'il y soit expressement continué. Le ministre qui se veut catholiser et s'y dispose de plus en plus fut secouru de quelque peu de bled par monsieur de Lambert, et Vostre Altesse declaira l'avoir aggreable ; mais monsieur de Lambert n'a pas osé en tirer consequence qu'il failloit continuer, qui me faict encor supplier Vostre Altesse de le luy faire entendre.

            Ainsy ne cessé-je de demander a Vostre Altesse, mays je ne cesse aussi de demander a Dieu qu'il la conserve longuement en tres parfaitte santé, puysque j'ay l'honneur d'estre,

De Votre Altesse,

Tres humble sujet.

 

Revu sur le texte inséré dans les deux Procès de Canonisation.

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XCII. A Monseigneur Jules-César Riccardi, Archevêque de Bari, Nonce Apostolique a Turin. Difficultés que présente la mission du Chablais. — Intérêt du Pape pour cette œuvre. — Il est urgent de réformer quelques abbayes de la contrée.

 

Sales, 11 avril 1597.

 

            Illustrissimo et Reverendissimo Signor mio osservandissimo,

 

            Hebbi hieri quella di V. S. Illma scrittami alli 4 di Aprile, et viddi nella alligata copia del signor Cardinale [264] Aldobrandino quanto Sua Santità habbia a caro di haver avvisi delle cose di qua. Et io vorrei poterne dar ogni giorno delle grate et vere nuove, ma sin adesso le cose sonno andate tanto lentamente et con tanta malinconia che faceano noya alli più sani et saldi stomachi. Nè sin adesso ho ricevuto altro per li curati se non cento fiorini et 30 coppe di fromento, come scrissi a V. S. Illma delle quali ne darò buon et fedel conto, acciò sappiano i Cavaglieri che la nostra povertà no ricerca i loro beni per farsi ricca o grassa. Laudo il Signor il qual ha dato buona intentione a Sua Santità di restituir le cure al servitio d'Iddio et dell'anime, come vuol il dovere. [265]

            Ho scritto a V. S. Illma della giudicatura del consistono di Chiablais qual vogliono levar a monsieur d'Avully, et non è ragionevole. Ne scrivo l'altra volta a Sua Altezza acciò si degni farne qualche dichiaratione. No voglio mancar di raccommandargli la prebenda so lita a pagharsi al P. Predicator di Evian sopra la badia dell'Abondanza, con incolcar, anzi gridar nelle viscere di Christo, che si faccia o la riformatone o la mutatione delle badie d'Aux et Abondanza et delle altre ancora di qua che sonno seminarii de scandali.

            Monsieur di Blonnay, lator di questa, è gentilhuomo meritevole et può fare buoni servitii di qua ; per tanto, s'havesse bisogno di ricorrer'al favor di V. S. Illma in [266] qualche suo negotio, la vorrei ben preghar di farne gratia et a luy (sic) et a me. Son sforzato a far alta per certi giorni per venir al sinodo et altri negotii, et per prevenire una malatia della quale sono minacciato ciè un pezzo. Ma questo sarà poco, et ritornarò poi alla tralasciata impresa con più impeto.

            Fra tanto priegho il Signor conservi ad utile della sua Chiesa V. S. Illma, alla quale bascio con ogni humiltà le mani reverendissime.

Di V. S. Illma et Rma,

Humilissimo et divotissimo servitore,

FRANCO DE SALES,

indegno Prevosto di Geneva.

            Di Sales, alli 11 di Aprile 97.

All' Illmo et Revermo Sigr mio osservandissimo,

Monsigr l'Arcivescovo di Bari,

Nuntio Apostolico appresso S.A.

Taurino.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Rome, Archives du Vatican. [267]

 

 

 

            Mon très honoré, Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

 

            J'ai reçu hier votre lettre du 4 avril, et j'ai vu dans la copie de celle du Cardinal Aldobrandino qui s'y trouvait jointe combien [264] Sa Sainteté a pour agréable d'être tenue au courant de nos affaires. Je voudrais pouvoir lui en donner chaque jour de vraies et réjouissantes nouvelles ; mais jusqu'ici les choses sont allées si lentement et si tristement qu'elles fatiguaient les estomacs les plus sains et les plus forts. Comme je l'écrivais à Votre Seigneurie Illustrissime, je n'ai encore reçu pour les curés que cent florins et trente coupes de froment, dont je rendrai bon et fidèle compte afin que les Chevaliers sachent que notre pauvreté ne recherche pas leurs biens pour s'enrichir et devenir opulente. Je loue le Seigneur de ce qu'il a donné à Sa Sainteté l'intention de rendre au service de Dieu et des âmes les revenus des cures, ainsi que le demande la justice. [265]

            J'ai écrit à Votre Seigneurie au sujet de la judicature du consistoire du Chablais que l'on veut ôter à M. d'Avully ; c'est déraisonnable. J'en écris de nouveau à Son Altesse afin qu'elle prononce un arrêt à cet égard. Je ne veux pas manquer de vous recommander l'affaire de la prébende d'Abondance que l'on a coutume d'appliquer au P. Prédicateur d'Evian. Jamais non plus je ne cesserai de presser, voire même de crier afin d'obtenir par les entrailles de Jésus-Christ, que l'on prenne des mesures pour la réforme ou le changement des Religieux des abbayes d'Aulps, d'Abondance, et d'autres encore qui sont en cette province des séminaires de scandales.

            M. de Blonay, porteur de cette lettre, est un gentilhomme de grand mérite, qui peut nous rendre bien des services. Par conséquent, s'il avait besoin de la protection de Votre Seigneurie Illustrissime, [266] en quelqu'une de ses affaires, je vous prierais de nous en accorder la grâce à lui et à moi. J'ai été contraint de m'absenter quelques jours afin d'assister au synode, mettre ordre à certaines choses, et prévenir une maladie dont je suis menacé depuis longtemps. Mais cette absence sera courte et je retournerai ensuite reprendre avec plus d'ardeur mes travaux interrompus.

            En attendant, je prie le Seigneur de vous conserver pour l'utilité de son Eglise, et je baise en toute humilité vos mains vénérées.

            De Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime,

Le très humble et très dévoué serviteur,

FRANÇOIS DE SALES,

indigne Prévôt de Genève.

            De Sales, le 11 avril 1597. [267]

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XCIII. A Sa Sainteté Clement VIII. Entrevue avec Théodore de Bèze ; endurcissement de ce vieillard. — Tyrannie exercée par les Genevois sur les Catholiques. — Espoir d'obtenir la liberté de conscience à Genève moyennant la médiation du roi de France.

 

Annecy, 21 avril 1597.

 

            Beatissime Pater,

 

            Cum anno præterito de Bezæ, primarii inter Calvinianos hæretici, ad Ecclesiam Catholicam reditu ac conversione, tum Pater Spiritus Balmensis, ex Ordine Cappuccinorum concionator, tum ego ipse quoque, non [268] levibus multorum permoti sermonibus, bene sperare cœpissemus, ne in re tam optata aut industria nostra aut adminicula cætera desiderarentur, ita inter nos convenit, uti nimirum ille quidem, qui ad Capitulum, quod vocant, generale sui Ordinis, Romæ indictum, properabat, de re tota cum Beatitudinis Vestras clementia coram dissereret, peteretque ne redeunti hæresiarchæ (si videlicet rumorem sequatur eventus) Apostolica desit providentia. Milli vero ea contigit cura ut, quam diligentissime et cautissime fieri queat, intimos Bezæ sensus, aliqua ut fit accepta occasione, ipsiusmet ore detegerem et explicarem.

            Id autem ut facerem, varia prætexens negotia, sæpius Genevam ingressus, nullus unquam mihi ad hominis quem quærebam privata ac secreta colloquia patuit aditus, præterquam hoc ultimo tertio Paschali die, cum et solum et satis primo quidem accessu facilem inveni ; sed tandem aliquando in recessu, postquam extorquendæ [269] ab eo animi sententiæ modos omnes tentassem, omnemque, quoad per me fieri potuit, lapidem movissem, lapideum deprehendi cor ejus immotum hactenus, aut sane non omnino probe commotum, inveteratimi scilicet dierum malorum. Meum vero de illo judicium, quantum quidem ex ejus verbis conjicere possum, hoc sane fuerit. Si paulo frequentior ac tutior ad ejus congressum accessus pateret, futurum forsitan ut reduci possit ad caulas Domini, sed in homine octogenario periculum est in mora. Qua de re tota Beatitudinem Suam monuisse debui, ne vel negligens videar vel minus obsequens auditor mandatorum quæ mihi Clementiæ Suæ Litteris Apostolicis et Patris Spiritus voce exposita sunt.

            Verum, quando per tantam benignitatem licet, committendum non existimo quin dicam passim finitimos undequaque Genevensium populos, hactenus hæreticos, ballivagiorum ut loquuntur de Gex et Gaillard, restitutionem fidei reique Catholicæ infimis postulare precibus, quo deinceps Catholice vivere queant ; atque plurimorum [270] inter eos quotidianam audivi quærimoniam quod Catholici cum sint, ritu tamen Catholico vivere Reipublicæ Genevensis tirannide prohibeantur, cum alioquin ea Respublica non suo, sed Francorum Regis Christianissimi nomine in ejusmodi populos violentum illud exerceat imperium ; neque probabile sit ejus tyrannidis qua Catholicorum conscientiæ opprimantur conscium esse Regem, qui nuperrime tanta contentione Catholicam communionem expetivit. Quare libenter crediderim, fore ut si a Sede Apostolica iis de rebus Rex ipse moneatur, longe fœlicius res habeat. Quin etiam si paulo pressius idem ipse Rex a Genevensi Republica contenderet ut libertatem, quam vocant, conscientiæ in civitate ipsa admitteret, non omnino improbabile esset rei gerendæ argumentum. Atque sane, Beatissime Pater, in rebus arduis et magni momenti etiam periculum fecisse operæ pretium est. Hæc ita fusius Beatitudini Suæ exhibere sum ausus, quod non sim nescius quam fidei ac disciplinæ [271] Christianæ instaurandæ Clementia Sua libenter animum adjiciat, et absentia (quæ hujus mortalitatis est conditio) non nisi per præsentes cognosci possint.

            Beatitudinem Tuam, Sanctissime Pater, Christus Optimus Maximus Ecclesiæ suæ quam diutissime servet incolumem.

            Ad pedum oscula demississime provolutus,

Sanctitatis Suæ,

Humillimus servus,

FRANCS DE SALES,

Ecclesiæ Gebennensis Præpositus indignus.

            Necii Gebennensium, 21 Aprilis, anno 1597.

A Sua Santità.

Sancissimo Patri, Clementi octavo,

Summo Christianorum Pontifici.

 

Revu sur l'Autographe conserve à Rome, Archives du Vatican. [272]

 

 

 

            Très Saint Père,

 

            L'année dernière le P. Esprit de Beaume, prédicateur de l'Ordre des Capucins, et moi-même, persuadés par les sérieuses affirmations d'un grand nombre, avions commencé à bien espérer de la conversion de Bèze et de son retour à l'Eglise Catholique. Pour contribuer [268] à un évènement si désirable, nous ne pouvions épargner notre industrie ni négliger aucun autre moyen. Comme ce Religieux devait se rendre à ce qu'ils appellent le Chapitre général de leur Ordre, lequel se tenait à Rome, nous avions convenu que, pour lui, il traiterait de toute cette affaire en présence de Votre clémente Béatitude, et qu'il vous prierait de ne pas refuser (si toutefois ce bruit de conversion se réalisait) votre bienveillance apostolique à cet hérésiarque rentrant au bercail. Quant à moi, ma mission devait être de profiter, aussi prudemment et aussi soigneusement que possible, de la première occasion pour apprendre de la bouche même de Bèze ses sentiments intimes et m'expliquer avec lui.

            A cette fin, prétextant diverses affaires, je suis entré fort souvent à Genève ; mais je n'ai pu trouver ouverture à un entretien particulier et secret avec l'homme que je cherchais, jusqu'à la troisième fête de Pâques. J'ai rencontré Bèze seul et d'un accès d'abord assez facile. Quand enfin je me retirai après avoir tenté tous les moyens de [269] lui arracher l'aveu de sa pensée, sans avoir laissé une pierre à remuer, je trouvai en lui un cœur de pierre, jusqu'ici immobile, ou, du moins, insuffisamment remué ; c'est-à-dire, un vieillard endurci, plein de jours mauvais. Autant que ses paroles me permettent de le juger, voici quelle serait mon appréciation : s'il était possible de l'aborder et plus fréquemment et avec plus de sécurité, peut-être pourrait-on le ramener au bercail du Seigneur ; mais pour un octogénaire, tout retard est périlleux. J'ai dû mettre Votre Béatitude au courant de toute cette affaire, car je ne voudrais pas passer pour négligent ou peu attentif à exécuter les ordres qui m'ont été transmis, soit par les Lettres Apostoliques de Votre Clémence, soit par la bouche du P. Esprit.

            Et puisque votre bonté si grande m'y autorise, je ne veux pas manquer l'occasion de vous dire que les populations hérétiques jusqu'ici, qui de tous côtés environnent Genève, celles des pays qu'on nomme bailliages de Gex et de Gaillard, demandent avec les plus humbles prières, le rétablissement de la foi et du culte catholiques afin de pouvoir vivre en catholiques. J'ai entendu bon nombre d'hommes de ces pays se plaindre chaque jour de ce qu'étant [270] catholiques, ils sont empêchés par la tyrannie de la république de Genève de remplir leurs devoirs de catholiques, d'autant plus que cette république opprime ces peuples non pas en son nom, mais au nom du très chrétien roi de France. Le roi connaît-il cette tyrannie que l'on fait peser sur les consciences catholiques ? Ce n'est pas probable, puisque tout récemment il a poursuivi avec tant d'ardeur sa réunion à l'Eglise Catholique. Je croirais volontiers que si le roi lui-même était averti par le Siège Apostolique, les choses se passeraient tout autrement. Et d'ailleurs, si le roi faisait quelques efforts plus pressants afin d'obtenir que la république de Genève accordât dans cette ville même ce qu'ils appellent liberté de conscience, il ne serait pas tout à fait improbable qu'il y réussît. Aussi bien, Très Saint Père, vaut-il déjà la peine d'avoir tenté un essai dans les choses difficiles et graves. Si j'ai osé présenter à Votre Béatitude ce trop long exposé, [271] c'est que je n'ignore pas quel zèle Sa Clémence apporte à restaurer la discipline chrétienne, et que, dans les conditions de cette vie mortelle, on ne peut apprendre ce qui se passe au loin que par ceux qui sont présents.

            Très Saint Père, que le Christ très bon et très grand conserve longuement à Votre Béatitude une heureuse vie !

            Prosterné très humblement à vos pieds que je baise, je suis,

De Votre Sainteté,

Le très humble serviteur,

FRANÇOIS DE SALES,

indigne Prévôt de l'Eglise de Genève.

            Annecy, diocèse de Genève, le 21 avril 1597.

A Sa Sainteté.

Au Très Saint Père Clément VIII,

Souverain Pontife des Chrétiens. [272]

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Minute de la lettre précédente

 

            Beatissime Pater,

 

            Cum anno præterito de Theodori Bezæ, primarii inter Calvinianos hæretici, ad Ecclesiam Catholicam reditu et conversione, tum Pater Spiritus Balmensis, ex Ordine Cappuccinorum, insignis et probitate et doctrina concionator, tum etiam ego ipse, multorum non levibus permoti sermonibus, bene sperare cœpissemus, ne in re tam desideranda aut industria nostra aut adminicula cœtera desiderarentur, ita inter nos conventum fuit, uti scilicet ille quidem, qui per ea tempora ad Capitulum, quod vocant, generale sui Ordinis, Romæ indictum, properabat, de re tota coram Beatitudine Tua dissereret, peteretque ne (si rumorem sequatur eventus) redeunti hæresiarchæ Apostolica providentia desit. Mihi vero ea contigit cura uti, quam diligentissime et cautissime fieri queat, intimos Bezæ sensus, aliqua accepta ut fit occasione commoda, ipsiusmet ore detegerem ac explicarem.

            Id autem ut facerem, varia prætexens negotia, sæpius Genevam eam ob causam ingressus sum ; sed nullus mihi patuit aditus ad hominis quem quærebam privata et secreta colloquia, præterquam hoc ultimo tertio Paschatis die, cum et solum et satis primo accessu facilem inveni ; sed tandem aliquando, postquam extorquendæ illius animi sententiæ gratia, omnem, quoad per me fieri potuit, movissem lapidem, lapideum tamen cor ejus immotum adhuc, aut sane non omnino conversum deprehendi, inveteratum scilicet dierum malorum. Qua de re tota Beatitudinem Tuam monuisse debui, nevel minus diligens videar, vel minus obediens mandatis quæ mihi Sanctitatis Tuæ Litteris et Patris Spiritus sermone sunt exposita.

            Meum vero de homine illo judicium est, si paulo frequentior, tutior ac commodior ad ejus colloquia pateret accessus, forsitan fore ut reducatur ad caulas Domini ; sed præcipue si, quod speramus, Beatitudine Tua annuente, [273] Genevæ instituatur cum ministris disputatio. Atque quidem, Beatissime Pater, in rebus arduis et magni momenti etiam periculum fecisse operæ pretium est.

            Verum, quando per Beatitudinis Tuæ clementiam licet, committendum non duxi quin eam certiorem faciam, undequaque passim finitimos Genevensium populos, hactenus in hæresim abductos, ditionum Gexensis et Galliardensis, ritusque et rei Catholicæ restitutionem demississime postulare, quo deinceps Catholicam vitam agere queant ; atque quotidianam plurimorum inter eos audiri querimoniam, qui, Cattolici cum sint, Genevensis Reipublicæ tyrannide prohibeantur ritu Catholico vivere : cum alioquin Genevenses, non suo sed Christianissimi Francorum Regis nomine, in ejusmodi populos imperium ac vim exerceant ; neque probabile sit ejus tyrannidis qua conscientiæ Catholicorum opprimantur conscium esse Regem, qui tanta contentione Catholicam communionem nuper obtinuit. Quare credibile admodum est, si a Beatitudine Tua his de rebus Rex ipse admoneatur, fore uti quamprimum longe certius res habeat. Quin etiam, si paulo pressius idem ipse Rex a Genevensi Republica contenderet ut libertas, quam vocant, conscientiæ intra civitatis ipsius Genevensis mœnia permittatur, sperandum esset rem eam, qua vix alia magis hisce temporibus optanda occurrit, fœlicem habituram eventum. Hæc ita, Beatissime Pater, fusius explicare sum ausus, quod non sim nescius quam fidei ac disciplinæ Christianæ instaurando Clementia Tua libenter incumbat, et absentia nonnisi per præsentes possit cognoscere.

            Sanctitatem Tuam, Pater Beatissime, Christus Optimus Maximus incolumem diutissime conservet.

            Ad pedum oscula demisse provolutus, Beatitudinis Suæ,

Humillimus servulus,

FRANCISCUS.

            Necii Allobrogum.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation. [274]

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XCIV. A Monseigneur Jules-César Riccardi, Archevêque de Bari, Nonce Apostolique a Turin. Heureux résultats que promet la conférence projetée avec les hérétiques. — Lettre du Saint au Pape. — Pression qu'exercent les Genevois sur les Catholiques de Gex et de Gaillard. — Etat des affaires du Chablais.

 

Annecy, 23 avril 1597.

 

            Illustrissimo et Reverendissimo Signor mio osservandissimo,

 

            Essendoci ritrovati insieme questi giorni passati il Padre Cherubino, il Padre Spirito et io, et conferendo di quelle cose particolari che sonno seguite nei luoghi dove habbiam predicato questa Quaresima, si vede che la conferentia per laquale si aspetta la licentia da Roma sarà, mediante la gratia del Signor, una cosa molto fruttuosa, et la premevano molto questa Quaresima quelli di Geneva. Ma non patendo cavar da' nostri certa risposta, la quale non si poteva dar, mi par di vederli un poco ritirati sopr' il freddo. Basta : che se si farà, sarà fruttuosa ; [275] se non si farà per mancamento loro, sarà cosa gloriosa per la causa catholica. Una cosa è successa che me ne rincresce incredibilmente, et è che la cosa è stata divolgata con gran rumore dalla corte nostra, la quale è tanto secreta che bastaria a rivelar li misteriosi secreti della Apocalisse ; et habbiam a trattar con animali che ogni piccol rumore hanno in sospetto.

            Scrivo a Sua Santità per quel particolar che vederà V. S. Illma, poichè per questo le mando la lettera col sigillo volante ; et havendola letta, si degni di chiuderla acciò nessun' altro la veda, perchè egli è cosa importantissima per me che no si sappia donde vengono questi avisi. Ma V. S. Illma si farà un gran merito se incolcarà molto bene a Sua Santità quel particolar di Gex et Gaillard, chè in vero la cosa è vituperosissima che [276] [i] Genevrini occupando quelli luoghi a nome del Re di Francia, sforsino li Catholici a viver malamente ; et non è dubbio che il Re sapendolo, darà ordine che si usi almanco libertà di conscientia o l' Interim, che vogliono dire.

            Così foss' inspirato detto Re di addomandare l'istessa libertà nella città medesima di Geneva, che forse non saria cosa impossibile da ottenersi, purchè si trattasse un poco vivamente. Anzi questi giorni passati essendosi dato questo rumor in Geneva, no so da che banda nè con qual fondamento, si sentivano già molti dispareri de'cittadini. Certo, in queste cose tanto grandi, egli è molto meglio il tentare et sperar molto, in caso che il fallar no possa recar gran danno, che per troppa discretione perdere l'occasioni del bene. [277]

            Quanto poi al nostro Chiablais, vado un poco trattenuto sin tanto che sia saldata questa tregua laquale, per quanto mi vien detto, si tratta, et in questo principio di Maggio spero di condurvi et Padri Cappucini et altri necessarii quanto più potrò ; et se si darà tranquillità et modo di poter continuare, credo che il Signore ne sarà servito. Queste feste i nuovi Cattholici mi hanno straccato col le loro confessioni generali, ma con incredibil mia consolatione di vederli molto divoti, con monsieur di Avulli in capo, il qual non ha tralasciato un sol punto di buon essempio. Laudato ne sia il Signor Iddio.

            Glie rimetterò di nuovo nella memoria, con confidentia nella bontà sua, le riforme delle badie di qua di monti, et particolarmente di Aux et Abondantia, et la provisione per il Padre Predicator di Eviano, acciò glie sia paghata essattamente la præbenda solita.

            Priegho poi il Signor Iddio dia ogni vero contento a V. S. Illma et Rma, conservandola lungamente a beneficio [278] et consolatione di quest'afflitte chiesuole ; et così resto perpetuamente,

            Di V. S. Illma et Rma,

Humilissimo et devotissimo servitore,

FRANCO DE SALES,

Prevosto indegno di Geneva.

All' Illmo et Rmo Sigr mio osservandissimo,

Monsigr l'Arcivescovo di Bari,

Nuntio Apostolico appresso S. A. S.

Turino.

 

Revu sur l'Autographe conserve à Rome, Archives du Vatican.

 

 

 

            Mon très honoré, Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

 

            Nous étant retrouvés ensemble ces jours passés, le P. Chérubin, le P. Esprit et moi, et conférant des incidents particuliers qui sont arrivés dans les localités où nous avons prêché le Carême, nous avons jugé que la conférence pour laquelle on attend l'autorisation de Rome sera, moyennant la grâce de Dieu, une chose très fructueuse. Ceux de Genève poursuivaient fort pendant ce Carême pour qu'elle se fît ; mais ne pouvant tirer des nôtres une réponse précise, que nous n'étions pas à même de donner, il me semble qu'ils se sont un peu refroidis. N'importe : si elle a lieu, elle sera fructueuse, et [275] si c'est par leur faute qu'elle ne se fait pas, ce sera glorieux pour la cause catholique. Ce que je regrette incroyablement, c'est que cette affaire ait été divulguée à grand bruit par notre cour, qui est si discrète qu'elle suffirait à révéler les mystérieux secrets de l'Apocalypse ; et nous avons à traiter avec des animaux auxquels le moindre bruit est suspect.

            J'écris à Sa Sainteté sur le sujet que Votre Seigneurie verra ; je vous envoie à cet effet la lettre sous cachet volant, en vous priant de la fermer aussitôt après l'avoir lue, afin que personne autre ne la voie, parce qu'il est très important pour moi que l'on ne sache pas d'où viennent les avis qu'elle contient. Mais Votre Seigneurie acquerra un grand mérite en sollicitant fortement auprès de Sa Sainteté l'affaire de Gex et de Gaillard ; car à la vérité c'est une chose honteuse que [276] les Genevois, occupant ces pays au nom du roi de France, contraignent les Catholiques à mal vivre. Lorsque le roi le saura, il donnera sans doute ordre de les laisser jouir au moins de la liberté de conscience ou de l'Intérim, comme ils l'appellent.

            Plût à Dieu qu'il eût aussi l'inspiration de demander la même liberté pour la ville de Genève, ce que peut-être il ne serait pas impossible d'obtenir en traitant l'affaire un peu énergiquement. Ces jours passés le bruit s'en étant répandu à Genève, je ne sais de quel côté ni sur quel fondement, on voyait déjà de nombreux dissentiments surgir entre les citoyens. Certes, dans ces choses si importantes, il vaut mieux tenter et espérer beaucoup, lorsque l'échec ne peut apporter grand dommage, que de perdre par trop de discrétion les occasions de faire le bien. [277]

            Quant à notre Chablais, je suis un peu arrêté jusqu'à la conclusion de la trêve, qui, me dit-on, se négocie maintenant. J'espère y conduire, au commencement du mois de mai, les PP. Capucins et les autres prêtres nécessaires en plus grand nombre possible ; et si on nous procure la paix et le moyen de continuer, je crois que le Seigneur en sera bien servi. Ces fêtes, les nouveaux Catholiques m'ont lassé par leurs confessions générales ; mais j'ai éprouvé une immense consolation de les voir si pieux, M. d'Avully à leur tête, lequel n'a pas manqué une seule occasion de donner le bon exemple. Que le Seigneur notre Dieu en soit loué !

            Me confiant en votre bonté, je vous remémorierai la réforme des abbayes de cette contrée, particulièrement de celles d'Aulps et d'Abondance, ainsi que la provision pour le P. Prédicateur d'Evian, afin qu'on lui paie exactement la prébende accoutumée.

            Je prie le Seigneur notre Dieu de donner à Votre Seigneurie tout [278] vrai contentement et de la conserver longtemps pour le bien et la consolation de ces petites églises si affligées, et je demeure à jamais,

            De Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime,

Le très humble et très dévoué serviteur,

FRANÇOIS DE SALES,

indigne Prévôt de Genève.

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XCV. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier (Inédite). Le curé de Saint-Julien est contraint de se retirer. — Requête des habitants de Bernex. — Incident survenu entre le P. Esprit et le ministre protestant. — Combien il est désirable que le duc signifie aux Thononais le désir qu'il a de leur conversion.

 

Thonon, 27 mai 1597.

 

            Monseigneur,

 

            Ce pendant que j'attens plusieurs graces de la liberalité de Vostre Altesse, desquelles je l'ay suppliee ci devant, les occasions me naissent tous les jours de luy en demander des autres. On avoit establi un curé a Saint [279] Jullin pres Geneve, qui jusques a praesent a fort bien fait son devoir, selon le tesmoignage de plusieurs gens de bien ; le peuple tout autour en estoit fort consolé. Maintenant, Monseigneur, le voyla contraint d'abbandonner pour n'avoir dequoy vivre ; et neanmoins la cure, qui est en commande a messieurs de Saint Lazare, est de fort bon revenu. Cecy n'est pas un petit scandale. Ceux de Bernex, qui sont une liëue pres de Geneve, au balliage de Ternier, m'ont addressé une requeste pour avoir l'exercice catholique, comme si j'avois ou le moyen ou l'authorité de ce faire. Je represente volontiers toutes ces necessités a Vostre Altesse delaquelle seule en depend le remede.

            Aussy ne dois je pas oublier la necessité du lieu ou je suis. Le P. Esprit, docte et signalé prædicateur Cappucin, estant icy ces festes, ou il a apporté tres grande consolation a tous les gens de bien, et a luy mesme esté consolé d'y en voir plus qu'il ne pensoit, voyant que ceux de la ville s'opiniastroyent si fort a ne point ouyr les prædicateurs catholiques, voulut vendredy dernier remonstrer publiquement, mais gratieusement, au ministre la fauseté de sa doctrine. Sur quoy les bourgeois dirent que Son Altesse ne vouloit pas quilz traittassent avec nous. Je repliquay qu'au contraire Son Altesse l'auroit tres aggreable. Ilz respondirent que Vostre Altesse ne leur en avoit donné d'advis, et que quand il l'auroit fait ce seroit autre chose, et qu'au reste ilz ne m'en croyoient pas. Mays un bourgeois plus impatient vint [280] tirer par force le ministre de la compaignie affin qu'on ne sceut ce qu'il sçavoit faire. La ou, Monseigneur, je me sens obligé en mon ame de supplier tres humblement Vostre Altesse de faire meshuy sçavoir a ces gens qu'elle aura aggreable qu'ilz oyent et sondent les raysons catholiques, sans plus alleguer de si impertinentes excuses comm'est cellecy, de mettr'en doute le bon desir que Vostre Altesse a de leur conversion. Le traitté avec les Bernois ne peut en estr'alteré puysque, sans forcer personne au changement de religion, on les invite seulement a la consideration de l'estat de leur conscience.

            Je ne lairray pas encores de remettr'en memoyre a Vostre Altesse la pauvreté du ministre qui se recatholise, duquel je luy ay ja si souvent escrit, qui ne peut estre secouru d'ailleurs, et celle de ces set ou huict personnes catholiques qui sont en extreme disette, pour lesquelz aussy j'ay ci devant supplié a Vostre Altesse, affin que quattr'ou cinq muis des aumosnes de Ripaille et Filly leur soyent appliqués en pension leur vie durant, qui ne peut plus guere durer puysque ce sont presque tout gens vieux ; et ces aumosnes ne touchent en aucune façon la Religion de Saint Lazare. Ce sera un'aumosne des plus fleuries qui puissent partir de la main de Vostre Altesse. [281]

            Je prie Nostre Seigneur Jesus Christ qu'il accroysse de plus en plus ses benedictions sur elle, comm'estant et devant estr'a jamais,

            Monseigneur,

De Vostre Altesse,

Tres humble et tres obeissant sujet et serviteur,

FRANC8 DE SALES,

indigne Prævost de Geneve.

            A Thonon, le 27 may 97.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Biblioteca Civica.

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XCVI. A Monseigneur Jules-César Riccardi, Archevêque de Bari, Nonce Apostolique a Turin. Mêmes sujets. — Installation d'un curé à Brens.

 

Thonon, 27 mai 1597.

 

            Illustrissimo et Reverendissimo Signor mio osservandissimo,

 

            Duoi sospetti m'hanno sin hora trattenuto per un poco di scriver a V. S. Illma : uno della guerra, l'altro del [282] contagio del quale ciè stato un poco di pericolo in queste bande. Dirò adesso a V. S. Illma che dalla parrochia di Bernex, del balliaggio di Ternier, discosta da Geneva tre millia, mi viene indrissata una richiesta per laquale mi addomandano l'essercitio catholico, con questa impertinente presuppositione, che da Sua Altezza habbia et modo et authorità di far ogni progresso nelle cose della religione.

            Da San Giuliano, poco più discosto di Geneva, mi furono indrissate lettere dal giudice maggiore di Gex et altri, in favore del curato di detto luogho (il quale fu stabilito là fa poco et haveva molto ben esseguito il suo carico sin adesso), che non havendo modo di viver, è costretto di lasciar il luogho senza pastore. La cura [283] è della Religione di San Lazaro, et sin hora si dava certa pensione al curato, laquale adesso gli è stata tolta ; onde ne riesce questo scandalo che maggior non può esser. Mi è stato riferito ch'il popolo, con le lachrime all'occhio, in genocchione pregava il curato di restar ; ma esso vedendo che mentre li sacerdoti staranno da pecorelle il lupo li mangiarà, si risolse di lasciarli ad ogni modo, però con questa intentione di ritornarvi le Domeniche a consolarli.

            Queste cose travengono fuora del Chiablais, appresso di Geneva, et ne ricorro alla bontà di V. S. Illma ; et per questo glie mando la richiesta di quelli di Bernex et un'altra del curato di San Giulino, già un'altra volta appresentata a Sua Altezza senza risposta al principale. Glie mando ancora le lettere del signor giudice majore [284] di Gex et del signor Barone di Viri, persona honorata et importante, acciò vedano i Cavaglieri ch'io no son parte, ma avvocato della parte, et che la parte non è altro salvo che il ben publico. Sonno [in] francese, ma V. S. Illma se le potrà far leggere o dal signor de Lulino o da altri ; ma la priegho bene di non perder dette lettere, acciò mi servano contra quelli che potriano haver per male ch'io di tante cose m'impacci. Scrivo sopra di ciò una parola a Sua Altezza ; si degni V. S. Illma, [285] per carità, procurarne qualche breve et fruttuosa risposta.

            Il buon, dotto P. Fra Spirito, Cappucino, essendo venuto qui queste feste di Pentecoste et predicato qui nella terra et nella parrochia des Alinges, si è sentito molto consolato di questo nuovo popolo, et il popolo incredibilmente delle sue fruttuose prediche. Io fra tanto son andato a visitar la nuova parrochia di Cervens dove ancora ho havuto consolatione ; et tuttavia si vederà maggior frutto quando questi ed altri predicatori veneranno qui et si fermeranno alquanto, il che adesso detto Padre non ha potuto far, chiamato dal Padre Provinciale. [286]

            Una cosa ciè travenuta : il Padre vedendo gli habitatori di Tonone seguitar con tanta furia il loro ministro heretico senza voler intendere le nostre prediche, Venerdì passato volse mostrar al ministro la falsità della sua dottrina, et questo in publico. Ma uno della terra, dei più ostinati, vedendo che la cosa non poteva riuscir per il ministro, lo tolse con violentia del luogho, con dire che Sua Altezza Serenissima non intendeva che essi trattassero con noi delle cose della religione. Onde, dicendo noi che pur in queste bande non eravamo venuti per altro, dissero molti fra gli altri ch'io questo non potevo provar, et non volevano sopra di ciò darmi fede, et che quando Sua Altezza gli dess' avviso della sua intentione saria altra cosa.

            Questa è la scusa de certi pochi ostinati della terra (che quanto alla campagna non ci sono queste difficoltà), li quali poi, con diversi modi et prætesti, impediscono [287] gli altri di ridursi. A talchè, se Sua Altezza Serenissima con ogni minima parola si lasciasse intendere del buon desiderio che tiene circa la loro salute, senza romperla con Bernesi, se ne vederia buon frutto. Di questo scrivo ancora a Sua Altezza. Egli è gran cosa, ma non miracolosa perchè è ordinaria, che questi nefandi figli di tenebre sono più accorti et prudenti nelle loro generationi che non sono i figli di luce. Per conto mio son restato consolatissimo di veder qui questo buon P. Spirito, il qual potrà testificar delle cose comme stanno.

            Collocarò questa settimana un curato nella parrochia di Brens, et sarà la quarta in questo balliaggio. Il [288] signor Rogetio venera qui fra pochi giorni, comme V. S. Illma glie commandò, et già saria venuto se non fossero certi negotii del clero che lo trattengono. Io dirò poi a V. S. Illma che le cose di queste pensioni van male ; io sin adesso non ho potuto cavarne altro senon 160 fiorini et trentacinque coppe di fromento. È vero che me ne sonno state appresentate da 75, ma tanto cattive che io non potevo accettarle. Starò a sollecitare, et havendo l'atto quanto potrò, sarò scusato di far più. Mancano alberghi per curati, manca omnis ecclesiastica suppellex et tutto bisogna comprar : hora lascio a considerar a V. S. Illma in che stato stiamo. Dubitavo molto che la conferentia di Geneva non fosse andata in fumo con queste [289] ritardationi ; ma, per quanto vengo avvisato, si potrà haver, et in modo debito : la cosa sarà fruttuosissima.

            V. S. Illma mi fa tanto animo di scrivergli spesso, ch'io etiamdio delle cose minutissime glie scriverò liberamente, come a Padre amantissimo di questi popoli, quantumque nel servitio d'Iddio le cose minute siano importanti. Bascio con ogni humiltà le sue mani reverendissime, et prieghando il Signor la conservi, resto eternamente,

            Di V. S. Illma et Rma,

Devotissimo servitore,

FRANCO DE SALES,

Prævosto di Geneva.

            Da Tonone, alli 27 di Maggio 97.

All' Illmo et Rmo Sigr mio osservandissimo,

Monsigr l'Arcivescovo di Bari,

Nuntio Apostolico appresso S. A. S.

Turino.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Rome, Archives du Vatican. [290]

 

 

 

            Mon très honoré, Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

 

            Deux craintes m'ont empêché jusqu'ici d'écrire à Votre Seigneurie Illustrissime : l'une provenant des bruits de guerre, l'autre, de la [282] peste, dont on a été un peu menacé de nos côtés. Je vous dirai maintenant qu'on vient de m'adresser une requête de la paroisse de Bernex, au bailliage de Ternier, distante de Genève d'environ trois milles. Sur cette déraisonnable supposition que j'ai reçu de Son Altesse le moyen et l'autorité d'avancer les affaires de la religion, on me demande l'exercice du culte catholique.

            De Saint-Julien, qui n'est guère plus éloigné de Genève, me sont arrivées des lettres du juge-mage de Gex et autres en faveur du curé dudit lieu. Il y fut installé depuis peu, et avait jusqu'à présent fort bien rempli sa charge ; mais, n'ayant pas de quoi vivre, il est [283] contraint de laisser la paroisse sans pasteur. Cette cure appartient à l'Ordre de Saint-Lazare qui donnait une certaine pension au curé ; maintenant on vient de la lui ôter, d'où résulte ce scandale qui ne pourrait être plus grand. On m'a raconté que le peuple, les larmes aux yeux, priait à genoux le curé de rester ; mais, voyant bien que tant que les prêtres seront regardés comme des agneaux le loup les mangera, il résolut, malgré tout, de quitter ses paroissiens, avec l'intention néanmoins de retourner chaque Dimanche les consoler.

            Ces choses arrivent hors du Chablais, tout près de Genève. J'ai donc recours à la bonté de Votre Seigneurie Illustrissime, lui envoyant à cet effet la requête des gens de Bernex et celle du curé de Saint-Julien qui, une fois déjà présentée à Son Altesse, est demeurée sans réponse sur son principal objet. Je vous adresse aussi les lettres [284] du juge-mage de Gex et du baron de Viry, personnage distingué et influent, afin que les Chevaliers voient que je suis seulement avocat et non point partie, car la partie n'est autre que le bien public. Ces lettres sont en français, mais Votre Seigneurie pourra se les faire lire par M. de Lullin ou par d'autres. Je vous prie instamment de ne pas les égarer, afin que je puisse m'en servir contre ceux qui trouveraient mauvais que je m'entremette en tant de choses. J'écris [285] à ce sujet un mot à Son Altesse, suppliant Votre Seigneurie de daigner, par charité, nous obtenir une courte mais efficace réponse.

            Le bon et docte P. Esprit, Capucin, étant venu ici ces fêtes de Pentecôte et ayant prêché soit en cette ville, soit dans la paroisse des Allinges, est demeuré fort consolé de ce nouveau peuple, et le peuple, à son tour, l'a été incroyablement de ses fructueuses prédications. Pendant ce temps je suis allé visiter la nouvelle paroisse de Cervens, où j'ai reçu aussi beaucoup de consolation. Toutefois, les fruits seront encore plus abondants lorsque ces prédicateurs et d'autres viendront ici pour y séjourner ; ce que le P. Esprit n'a pu faire, ayant été rappelé par le P. Provincial. [286]

            Sur ces entrefaites, un incident est survenu : le Père, voyant les habitants de Thonon suivre si opiniâtrément leur ministre hérétique sans vouloir écouter nos prédications, résolut vendredi passé de démontrer à celui-ci la fausseté de sa doctrine, et cela en public. Mais un des plus obstinés de la ville, s'apercevant que l'issue de la dispute ne pouvait être à l'honneur du ministre, l'entraîna de force hors de la place, disant que Son Altesse n'entendait pas qu'ils traitassent avec nous des choses de la religion. Or, comme nous répliquions que néanmoins nous n'étions pas venus en ces pays dans un autre but, plusieurs entre autres repartirent que je ne saurais le prouver, et qu'au reste ils refusaient de me croire là-dessus, mais que si Son Altesse leur signifiait son intention, ce serait autre chose.

            Voilà l'excuse d'un petit nombre d'obstinés de la ville (dans la campagne nous n'avons pas ces difficultés), lesquels ensuite, par divers moyens et sous divers prétextes, empêchent les autres de se [287] convertir. De sorte que si Son Altesse donnait le moindre témoignage du désir qu'elle a de leur salut, sans rompre avec les Bernois, on en verrait d'heureux fruits. Je lui écris aussi à ce sujet. Chose étrange, mais non point miraculeuse, car elle est ordinaire : ces misérables enfants de ténèbres sont plus avisés et prudents dans la conduite de leurs affaires que les enfants de lumière ! Pour mon compte, j'ai été très consolé de voir ici ce bon P. Esprit qui pourra certifier de l'état des choses.

            Cette semaine je placerai un curé dans la paroisse de Brens : c'est la quatrième de ce bailliage qui sera pourvue. M. Roget viendra [288] dans quelques jours, comme Votre Seigneurie Illustrissime le lui a commandé ; il serait déjà venu sans certaines affaires du clergé qui le retiennent encore. Je vous dirai de plus que les choses vont mal au sujet de ces pensions ; jusqu'ici je n'ai pu en tirer que cent soixante florins et trente-cinq coupes de froment. Il est vrai qu'on m'en a offert environ soixante-quinze, mais de si mauvaise qualité que je n'ai pu les accepter. Je poursuivrai mes sollicitations ; puis, ayant l'ait tout mon possible, je serai dispensé d'en faire davantage. Nous manquons de logements pour les curés, nous manquons de tout ameublement pour les églises et il faut tout acheter : je vous laisse à penser en quel état nous nous trouvons. Je craignais beaucoup qu'avec ces retards la conférence de Genève ne fût allée en fumée ; mais, d'après [289] ce que j'apprends, elle pourra avoir lieu et d'une manière convenable : elle sera très fructueuse.

            Votre Seigneurie m'encourage si fort à lui écrire souvent, que je lui parlerai librement même des choses les plus minimes (bien que dans le service de Dieu les moindres choses soient importantes), Comme au Père très affectionné de ces populations. Je baise en toute, humilité vos mains vénérées et, priant le Seigneur de vous conserver longtemps, je demeure à jamais,

            De Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime,

Le très dévoué serviteur,

FRANÇOIS DE SALES,

Prévôt de Genève.

            Thonon, le 27 mai 1597. [290]

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XCVII. Au même. Maladie de l'Evêque de Genève. — Obligations de l'Abbé d'Abondance envers le prédicateur d'Evian. — Indigence des Religieuses de Sainte-Claire. — Poursuites à faire pour obtenir la conférence avec les ministres. — Le Saint sollicite l'autorisation de concourir pour la cure du Petit-Bornand. — La permission de lire les livres hérétiques est nécessaire aux missionnaires.

 

Annecy, 31 mai 1597.

 

            Illustrissimo et Reverendissimo Signor mio osservandissimo,

 

            Doppo haver scritto a V. S. Illma et Rma di Tonone al 27 di questo, hebbi nuova che Monsignor Rmo Vescovo stava molto ammalato et desiderava sopra modo di vedermi, essendo in pericolo della vita. Ond'io venni di subito, et giunto trovai la lettera di V. S. Illma del XII del praesente. Et per haver scritto nella precedente il stato delle cose del Chiablais, non occorre adesso di farglie altra risposta, salvo sopra il particolar del prædicator di Eviano. [291]

            Mando a V. S. Illma una copia del Breve di Sua Santità in favor del P. Papardi, morto, nella quale vederà li motivi per li quali Sua Beatitudine giudicò ragionevolissimo che l'Abbate desse quella præbenda, li quali sonno adesso più potenti che mai. Quella terra è in faucibus hæreticorum, non ha altro modo di haver prædicatore ; l'Abbate cava tutte le loro decime, et è ragionevole ch' egli pasca la pecorella della quale egli si piglia la lana. Questo è il magior servitio che si faccia al Signor in tutta quella badia. L'Abbate d'Aux, il qual non v' è tanto ubligato, dà una pensione intera [292] alla scuola de'fanciulli. Questo prædicator moderno è persona honoratissima ; et quantumque sia vicario generale nella provincia Gallicana del suo Ordine, non ha lasciato quest'anno le prædiche dell'Advento et Quaresima, et essendo scaricato di quel ufficio farà ancora maggior beneficio. S'egli no sarà andato nell'Abondantia, sarà o vero che no sarà stato invitato, o vero che la cessatione della præbenda haverà preceduta la cessinone della prædica. Quanto all'altro prædicator ch'il signor Abbate dice di dover mantener nella sua badia, credo che si deve far, ma so et credo che non si fa ; nè saria troppo caricato l'Abbate havendo per lui duoi prædicatori, anzi mi par molto caricato non havendoli.

            Le religiose Monache di Eviano sonno non solo poverissime, anzi fameliche, et so ch'il signor Abbate [293] glie fa limosina; ma quanto a darglie una præbenda, come egli dice, credo che questo si debba intendere con distintione di præbende. Haverò ben presto vero et distinto raguaglio di queste cose.

            Quanto a quella suasione ch'il signor Abbate, per gratia sua, desidera di far a V. S. Illma, che non dia fede a Savoyardi in generale, io l'ho per una impertinentia tale che non merita risposta. Ch'egli pur si sforsi di far queste suasioni, ch' io son certo di far con effetto contraria persuasione: cioè ch'io, in questo nè in altro, non uso nè bugia, nè tratto sinistro appresso V. S. Illma, nè domando un solo baggatino della sua badia. [294]

            Hieri hebbi l'altra lettera di V. S. Illma et viddi la copia di quella del signor Cardinale Santa Severina. Monsignor Reverendissimo chiamò subito il P. Provinciale de'Cappucini, quale era qui, acciò scrivesse al P. Cherubino, che era in Mommelliano, per farlo venire qui acciò dia assoluta risposta a quelli di Geneva, la quale sin adesso non si è potuta dare, et si pigli quanto prima, di banda et d'altra, qualche risoluta conclusione. Quel Padre è diligentissimo et sagace, et ben presto haverà trattato ; il che havendo fatto, subito sarà avvisata V. S. Illma minutissimamente d'ogni nostro pensiero, acciò li moderi tutti ; et secondo il numero che vorranno quelli de Geneva de conferenti, domandaremo [295] a V. S. Illma o più o meno de theologi, et ad ogni modo cercaremo che vi siano duoi o tre Giesuiti. Non dormiremo punto in questo negotio, et sarà et diligentissimamente et minutissimamente avisata V. S. Illma. Laudo che Sua Santità habbia lasciato questo carico a V. S. Illma et a Monsignor Reverendissimo, perchè veramente si farà et più speditamente et più fruttuosamente.

            Monsignor Reverendissimo è stato da vinti giorni in qua nel letto molto ammalato, et havendo ricevuto in questo mentre due lettere di V. S. Illma, una il 26 et l'altra hieri per le mani del signor Floccardo, canonico, glie rincrebbe infinitamente di non potergli far risposta per allhora perchè il medico non lo volse permettere. Spera nientedimeno che fra pochi giorni, havendo ricuperato un poco più di vigore, egli darà piena et compita sodisfattione sì alle lettere di V. S. Illma, sì ancora a quelle [296] del signor Giustiniano, il quale non è certo ben informato delle cose di qua, nè de li cunti del Rmo Monsignor suo zio. Priegha adunque Monsignor Rmo Vescovo V. S. Illmo di haverglie un poco di patientia sin tanto che possa farglie risposta alle sue.

            È vacante adesso un beneficio curato, cioè una cura, che può valer di intrata dugento scudi, nelli buoni anni, et si darà, secondo l'ordinario, per concorso. Io son sollecitato da varii amici, etiamdio spirituali, di prevalermi di questa occasione, che maggior non habbiamo di qua. Io, per non spregiar l'aviso loro, lo farò, ma con questa conditione, di non riservare quel beneficio se non con il beneplacito et giudicio di V. S. Illma, poichè io non posso haver et ritener insieme con quella cura il prævostato della chiesa Cathedrale. E ben vero ch'il prevostato non havendo neanche un quattrino d'intrata, et il canonicato che si dà al Prævosto non havendo un anno per l'altro sessanta scudi, io stimo più giovevole di esser [297] commodo curato che povero Prævosto, se non fosse la speranza del ritorno nostro in Geneva, laquale sin adesso pasce molti honorati dottori et nobili che sonno stati nella Chiesa nostra. Ma parlando poi assolutamente, io son poco meno costretto di lasciar questo prævostato ad altri che possano far maggior residentia di quella ch'io posso far mentre son in Chiablais, et habbiano modo di vivere senza quello. Io veramente ho vissuto sin adesso, et meglio di quello ch'io non merito, ma egli è stato precario ; onde, ponderando bene ogni cosa, mi risolvo alla cura, che è il più ricco beneficio di questa diocesi, fra quelli ch'io posso et mi è lecito sperar.

            Desiderarci bene preghar humilissimamente V. S. Illma che col beneplacito di Sua Santità mi fosse lecito ritener il canonicato semplice, acciò venendo qui io habbia luogo nel cuoro (sic) nostro, il quale è tanto ben ufficiato che è una delle più grandi consolationi ch'io ne habbia. Et così, havendo da vivere quanto basta per la mia conditione, io altro non cercarò senon, con quelle poche fatighe nelle quali sarò adoprato, servire al Signore et [298] alla Chiesa di questa diocaesi. Mi perdoni per bontà sua V. S. Illma s'io, fra tanti pensieri d'importantia, la tratengo sopra questo mio particolar, perchè in questi miei dubbii no so dove quietarme senon nel seno di Sua Paternità Illma et Rma.

            Non so ancora se Sua Beatitudine si sarà compiaciuta di dar la licentia de'libri prohibiti alli signori Grandis et Rogetio, dottori de theologia ; so bene che non bisogna impacciarsi di prædicar fra gl'hæretici sensa quella. La conferentia me vuol trattener un pezzo di qua, ma fra tanto il signor Rogetio passarà in Tonone acciò faccia quel che si conviene in quell'opra.

            Priegho il Signor conservi molti anni V. S. Illma ad [299] utiltà di queste provincie, et basciandoli humilissimamente le mani reverendissime, resto eternamente,

            Di V. S. Illma et Rma,

Humilissimo et devotissimo servitore,

FRANCO DE SALES,

indegno Prevosto di Geneva.

            In Annessy, alli 31 di Maggio 97.

 

            Doppo questa scritta et non mandata, il P. Spirito mi ha mandata una, quale io [ho] giunta qui, et credo che glie darà aviso delle cose di Tonone.

All' lllmo et Rmo Sigr mio osservandissimo,

Monsigr l'Archivescovo di Bari,

Nuntio Apostolico appresso S. A.

Turino.

 

Revu sur l'Autographe conserve à Rome, Archives du Vatican. [300]

 

 

 

            Mon très honoré, Illustrissime et Reverendissime Seigneur,

 

            Après avoir écrit de Thonon à Votre Seigneurie Illustrissime le 27 de ce mois, je reçus la nouvelle que Mgr notre Reverendissime Evêque était très malade, et que, se sentant en danger de mort, il désirait extrêmement me voir. Je partis aussitôt, et à peine arrivé ici j'y trouvai votre lettre du 12 courant. Vous ayant exposé dans la précédente l'état des affaires du Chablais, je n'ai maintenant aucune réponse à vous faire, si ce n'est au sujet du prédicateur d'Evian. [291]

            J'envoie à Votre Seigneurie Illustrissime une copie du Bref de Sa Sainteté en faveur du feu P. Papard : vous y verrez les motifs pour lesquels le Pape jugea raisonnable que l'Abbé donnât cette prébende, motifs qui actuellement sont plus pressants que jamais. Ce pays est dans la gueule des hérétiques et n'a aucun autre moyen d'entretenir un prédicateur ; l'Abbé perçoit toutes les dîmes, c'est donc justice qu'il paisse la brebis dont il tond la laine. C'est le plus grand service qui soit rendu au Seigneur en toute cette abbaye. L'Abbé d'Aulps, lequel n'y est pas si fort tenu, donne une pension [292] entière pour l'école des enfants. Le prédicateur actuel est un homme de grand mérite ; quoiqu'il soit vicaire général de la province Gallicane de son Ordre, il n'a pas laissé néanmoins cette année de prêcher l'Avent et le Carême, et quand il sera déchargé de son office il ferra encore plus de bien. S'il n'est pas allé à Abondance, ce sera sans doute ou parce qu'il n'aura pas été invité, ou parce que la cessation de la prébende aura précédé la cessation des prédications. Quant à l'autre prédicateur que l'Abbé dit être obligé d'entretenir dans son abbaye, je crois que cela doit se faire, mais je sais et je crois que cela ne se fait pas. A la vérité, l'Abbé ne serait pas trop chargé d'avoir deux prédicateurs à son compte ; il me semble, au contraire, qu'il le serait bien davantage s'il ne les avait pas.

            Les Religieuses d'Evian sont non seulement pauvres, mais elles [293] endurent la faim, et je sais que l'Abbé leur fait l'aumône ; pour ce qui est de leur donner une prébende, comme il le prétend, je pense qu'il faut distinguer entre prébende et prébende. J'aurai bientôt des renseignements vrais et détaillés à ce sujet.

            Quant à l'opinion que M. l'Abbé prétend donner si gratuitement à Votre Seigneurie Illustrissime, qu'en général il ne faut pas se fier aux Savoyards, je la regarde comme une impertinence telle qu'elle ne mérite pas de réponse. Qu'il s'efforce tant qu'il voudra d'insinuer de semblables opinions ; pour moi je suis sûr de convaincre du contraire par des effets : c'est-à-dire, qu'en cela ni en chose quelconque je n'use point de mensonge ou d'artifice auprès de Votre Seigneurie, et que je ne demande pas un seul denier des revenus de son abbaye. [294]

            Hier je reçus l'autre lettre de Votre Seigneurie Illustrissime et je vis la copie de celle de M. le Cardinal de Santa-Severina. Mgr le Révérendissime manda aussitôt le P. Provincial des Capucins, qui était ici, pour le charger d'écrire au P. Chérubin, actuellement à Montmélian, et lui ordonner de venir rendre une réponse positive à ceux de Genève. Cette réponse n'a pu être donnée jusqu'à présent ; cependant il faut au plus tôt prendre de part et d'autre une résolution définitive. Ce Père est très diligent et adroit, il traitera donc promptement l'affaire. Dès qu'il aura achevé, Votre Seigneurie sera informée par le menu de nos moindres projets afin qu'ils soient tous dirigés par vous. Nous vous demanderons plus ou moins de théologiens selon [295] le nombre de conférenciers voulu par ceux de Genève, et nous tâcherons de toute façon qu'il y ait deux ou trois Jésuites. Nous ne nous endormirons point en cette négociation, et vous en serez averti immédiatement, dans le plus grand détail. Je me félicite de ce que Sa Sainteté en a laissé le soin à Votre Seigneurie et à Mgr le Révérendissime, car ainsi tout se fera d'une manière plus expéditive et plus fructueuse.

            Depuis vingt jours Monseigneur est au lit très malade ; il a reçu pendant ce temps deux lettres de Votre Seigneurie, l'une le 26, l'autre hier par M. le chanoine Floccard, et regrette beaucoup de n'avoir pu vous répondre, parce que le médecin n'a pas voulu le lui permettre. Il espère néanmoins recouvrer un peu de force et vous donner, dans quelques jours, pleine et entière satisfaction au sujet de vos lettres [296] et de celles de M. Giustiniani, lequel n'est certainement pas bien informé des affaires de ce pays ni des comptes de Monseigneur son oncle. Mgr notre Révérendissime Evêque vous prie donc de patienter un peu jusqu'à ce qu'il puisse vous répondre.

            Un bénéfice-cure, c'est-à-dire une cure, est maintenant vacant ; il peut rapporter environ deux cents écus de revenu les bonnes années, et doit, comme de coutume, se donner au concours. Plusieurs de mes amis, même spirituels, m'engagent à me prévaloir de cette occasion, car nous n'en avons pas de meilleure dans ce pays. Pour ne point mépriser leur avis, je le ferai, mais à la condition de ne jouir de ce bénéfice que sous le bon plaisir et avec l'assentiment de Votre Seigneurie Illustrissime, puisque je ne puis avoir et conserver avec cette cure la prévôté de l'église cathédrale. Il est bien vrai que la prévôté n'a pas un liard de rente et le canonicat que l'on donne au Prévôt ne rapporte en moyenne que soixante écus par an ; j'estimerais donc plus [297] avantageux d'être un curé renté, que d'être un pauvre Prévôt, n'était l'espoir de notre retour à Genève, lequel soutient encore maintenant plusieurs docteurs distingués et nobles qui ont appartenu à notre Eglise. Mais, pour parler clairement, je suis presque contraint de céder cette prévôté à quelqu'un qui puisse résider ici plus assiduement que je ne le fais moi-même pendant que je suis occupé en Chablais, et qui ait en même temps de quoi vivre sans ce revenu. J'ai à la vérité vécu jusqu'à présent, et mieux que je ne le mérite, mais d'une manière précaire ; c'est pourquoi, toutes choses bien pesées, je me résous à demander la cure, qui est le plus riche bénéfice de ce diocèse parmi ceux qu'il m'est possible et permis d'espérer.

            Je désire aussi prier Votre Seigneurie Illustrissime d'obtenir qu'il me soit loisible, avec l'agrément de Sa Sainteté, de garder le canonicat simple, afin que, venant ici, j'aie une place dans notre chœur ; car les offices s'y célèbrent si dignement que c'est là une de mes plus grandes consolations. Ayant ainsi de quoi vivre selon ma condition, je ne chercherai plus autre chose sinon de servir le Seigneur et l'Eglise de ce diocèse par les petits travaux auxquels je serai [298] employé. Que votre bonté daigne me pardonner si, au milieu de tant de graves sollicitudes qui l'accablent, je l'entretiens d'une affaire qui m'est personnelle ; mais, dans mes doutes, je ne sais où me reposer si ce n'est dans le cœur de Votre Illustrissime et Révérendissime Paternité.

            Je ne sais pas encore s'il aura plu à Sa Sainteté d'accorder à MM. Grandis et Roget, docteurs en théologie, la permission de lire les livres défendus ; mais je sais bien que, sans cette permission, il ne faut pas se mêler de prêcher parmi les hérétiques. La conférence me retiendra longtemps ici ; en attendant, M. Roget ira à Thonon pour remplir les devoirs du ministère.

            Je prie le Seigneur de vous conserver longues années pour l'utilité [299] de ces provinces, et baisant très humblement vos mains vénérées, je demeure à jamais,

            De Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime,

Le très humble et très dévoué serviteur,

FRANÇOIS DE SALES,

indigne Prévôt de Genève.

            Annecy, le 31 mai 1597.

            Cette lettre était écrite et non encore expédiée, quand le P. Esprit m'en a fait remettre une que je joins à celle-ci ; je crois qu'il vous renseignera sur les affaires de Thonon. [300]

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XCVIII. Au même (Minute). Affaires du Chablais : démêlés avec les Chevaliers des Saints Maurice et Lazare ; encore la conférence de Genève.

 

Sales, 29 juin 1597.

 

            Illustrissimo et Reverendissimo Signor mio osservandissimo,

 

            Mi furono mandate le lettere di V. S. Illma, insieme col Breve di Sua Santità, dal signor præsidente Pobello con grandissima diligentia, sì che capitorono nelle mie mani in Tonone alli 23 di Giugno. Ringratio infinitamente V. S. Illma del zelo con il quale Ella si adopra per questi poveri popoli.

            Quanto all'ordine il quale il signor Ripa fa intendere essersi dato, sì per la conservatione del luogho di monsieur di Avulli nel consistono di Chiablais, sì anche [301] per la restitutione dell'intrata al curato di San Giulino, non ne ho sin adesso sentito nuova veruna.

            Quanto poi a quello che è stato promesso dalli Cavaglieri, è vero che il signor cavaglier Bergera mi obligò gl' affitauoli, ma è vero ancora ch' io protestai di non voler litigar con essi, che eran tutti habitatori di Tonone ; et non fa bisogno che quelli i quali cercano di ridurli habbiano questi intrighi con loro, massime in questi calamitosissimi tempi et paesi dove ogn' uno è povero.

            Circa l' accrescer li curati, persisto io a dire che è convenientissimo che non solo li Cavagiieri, ma quanti sonno che si ritruovano haver beneficii in Chiablais, li lascino in mano di Monsignor Reverendissimo per darli a capaci. Ma non mi par che debbano li signori Cavaglieri, con questi prætesti, ritardar l'opra et dire che quasi tutte le cure siano nelle mani de'præti, perchè non saranno cinque præti che godano pacificamente detti beneficii. Et io non ne so senon uno, de quelli cinque, [302] il quale non sia querelato dall'istessi Cavaglieri, et quello sin adesso non ne ha cavato un sol quattrino per esser stato impedito dalli Genevrini ; et nel resto ha speso del suo et delli suoi amici, nell'opra di Chiablais, quanto basta per non essergli rimproverato quel beneficio.

            Ho ricevuto il Breve di Sua Santità con ogni humiltà, et vederò di essequire quanto in quello mi è commandato, con ogni diligentia. È vero che il tempo è molto cattivo di qua. Monsignor Rmo Vescovo mi ha mandato una lettera per esser mandata a V. S. Illma, nella quale glie dà raguaglio della sanità ricuperata per gratia d'Iddio.

            Il P. Cherubino glie scrive circa la conferentia in che stato siamo. Temo che li movimenti della Maurianna non ci diano gran disturbo, massime alla venuta del Padre Giesuito che V. S. Illma vuol far venire. Et già che mi [303] domanda quale fia più utile, o vero il Rettor de Turino, o vero il theologo francese che legge in Milano, stimo ch' il francese tornarà più a commodo, sì per il commercio della lingua, sì ancora per parer minor affettatione dalla banda nostra, già che questa conferentia non ha da farsi se non sotto nome di Monsignor Reverendissimo nostro. Ma saria bisogno di tenerlo avvertito acciò che venga al primo avviso senza dilatione, perchè il differire non potrà esser senon nocivo. Habbiamo in Chiambery duoi Padri Giesuiti valenti : il Padre Saunerio et il Padre Alexandro, scossese ; et in caso che fossero chiusi i passi et le strade per venire, mi pare che bastariano. E ben vero che questi Genevrini fanno gran difficoltà di ricevere Giesuiti in questa conferentia, con dire che sonno huomini di Stato et esploratori di Spagna ; ma noi, dal canto nostro, faremo ogni sorte di instantia. [304]

            Quanto alla parrochia per laquale desideravo di haver dispensa, il fratello del defunto curato pretende di esserne proviso, per resignatione, da Roma ; il che se sarà vero, non vorrei esser importuno con V. S. Illma indarno. Aspettarò adunque di supplicarla, sin tanto che di Roma venga la resolutione per questo pretendente.

            Fra tanto mi fanno intendere che il signor Cantor della metropolitana di Lione indrizza certi avvisi a Monsignor l'Illmo Cardinale Legato in Francia circa le cose di Genevra ; et perchè è persona degna de fede, mi è parso di dover darne aviso a V. S. Illma, acciò che se per sorte la scrivesse a detto signor Legato et venisse a proposito, lo favoriscili…

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy. [305]

 

 

 

            Mon très honoré, Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

 

            Les lettres de Votre Seigneurie et le Bref de Sa Sainteté me furent envoyés si promptement par M. le président Pobel, qu'ils me parvinrent à Thonon le 23 juin. Je vous remercie infiniment du zèle avec lequel vous vous employez pour ces pauvres populations.

            Quant à l'ordre que M. Ripa dit avoir été donné, soit pour le maintien de M. d'Avully dans la charge de chef du consistoire du [301] Chablais, soit encore pour la restitution du traitement dû au curé de Saint-Julien, je n'en ai jusqu'ici reçu aucune nouvelle.

            Au sujet de ce qui a été promis par les Chevaliers, il est vrai que le chevalier Bergera obligea les fermiers en ma faveur ; mais il est vrai aussi que j'ai protesté ne point vouloir plaider avec ces gens, qui sont tous habitants de Thonon ; et il ne faut pas que ceux qui tâchent de les convertir aient ces démêlés avec eux, surtout en des temps si calamiteux, et en des pays où tout le monde est pauvre.

            Pour ce qui est d'augmenter le nombre des curés, je persiste à dire qu'il est très convenable que non seulement les Chevaliers, mais encore tous ceux qui détiennent des bénéfices en Chablais les remettent à Mgr le Révérendissime afin qu'il les donne ensuite aux plus capables. Toutefois, il me semble que MM. les Chevaliers ne doivent pas, sous de vains prétextes, retarder cette œuvre et dire que presque toutes les cures sont entre les mains des ecclésiastiques ; car il n'y a pas cinq prêtres qui jouissent paisiblement de ces bénéfices. Sur les cinq je n'en connais qu'un qui ne soit pas molesté [302] par les Chevaliers mêmes, et celui-ci n'en a pas tiré un seul liard parce qu'il en a été empêché par les Genevois. Du reste, il a suffisamment dépensé de son bien et de celui de ses amis dans la mission du Chablais, pour qu'on ne lui reproche pas ce bénéfice.

            J'ai reçu en toute humilité le Bref de Sa Sainteté ; je tâcherai d'exécuter avec grande diligence ce qu'il m'enjoint. Il est vrai que les temps sont bien mauvais pour ce pays. Mgr notre Révérendissime Evêque m'a envoyé, pour faire parvenir à Votre Seigneurie, une lettre dans laquelle il vous annonce que, par la grâce de Dieu, il a recouvré la santé.

            Le P. Chérubin vous écrit où nous en sommes touchant la conférence. Je crains que les mouvements des troupes en Maurienne ne nous causent de grands embarras, surtout pour la venue du P. Jésuite que Votre Seigneurie Illustrissime veut nous envoyer. Puisque vous me demandez lequel serait le plus utile, du Recteur de [303] Turin ou du français, lecteur de théologie à Milan, je crois que le français nous conviendra mieux, soit à cause de la langue, soit aussi pour qu'il y ait moins d'affectation de notre côté ; car cette conférence ne doit se faire que sous le nom de Mgr notre Evêque. Mais il faudrait prévenir ce Père afin qu'il vînt sans retard au premier appel : tout délai ne pourrait être que nuisible. Nous avons à Chambéry deux Pères Jésuites de grand mérite : le P. Saunier et le P. Alexandre, écossais ; si les passages et les routes [d'Italie] étaient fermés, il me semble que ces Religieux suffiraient. Les Genevois, il est vrai, font grande difficulté d'admettre des Jésuites à cette conférence, disant qu'ils sont hommes d'Etat et explorateurs d'Espagne ; cependant nous emploierons de notre côté toutes sortes d'instances. [304]    Quant à la paroisse pour laquelle je désirais avoir une dispense, le frère du défunt prétend en être pourvu de Rome par résignation. S'il est vrai, je ne voudrais pas importuner inutilement Votre Seigneurie ; j'attendrai donc pour vous supplier à ce sujet la décision de Rome à l'égard du prétendant.

            On m'avertit que M. le chantre de la métropole de Lyon adresse à Mgr l'Illustrissime Cardinal Légat de France certains avis touchant les affaires de Genève ; comme il est un homme digne de foi, j'ai cru devoir vous en informer, afin que si par hasard Votre Seigneurie écrit audit Légat et qu'Elle en ait occasion, Elle daigne le favoriser… [305]

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XCIX. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier (Minute). Témoignages de reconnaissance.

 

[Juillet] 1597.

 

            Monseigneur,

 

            Je remercie tres humblement Vostre Altesse du favorable jugement qu'elle fit de moy dernierement, quand la nouvelle se donna que Monseigneur le Rrac Evesque de Geneve estoit en danger de mort. Et sachant que cest heur de comparoistre en vostre memoire en une si honnorable occasion ne peut partir que de la bonté de Vostre Altesse, qui aura peut [être] esté persuadëe qu'il y aye quelque suffisance en moy, proportionëe a ceste sienne faveur, je rougis d'honte d'en estre tant indigne, et loue Dieu neanmoins qui a donné a Vostre Altesse ceste resolution de vouloir procurer des bons pasteurs a vostre peuple ; car encores que je soys le plus indigne de tous ceux qu'elle pouvoit se reduyr'en souvenance, si [306] est ce que l'intention droitte de Vostre Altesse ne laisse pas d'en estre tres recommandable.

            J'ay escrit pieça a Vostre Altesse des necessités du Chablais, et quoy que je ne doute point que le zele dont Nostre Seigneur a eschauffé son cœur ne luy en tienne tousjours la memoyre fraiche, si ay je prié monsieur le baron de Chevron de la luy representer.

            Je prie sa divine Majesté qu'elle conserve et confere toute benediction a Vostre Altesse, delaquelle je suis, Monseigneur, Tres humble et tres obeissant serviteur et sujet.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy.

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C. A un gentilhomme de la cour du duc de Savoie (Minute inédite). Même sujet.

 

[Juillet] 1597.

 

            Monsieur,

 

            Je ne puys penser d'ou me vient la faveur [par laquelle] il vous pleut embrasser dernierement l'honnorable souvenance que Son Altesse eut de moy sur la nouvelle qui courut de la maladie de Monseigneur l'Evesque de Geneve, si ce n'est vostre bonté, qui vous sollicite a bienfaire jusques aux inconneuz. Mays je sçai bien que ceste vostre courtoisie ne se pouvoit adresser a [307] sujet qui s'en tint plus indigne et plus obligé a vous rendre humble service.

Je prie Dieu quil vous conserve longuement en prosperité, et m'offre meshuy a vous pour demeurer a jamais,

            Monsieur,

Vostre tres humble serviteur.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy.

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CI. A Monseigneur Jules-César Riccardi, Archevêque de Bari, Nonce Apostolique a Turin (Minute). Assemblée faite à Annemasse pour traiter des intérêts de la religion en Chablais. — Le P. Chérubin député auprès du duc. — Succès prodigieux des Quarante-Heures d'Annemasse.

 

[Thonon,] 14 septembre 1597.

 

            Illustrissimo et Reverendissimo Signor mio osservandissimo,

 

            Mentre son stato differendo di giorno in giorno di scriver a V. S. Illma sin tanto che io potessi concorrere col P. Cherubino per scrivergli più compitamente, sonno occorse tante cose degne di esser scritte ch' io non so se le potrò ben tutte ridurre nella memoria.

            Essendosi ridotti in Annemasse li Rdi Padri Giovanni Saunerio, Giesuito, Spirito et Cherubino, Cappucini, [308] insieme col signor canonico de Sales, il curato di Annemasse, tutti prædicatori, et il Barone di Viri, consigliere di Stato di Sua Altezza, per cercar li mezzi convenevoli di ridurre alla fede li popoli che sonno intorno a Geneva, sì come io scrissi a V. S. Illma per l'ultima mia, si fece questa conclusione. Che bisognava ad ogni modo che le cure fossero restituite dalli Cavaglieli di San Lazaro et altri ; che fosse drissato un collegio in Tonone de Padri Giesuiti, od al manco una residentia ad tempus, et per ciò fare, vi foss' applicata l'intrata di un priorato conventuale posseduto dalla communità di esso luogho. Et acciò che gl' habitatori non ne havessero ramarico verso detti Padri, il che impedirebbe assai il progresso della loro conversione, fu avisato che saria preghata Sua Altezza di voler dar a detta communità, in vece del priorato, un datio o taglione che si cava di detta terra di Tonone. Questo fu il sommario delle conclusioni fatte unanimamente da detti Padri et altri da un canto. [309]

            Si trattò poi della conferentia, a che modo la potressimo inviare; ma di questo lasciarò scriver al P. Cherubino al quale sonno state fatte le risposte. In summa, li ministri temono incredibilmente questa impresa. Et perchè il P. Cherubino mi ha detto che V. S. Illma proponeva di prieghar Sua Santità che ci facesse gratia di scriver al signor Cardinale Legato di Francia acciò procuri ch' il Re commandi a' Genevrini di venir a conferentia, non posso tralasciar di dire che a questo modo si farebbe detta conferentia et più fruttuosamente et con conditioni più avantaggiose.

            Hora, di quanto fu proposto in Annemasse, si fece un scritto et memoriale da esser appraesentato a Sua Altezza Serenissima, et fu deputato il P. Spirito per andar in corte a trattarne ; ma poi Monsignor Reverendissimo nostro volse, et prudentissimamente, che il Padre Cherubino facesse questo viaggio. Et insieme fu trattato di far l'oratione di Quarant' hore in detto luogho di Annemasse, per svegliar quelli ministri di Geneva ; [310] onde detto Padre, essendo in corte, hebbe del tutto piissima et gratissima risposta. Ma le cose delle cure et del collegio furono lasciate nelle mani delli signori di Lulino et di Giacob per avisare del modo col quale si potessero essequire ; et adesso, per quanto mi vien detto, si aspetta la venuta del signor cavaglier di Ruffia per farne fine.

            Quell’ oratione di 40 hore si fece in Annemasse la Domenica prima di Settembre et il giorno della Natività della Madonna, con un frutto molto più grande di quello che si sperava ; et ha un poco del miracolo. Annemasse è una parrochia nel contado, vicina a Geneva tre millia, dove non ciè commodità di allogiare quattro persone. Ivi, intorno alla chiesa che è tutta guasta da gl' huguenotti, si fece un tentorio capacissimo con tele, legnami, tapisserie (sic) et altre cose simili acciò potessero li popoli star all' or…

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy. [311]

 

 

 

            Mon très honoré, Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

 

            Pendant que je différais de jour en jour d'écrire à Votre Seigneurie Illustrissime en attendant que je pusse me concerter avec le P. Chérubin pour le faire plus amplement, il est arrivé tant de choses dignes de vous être communiquées, que je ne sais si je pourrai les rappeler toutes à mon souvenir.

            Comme je vous l'écrivais dans ma dernière lettre, les RR. PP. Jean Saunier, Jésuite, Esprit et Chérubin, Capucins, le chanoine de Sales, [308] le curé d'Annemasse (tous prédicateurs, et le baron de Viry, conseiller d'Etat de Son Altesse, se sont réunis à Annemasse afin d'aviser aux moyens les plus convenables pour ramener à la foi les populations des environs de Genève ; voici ce qui a été conclu. Il est absolument nécessaire que les Chevaliers de Saint-Lazare et autres cèdent les cures qu'ils possèdent ; qu'un collège de PP. Jésuites, ou du moins une résidence ad tempus soit établie à Thonon. Il faudrait appliquer à cela le revenu d'un prieuré conventuel qui appartient à la commune dudit lieu. Mais afin d'empêcher les habitants de conserver quelque froideur à l'égard des Pères, ce qui entraverait beaucoup le progrès de leur conversion, on proposa de prier Son Altesse de vouloir bien, en dédommagement de ce prieuré, abandonner à la commune l'impôt ou taille qu'elle perçoit maintenant de la ville de Thonon. Tel est le résumé des propositions faites unanimement par les Pères et autres qui assistaient à l'assemblée. [309]

            On traita ensuite des moyens à prendre pour acheminer le projet de la conférence ; mais je laisserai le P. Chérubin écrire sur ce sujet, puisque c'est à lui que les réponses ont été données. En somme, les ministres redoutent incroyablement cette entreprise. Le P. Chérubin m'a dit que Votre Seigneurie Illustrissime se proposait de prier Sa Sainteté de vouloir bien écrire à M. le Cardinal Légat de France, afin qu'il tâche d'obtenir que le roi ordonne aux Genevois de venir à la conférence ; or, je ne puis omettre de vous prévenir que, de cette manière, elle se ferait avec beaucoup plus de fruit et dans des conditions plus avantageuses.

            De tout ce qui a été proposé à Annemasse, on a dressé un écrit ou mémoire pour être présenté à Son Altesse. Le P. Esprit avait d'abord été désigné pour aller en cour traiter de cette affaire ; mais ensuite Monseigneur voulut, et cela très prudemment, que le P. Chérubin entreprît ce voyage. Il avait été aussi question de célébrer les prières des Quarante-Heures audit lieu d'Annemasse pour réveiller les ministres de Genève. Le Père se trouvant donc à la cour, obtint sur [310] chaque proposition une très pieuse et très agréable réponse. Mais les projets relatifs aux cures et au collège ont été remis entre les mains de MM. de Lullin et de Jacob, qui doivent aviser comment on pourrait les mettre à exécution ; maintenant, à ce qui m'est dit, on attend pour en finir l'arrivée de M. le chevalier de Ruffia.

            Cet exercice des Quarante-Heures se fit à Annemasse le premier Dimanche de septembre et le jour de la Nativité de Notre-Dame, avec un fruit beaucoup plus grand que celui que nous en espérions ; il tient même un peu du miracle. Annemasse est une paroisse de la campagne, à trois milles de Genève, où il n'y a pas moyen de loger quatre personnes. Là, autour de l'église, qui a été tout endommagée par les huguenots, on construisit avec des toiles, des boiseries, des tapisseries et autres choses semblables une tente très vaste, afin que tout le peuple pût demeurer… [311]

 

Année 1598

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CII. A Monsieur Claude Marin, procureur fiscal en Chablais (Inédite). Prochain retour du P. Chérubin à Thonon. — Promesse du président Favre.

 

Annecy, 3 janvier 1598.

 

            Monsieur,

 

            L'ayse que j'attendois de vostre presence m'a fait moins gouster celluy que j'ay accoustumé de prendre quand je reçois de vos lettres, a la reception de vostre derniere, laquelle neanmoins, a faute de vous, a esté la tres bien venue en une heure en laquelle j'estois en conversation avec le Pere Cherubin, vers lequel je me suis servi de vostre authorité pour luy persuader de retourner bien tost par dela, ce quil fera. Monsieur le president Favre est a Chambery, et m'asseure qu'il mettra au jour les calomnies de ceux qui n'ont point d'autre religion que le mensonge, et reformera les accusations de ces si mal formés reformateurs. [312]

            Faites moy cest honneur de croire que la nouvelle santé que Dieu me donne vous est toute acquise, puisque je suis

Vostre plus humble serviteur,

FRANÇS DE SALES,

Prævost de Geneve.

            Annecy, 3 janvier 1598.

A Monsieur Marin,

Procureur fiscal du Chablais.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat.

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CIII. A Monseigneur Jules-César Riccardi, Archevêque de Bari, Nonce Apostolique a Turin (Inédite). Le voyage du Saint à Rome retardé par une maladie grave. — Envoi de trois lettres du duc. — Bonnes dispositions des habitants du Chablais. — Intervention en faveur de deux religieux qui ont encouru des censures ecclésiastiques.

 

Annecy, 14 janvier 1598.

 

            Illustrissimo et Reverendissimo Signor mio osservandissimo,

 

            Visitato dalla bontà d'Iddio Signore nostro con una febre continua et una ricaduta tanto vehemente che sette giorni continui poco da me si sperava altro che la [313] morte, adesso che per la medesima bontà sono convalescente, mi è restata una tanta debolezza, massime di gambe, che io non so se devo sperare di poter fare il viaggio di Roma avanti Pasqua, quantunque desiderarei infinitamente di ritrovarmi costì per li giorni santi, et farò ogni sforzo di farlo.

            Onde, essendo andato nell'armata nostra avanti ch'io mi ammalassi, per pigliar passaporto da Sua Altezza da un canto, et dall' altro per haver dichiaratione da lui del suo consenso quanto alla restitutione delle cure di Chiablais per li curati che subito fatta detta restitutione ivi si stabiliranno, Sua Altezza, con tutta quella dimostratione di pietà che si poteva sperare, commandò tre lettere : una a Sua Santità et le altre a duoi Signori Cardinali, nelle quali ella pregha instantemente la Santa [314] Sede di rivocare la unione fatta alli Cavaglieri. Hora, perchè dette lettere fanno mentione di me come latore et instruttore della necessità della desiderata revocatione, ho differito sin adesso d'inviarle, sperando di poter portarle fra poco. Ma già ch'io vedo le dette lettere invecchiarsi et dubito che vi sia pericolo nella retardatione, mi è parso bene di mandarle a V. S. Illma et Rma, protettrice amorevolissima di tutto questo negotio, acciò che overo le trattenga se cosi glie parerà, overo le mandi per accelerare il negotio, il quale non si terminarà giamai così presto quanto si ha da desiderare.

            Spero che Sua Santità non haverà in questo difficoltà ; ma Sua Altezza in particolare mi disse che questa opera haveva da farsi senza communicarne una sola parola col signore Arconato, suo Imbasciatore appresso Sua Santità, perchè egli l'impedirebbe per il proprio interesse. È vero che la necessità è grande ; et si conosce da questo, che queste feste di Natale havendo Sua Altezza [315] mandato il signor Presidente Fabro, persona di singolarissima pietà et sufficentia, in Tonone per conoscer l'animo delli habitatori di Chiablais circa l'essercitio catholico, quasi tutti mostrorno di desiderarlo, et aspettano di hora in hora che si restituisca.

            Il Padre Cherubino ha predicato l'Advento in Tonone et deve giungere qua domani, dal quale V. S. Illma haverà più particolar avviso. Mi è stato detto che Sua Altezza ha tolto l'intrata de'Cavaglieri per servitio suo, et l'ho fatta preghare che facesse dar la provisione necessaria per li ecclesiastici che sono nelle tre cure già stabilite.

            Ma non posso finirla senza domandare a V. S. Illma qualche gratia secondo il solito. Sono duoi poveri religiosi, ma da bene, della badia della Madonna di Six, [316] quali hanno celebrato avanti il tempo : cioè uno, chiamato Francesco Biord, quale celebrò nell'anno 19º ; l'altro, Nicolò Desfaiet, che celebrò nel 23º, et questo dopo la Bulla di Sisto V, senza tuttavia haver notitia di detta Bulla ; della quale, subito che sonno stati avvisati, mossi di grandissima penitenza, colle lagrime nei occhi, sonno ricorsi da me per haver consolatione. Et io in questo non posso altro se non ricorrere alla bontà di V. S. Illma, acciò possino impetrare la consolatione dell' assolutione. Quel monasterio è di Canonici regolari, sottoposto all' Abondantia ; ma tiene de' monachi quali sono dabbene et timorati, sì come mi ha riferito il signor canonico de Sales, quale ivi ha predicato queste feste. [317]

            Et per fine, Iddio havendome dato questo pezzo di vita che mi resta, io ricog'nosco di tenerla per servitio di Sua divina Maestà, della santa Chiesa et in particolare per essere,

            Di V. S. Illma et Rma,

Humilissimo et devotissimo servitore,

FRANCO DE SALES,

Prævosto di Geneva.

            Di Annessy, alli 14 Genaro 1598.

            Li medici, quali non hanno per bene che io scriva, m'hanno fatta usare la man d'altri, il che V. S. Illma me perdoni.

 

Revu sur les deux textes insérés dans le Ier Procès de Canonisation. [318]

 

 

 

            Mon très honoré, Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

 

            Après avoir été visité de la bonté de Dieu notre Seigneur par une lièvre continue, j'ai fait récemment une rechute si dangereuse que [313] pendant sept jours consécutifs on n'attendait guère autre que ma mort. Maintenant que, par la même divine bonté, je suis en convalescence, il m'est resté une telle faiblesse, surtout aux jambes, que je ne sais si je pourrai faire le voyage de Rome avant Pâques, quoique je désire infiniment de m'y trouver pour la Semaine Sainte ; aussi ferai-je tous mes efforts à cette fin.

            C'est dans cette prévision que je m'étais rendu au camp avant de tomber malade : d'abord pour avoir un passeport de Son Altesse, et ensuite pour obtenir la déclaration de son consentement à la restitution des cures du Chablais aux curés qui s'y établiront aussitôt que cette restitution sera faite. Son Altesse, avec toutes les démonstrations de piété que l'on pouvait espérer, donna ordre d'écrire trois lettres, l'une à Sa Sainteté et les autres à deux Cardinaux, afin de prier instamment le Saint-Siège de révoquer l'union de ces bénéfices avec ceux des Chevaliers. Or, parce que dans ces lettres je suis [314] mentionné comme devant en être le porteur, avec charge d'expliquer la nécessité de la révocation désirée, j'ai différé jusqu'à présent de les expédier, espérant pouvoir les remettre moi-même sous peu. Mais voyant que lesdites lettres vieillissent, je crains qu'il y ait quelque danger en ce retard, et il me semble devoir les envoyer à Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime, protectrice très dévouée de toute cette affaire, afin qu'Elle les retienne si Elle le juge bon, ou qu'Elle les expédie pour hâter cette œuvre, laquelle ne se terminera jamais aussi promptement qu'on peut le désirer.

            J'espère que Sa Sainteté ne verra pas de difficulté en cela ; mais Son Altesse m'a dit en particulier que cette affaire doit être traitée sans en souffler mot à M. Arconato, son ambassadeur auprès de Sa Sainteté, parce qu'il s'y opposerait en vue de son intérêt personnel. Il y a vraiment urgence : ce qui le prouve, c'est que pendant [315] les fêtes de Noël, Son Altesse ayant envoyé à Thonon M. le président Favre, homme d'une piété singulière et d'un grand mérite, pour connaître le sentiment des habitants du Chablais sur l'exercice du culte catholique, presque tous ont témoigné le désirer et ils attendent d'heure en heure qu'il soit rétabli.

            Le P. Chérubin a prêché l'Avent à Thonon, et il doit arriver ici demain ; il renseignera plus particulièrement Votre Seigneurie Illustrissime. On m'a dit que Son Altesse a saisi à son profit le revenu des Chevaliers, et je l'ai fait prier de donner la provision nécessaire aux ecclésiastiques qui sont dans les trois cures déjà établies.

            Mais je ne puis finir sans demander, selon mon habitude, quelque faveur à Votre Seigneurie. Deux pauvres et vertueux religieux de l'abbaye de Notre-Dame de Sixt ont célébré avant le [316] temps : l'un, appelé François Biord, dans sa dix-neuvième année ; l'autre, Nicolas Desfayet, dans sa vingt-troisième ; et cela après la Bulle de Sixte V, dont ils n'avaient toutefois aucune connaissance. Aussitôt qu'ils ont connu l'existence de cette Bulle, touchés d'un grand sentiment de pénitence, les larmes aux yeux, ils ont eu recours à moi pour recevoir quelque consolation. Et moi je ne puis faire autre chose que de recourir à la bonté de Votre Seigneurie afin de leur obtenir l'absolution. Sixt est un monastère de Chanoines réguliers, sous la juridiction de l'abbaye d'Abondance ; mais les moines qui l'habitent sont des hommes de bien, vivant en la crainte de Dieu, ainsi que me l'a rapporté M. le chanoine de Sales qui a prêché là ces fêtes passées. [317]

            Et finalement, Dieu m'ayant donné ce peu de vie qui me reste, je reconnais devoir l'employer au service de sa divine Majesté, de la sainte Eglise et tout particulièrement à me témoigner,

            De Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime,

Le très humble et très dévoué serviteur,

FRANÇOIS DE SALES,

Prévôt de Genève.

            Annecy, le 14 janvier 1598.

            Les médecins, qui ne trouvent pas bon que j'écrive, m'ont obligé à me servir de la main d'autrui. Que Votre Seigneurie Illustrissime me le pardonne. [318]

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CIV. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier (Minute). Instantes prières pour que les Chevaliers des Saints Maurice et Lazare soient contraints à payer les pensions dues aux curés du Chablais. — Députation des villageois de cette province pour obtenir du duc la restauration de leurs églises. — Maladie du Saint.

 

Annecy, janvier 1598.

 

            Je crois que Vostre Altesse se resouviendra que l'annee passee, appres plusieurs declarations de la bonne intention qu'elle avoit de prouvoir a l'entretenement des gens d'Eglise qui seroient emploiés pour le service de Dieu au duché de Chablais, messieurs les Chevaliers de Saint Lazare promirent en fin finale a Monseigneur le Nonce de donner chasque annee six pensions pour autant de gens d'Eglise ; mais pour ne se forcer pas de premier coup, ilz ne firent ceste premiere annee la que la moytié de ce quilz avoient promis, qui fut cause de reduire les six a troys. Or pensois je que ceste annee ilz envoieroient les commandementz necessaires a leurs fermiers pour faire delivrer tout entierement les six pensions [319] promises, affin non seulement de conserver l'exercice commencé en trois lieux par les trois ecclesiastiques dejaz establys…

            Mais voiant quilz n'en tiennent aucun conte, je suis contraint de recourir a la bonté de Vostre Altesse pour la supplier tres humblement que, comme par son authorité et zele elle tira la promesse desditz seigneurs Chevaliers, il luy plaise aussy d'en faire sortir l'effait, commandant a ses officiers et ministres de Chablais de faire saisir sur le revenu des cures ces six pensions, au prouffit des trois curés dejaz constitués et de trois autres qu'on y establira tout aussi tost que l'on aura le moien de les entretenir. Autrement, Monseigneur, le service cessera tout a coup la ou il est commencé, qui sera un grand scandale et perte d'ames, et ne se trouvera personne qui veullie plus y aller pour y estre a la mercy de la provision de messieurs les Chevaliers.

            Ce pendant, voicy une preuve certaine de la necessité que l'on a en ce pais la de beaucoup d'ouvriers spirituelz. Ces bons paisans, deputés de plusieurs parroisses, vont supplier Vostre Altesse de leur doner moyen de refaire leurs eglises et d'avoir des pasteurs catholiques. Je puis dire avec verité que la pluspart des vilages du balliage de Thonon sont de mesme vollonté ; pour tous lesquelz je prie Dieu de tout mon cœur quil les fasse jouir des desirs quil a mis en eux, et supplie Vostre Altesse en toutte humilité qu'elle leur fasse voir la grandeur de l'affection qu'ell'a a l'honneur de Dieu, puisque l'acueil et faveur que leur simplicité recepvra de Vostre Altesse servira de mesure et de reigle a tout le reste de Chablais, et en fin mesme a ceux de la ville de Thonon, quoy quilz semblent maintenant revesches et rebelles a la lumiere. Aussi est ce l'ordinaire que les pauvres et simples embrassent plus vollontiers le Crucifix que les riches et sages mondains. Ce furent des bergers qui les premiers adorerent Nostre Seigneur né.

            Je pensois bien obtenir de Sa Sainteté la restitution universelle des cures des balliages, suivant l'expres consentement que Vostre Altesse en avoit donné par escrit, [320] si Dieu n'eust retardé par une longue maladie le voiage de Rome pour lequel j'avois prins a Barraux les commandementz et le congé de Vostre Altesse. Ce sera incontinant que je me verray asses fort pour l'entreprendre.

            Je prie tres instamment Nostre Seigneur quil vous doint…

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy.

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CV. A Monsieur Louis de Pingon, Baron de Cusy. Requête présentée au duc de Savoie pour obtenir que l'usage de la cloche de l'église Saint-Hippolyte soit interdit aux hérétiques.

 

Annecy, 12 février 1598.

 

            Monsieur,

 

            On avoit defendu aux huguenotz de Thonon de sonner la cloche qui est en l'eglise des Catholiques. Ilz sont sur le point de demander a Son Altesse qu'il leur soit permis de s'en servir autant qu'a nous, et sont si outrecuydés qu'ilz pensent de l'obtenir. Certes, ilz ont gasté desja une autre plus grosse cloche, en haine de nous autres Catholiques qui la sonnions. Leur presche ne se fait pas en ceste eglise la ni en la ville, car il leur est defendu ; pourquoy leur permettra on de le sonner la ou ilz ne le disent ni peuvent dire ? Une cloche ne peut servir a Dieu et a Belial. C'est ce que j'escris a Son Altesse, et la supplie que si ceux de Thonon s'addressent a elle pour luy presenter requeste de ceste affaire, elle les renvoye sans decret ou avec nouvelle defense de [321] sonner. La cloche n'est pas si legere qu'elle semble ; car ilz sçavent faire valoir la moindre chose qu'on leur accorde pour contrister les bons Catholiques.

            Desirant donq infiniment, pour l'honneur de Dieu, que Son Altesse daigne lire ou faire lire promptement ma lettre affin que je ne sois prevenu par les requestes de ces huguenotz, je n'ay sceu a qui mieux m'addresser qu'a vous, pour vous supplier tres humblement de bailler ma lettre et prier Son Altesse la voir, et, s'il ne la veut voir, luy discourir du sujet. La grande confiance que j'ay en vostre bonté me fait ainsy vous importuner, ayant mesme ce bien et honneur d'estre et devoir estre a jamais,

            Monsieur,

Vostre tres humble neveu et serviteur,

FRANCS DE SALES,

Indigne Prævost de Saint Pierre de Geneve.

            A Necy, le 12 fevrier 98.

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CVI. A Monseigneur Jules-César Riccardi, Archevêque de Bari, Nonce Apostolique a Turin (Minute). Projet de célébrer les Quarante-Heures à Thonon, et de les faire suivre de disputes publiques sur les matières controversées. — Une conférence de ce genre vient d'avoir lieu entre le P. Chérubin et le professeur Lignarius.

 

[Sales,] 17 mars 1598.

            Illustrissimo et Reverendissimo Signor mio osservandissimo,

 

            Ho ricevuto lettere dal P. Cherubino et di monsieur di Avulli sopra un concetto che han fatto insieme di far [322] le 40 hore di oratione in Tonone, con la maggior decentia che far si possa ; et passate le 40 hore, di proporre delle dispute theologique (sic) authenticamente, et invitarvi gl'hæretici d'ogni intorno, acciò che non si lascii cosa veruna da tentar per scuotere quest'anime apestate dall' heresia.

            Mando adunque queste lettere loro a V. S. Illma ; et insieme, per dire quanto me ne pare, priegho V. S. Illma di credere che quanto alle Quarant' hore egli non può esser senon cosa fruttuosissima. Il che già per isperienza habbiam veduto nelle 40 [ore] fatte l'anno passato in Annemasse, dove si fece un gran movimento nelle conscientie de gli hæretici che le viddero, dei quali se ne ridussero alquanti, et fu una grande consolatione alli Catholici ; et spero che in Tonone la cosa sarà molto più a proposito et utile.

            Quanto poi alle dispute, spero certo che saranno di grandissima ædificatione, non ostante tutte le ragioni quali puotrebbono parer in contrario : perchè o no verranno, et la vittoria ci resta ; o vero verranno, et in questo [323] caso, oltra la ragione et verità, haveremo queste grandi prærogative, che staremo sopra la defensiva et si potranno fare, nelle risposte, delle piccole essortationi. Nè la cosa è nuova di invitare gl'heretici alle dispute, poiché dal collegio di Turnone spessissime volte sonno stati invitati li ministri di Vivares et Linguadocha; et per haver trattato in particolar col Beza, Faïa, Perrotto, Belcastello et altri principalissimi ministri, non vedo [324] che vi sia gran pericolo. Però, se così parerà a V. S. Illma, saria molto a proposito ch'il R. P. Giovanni Laurinio, quale intendo esser adesso in Milano, si ritruovasse in questo concerto. Hora commandi V. S. Illma quel tanto che glie parerà.

            Mentre scrivevo, ecco che è giunto qui il signor Procurator fiscale di Chiablais, persona catholicissima, il quale mi dà nuova che Sabbato, 14 del presente, vennero quattro persone di Geneva in Tonone, fra i quali era un certo Hermannus Lignarius, tedescho, celeberrimo professore di theologia in Geneva, il quale et Sabbato et Domenica, in præsentia di moltissime persone, venne argumentare et disputare col P. Cherubino, et si scrisse di banda et d'altra le risposte et argumenti ; et mi ha [325] communicato detto signor Procuratore fiscale il principio di detta disputa, nella quale il P. Cherubino ha fatto valentissimamente et con grande desterità. Havendo, come spero, ben presto rilatione et scritto più particolare di quanto si è fatto, ne darò subito raguaglio a V. S. Illma. Detto Hermanno è in grandissimo concetto appresso gl' hæretici, et è stato chiamato di Allemagna per esser stimato sottilissimo ; et tuttavia è stato impeditissimo col P. Cherubino, comme dice detto Procurator fiscale.

            Vado pian piano disponendomi al viaggio con gran desiderio di basciarli le sacre mani…

 

Revu sur l'Autographe conserve à la Visitation de Turin.

 

 

 

 

            Mon très honoré, Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

 

            J'ai reçu des lettres du P. Chérubin et de M. d'Avully touchant le dessein qu'ils ont conçu ensemble de célébrer les prières des [322] Quarante-Heures à Thonon le plus dignement possible ; puis, après les Quarante-Heures, de proposer officiellement des disputes théologiques. Tous les hérétiques des environs seraient invités à y assister, afin de ne négliger aucune tentative pour ébranler ces âmes infectées d'hérésie.

            J'envoie donc leurs lettres à Votre Seigneurie Illustrissime ; et, pour dire en même temps ce qu'il m'en semble, je vous prie de croire que, quant à l'exercice des Quarante-Heures, il ne peut être que très fructueux. Nous en avons déjà fait l'expérience l'année dernière à celles d'Annemasse. Un grand mouvement se produisit alors dans les consciences des hérétiques qui en furent témoins ; un certain nombre d'entre eux se convertirent, et les Catholiques en reçurent une grande consolation. J'espère qu'à Thonon, cette dévotion sera encore plus opportune et plus utile.

            Quant aux disputes, j'ai la ferme confiance qu'elles apporteront une très grande édification, malgré toutes les raisons qui sembleraient contraires ; car, ou les hérétiques ne viendront pas, et alors la victoire nous demeurera, ou bien ils viendront, et dans ce cas, nous [323] prouverons que la raison et la vérité sont de notre côté ; nous aurons de plus le grand avantage de nous tenir sur la défensive et de pouvoir, en répondant, faire de petites exhortations. Du reste, ce n'est pas chose nouvelle d'inviter les hérétiques à des disputes, puisque les ministres du Vivarais et du Languedoc y ont été invités fort souvent par le collège de Tournon. Ayant traité en particulier avec Bèze, La Faye, Perrot, Beauchâteau et autres principaux ministres, je ne vois pas qu'il y ait grand péril. Or, si Votre Seigneurie [324] est de cet avis, il serait très à propos que le R. P.Jean de Lorini, qu'on dit être actuellement à Milan, se trouvât à cette assemblée. Veuillez maintenant en ordonner comme bon vous semblera.

            Pendant que j'écrivais, M. le procureur fiscal du Chablais, homme très catholique, est arrivé ici. Il m'apprend que samedi, 14 courant, quatre personnes vinrent de Genève à Thonon, parmi lesquelles se trouvait un certain Herman Lignarius, allemand, très célèbre professeur de théologie à Genève. Samedi et Dimanche il se prit à argumenter et disputer avec le P. Chérubin en présence d'un grand nombre d'assistants ; l'on écrivit de part et d'autre les réponses et les arguments. M. le procureur fiscal m'a communiqué le [325] commencement de cette dispute dans laquelle le P. Chérubin a fait preuve d'une science et d'une dextérité très grandes. J'aurai bientôt, je l'espère, une relation et un mémoire plus détaillés de tout ce qui s'est passé, et j'en donnerai de suite connaissance à Votre Seigneurie. Cet Herman, qui jouit d'une très grande réputation auprès des hérétiques, a été appelé d'Allemagne parce qu'on le tient pour très subtil ; toutefois, au témoignage dudit procureur fiscal, il s'est trouvé fort embarrassé avec le P. Chérubin.

            Je me dispose tout doucement au voyage, avec un grand désir de baiser vos mains sacrées…

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CVII. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier (Minute inédite). Rumeurs inquiétantes qui circulent en Chablais ; alarmes des Catholiques.

 

[Sales,] fin mars 1598.

 

            Monseigneur,

 

            Ce pendant que je ne puis aller en Chablais, les bons Catholiques qui y sont me font part a toutes heures [326] de leurs nouvelles, et sur tout de leurs ennuis, leur semblant bien qu'ilz en sont a moitié allegés quand ilz les ont declairés. Maintenant ilz m'escrivent de trois ou quattre endroitz que le bruit y est bien gros qu'a la solicitation des Bernois, on y redoublera le nombre des ministres pour y accroistre l'exercice de la nouvelle religion. Je les ay asseurés que Vostre Altesse a trop de fermeté et reconnoist trop bien les obligations qu'elle a a la faveur que Dieu luy a fait en ces dernieres victoires, pour vouloir accorder aux Bernois chose qui apportast aucune incommodité au service de sa divine Majesté, et que je ne croyois pas qu'il y eust personne aupres de Vostre Altesse, si mal appris de son zele et sa pieté, qui osast entreprendre d'en faire la proposition.

            Je supplie tres humblement Vostre Altesse d'avoir aggreable ceste mienne responce, et l'advoüer pour la consolation de ces pauvres gens, lesquelz ne se laissent aller a ces craintes que par une grande jalousie qu'ilz ont de l'honneur de Dieu. Ainsy prie je Dieu tout puissant qu'il la conserve tres longuement et luy face voir lous ses Estatz entierement affermis et dediés a son obeissance…

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation. [327]

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CVIII. A Monseigneur Jules-César Riccardi, Archevêque de Bari, Nonce Apostolique a Turin. Affaire de la cure du Petit-Bornand. — Peste à Annecy. — Mauvais vouloir des Chevaliers. — Ebranlement produit par l'annonce des Quarante-Heures à Thonon. — Faveurs spirituelles qui sont à désirer pour cette occasion. — Zèle du duc de Savoie mal secondé par ses officiers.

 

Sales, 10 avril 1598.

 

            Illustrissimo et Reverendissimo Signor mio osservandissimo,

 

            Essendo avisato da Roma che le speditioni della cura di Bornando in favor mio sonno nelle mani del Favretto ciè già un gran pezzo, et havendo mandato li dinari necessarii per due vie senza che per questo sin adesso habbia potuto ricuperare le dette speditioni, nè un solo avviso di detto Favretto, et che fra tanto il fratello del defunto curato sta nel beneficio, litigando per non lasciarlo sin tanto che vengano dette speditioni, etiamdio [328] administrando li Sacramenti contra l'espressissima prohibitione del Rmo Ordinario, il che non si fa senza scandalo ; dubitando che detto Favretto trattenga dette provisioni per qualche summa dovutagli dal suo commettente o rispondente di qua, son costretto di ricorrere alla sua amorevolissima bontà, acciochè io non tenga detto benefìcio nè in parte, nè in tutto senon dal suo favore ; priegando humilissimamente Sua Signoria Illma et Rma di commandar in Roma al suo agente che glie mandi dette speditioni, pigliandole dal Favretto. Et se bisognaranno dinari, saranno subito sborsati in Turino dal sig'nor Luciano Grilli dove piacerà a Sua Signoria Illma et Rma di commandare. No vorrei dar queste importunità a V. S. Illma, ma et la sua bontà et la necessità me ne dà animo.

            Speravo di inviarmi ben presto costì et fare queste cose ; ma la peste travenuta in Annessi doppo mia partenza, poichè Monsignor Reverendissimo nostro non [329] ha voluto uscirne, mi fa gran dubio che non potremo partire così presto, non havendo le carte necessarie dalla banda di detto Monsignore Reverendissimo. Ho nuova che egli sta benissimo et allegramente, ma non senza pericolo. Iddio ne sia protettore et conservatore.

            Per quanto vedo, non mancarà dalla banda de' signori Cavaglieri che le cose del Chiablais non vadano in rovina, poichè non tengono conto di far pagar le pensioni promesse, senza lequali non si può continuare l' essercitio comminciato nelle tre parochie, et molto manco augmentarlo. No si può dire le grande (sic) dispositioni che sonno in quel paese alla fede catholica, lequali sonno vane per mancamento di essercitio, il quale no si può fare senza persone, nè le persone ponno inviarsi senza spesa et intrata. Ho le lettere lequali Sua Altezza Serenissima inviava a Sua Santità, nelle quali priegava la Santa Sede che si degnasse restituir le parrochie di Chiablais, cavandole delle mani profane ; ma per [330] l'accidente della mia malatia sonno restate qui. Se parerà a V. S. Illma et Rma di mandarle inanzi ch'io faccia il viaggio, per tanto più accelerare il negotio, il quale no si tarda una sola hora senza perdita di moltissime anime, io subito glie le mandarò.

            Il R. P. Cherubino è qui con noi da duoi giorni in qua, aspettando nuova del convento di Annessi ; et ciò ha fatto vedere il progresso della conferentia fra luy (sic) et Hermanno Lignario, famoso lettore di theologia fra [gli] uguonotti, con molto mio gusto. Ne mandarà la relatione a V. S. Illma et Rma et il successo che ne spera.

            Fra tanto egli si dispone di far la devotione delle Quarant' hore in Tonone con quella maggior sollemnità che si potrà fare. Et essendosene data la nuova nelli luoghi circonvicini, da ogni banda si dispongono le persone di concorrere a questa divotione, non solo dalla banda catholica, come di Fribourgo, de Sguisseri et del Valeise, ma anco dalla banda hæretica, come del Bernese et Genevrino ; il che ci fa una grandissima speranza di molto frutto et grande confusione per [i] ministri. Ma [331] saria molto a proposito se Sua Beatudine per quel tempo concedesse qualche gratia spirituale, oltra la Indulgentia plenaria, come dell'assolutione de' casi riservati ; chè in vero in quelle bande ne sonno moltissimi che ne havranno portati li diece et vinti anni nella conscientia, liquali in questa occasione li deponeranno. Et perchè mi pare che la facoltà di commettere huomini per l'assolutione de l'hæresia, che era stata communicata a Monsignor Reverendissimo, no passa questo mese, saria sopra tutto bisogno di haverla di nuovo.

            Vado hoggi verso Tonone dove per un poco son necessario, et pigliarò il numero de' Catholici fattisi in questi tre anni passati, per mandarne raguaglio a V. S. Illma, acciò con questo mezzo si dia animo a Sua Santità di farci quelle gratie che a queste imprese sonno necessarie.

            Non habbiamo quasi altro amico nella corte senon Sua Altezza Serenissima, laquale ci giova poco per mancamento di essecutione de' suoi commandamenti. In vero egli è zelantissimo, ma non può esser ubedito. Che se fosse ubedito come vuole il dover, havressimo avanzato assai più di quel che habbiamo, et insieme no saria [332] bisogno di dar noia a V. S. Illma circa le pensioni, perchè egli ha commandato spesse volte che si pigliassero, facendosi giustitia sopra la promessa fattaci da' Cavaglieri. Ma gl' inferiori fanno poi tante considerationi di non offendere questo et quell'altro, che fra tanto si offende gravemente il Signor.

            Il R. P. Cherubino mi ha dato parola di scriver a V. S. Illma circa moltissime cose degnissime di esser considerate, delle quali habbiam trattato insieme. V. S. Illma et Rma è il nostro solo protettore et solatio in queste occasioni, onde preghiamo continuamente Sua divina Maestà per la sua salute et conservatione. Et bascio humilissimamente le sue reverendissime mani.

            Di V. S. Illma et Rma,

Humilissimo et divotissimo servidore,

FRANCO DE SALES,

indegno Prævosto di Geneva.

            Di Sales, alli 10 di Aprile 98.

All' Illmo et Revermo Sigr mio osservandissimo,

Monsigr l'Arcivescoüo di Bari,

Nuntio Apostolico nel Stato di Savoya. — Turino.

 

Revu sur l'Autographe conserve à Rome, Archives du Vatican. [333]

 

 

 

            Mon très honoré, Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

 

            Ayant été averti de Rome que les expéditions de la cure du Petit-Bornand en ma faveur sont déjà depuis longtemps entre les mains de M. Favret, j'ai envoyé l'argent nécessaire par deux voies, sans que malgré cela j'aie pu jusqu'ici recevoir ces expéditions, ni un seul mot dudit Favret. En attendant, le frère du curé défunt jouit du bénéfice, plaidant pour ne pas l'abandonner jusqu'à ce que les expéditions soient arrivées. Il administre même les Sacrements, [328] nonobstant la défense très expresse du Révérendissime Ordinaire, ce qui ne se fait pas sans scandale. Craignant que M. Favret ne retienne ces provisions pour quelque somme que lui doit son commettant ou correspondant d'ici, je suis contraint de recourir à votre très bien-veillante bonté, afin que, soit en partie, soit en entier, je ne tienne ce bénéfice que de la faveur de Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime. Je vous prie très humblement de commander à votre agent à Rome, de retirer lesdites expéditions des mains de Favret et de vous les envoyer. Et s'il faut de l'argent, il sera aussitôt délivré à Turin par M. Lucien Gilli là où il plaira à Votre Seigneurie l'ordonner. Je ne voudrais pas vous occasionner cet embarras, mais votre bonté et la nécessité m'en donnent le courage.

            J'espérais pouvoir aller bientôt moi-même traiter ces affaires sur les lieux ; mais la peste ayant éclaté à Annecy après mon départ, [329] Mgr notre Révérendissime Evêque n'a pas voulu en sortir ; ainsi je crains beaucoup que nous ne puissions partir de sitôt, faute d'obtenir de la part de Monseigneur les papiers nécessaires. J'ai su qu'il se porte très bien, sans éprouver aucune appréhension, mais non sans courir quelque danger. Dieu soit son protecteur et son conservateur !

            A ce que je vois, rien ne manquera du côté de MM. les Chevaliers pour ruiner les affaires du Chablais, puisqu'ils ne se mettent aucunement en peine de faire payer les pensions promises, sans lesquelles on ne peut continuer l'exercice du culte commencé dans les trois paroisses, et bien moins encore l'augmenter. Il ne se peut dire quelles excellentes dispositions on trouve en ce pays pour la foi catholique ; mais elles demeurent infructueuses par le manque d'exercice du culte, lequel ne peut être rétabli sans des ecclésiastiques, et les ecclésiastiques ne peuvent être envoyés sans faire des dépenses et avoir besoin de revenus. J'ai les lettres que Son Altesse Sérénissime adressait à Sa Sainteté pour prier le Saint-Siège de daigner retirer les paroisses du Chablais des mains profanes et les remettre à la disposition de [330] l'Evêque ; mais, par suite de ma maladie, elles sont restées ici. Si Votre Seigneurie juge bon de les envoyer avant que j'entreprenne le voyage [de Rome], afin d'accélérer cette affaire, qui ne peut être retardée d'une seule heure sans compromettre le salut de beaucoup d'âmes, je me ferai un devoir de les lui expédier aussitôt.

            Le R. P. Chérubin est ici avec nous depuis deux jours, attendant des nouvelles du couvent d'Annecy ; ce qui, à mon grand contentement , m'a donné lieu d'être renseigné sur la marche de sa conférence avec Herman Lignarius, fameux lecteur de théologie parmi les huguenots. Il en enverra la relation à Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime, et lui dira le résultat qu'il en espère.

            Cependant, il se prépare à célébrer les Quarante-Heures à Thonon avec la plus grande solennité possible. La nouvelle s'en étant répandue dans les environs, on se dispose de tous côtés à venir assister à cette dévotion, non seulement des régions catholiques, comme de Fribourg, de Schwitz et du Valais ; mais aussi des territoires hérétiques, comme de ceux de Berne et de Genève, ce qui nous donne une très grande espérance de recueillir beaucoup de fruits, à la grande confusion des ministres. Il serait très à propos que Sa Sainteté voulût bien [331] pour la circonstance accorder, outre l'indulgence plénière, quelque grâce spirituelle, comme l'absolution des cas réservés ; car en vérité, de ces côtés il y a beaucoup de gens qui, en ayant sur la conscience depuis dix et vingt ans, s'en déchargeraient en cette occasion. Comme me semble que la faculté communiquée à Mgr le Révérendissime de déléguer des ecclésiastiques pour l'absolution de l'hérésie expire à la fin de ce mois, il serait surtout urgent de la renouveler.

            Je vais aujourd'hui à Thonon où, pendant quelque temps, je suis nécessaire. J'y dresserai la liste des personnes rentrées dans le sein de l'Eglise durant ces trois dernières années, pour en informer Votre Seigneurie, afin que par ce moyen Sa Sainteté soit encouragée à nous accorder les grâces qui sont nécessaires à cette entreprise.

            Nous n'avons presque pas d'autre ami à la cour que Son Altesse Sérénissime, ce qui ne nous sert pas beaucoup puisque ses ordres ne s'exécutent pas. Le duc est très zélé, il est vrai, mais ne peut se faire obéir. Si on lui obéissait comme on le devrait, nous serions bien plus avancés que nous ne le sommes et, de plus, nous n'aurions pas [332] à causer tant d'ennui à Votre Seigneurie au sujet des pensions. Il a déjà commandé plusieurs fois de les saisir, cette mesure étant justifiée par la promesse que nous avons reçue des Chevaliers ; mais les subordonnés font tant de considérations pour ne pas offenser celui-ci et celui-là, qu'ils finissent par offenser grièvement le Seigneur.

            Le R. P. Chérubin m'a donné parole de vous écrire touchant plusieurs choses très dignes d'attention dont nous avons traité en semble. Votre Seigneurie est notre seul protecteur et consolateur en ces occasions ; aussi prions-nous continuellement la divine Majesté pour votre santé et conservation. C'est en baisant très humblement vos mains vénérées, que je suis,

            De Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime,

Le très humble et très dévoué serviteur,

FRANÇOIS DE SALES,

indigne Prévôt de Genève.

            De Sales, le 10 avril 1598. [333]

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CIX. Au même. Voyage du président Favre à Turin et à Ferrare. — Nouvelles poursuites au sujet de la cession des cures du Chablais. — Mesures à prendre pour assurer le triomphe du catholicisme sur l'hérésie.

 

Sales, 18 mai 1598.

 

            Illustrissimo et Reverendissimo Signor mio osservandissimo,

 

            Andando costì et quindi in Ferrara il signore Præsidente Fabro, persona di pietà et sufficientia singolarissima, et per dirla a modo mio, phœnice della nostra Savoïa, desideravo incredibilmente di far il viaggio con esso lui, perchè essendo egli solo fra laici consapevole di quanto si è fatto di qua et si deve fare per la santa fede, haverebbe certo dato un grande aiuto nel negocio che per questo habbiam da far appresso Sua Santità. [334] Ma Monsignor Rmo Vescovo non havendo fatta la quarantena che si usa per il contagio, non ha volsuto far li Fontes necessarii al viaggio, nè addimandare licentia a, Sua Altezza per il passagio, per non dar alcun sospetto nò a Sua Beatudine, nè a V. S. Illma.

            Havendo adunque le lettere che Sua Altezza scrisse a Sua Santità et alli Signori Cardinali, nelle quali prieghava instantissimamente la Santa Sede di restituire le cure delli balliaggi ad uso delli sacerdoti che vi facciano il servitio santo, et non havendo voluto esponerle al pericolo che sin adesso è stato nelle strade, massime credendo di esserne latore di giorno in giorno : hora ch' io vedo dette lettere invechiarsi, et che se la provisione di Sua Santità circa detta restitutione non viene inanzi la raccolta le cose saranno ritardate sin all' altr' anno (et Dio [335] solo sa se saremo vivi), per questo ho dato dette lettere a questo mio signore Præsidente, acciò le dia a V. S. Illma, protettrice di tutto questo negocio, la quale accompagnandole di una strettissima et caldissima ricommandatione, potrà farne latore l'istesso signor Presidente, chè più fedele et zelante non si può trovare.

            Che si (sic) con queste nuove di pace si stabilisce da dovero l'essercitio catholico in quelli balliagi, si farà presto un effetto tale che ritardandosi poi non seguirà. Et per conto delle sei pensioni promesse l'anno 1596 dalli Cavaglieri, non si è dato ordine se non per tre l' anno passato et questo per nulla. È tempo horamai che da un canto sia sollecitata Geneva al ricever per il manco l' Interim col mezo di questa pace, et dall' altro [336] che si faciano intorno intorno opere pie in gran quantità : riformatione di badie, prædicationi, dispute, libretti et altre cose simili ; chè così creparà la volpe nelle sua caverna.

            Et fra l'altre cose necessarie, una è che si habbia in Annessi un stampatore. Gl' hæretici mandano fuora ogni hora libretti pestilentissimi, et restano molte oprette catholiche nelle mani de gl'authori per non poterle sicuramente inviare in Lione et non haver commodità di stampatore. Se dalle badie et altri maggiori beneficii della diocæsi si cavasse un certo che per anno, sino alla Mimma di scudi cento, non saria cosa grave ad alcuno et saria una sufficiente provisione per un stampatore.

            Credo che ben presto passa il tempo prefisso alle facoltà concesse a Monsignor Reverendissimo circa [337] l'assolutione de gl'hæretici. È necessario primo modo che non ci manchino, perchè ogni hora cie n'è bisogno in questi paesi. Già tre volte ho inviato queste altre lettere, le qual adesso io glie mando, et non han potuto passare.

            Mi perdoni per bontà sua V. S. Illma et Rma se io glie sono importuno ; et rimettendomi a quanto potrà cognoscere di queste et simili altre cose dal Signor latore, priegho Iddio ognipotente che la conservi fœlice et contenta moltissimi anni ad utile di santa Chiesa, et glie bascio humilissimamente le mani reverendissime.

            Di V. S. Illma et Rma,

Divotissimo servidore,

FRANCO DE SALES,

Prævosto di Geneva.

            Di Sales, alli 18 di Magio, 98.

All' Illmo et Rmo Sigre mio osservandissimo,

Monsigre l'Arcivescovo di Bari,

Nuntio Apostolico appresso S. A. S.

Turino.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Rome, Archives du Vatican. [338]

 

 

 

            Mon très honoré, Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

 

            M. le président Favre, personnage d'une piété et d'un mérite singuliers, et, pour le dire à ma façon, le phénix de notre Savoie, se rend à Turin, puis à Ferrare. Je désirais extrêmement entreprendre ce voyage avec lui, parce qu'étant le seul laïque bien au courant de ce qui s'est fait et de ce qui reste encore à faire pour la sainte foi dans ces pays, il nous aurait certainement été d'un grand secours dans les affaires que nous devrons traiter à ce sujet auprès de Sa Sainteté. [334] Mais Mgr notre Révérendissime Evêque n'ayant pas terminé la quarantaine usitée en temps de peste, n'a pas voulu préparer les écritures nécessaires à ce voyage, ni demander la permission de Son Altesse pour le passage, afin de ne donner aucune alarme au Saint-Père ni à Votre Seigneurie Illustrissime.

            J'ai entre les mains les lettres que Son Altesse a écrites à Sa Sainteté et à MM. les Cardinaux, pour prier instamment le Saint-Siège de rendre la jouissance des cures des bailliages aux prêtres qui doivent y faire le service divin. Je n'ai pas voulu les exposer au danger qui jusqu'ici a été sur les routes, d'autant plus que je croyais de jour en jour pouvoir en être le porteur. Mais maintenant je vois que ces lettres vieillissent ; en outre, si le décret de Sa Sainteté touchant la restitution des bénéfices ne nous parvient pas avant la récolte, cette [335] affaire sera retardée jusqu'à l'année prochaine, et Dieu seul sait si nous serons en vie ! Pour toutes ces raisons, j'ai donné lesdites lettres à M. le Président afin qu'il les remette à Votre Seigneurie, protectrice de l'entreprise. Vous pourrez ensuite, les accompagnant d'une très pressante et très chaude recommandation, en rendre porteur le même Président ; car l'on ne saurait trouver quelqu'un de plus fidèle et de plus zélé.

            Si à la faveur de la paix qui nous est annoncée, l'exercice du culte catholique est rétabli définitivement dans ces bailliages, on obtiendra bientôt un résultat que tout retard pourrait compromettre. Quant au payement des six pensions promises en 1596 par les Chevaliers, aucun ordre n'a été donné, sinon l'année dernière pour trois ; et cette année, pour aucune. Il est temps désormais de presser d'un côté Genève à recevoir au moins l'Intérim, grâce à cette [336] paix, et de l'autre, de faire aux alentours de cette ville des œuvres pies en grand nombre : réforme d'abbayes, prédications, disputes, publication d'opuscules et choses semblables ; car ainsi le renard crèvera dans sa tanière.

            Entre autres, il faudrait avoir un imprimeur à Annecy. Les hérétiques publient à chaque instant des livres très pernicieux, tandis que plusieurs ouvrages catholiques demeurent entre les mains de leurs autcurs parce qu'on ne peut les envoyer sûrement à Lyon, et qu'ils n'ont pas d'imprimeur à leur disposition. Si l'on prélevait sur les abbayes et autres bénéfices les plus considérables du diocèse une certaine somme chaque année jusqu'à la concurrence de cent écus, cela ne chargerait personne et suffirait à l'entretien d'un imprimeur.

            Je crois que la durée des pouvoirs accordés à Mgr le Révérendissime touchant l'absolution des hérétiques est près d'expirer. Ces pouvoirs [337] sont pour nous de première nécessité, car à toute heure on a besoin d'en user dans ces pays. J'ai déjà par trois fois envoyé les autres lettres ci-jointes, mais elles n'ont pu passer.

            Que votre bonté daigne me pardonner de lui être si importun. Je m'en remets au porteur des présentes pour vous donner une plus grande connaissance des affaires dont elles traitent et d'autres semblables ; et priant le Dieu tout-puissant de vous conserver heureux et content de très longues années pour l'utilité de la sainte Eglise, je baise très humblement vos mains vénérées.

            De Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime,

Le très dévoué serviteur,

FRANÇOIS DE SALES,

Prévôt de Genève.

            De Sales, le 18 mai 1598. [338]

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CX. Au même. Espérance d'obtenir, moyennant la médiation du roi de France, le libre exercice du culte catholique à Genève.

 

Sales, 13 juin 1598.

 

            Illustrissimo et Reverendissimo Signore mio osservandissimo,

 

            Fra gl' infiniti beni spirituali che da questa benedetta pace sperano molti servi d'Iddio, uno è ch'il Ré di Francia, invitato dalla Santa Sede Apostolica, procuri vivamente che la città di Geneva apra le sue porte a l' essercitio catholico coll' Interim, acciò che in una tanta et tanto desiderata pace, sia fatto luogho al Signore et Prencipe di pace Et questo sarà tagliar il calvinismo nella radice. So che Sua Altezza, dal canto suo, ne farà ogni instantia possibile, come in opra di importanza incredibile. Il R. P. Cherubino ha sopra di questo molti buoni et particolari a visi, et son certo che [339] ne darà raguaglio a V. S. Illma et Rma , la quale per tanto io supplico di haverli in grande consideratione.

            A me, il quale in tale occurrentie non hó altro valore se non nelli sospiri et desiderii, basta di aprirne il cuore inanzi di V. S. Illma ; et mentre sto aspettando quel giorno nel quale io possa farglie in præsentia la debita riverentia, glie bascio humilissimamente le mani reverendissime, prieghando il Signore che la conservi moltissimi anni a servitio dell' honor suo divino.

            Di V. S. Illma et Rma,

Humilissimo et divotissimo servitore.

FRANCO DE SALES,

Prævosto di Geneva.

            Di Sales, alli 13 di Giugnio 1598.

All' Illmo et Rmo Sigre mio osservandissimo,

Monsigre l'Arcivescovo di Bari,

Nuntio Apostolico appresso S. A. S.

Turino.

 

Revu sur l'Autographe conserve à Rome, Archives du Vatican. [340]

 

 

 

            Mon très honoré, Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

 

            Entre les incalculables avantages spirituels que plusieurs serviteurs de Dieu espèrent de cette bénite paix, ils se promettent que le roi de France, sur l'invitation du Saint-Siège Apostolique, s'emploiera vigoureusement pour obtenir que la ville de Genève ouvre ses portes à l'exercice du culte catholique au moyen de l'Intérim, afin que le Seigneur et Prince de paix ait sa place dans une pacification si importante et tant désirée. Ce serait couper le calvinisme par la racine. Je sais que, de son côté, Son Altesse fera toute sorte d'instances, comme pour une œuvre d'une importance incroyable. Le R. P. Chérubin a plusieurs vues spéciales et bonnes sur ce sujet ; je suis [339] sûr qu'il les communiquera à Votre Seigneurie Illustrissime et Reverendissime, partant je la supplie de les prendre en grande considération.

            Pour moi, qui n'ai en telles rencontres d'autre pouvoir que celui des soupirs et des désirs, il me suffit d'ouvrir mon cœur à Votre Seigneurie. En attendant le jour où je pourrai la voir et lui offrir les hommages qui lui sont dus, je baise très humblement ses mains vénérées, priant le Seigneur de la conserver de très longues années pour le service de sa divine gloire.

            De Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime,

Le très humble et très dévoué serviteur,

FRANÇOIS DE SALES,

Prévôt de Genève.

            De Sales, le 13 juin 1598. [340]

 

 

CXI. A Monsieur Amédée de Chevron Seigneur de Villette (Inédite). Témoignages de respect et de reconnaissance. — Annonce de sa visite.

 

Sales, 7 juillet 1598.

 

            Monsieur,

 

            Je me garderay bien, Dieu aydant, d'attribuer a mes merites, qui sont ou petitz ou nulz, la faveur avec laquelle il vous plait recueillir mes importunités. Je la dois du tout a vostre bonté, laquelle j'honnore d'autant plus que je me vois tous les jours obliger davantage a elle par tant d'effetz, qui me fait extremement desirer d'estre tel que je devrois estre pour estre digne sujet de ses bienfaitz ; la ou je n'av rien de sortable a ce bon heur qu'une tres humble affection d'estre et vouloir estre, et confesser devoir estre vostre tres redevable.

            Je desirois bien fort de vous baiser les mains en præsence, mais je suis lié sur le banq pour ceste semaine. Que si je puys, a la prochaine je me rendray par dela, et sans honte ni autre apprehension je prendray logis chez vous, comme vous me commandes ; car puysque je suis des-ja tant insolvable des obligations que je vous ay, il ne m'importe meshuy de rien de l'estre tous-jours [341] plus ; et quoy qu'on me juge importun, je ne lairray d'estre bien glorieux si par la je me puys faire connoistre tel que je suis, Monsieur, non seulement vostre tres et tres obligé, mais encores

            Votre domestique serviteur et neveu,

FRANÇS DE SALES,

            A Sales, ou mes pere et mere et toutes leurs gens vous saluent tres humblement.

            Le 7 jullet 98.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Milan. [342]

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CXII. A Monsieur Claude Marin, procureur fiscal en Chablais. Préparatifs à faire en vue des Quarante-Heures qui doivent se célébrer à Thonon. — Indications pour le logement de l'Evêque. — Audience du duc de Savoie. — Destination de deux ecclésiastiques.

 

Sales, 6 août 1598.

 

            Monsieur,

 

            Puisque Son Altesse veut que les Quarente Heures se facent le quinziesme de ce moys, et qu'elle veut qu'elles se facent le plus solemnellement que l'on pourra, baillant partant esperance de vouloir rembourser les frais qui s'y feront, ne voyant point d'argent prest, il m'a semblé que on ne pouvoit point avoir de meilleur moyen pour loger les musiciens et autres semblables personnes necessaires et les nourrir, que de faire que [342] les fermiers qui sont reliquateurs de plus de mille florins vaillant pour les pensions de ceste annee, respondent vers quelqu'un de la despence que lesditz musiciens pourront faire, a rate dequoy je les dechargeray de ladite dette. Et a ces fins je fais trois mandatz : un a Meynet, l'autre a Vernaz et l'autre a Castellani, affin quilz respondent vers quelqu'un [de] la despence qui se fera par lesditz musiciens, chacun jusques a la somme de cent florins. Restera qu'il vous plaise d'essaier si l'on pourra trouver qui veuille fournir aux frais a ceste condition, en advançant, et je tiendrois main a les faire bien paier dans le terme quilz prendroient ; et si vous le trouvies, il faudroit faire marcher (sic) a combien par jour ilz entretiendroient la personne honnestement et sans superfluité.

            Item, je vous prie de trouver un logis parmi les Catholiques pour Monseigneur l'Evesque. On paiera le louage a tant par jour, en fournissant seulement le bois, linge et vaiselle, car quant au reste, Monseigneur le Reverendissime fera sa despence luy mesme ; mais il faut que ce soit chez un Catholique et qu'on aye pour le moins trois chambres. Si ce n'estoit qu'il m'a tant recommandé que son hoste fut catholique, j'eusse nommé monsieur d'Alemand ; touttefois, au pis aller, encor ne seroit il pas mal la, si autrement ne se peut faire. Jamais Quarente [343] Heures n'eurent tant de difficultés que celles cy, qui m'en fait tant mieux esperer.

            J'ay esté beaucoup deplaisant de ne m'estre pas trouvé icy quand vous y aves esté, pour jouir de vostre conversation et apprendre a sohait de voz nouvelles. Son Altesse, quoy que tres empeché, me bailla une audience de quattre motz lundi, et entre autres choses me promit de m'en bailler une plus grande aux Quarente Heures de Thonon ou elle esperoit se trouver. Dieu le voulust, mais je crains fort quil n'en sera rien.

            Je vous salue de tout mon cœur avec toutte vostre compagnie, et suis,

            Monsieur,

Vostre plus humble serviteur,

FRANÇS DE SALES.

 

            Je baise tres humblement les mains a madame ma tante, a madamoyselle du Maney et a toutte la conversation, a laquelle je me rendray dans quattre ou cinq jours.

            A Sales, le 6 d'aust 98.

 

            Il m'est advis quil seroit bon que monsieur Chevallier, qui a commencé a Bellevaux, poursuivit, et que [344] monsieur Clerici fut curé a Thonon ou il feroit rage a bien tenir l'eglise et instruire la jeunesse ; mais il faudroit que le P. Chtrubin fit un peu de disposition a cela tout bellement.

            Encor aurons nous besoin d'un logis pour sept ou huit personnes ecclesiastiques qui iront la, en payant comme dessus ; sinon que celuy qui fournira pour les musiciens fournit encor a cela, comm'il se pourroit bien faire.

A Monsieur

Monsieur Marin,

Procureur fiscal en Chablaix.

 

Revu sur l'original conservé à la Visitation de Turin.

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CXIII. A Monsieur Sébastien Werro, Administrateur Apostolique du Diocèse de Lausanne, prévôt de Saint-Nicolas de Fribourg. Les exercices des Quarante-Heures à Thonon sont fixés aux 23 et 24 août.

 

Thonon, 12 août 1598.

 

            Monsieur,

 

            La devotion des Quarante Heures a esté retardee jusques au Dimanche et jour de saint Barthelemi, 23 et [345] 24 de ce moys. C'est pour un beaucoup plus grand bien. Je vous ay bien voulu faire ce mot d'advis, affin que si quelcun de dela desiroit honnorer cest'action de pieté de sa præsence, il ne s'acheminast pas en vain ceste semayne. Mais aussi je voudrois que personne ne perdit courage de venir pour ceste retardation, puisque la tardiveté sera recompensee d'une bien grande consolation si Dieu nous fait les graces que nous esperons.

            Je bayse tres humblement vos mains sacrees, et me dis a jamais,

            Monsieur,

Vostre plus humble confrere et serviteur,

FRANÇS DE SALES,

Prævost de St Pierre de Geneve.

            Le R. P. Cherubin et toute la brigade des serviteurs de Dieu que nous avons icy vous salue tres affectionnement.

            A Thonon, le 12 aoust 1598.

A Monsieur le Prevost de St Nicolas de Fribourg.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. le docteur Jean Schaller, à Fribourg. [346]

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CXIV. A don Juan de Mendoça, commandant des troupes espagnoles (Minute). Supplications collectives des missionnaires du Chablais pour obtenir que les troupes espagnoles ne traversent pas cette province.

 

Thonon, 16 août 1598.

 

            Eccellentissimo Signor osservandissimo,

 

Siamo in procinto di celebrar la oratione delle Quarant'hore in questa terra Domenica, 23 di questo mese, secondo il beneplacito di Sua Santità et di Sua Altezza, havendo procurata la præparatione necessaria a cotesta impresa non senza grandissima spesa, parte fatta dalla limosina concessa dalla Santa Sede, parte di quella di Sua Altezza. Et si inviaranno questa settimana moltissimi popoli, sì dalla banda de' Valesani che di quella [347] di Fribourgo, et da ogni intorno ancora, per venir a questa solemnità, laquale si è præparata per la conversione di questa gente hæretica ; et se ne spera un frutto grandissimo a gloria d'Iddio et salute dell'anime.

            Hora ci vien detto che Vostra Eccellenza, con le sue forze, era per pigliar la strada del suo ritorno costì ; il che se facesse, è cosa certissima che detta celebratione delle 40 hore non potrà farsi per nessun conto, poichè gl'habitatori, carghi de soldati, non potran assistere ; anzi, per quanto si risolvono, lasciaranno le case vode et passaranno il lagho, et li forestieri non verranno. Sì che questa divotione, præparata con tante spese et fatighe, con tanta speranza di buon frutto, con particolar licentia di Sua Santità et di Sua Altezza et con tanta fama appresso li nemici della santa fede, si resolverà in fumo ; non senza cattivissimo essempio et grandissimo scandalo [348] et alli Catholici et agli hæretici, et perdita di una occasione, quale forse non ci ritornarà mai nelle mani, de fruttificar fra questa gente, con un disgusto grandissimo di Sua Beatitudine et Monsignor Nuntio.

            Per il che supplichiamo con ogni humiltà possibile Vostra Eccellenza, et la scongiuriamo per le viscere di Christo et per quanto sangue ha sparso per le anime, la cui salute procuriamo col mezzo di queste divotioni, di degnarsi di pigliar altra strada per il suo viaggio et lasciar questa libera al Salvatore ; il che se si degnarà di fare, sia poi certa ch'Iddio benedetto l'haverà per gran servitio de sua divina Majestà et ne terrà buon conto nel giorno del giuditio. Faccia adunque Vostra Eccellenza, da quel valoroso et zelante animo ch' Ella tiene, questo servitio all'honore d'Iddio. Diremo bene ancora che non sappiamo chi l'habbia avvisata di questa strada, ma che v' è un passo appresso il lagho, fra Evian et San Mauritio, il più horribile et pericoloso, in questo tempo nel quale le acque di detto lagho crescono, che si possa imaginare. [349]           Confidatici dunque nella pietà, bontà et zelo di Sua Eccellentia, glie mandiamo questo nostro compagno et fratello sacerdote, il qual anco esso con parole potrà darglie avviso di quanta importantia saria il scandalo che verrebbe dalla cessatione della solemnità præparata. Et fra tanto staremo certi che, per honor d'Iddio et della Corte cæleste, Vostra Eccelentia concederà quanto addimandiamo con tanto ardore et humiltà che maggior non si può truovare, restando in seterno, sì per li suoi meriti, sì per questo beneficio et atto di zelo tanto segnalato,

            Di Vostra Eccellentia,

            Humilissimi et divotissimi servidori in Christo.

 

Revu sur l'Autographe conserve à la Visitation de Turin. [350]

 

 

 

 

 

            Excellentissime et très honoré Seigneur,

 

            Nous sommes sur le point de célébrer Dimanche, 23 de ce mois, les prières des Quarante-Heures en cette ville, avec l'agrément de Sa Sainteté et de Son Altesse. Les préparatifs nécessaires à cette solennité n'ont pas été faits sans de grandes dépenses, couvertes en partie par les aumônes du Saint-Siège, en partie par celles de Son Altesse. Des multitudes considérables, venues soit du côté du Valais, soit du [347] côté de Fribourg, comme aussi de tous les environs, se mettront en route cette semaine afin d'assister à une fête qui a été préparée pour la conversion de ces hérétiques. On en espère un très grand fruit, à la gloire de Dieu et au salut des âmes.

            Or, nous apprenons que Votre Excellence se dispose à prendre ce chemin pour s'en retourner avec ses troupes. S'il en est ainsi, très certainement la célébration des Quarante-Heures ne pourra aucunement se faire, car les habitants, chargés de soldats, ne sauront y assister ; au contraire, comme ils l'ont déjà résolu, ils laisseront les maisons vides et passeront de l'autre côté du lac. Quant aux étrangers, ils ne viendront pas. Ainsi cette dévotion, préparée avec tant de frais et de fatigues, tant d'espoir de succès, avec une spéciale autorisation de Sa Sainteté et de Son Altesse et un si grand retentissement parmi les ennemis de notre sainte foi, s'en ira en fumée. Cela n'arrivera pas sans produire un très mauvais exemple et même sans occasionner un très grand scandale parmi les Catholiques et les [348] hérétiques. Ce sera aussi, au très grand regret de Sa Sainteté et de Mgr le Nonce, perdre une occasion qui ne se retrouvera peut-être jamais de recueillir quelques fruits parmi ces gens.

            C'est pourquoi, nous supplions avec toute l'humilité possible Votre Excellence, et nous la conjurons par les entrailles de Jésus-Christ, par tout le sang qu'il a répandu pour ces âmes dont nous tâchons de procurer le salut au moyen de ces exercices, de daigner prendre un autre chemin pour son voyage et de laisser celui-ci libre au Sauveur. Soyez du reste assuré que, s'il vous plaît en agir ainsi, Dieu le regardera comme un grand service rendu à sa divine Majesté et vous en tiendra bon compte au jour du jugement. Que Votre Excellence, avec ce courage vaillant et zélé dont Elle est douée,

rende donc ce service à l'honneur de Dieu. Nous dirons de plus que nous ne savons qui a pu lui indiquer cette route ; car il y a près du lac, entre Evian et Saint-Maurice, un passage le plus horrible et le plus dangereux qu'on puisse imaginer, en cette saison de la crue des eaux. [349]

            Nous confiant donc dans la piété, la bonté et le zèle de Son Excellence, nous lui envoyons ce prêtre, notre compagnon et frère, qui pourra aussi lui exposer verbalement de quelle conséquence serait le scandale qui résulterait de la suppression de la solennité préparée. En attendant, nous nous tiendrons assurés que, pour l'honneur de Dieu et de la Cour céleste, Votre Excellence nous accordera ce que nous lui demandons avec une ardeur et une humilité qui n'ont point d'égales. Nous demeurerons à jamais, soit en considération de son mérite, soit pour ce bienfait et cet acte si éclatant de zèle,

            De Votre Excellence,

            Les très humbles et très dévoués serviteurs en Jésus-Christ. [350]

 

CXV. A Monsieur Sébastien Werro, Administrateur Apostolique du Diocèse de Lausanne, prévôt de Saint-Nicolas de Fribourg. Remerciements. — Retard des Quarante-Heures projetées à Thonon.

 

Thonon, 20 août 1598.

 

            Reverende ac plurimum in Christo colende Domine,

 

            Accepi litteras, quas ad me postridie Assumptionis Beatæ Virginis dedisti, incredibili cum animi mei voluptate, quod ex iis non mediocrem in te erga Deum pietatem et erga nos benevolentiam perspexerim, cum hanc precum nostrarum destinatam celebritatem, non tuis tantum sed etiam populi cui præes precibus cumulasse significas, eam utique, si res tulisset, tua præsentia exornaturus. Facis sane tu quam liberaliter et Christiane, et nos quam maximam habemus gratiam.

            Cæterum, pre rerum humanarum inconstantia, hac ipsa hora qua scribo advolat ad nos qui, gravissimis de [351] causis, in festum Nativitatis Virginis, superiorum voluntate, solemnem hanc quam instituebamus præcationem referre jubet. Intempestive sane ; at obtemperandum, et quemadmodum par est existimandum moram uberiores fructus allaturam.

            Qua de re tecum primis monitum volui, ac tantam tibi salutem, tum meo tum P. Cherubini nomine, dico quantam non possim majorem.

            Reverendæ tuæ Dominationis,

Humilis in Christo servus,

FRANCS DE SALES,

Ecclesiæ Gebennensis Præpositus.

            Tononi, 20 Augusti 98.

Rdo in Christo Domino plurimum colendo,

D. Sebastiano Verronio,

Sacræ Theologiæ Doctori clarissimo,

et Friburgensis Ecclesiæ Proposito mentissimo.

 

Revu sur l'Autographe conservé au Musée cantonal de Fribourg. [352]

 

 

 

            Révérendissime et très respectable Seigneur en Jésus-Christ,

 

            C'est avec une joie incroyable que j'ai reçu la lettre que vous m'avez adressée le lendemain de l'Assomption de la Bienheureuse Vierge Marie ; j'y ai reconnu clairement combien grande est votre piété envers Dieu et votre bienveillance à notre égard. D'après vos paroles, je vois que vous avez mis le comble à la solennité projetée de nos fêtes, non seulement par vos prières, mais encore par celles du peuple qui vous est confié. Vous les auriez même ornées de votre présence, si la chose eût été possible. C'est agir assurément de la façon la plus généreuse et la plus chrétienne, et nous vous en rendons les plus vives actions de grâces.

            Du reste, telle est l'inconstance des choses humaines, qu'à l'heure même où je vous écris, survient un ordre de nos supérieurs qui, pour les motifs les plus graves, nous enjoignent de remettre à la fête de [351] la Nativité de la Sainte Vierge, les supplications solennelles que nous préparions. C'est certainement fâcheux ; mais nous devons obéir et croire, comme il convient, que ce retard apportera des fruits plus abondants.

            J'ai voulu que vous en fussiez averti l'un des premiers, et, tant en mon nom qu'en celui du P. Chérubin, je vous offre nos meilleures salutations.

            De Votre Révérence,

L'humble serviteur en Jésus-Christ,

FRANÇOIS DE SALES,

Prévôt de l'Eglise de Genève.

Au Révérend et très respectable en Notre-Seigneur Jésus-Christ,

Seigneur Sébastien Werro,

très illustre docteur en théologie et très méritant Prévôt

de l'Eglise de Fribourg. [352]

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CXVI. A Monsieur Amédée de Chevron Seigneur de Villette (Inédite). Prière de se rendre en Chablais pour protéger les habitants si les troupes espagnoles traversent la province. — Recommander au duc les intérêts de la mission et l'engager à assister aux Quarante-Heures de Thonon.

 

Thonon, 23 août 1598.

 

            Monsieur,

 

            Ceste infinité de peyne que vous aves pour l'affaire de Dieu vous sera recompensee par Celuy pour lhonneur duquel vous le faittes. Ces gens de Thonon desirent quil vous plaise leur faire ce bien qu'au cas que le seigneur Dom Joan veullie passer icy resolument, il vous plaise d'assister a son passage, estimans que vostre præsence adoucira l'aigreur quilz en pourroyent sentir. Leur religion ne merite pas ceste faveur ; mais qui sçait si Dieu se veut servir de vostre courtoisie pour les faire penser a leur conscience ? Ilz promettent bien quilz n'en seront pas ingratz. Si donq cela ne vous incommode pas beaucoup, je vous supplie tres humblement de le faire. Nous solliciterons vivement l'exacteur pour la partie quil vous doit, comme pour celuy auquel nous avons de si grosses obligations.

            Mais pour Dieu, escrivant a Son Altesse, touchés vivement un mot affin quil vienne a ces 40 [heures]. Sil nous baille moyen de loger honnestement des curés par tout ce balliage apres les 40 heures, tout est emporté pour la foy catholique. Il ne se fera jamais plus a propos, et sans offencer personne, car cela viendra au desir de presque tous. Il ne coste rien a Son Altesse, car ces benefices de ce pais ne peuvent avoir moindre emploite [353] que de demeurer aux Chevalliers de Saint Lazare ; il sera bien employé qu'on les reduyse a leur premier usage en une si belle occasion. Sa Sainteté approuvera tout indubitablement.

            Je pensois partir passé demain, aller vers vous et a Sales ; mais j'attendray jusques a mercredi, par ce que le P. Cherubin me vient de dire qu'a son advis il ne seroit que bon que vous donnies un coup d'esperon jusques icy pour voir tant plus briefvement ouverture a vostre payement. Que Son Altesse ne perde pas cest'occasion de reduire ses peuples en unité de foy ; Nostre Seigneur mesprise ceux qui mesprisent le jour de sa visitation.

            Quand au bruit qui a couru que les Bernois avoyent des trouppes de reitres dela le lac, c'est une bride a veau : est spaventa velliacho. Ilz ont bien fait leurs monstres de la milice ordinaire, que je metz en mesme conte que les monstres du papegai de Neci.

            Or sus, Monsieur, je prie Dieu pour vostre santé, et suis irrevocablement

            Vostre tres humble et tres asseuré serviteur et neveu,

FRANÇS DE SALES.

            Thonon, 23 aoust 98.

            Je salue monsieur et madame de la Faverge, mes oncle et tante.

A Monsieur

Monsieur de Vilette,

Maistre d'hostel de S. A.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Gênes, Sanctuaire de la Madonnetta. [354]

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CXVII. A Monsieur Jean Sarasin. Invitation à exposer par écrit la mission dont il est chargé.

 

Thonon, entre le 18 et le 24 septembre 1598.

 

            Monsieur,

 

            Puysque nous avons observé jusques a præsent de mettre nos dires de part et d'autre par escrit, je vous prie d'escrire le vostre encores sur le particulier de l'intention des messieurs vos superieurs touchant vostre venue, ce pendant qu'en responce (sachans que ce ne sera autre que ce que vous aves proposé a bouche) nous dressons les articles demandés.

            A tant, me voyla tous-jours, Monsieur,

Vostre tres affectionné

et humble serviteur en Dieu,

FRANÇS DE SALES.

A Monsieur

Monsieur Sarazin.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Genève, Bibliothèque publique. [355]

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CXVIII. A Monseigneur Jules-César Riccardi, Archevêque de Bari, Nonce Apostolique a Turin. Recours à la protection du Nonce. — Pouvoirs spéciaux nécessaires aux missionnaires. — Mesures à prendre contre les Chevaliers des Saints Maurice et Lazare. — Admirables résultats des Quarante-Heures de Thonon. — Zèle des Evêques de Genève et de Saint-Paul-Trois-Châteaux. — Alarmes au sujet de Genève.

 

Thonon, 13 octobre 1598.

 

            Illustrissimo et Reverendissimo Signore mio osservandissimo,

 

            La felice raccolta di molte migliaia d'anime qual si è fatta questi giorni passati in questo balliagio di Tonone, ci ha data una incredibile consolatione, et veramente compita, se la lettera di V. S. Illma et Rma ricevuta hoggi dal P. Cherubino fosse capitata all'hora. Ma è forza ch'io glie dica che Monsignor di Geneva et di San Paolo et [356] quanti siamo qui de suoi divoti havevamo non poca maraviglia et altro tanto di ramarico in non haver nuova veruna della sanità sua, laquale se mai ci è stata cara, adesso ci deve esser carissima, quando sonno le cose nostre venute in tal stato che più che mai han bisogno di un tale protettore et promotore quale si è sempre mostrata V. S. Illma et Rma. Poichè dal canto di Sua Altezza altro nè sperare, nè desiderare si può nè deve, senon la perseveranza delle christianissime opre quali ha già fatte, et non ciè altro da domandare senon un favor fervente, pronto et liberale dalla Santa Sede Apostolica, acciò abbracci questa impresa con quelle favorevole (sic) braccia colle quali suole stringer le cose del Signore. Hora, se questo bene non ci viene per mezzo di V. S. Illma et Rma, non vedo per qual strada possa venire.

            Habbiam bisogno di gratie spirituali per le assolutioni, acciò si possano far con ogni libertà fra questi rozzi et novitii popoli, non solamente da Monsignor et Rmo Vescovo et da me, ma da quanti sarà bisogno di commettere, [357] non bastando a tanta messe se non gran numero di messori. Così anco habbiam bisogno di qualche authorità da communicarsi, secondo le particolari occurrentie, ad uno o più persone ; et se non fossimo così vicini dell' anno del Giubilæo, io diria una parola, che per noi saria bisogno per un anno di un perfetto et gran Jubilæo.

            Et non solamente per le gratie spirituali, ma per le temporali, habbiam bisogno di Giubilæo ; et questo non si può differire senza un gran danno della conscientia. Cioè, che Sua Santità, conforme alla buona mente di Sua Altezza, faccia restituir li beneficii tenuti da' signori Cavaglieri alli pastori et ecclesiastici, li quali si stabiliranno adesso per modo di provisione in questo balliaggio. Ne è necessario di procedere in questo con quelle formalità ordinarie che richiedono un gran tratto di tempo, perchè fra tanto si perdono le anime redente da Christo, et è pur vero che salus populi suprema lex esto. Nè bisogna in questo usar rispetti, perchè periculum est in mora. Sonno le cose di Christo a tal segno in queste provintie adesso, che se habbiam [358] modo di farle splendidamente, il capo del serpente se ne va spezzato. Guai a chi darà impedimento a così santa opra.

            Le Bulle di Sua Santità, per le quali concede a quelli della Religione li beneficii di questa provincia, vogliono che in caso che la santa fede si restituisca, diano ad ogni curato cinquanta ducati di prvisione. Ecco restituita poco meno la santa fede per tutto generalmente ; ma le chiese sono rovinate, senza paramenti, senza calici, senza croci : dove ne pigliaremo ? Li curati da stabilire qui non devono esser persone di cinquanta ducati ; devono haver compagnia di un altro sacerdote. homini soli, massime nella vicinanza de' pardi, ursi et lupi. Bisogna, si (sic) fia necessario, vender i calici et altre gioie non necessarie dell' altre chiese, per fare queste spese et dar da mangiar a queste anime fameliche, lequali altrimente sonno hora per hora per morire, acciò non si possa dire di noi : Quem non pavisti occidisti. Voglio dire che Sua Santità, havendo rispetto all' importanza di questo negotio, darà ordine che li Cavaglieri si contentino di [359] permettere che sia servito Christo Signore nostro dalle intrate delli beni che a questo effetto sonno dati dalli pii et religiosi padri et antichi nostri. Mi perdoni per bontà sua V. S. Illma se io, rapito dal desiderio di veder questo principio glorioso capitar in un fine gloriosissimo, glie scrivo con questa gran libertà et forse importunità ; è avezza alli miei sconci et semplici concetti, et non li haverà per male.

            Vorrei poter et saper dar rilatione a V. S. Illma di quello che Iddio ha fatto qui nel tempo delle prime 40 hore celebrate il 20 et 21 del mese passato, inanzi che fosse giunta Sua Altezza, et nelle seconde celebrate nel primo et 2 del presente ; son certo che io glie cavaria il fastidio che gli ho dato colli miei desiderati Jubilæi. Vorrei poterglie dire l'allegrezza che ha ricevuto Monsignor Vescovo nostro di Geneva, vedendosi ritornare nelle braccia tanti figlioli prodighi, et con quanta faticha si adopra in sì felice impresa. Vorrei poterglie dar conto della desterità, prudentia et buon animo col quale [360] Monsignor Rmo di San Paolo si è affaticato per incaminar queste conversioni et opre pie, il zelo col quale ne ha trattato et appresso Sua Altezza et in ogni occasione ; chè se crescer poteva l'amicitia che V. S. Illma tiene verso di questo Prelato, son certo che d'altro tanto crescerebbe. Lascio il Padre Cherubino, il quale è tanto consolato sin adesso, che se non fossero le fatighe grandissime che sente, crederebbe che Tonone fosse Paradiso, vedendo tante conversioni et il frutto maturo delli suoi sudori.

            Direi ancora di me che sto consolatissimo, se un rumore sparso di qua non mi desse noïa : cioè, che il Re Christianissimo vuole che nell'honorata pace fatta dalla Santa Sede fra li potentati catholici vi sia compresa la vituperosa Babilonia di Geneva. Non la posso creder, perchè l'ho per troppo disdicevole che quella terra maledetta habbia pace per mano della Santa Sede ; senza altro, assolutamente non la posso capire. Iddio ci darà nuove più grate. Ad ogni modo glie faremo guerra colle prediche, et già che ci chiamano ad una conferentia, ci [361] prepariamo a far ogni sforzo. Ma la preghiamo che il Padre Laurinio venga da Milano a concorrere con noi ogni volta che sarà chiamato ; il che, con la sua authorità, può procurare, come Sua Altezza si propone di farlo dal canto suo.

            Supplico V. S. Illma et Rma di perdonarmi l'altra volta et credere che la libertà col laquale effundo animam meam inansi di lei, non nasce senon dal vivo et candido affetto col quale io sono,

            Di V. S. Illma et Rma,

Divotissimo et humilissimo servitore,

FRANCO DE SALES,

Prasvosto di Geneva.

            In Tonone, alli 13 di Ottobre 98.

All' Illmo et Rmo Sigr mio osservandissimo,

Monsigr l'Archivescovo di Bari,

Noncio Apostolico appresso Sua Altezza.

Saluzzo.

 

Revu sur l'Autographe conserve à Rome, Archives du Vatican. [362]

 

 

            Mon très honoré, Illustrissime et Révérendissime Seigneur,

 

            L'heureuse moisson de plusieurs milliers d'âmes qui s'est faite ces jours passés dans ce bailliage de Thonon, nous a donné une consolation incroyable ; consolation qui eût été vraiment à son comble, si la lettre de Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime, reçue aujourd'hui par le P. Chérubin, nous fût arrivée en ce même temps. Mais je suis contraint de dire que Nosseigneurs de Genève et de Saint-Paul et [356] nous tous qui vous sommes dévoués ici, avions été fort étonnés et non moins affligés de ne recevoir aucune nouvelle de votre santé. Si toujours elle nous fut chère, elle doit maintenant nous être très chère, puisque nos affaires sont dans un tel état que nous avons besoin plus que jamais d'un protecteur et promoteur tel que Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime l'a toujours été à notre égard ; car du côté de Son Altesse on ne peut, on ne doit même espérer ni désirer que la continuation des œuvres très chrétiennes qu'elle a déjà accomplies. Il n'y a autre chose à demander sinon un concours actif, prompt et libéral du Saint-Siège Apostolique, afin qu'il embrasse cette entreprise du même bras favorable avec lequel il a coutume de soutenir les œuvres de Dieu. Or, si ce bien ne nous arrive par l'intermédiaire de Votre Seigneurie, je ne sais par quelle voie il peut nous venir.

            Nous avons besoin de grâces spirituelles relativement aux absolutions, afin qu'elles puissent être accordées en toute liberté à ces peuples grossiers et nouvellement convertis, non seulement par Mgr notre Révérendissime Evêque et par moi, mais aussi par tous [357] ceux qu'il sera nécessaire de déléguer à cet effet ; car pour recueillir une telle moisson un grand nombre de moissonneurs peut à peine suffire. De même encore, nous avons besoin de quelques pouvoirs qui puissent être communiqués, selon les occurrences particulières, à une ou plusieurs personnes ; et si nous n'étions pas aussi proches de l'année du Jubilé, je dirais qu'il serait nécessaire pour nous d'obtenir une année de parfait et grand Jubilé.

            C'est non seulement pour les grâces spirituelles, mais encore pour les temporelles que nous avons besoin d'un Jubilé, et ceci ne se peut différer qu'au grand détriment des consciences. Il faudrait que Sa Sainteté, conformément à la bonne intention de Son Altesse, fît restituer les bénéfices détenus par MM. les Chevaliers, aux pasteurs et ecclésiastiques qui s'établiront maintenant en ce bailliage par manière de provision. Il n'est pas nécessaire de procéder en ceci selon les formalités ordinaires qui exigent beaucoup de temps, puisque en attendant les âmes rachetées par Jésus-Christ se perdent, et il est très vrai que « le salut du peuple doit être la suprême loi. » En cela il ne faut point user de ménagements, car tout délai est un péril. Les intérêts de Jésus-Christ sont maintenant en tel état dans ces provinces, que [358] si nous pouvons donner au culte la splendeur convenable, la tête du serpent sera brisée. Malheur à qui s'opposera à une œuvre aussi sainte !

            Les Bulles par lesquelles Sa Sainteté concède aux Chevaliers de Saint-Lazare les bénéfices de cette province exigent que dans le cas où la sainte foi y serait rétablie, ils donnent à chaque curé une provision de cinquante ducats. Voici que la sainte foi est rétablie à peu près partout, mais les églises sont ruinées, sans ornements sacrés, sans calices, sans croix. Où en prendrons-nous ? Les curés que l'on aura à placer ici ne doivent pas être des personnes à cinquante ducats ; ils doivent avoir un autre ecclésiastique avec eux. Malheur à l'homme seul, surtout dans le voisinage des léopards, des ours et des loups ! Il faut même, au besoin, vendre les calices et objets précieux non nécessaires aux autres églises, pour faire ces dépenses et nourrir ces âmes affamées, qui autrement sont exposées d'heure en heure à périr, afin qu'on ne puisse pas nous appliquer ces paroles : « Vous avez tué ceux que vous n'avez pas nourris. » Je veux dire qu'il faut que Sa Sainteté, ayant égard à l'importance de cette affaire, intime des ordres pour que les Chevaliers permettent [359] que les revenus des biens donnés à cet effet par la piété et la religion de nos pères et de nos ancêtres soient employés au service de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Que la bonté de Votre Seigneurie Illustrissime veuille bien me pardonner si, transporté du désir de voir ce glorieux commencement aboutir à une fin plus glorieuse encore, je lui écris avec une si grande liberté et peut-être même trop d'importunité ; mais Votre Seigneurie, habituée à recevoir la confidence de mes pensées souvent bien mal exprimées, ne le prendra pas en mauvaise part.

            Je voudrais pouvoir et savoir vous donner la relation de ce que Dieu a fait ici pendant les premières Quarante-Heures célébrées le 20 et 21 du mois dernier, avant l'arrivée de Son Altesse, et pendant les secondes célébrées le Ier et le 2 courant ; je suis sûr que je vous dédommagerais de l'ennui que je vous ai causé par mes désirs de Jubilés. Je voudrais pouvoir vous dire la joie de Mgr de Genève, notre Evêque, en voyant revenir entre ses bras tant d'enfants prodigues, et avec quelle peine il se dévoue à cette heureuse entreprise. Je voudrais pouvoir vous rendre compte de la dextérité, de la prudence et du [360] courage avec lesquels Mgr de Saint-Paul a travaillé pour avancer ces conversions et œuvres pies, le zèle avec lequel il a traité cette affaire auprès de Son Altesse et celui qu'il déploie en toute occasion. Si l'amitié de Votre Seigneurie pour ce Prélat pouvait s'accroître, je suis sûr qu'elle s'augmenterait d'autant. Je ne parle pas du P. Chérubin, tellement consolé jusqu'ici, que, n'étaient les fatigues très grandes qu'il ressent, il croirait que Thonon est un paradis, voyant tant de conversions et recueillant en pleine maturité le fruit de ses sueurs.

            Je dirais encore de moi-même que je suis très consolé, si un bruit qui se répand de nos côtés ne m'attristait beaucoup : c'est que le roi très chrétien veut que l'infâme Babylone de Genève soit comprise dans la paix honorable faite par la médiation du Saint-Siège entre les puissances catholiques. Je ne puis y croire, car il serait trop inconvenant que cette terre maudite reçût la paix par l'entremise du Saint-Siège ; je ne puis absolument pas le comprendre. Dieu nous donnera de plus réjouissantes nouvelles. Quoi qu'il en soit, nous lui ferons la guerre par la prédication, et puisqu'on nous appelle à une conférence nous nous préparons à faire tous nos efforts. Mais, [361] de grâce, que le P. de Lorini vienne de Milan nous apporter sa coopération chaque fois qu'il sera appelé ; ce que Votre Seigneurie peut obtenir par son autorité, ainsi que Son Altesse se propose de faire de son côté.

            Je supplie Votre Seigneurie de me pardonner une fois encore et de croire que la liberté avec laquelle je répands mon âme en sa présence ne provient que de la vive et sincère affection avec laquelle je suis,

            De Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime

Le très dévoué et très humble serviteur,

FRANÇOIS DE SALES,

Prévôt de Genève.

            Thonon, le 13 octobre 1598. [362]

Minutes écrites par saint François de Sales pour Monseigneur de Granier

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CXIX. A Sa Sainteté Clément VIII. Fruits merveilleux produits par les Quarante-Heures de Thonon. — Prière d'intervenir auprès du roi de France et du duc de Savoie pour que Genève ne soit pas comprise dans le traité de Vervins.

 

Thonon, vers le 20 octobre 1598.

 

            Quam lætos atque uberes animarum fructus ex hac Gebennensis diœcæsis vinea hisce diebus perceperimus, Illustrissimi in Christo Patris Domini Cardinalis a Medices, a latere Legati [narratione,] uti spero, cognoscet Sanctitas Vestra. Cum enim hoc in oppido 40 horarum [363] oratio celebraretur, ejusdem Cardinalis Illustrissimi ex itinere et Serenissimi Ducis nostri præsentia, Deo procul dubio ita disponente, incidit, faustis admodum auspiciis, quando per idem tempus innumera hominum multitudo hæresim abjurare fidemque Catholicam amplecti statuerat, quorum pars id in ipsius Illustrissimi Legati, pars in meis manibus sancté præstitit, Serenissimo Duce quam impensissime rem totam promovente. Quæ omnia hic, quem ad Beatitudinis Vestræ pedes supplicem destinamus, fusius facillime exponet, quod omnibus rerum harum successibus interfuerit.

            At vero, dum ita fœliciter coram Domino lætamur, sicut qui lætantur in messe, sicut exultant victores capta præda quando dividunt spolia, hoc unum accidit intempestive et molestissime : nimirum Rex Christianissimus per litteras Serenissimum Ducem serio admonet, velie se ejus quam tam opportune Sanctitas Vestra, tanta totius orbis Catholici voluptate, perfecit pacis vinculo comprehendi hæresis totius Calviniana matricem et [364] fontem, Genevensem videlicet civitatem, quamvis pacis articulis, ut par erat, nulla illius mentio habeatur. Quæ res incredibilem hæreticis omnibus audaciam addit, fidei Catholicæ aditum præcludit, novissime conversos animos, si non abjicit omnino, at sane perturbat quam maxime ; mihi ac canonicis meis bonorum ecclesiasticorum recuperandorum, quæ per summam iniquitatem a Genevensibus detinentur, spem omnem funditus evellit.

            Quapropter istum Ecclesiæ meæ Præpositum, quotquot sumus hic ordinis ecclesiastici viri, quoad ejus fieri potuit celerrime misimus qui, nostro omnium nomine, ad clementis Beatitudinis Vestræ pedes provolutus, quantam res hæc, si succedat, jacturam sit allatura reipublicæ Christianæ, quamque atram tanto ac tam fœlici pacis exitui sit notam impressura, nostro omnium nomine, [365] quam humillime explicabit, ut pro sua erga orbem Catholicum, maxime vero erga hanc tot malis exagitatam provinciam, paterna clementia Sanctitas Vestra serio, tum apud Christianissimum Regem tum apud Ducem Serenissimum agat ne tanta pax sit impiis, nec ejus lætentur privilegio qui ecclesiasticam pacem tot scissuris convellere nituntur. Cui debent honorem, potius honorem, cui vectigal, vectigal compellantur reddere ; ac tum demum veniat pax super illos in virtute Domini et authoritate Sanctæ Sedis Apostolicæ. Cui Sanctitatem Vestram clementissime et beatissime insidentem, Deus optimus maximus quam diutissime servet incolumem.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy. [366]

 

 

 

 

            Votre Sainteté aura appris, je l'espère, par le rapport de l'Illustrissime Père et Seigneur en Jésus-Christ, le Cardinal de Médicis, son Légat a latere, quelle belle et abondante récolte d'âmes nous venons de faire ces jours passés dans la vigne de ce diocèse. En effet, Dieu a disposé si heureusement les choses, que ce grand Cardinal a pris [363] la route de son retour par cette ville, où il s'est rencontré avec le duc au temps où l'on y célébrait les Quarante-Heures. Une multitude innombrable d'hommes, qui avaient résolu de renoncer à l'hérésie et d'embrasser la foi catholique, ont fait leur abjuration, partie entre les mains de l'Illustrissime Légat, partie entre les miennes. L'influence de notre sérénissime duc a beaucoup contribué à ce résultat. Celui que nous députons aux pieds de Votre Sainteté, ayant été témoin de tout ce qui s'est passé, lui en fera un exposé plus complet et plus fidèle.

            Mais pendant que nous nous réjouissons heureusement devant le Seigneur comme ceux qui se réjouissent au temps de la moisson, comme se réjouissent les victorieux lorsqu'ils se partagent les dépouilles de l'ennemi, voici que nous arrive une nouvelle fort inopportune et affligeante : le roi très chrétien prévient sérieusement par lettres le duc de Savoie qu'il entend que Genève, mère et source de l'hérésie calviniste, soit comprise dans le traité de paix que Votre Sainteté a fait conclure à la grande satisfaction de l'univers catholique, bien [364] que, comme il était raisonnable, nulle mention n'ait été faite de cette ville dans les articles du traité. Cette nouvelle inspire une incroyable audace à tous les hérétiques et leur ferme l'entrée à la foi catholique ; si elle n'abat pas entièrement le courage des nouveaux convertis, du moins les trouble-t-elle grandement, et nous ôte, aussi bien à moi qu'à mes chanoines, tout espoir de recouvrer les biens ecclésiastiques que les Genevois retiennent par une souveraine injustice.

            C'est pourquoi, tant que nous sommes ici d'ecclésiastiques, nous vous avons député le plus promptement qu'il a été possible, le Prévôt de mon Eglise cathédrale qui, en notre nom à tous, se prosternera aux pieds de Votre clémente Béatitude, et lui exposera combien grand serait le dommage qu'une telle paix, si elle vient à se conclure, causerait à la république chrétienne et la tache honteuse qu'elle imprimerait à un si grand et si heureux succès. Que, selon la clémence [365] paternelle qu'Elle témoigne à toute la Catholicité et surtout à cette province agitée par tant de maux, Votre Sainteté daigne intervenir sérieusement auprès du roi très chrétien et du sérénissime duc, afin qu'une telle paix ne soit pas accordée aux impies, et qu'ils n'en goûtent point les avantages ceux qui s'efforcent de bouleverser par tant de divisions la paix de l'Eglise ; mais que plutôt ils soient contraints de rendre l'honneur à qui ils doivent l'honneur, le tribut à qui ils doivent le tribut, et que, par ce moyen, la paix vienne sur eux en la vertu du Seigneur et par l'autorité du Siège Apostolique que Votre Sainteté occupe si heureusement et avec tant de clémence, et sur lequel nous supplions le Dieu très grand et très bon de vous conserver de longues années pour le bien de son Eglise. [366]

 

 

CXX. Au même. Raisons qui ont contraint le Prévôt de différer le voyage de Rome. — Envoi des documents qui doivent être présentés à Sa Sainteté.

 

Fin 1598.

 

            Jamdudum Apostolorum limina meo nomine visitasset Reverendus Franciscus De Sales, Ecclesiæ meæ Præpositus, nisi periculosissimo morbo quo per multos menses decubuisset [impeditus fuisset,] et propter pestem in plurimas hujus provinciæ partes hactenus sævientem, aditus omnes nobis ad Italiam interclusi fuissent. Perrexit nihilominus tandem aliquando, ac superatis itinerum difficultatibus, uti spero, ad Sanctitatis Vestræ pedes accessit.

            Ac quidem, quando res propter quam abiit nullam sine summo periculo moram patiebatur, nec omnia tunc haberem præ manibus quæ visitationi sanctorum liminum necessaria sunt, ea nunc duxi mittenda, quo vices meas hac in re apud Sanctitatem Vestram agat meo nomine ; ratus Clementiæ suæ id acceptum iri, tum ut [367] difficillimo tempore quæ fieri possunt per pauciora, per plura nequaquam fiant, tum ut hic meus procurator, qui non inutilem omnino hoc in agro operam navare consuevit, variis peregrinationibus ab opere abstrahatur.

            Præcor autem Deum optimum maximum uti Sanctitatem Vestram Beatissimam Ecclesiæ suæ quam diutissime servet incolumem.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy. [368]

 

 

 

            Il y a longtemps que Révérend François de Sales, Prévôt de ma Cathédrale, aurait visité en mon nom les tombeaux des Apôtres, s'il n'en avait été empêché par une très dangereuse maladie qui l'a tenu alité plusieurs mois, et si les voies d'Italie ne nous eussent été fermées par la peste qui a affligé et afflige encore presque toute cette province. Mais enfin il s'est mis en route, et ayant, comme je l'espère, surmonté les difficultés des chemins, il a dû se prosterner déjà aux pieds de Votre Sainteté.

            Or, parce que l'affaire pour laquelle il est allé à Rome ne pouvait être différée sans un très grand danger, et que je n'avais pas, lors de son départ, tous les documents nécessaires pour un voyage ad limina, j'ai jugé bon de les envoyer maintenant, afin qu'en mon nom il rendit ses devoirs à Votre Sainteté, espérant que Sa Clémence l'aura [367] pour agréable. C'est autant pour ne pas employer plusieurs moyens là où un seul suffit dans les temps si difficiles où nous vivons, que pour donner occasion à mon procureur, qui n'a pas travaillé inutilement dans le champ du Seigneur, de se délasser par divers pèlerinages des fatigues qu'il a soutenues.

            Je prie le Dieu très bon et très grand de conserver longuement Votre Sainteté à son Eglise. [368]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Appendice

[369]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les notes marginales indiquent la corrélation des pièces de l'Appendice avec le texte des Lettres de saint François de Sales. [370]

 

Lettres adressées a saint François de Sales par quelques correspondants

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A. Lettres d'Antoine Favre

 

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I

 

Chambéry, 30 juillet 1593.

 

Viro clarissimo Francisco De Sales,

Præposito Cathedralis Ecclesiæ Sancti Petri Gebenensis,

Antonius Faber, Senator, salutem dicit.

 

            Est omnino virtuti hoc insitum et peculiare, vir clarissime, ut possessores suos non illis tantùm quos et ipsa possidet, sed iis quoque omnibus quibus amabilem se exhibet, sola sui contemplatione et admiratione reddat amabiles. Sic enim præfari lubet, non quomodo plerique solent, qui cùm primùm eos quos numquam viderint aut coràm aut per literas salutant, ab excusationibus initium sumunt, ac si vel suspecta minusque laudabilis videri possit honesta illa ineundæ amicitiæ provocatio, vel in eo quod per se honestum atque laudabile sit exequendo, aliam quàm debiti officii rationem exquiri constareve oporteat.

            Tu vixdum equidem mihi de facie notus, sed nominis tui fama pro singulari qua excellis virtute, probitate ac eruditione notissimus, tanta me fruendi tui cupiditate allectum devinctumque habes, ut jam inde à quo tempore mihi ad eadem ista bonarum literarum et jurisprudentias studia, licet minus feliciter, incumbere contigit, de amando te et observando non tantùm consilium cepisse videar, sed [371] etiam obligationis perpetuæ vinculum contraxisse. Neque tamen id à te sic accipi velim, quasi in me vel singula et mediocria esse putem quæ in te universa sunt ac absolutissima, sed ut intelligas et morum et animorum similitudinem quæ ad conciliandas inter ignotos quoque amicitias plurimùm posse creditur, in eo etiam interdum elucere, in quo disparia sint omnia præter unam eandemque similia consectandi voluntatem.

            Nam quod iis usu venire solet qui longiore absentis aut defuncti alicujus desiderio torquentur, ut ea demùm ratione recreari se sentiant, si non solum amici memoriam diligenter et religiosè, ut par est, colant, sed etiam exactissima naturæ imitatione, quantùm arte effingi potest, ejus quasi præsentis imaginem oculis suis intuendam objiciant, id ipsum nobis, quotquot ad virtutem contendimus, faciendum existimo ; ut quoniam admirabilem ejus pulchritudinem, qualis quantaque est, ne animi quidem cogitatione assequi possumus, eos saltem nobis ad amandum et imitandum proponamus in quibus vivam illa sui effigiem elegantioribus et aptioribus, ut ita dicam, coloribus depinxerit. Ita namque fit ut ad ejus cultum studiumque vehementiùs accendamur, quam oculis si cernere possemus, proculdubio longè vivaciores prorsùsque mirabiles sui amores in animis nostris excitaret. Nec enim malè quis, judicio meo, præclarum hoc encomium virtuti adscribat, jam olim à divino illo Platone soli attributum sapientias, quam utique sapiens nemo unquam à virtute sejunxit.

            Ego sanè, quamquam id mihi semper enitendum credidi, ut boni cujusque amicitiam quibus possem officiis et obsequiis promerêrer, nihil tamen facio libentiùs quàm ut totum me, quantulus sum, iis dedam ultroque voveam quos mihi persuadeo sic natos et educatos esse ut ab iis consilii, doctrinæ et, quod in re ardua laboranti præcipuum est, boni exempli adjumenta comparare possim.

            In quibus si te unum esse dicam, qui hodie mihi instar omnium esse possis, in ista præsertim vixdum virili ætate, in qua tot tantaque virtutum ac scientiarum omnium, non argumenta modò sed clarissima lumina proferas ut à quo superari in posterum queas alium quàm te habeas neminem, vereor ne adulatorem me potiùs quàm probum amicitiæ Fabrum suspicêre. Non quod non sis tu tibi ipsi mihique testis optimus, nisi tua te fallit modestia, majorem tibi laudem deberi quàm ex commendatione mea possit accedere ; sed quia minus fortassis credibile tibi futurum sit tale jam meum de te judicium esse quale esse deberet, si mihi tam perspecta probataque foret virtus tua quàm frequentissimis omnium quos de te loquentes audio sermonibus est commendata. [372]

            Itaque quod superest, ne longiori epistola fiât importuna salutatio, rogo te et, si pateris, etiam atque etiam peto, ut hanc perexiguam quidem, sed promptissimam et liberalem singularis meæ erga te voluntatis significationem sic excipias, tanquam ab eo profectam à quo omnia devotissimi et amicissimi hominis officia, non tam expectare debeas quàm pro jure et arbitriotuo, quoties videbitur, vindicare.

            Esset quidem honorificentius mihi, et optabilius, jam amari abs te, SI merêrer ut hoc ipso merêri me intelligerem ; sed erit jucundius, fortassis etiam gloriosius, si ob eam causam amari me post hac intelligam, quôd prior ego te tuique animi dotes eximias amaverim. Nam et plus præstat qui prior amat, et in præclaro isto et laudabili contentionis genere ex quo suavissimam sibi quisque speret victoriam, priorem vinci vincere est. Sic fiet ut plus tu mihi debeas quàm ego tibi ; sed plus ego vicissim virtutibus tuis quàm tu meis, si tamen is ego sum qui meas possim ullas dicere.

            Benè vale, vir clarissime, et me ama.

            Ex urbe Chamberii, 3 calend. Augusti 1593.

A Monsieur

Monsieur De Sales,

Prevost en l'Esglise Cathedrale de Sainct Pierre de Geneve.

 

Revu sur l'original conservé à Annecy, Archives de la Société Florimontane.

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II

 

Octobre 1593.

 

            Ais velle te à theologia impetrare facultatem ad jurisprudentiæ sacra, quæ superiore biennio intermisisti, quodam postliminii jure repetenda. Quo nomine non solùm mirabiliter gaudeo, sed etiam, si tua causa id facis, ut facere debes, et tibi et jurisprudentiæ gratulor : tibi, cui amplissimam gloriæ messem ex eo consilio paratam esse prospicio ; jurisprudentiæ, quam mira ingenii tui felicitate ornatam maxime et illustratam iri confido si, quod facturum te non dubito, ad eam sic voles incumbere ut quæ te prior disciplinæ suæ alumnum habuit, ejus laudem cum tua putes esse conjunctam. Sin ut ais, et ego ut mihi magis placeam credere volo, mea potiùs causa et quoniam ita suadeo idipsum facere voles, equidem perinde gratulabor jurisprudentiæ, cùm jam sic affectus esse debeam ut in eo quôd mea causa facies, non minorem quàm si tua diligentiam et industriam collaturum te persuasum habeam ; sed mihi potissimùm, cui tam [373] præclara ista tamque facilis obtigerit benè de jurisprudentia merendi occasio, vel hoc solo quôd te induxerim uti de ea benè merereris.

            Utcumque verô sit, est quôd quantas possum tibi referam gratias, qui meis sive precibus sive consiliis tantùm indulgere te profitearis ut studiorum tuorum legem ex arbitrio meo non solùm instituere, quod esset facilius, sed etiam institutam et compositam immutare non recuses. Ego certè ad sancta mutuæ necessitudinis nostræ fœdera constringenda adeo pertinere arbitror uti studiis iisdem exerceamur, ut, ni tu mihi hac parte prior concessisses, fuerim fortassis, dum per Senatum et uxorem licuisset, theologiam pro jurisprudentia sequu turus.

            Sed extra jocum, placere tibi imprimis theologiam nec miror nec doleo : est enim propria illa et peculiaris illorum scientia quos Deus optimus maximus, non tam ad amplissimas quasque Ecclesiæ dignitates, quas jam tibi sua spontè obvias video, quàm ad pietatem informaverit, cujus te gravissimum et sanctissimum, non nomen, sed numen præcipuo cultu habere certô scio. Atque utinam eadem mihi quas tibi in eam rem opportunitas adesset ! non voluntas, mihi crede, abesset, non animus. Neque tamen despero quin, si quando una nos vivere et securiore plenioreque otio frui Deus volet, et exemplo et auxilio tuo, theologiæ quoque degustandæ desiderium non parvum subeat, quo jampridem titillari me sentio, in eaque, ut in Domino mori discam, qui Christianæ vitæ scopus esse debet, tandem aliquando consenescam.

            At cùm neque Spartam quæ mihi divinitùs data est deserere ultro debeam, neque à meipso tanto abesse intervallo ut, qui vel soli jurisprudentiæ imparem me video, theologiæ etiam amplectendæ temerarios spiritus sumere velim, planè conveniens est, ea mihi interim studia præcipuè et in amoribus et cura esse sine quibus nec officii mei nec dignitatis ratio satis recta constare possit, Tu verò longè beatior, qui, in ista potissimùm ætatæ quæ, ut ais, restitutionis beneficium admittere adhuc posset, jam consecutus sis, ut et utramque scientiam, et tua et utriusque dignitate, capessere possis, si voles, et velle debeas, quia potes.

            At hic videor mihi videre hæsitantem te, quænam illa conditio sit quam admisi : « Si una nos vivere Deus volet. » An fortassis quôd eventurum sperem ut in sanctissimo illo vestro collegio canonicatum brevi ambiam, et liberalitate vestra tuaque præsertim authoritate adipiscar ? Sed à dilectissima conjuge prius impetraverim ut mortem optet et oppetat, quàm ut id patiatur.

            Quid ergo ? Ad nostrum ego te, ad nostrum, inquam (vereor enim ne non exaudieris), collegium voco, et quanta possum contentione [374] hortor ut senatoriam dignitatem, non jam ambias, sed summis meritis tuis tam honorificè novoque exemplo oblatam alacriter suscipias, præsentemque urgeas occasionem : non quôd verendum sit, si te respicis, ne invitum te unquam effugiat, sed ut tantò longiores dulcioresque dignitatis tuæ fructus percipias, cujus nec minima pars illa futura sit quôd, in tanta rerum omnium perturbatione tamque perdita temporum conditione, tam citô vereque dignus habitus sis qui ad eam promovereris.

            Quid verò esse potest quôd te remorari aut ad cunctandum movere debeat ? An non et Episcopos et Abbates habemus, et, ut de re judicata præscribam ne dubitationi locus relinquatur, nonne ipsum quoque Ecclesiæ vestræ Præpositum, decessorem tuum, virum clarissimum, mihique præ cæteris omnibus, nescio quo bono fato, familiarissimum, eumdemque Imperatorem et theologiæ deditissimum, senatorem habuimus ? An non et sacerdotes sumus, et sacrosancta divinarum et humanarum rerum mysteria tractamus ? An non denique et breviarium (si inter seria jocari me pateris), quoties in secreto auditorio lites ex breviario, recitamus ? Quid autem vel tibi gloriosius, vel amplissimo ordini honorificentius, vel denique bonis omnibus optatius, quàm inter eos te sedere, quorum dignitas tibi communis, et illustriorem tuam reddere et ex tua accessione illustrior ipsa fieri possit ?

            At revocaret te, inquies, ea functio ab institutæ vitæ studiorumque ratione, Imô admoneret potiùs, quamquam admonitione nulla eges, uti teipsum et tibi et nobis semper ad imitandum proponeres, et quibus studiis eam tibi pietatis et sçientiæ famam comparasses quæ tante dignitatis materiam peperisset ea perpetuò sectareris. Nec erit tibi difficiliùs à Principe et Senatu quàm ab ipsa jurisprudentia impetrare, ut et potiores et quantas voles theologiæ boras largiare. A me etjam, quem in eo pertinaciorem contradictorem vereri deberes, idipsum te facilè impetraturum recipio ; quippe qui nimis feliciter et cùm jurisprudentia et mecum actum putabo, si te aliquando senatorem et, ut voluntatis ita dignitatis communione, fratrem dicere potero.

            Et verò, si tantùm mihi tribuis ut, quia sic volo, jurisprudentiam, cui repudium mittere cogitabas, in gratiam recipere paratus sis, quidni ea quoque tibi persuaderi patiare, quæ sunt prorsus çonsequentia, et tibi longè magnificentiora, mihi jucundiora, ipsi quoque Reipublicæ, cujus præcipuam rationem semper haberi æquum est, utiliora ? [375]

            Non te hortor ad vanam illam gloriam, quam à te tantùm abesse scio quantùm à Christiano pioque viro, ad veram gloriam nato, abesse debeat, quæque, etiamsi ex hominum existimatione aucupanda esset, sequi tamen, non appeti deberet : sed hoc unum contendo, nihil esse quod tu, vel tua vel mea vel denique publicæ utilitatis causa, libentiùs concedere et præstare debeas ; quo magis mihi sperandum est, non commissurum te uti minorem dignitatis tuæ quàm voluntatis rationem habuisse videaris…

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III

 

Chambéry, 30 novembre 1593.

 

Amplissimo viro Francisco De Sales, Præposito Ecclesiæ Gebenensis,

Antonius Faber salutem dicit.

 

            Mihi verò jam longior ista cessatio videbatur ; neque tamen tam eo nomine molesta quùd nullas ad me literas mitteres (quamquarn hoc ipsum esset molestissimum, nisi vel ex eo maxime cognoscerem quod malo, gravioribus te intentum studiis ocio minùs abundare) quàm quia subvereri inciperem ne quid adversi vel tuæ valetudini accidisset vel meis literis, quas Octobri superiore, cùm apud Sebusianos meos feriarer, binas ad te longissimasque exararam. Quas enim proximè dedi viro clarissimo D. Rogeto, senatori nostro, et ut video gaudeoque, utriusque nostrum amantissimo, ut pro sua erga me benevolentia perferri ad te curaret, eas tibi redditas esse certò scio.

            Peropportunè autem anxio mihi obtigit adventus D. Porterii, viri optimi mihique jam inde à multis annis cogniti ; qui primo statim congressu rogatus à me quàm benè haberes et num quid à te literarum, respondit valere te optimè, literasque pro salutatione missurum fuisse confirmavit, si non eodem fere instanti ab urbe fuisset tibi decedendum. Utrumque sane quàm fuit, ut esse debuit, jucundissimum, sed hoc mihi ad plenam defuit voluptatem quòd de prioribus meis literis intelligere nihil potui ; quæ si aut interceptæ essent, aut, quod vix credo, deperditas, ferrem equidem gravissimè, et eo penè animi affectu quo ferre soleo illa ipsa quæ ad publicam jacturam pertinent.

            In quo si me tu minus verecundum putas, ne dicam impudentem, qui tantùm mihi arrogem ut magnum aliquod Reipublicæ detrimentum illatum existimem si eas non acceperis, scito non tanti me nugas et ineptias meas facere, nisi quoniam et ad te scriptas fuerunt et [376] de re ad publicam, ni fallor, utilitatem spectante. Priores illas intelligo, quibus ego te tam enixis multisque rationibus ad senatoriam dignitatem quæ tibi delata est capessendam cohortabar. Neque enim magis publicè referre arbitror ut te senatorem omnes videant, quàm mea interesse ut qui videbunt sciant quantùm mutuo amori nostro indulseris, qui meis potissimum, sive precibus sive consiliis, persuasus sis, ut in hanc tam præclaram de Republica benè merendi occasionem traduci te paterêre. Itaque mihi gratissimum erit si me ab hac suspicione et dubitatione liberaveris, sed longè gratius (non enim dimittam te donec benè dixeris mihi) si voluntatem tuam à judicio meo nihil discrepare testaberis, deque eo interim, ut desideria mea spe aliqua sustentem, aliquid ad me, si lubet, rescribes. Igitur tuas literas expecto.

            Benè vale, mi amicissime, meque, ut facis, ama.

            Datum Chamberii, pridie calend. Decembris 1593.

A Monsieur

Monsieur De Sales,

Prevost en l'Esglise Cathedrale de St Pierre de Geneve.

A Necy.

 

Revu sur l'original conservé à la Visitation d'Annecy.

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IV

 

Chambéry, 11 décembre 1593.

Clarissimo viro Francisco De Sales, Ecclesiæ Gebenensis Præposito,

Antonius Faber salutem dicit.

 

            Siccine igitur te mihi tamdiu sors nostra invidebit, measque illudet expectationi ? At, inquies, multùm distat à longissimo tempore mensis unus. Imò verò mensis hic, si mihi credis, annus est qui in sequentem annum incidat, aut potius anni plures, apud me quem incredibile videndi tui desiderium sic accendit ut ipsas etiam horas penè singulas pro mensibus numerem, et invita quoque natura, ne dicam astrologia cujus planè sum ignarus, toto hoc hyemali solstitio dies noctibus factas putem longiores. Quando tamen ita res fert, volo ego mihi quoque ipsi illudere, et in longioris augurium felicitatis accipere si te in anni principio quàm si in fine videbo ; quamquam si quæ mihi, quod nondum despero, ad te citiùs convolandi nascetur occasio, non ero tam superstitiosus ut non malim incipere à fine : quod prudentiores, ex vulgari sapientiæ præcepto, scis facere debere. [377]

            Intereà expecto avidè literas illas quas brevi, bono, ut loqueris, argumento, scripturum te fuisse insinuas. Nihil enim est quod commodius facere possis, ut dulcissimæ consuetudinis tuæ suavitatem, quam toto animo jam amplector et deosculor, etiam desiderando sentiam, præsertim cùm excellens quoddam argumentum illud fore necesse sit, si tu minus bonum istud vocas quod posterioribus his tuis literis causam dedit, nisi fortè ad id respicis quod litium odio et execratione, ut arbitror, inverecundus tibi et importunus videare, si pro inverecundo et importuno isto litigantium hominum genere me interpelles.

            Quod si ita est, patere, obsecro, me in hoc uno à te dissentire : non quoniam ea me ratio litigatoribus asquiorem faciat, quòd inter eos et in mediis litium anfractibus assiduè versari me sit necesse (tantò magis enim odisse deberem, cùm vel pulcherrimarum rerum oblectatio satietate sordescat), sed quia multùm iis debere me sentiam qui, ut mihi per te commendentur, literas ad me tuas deferre volent. Quid enim jucundius habere possim, quàm si ex his veluti testationibus intelligam perspectam esse quàm plurimis cunjunctionem nostram, nec minus exploratum quantùm me ames quàm illud etiam quanti ego vicissim te faciam ?

            Itaque agam iis gratias tùm maximè cùm importuni tibi videbuntur, petoque à te ut mea saltem causa eos in posterum ames, tanquam peropportunos amicitiæ nostræ nuncios et tabellarios. Faciam si potero ut ad te redeant testes animi erga te mei, easdemque tibi gratias referant quas à me acceperint, cùm sic habitos se videbunt ut negare non possint præcipuum apud me pondus commendationem tuam habuisse.

            Jam verò de patruelis tui causa, quam mihi commendas verecundiùs cùm pro tuo in me imperio jubere potiùs debuisses, jam audieram quæ perorantes in publico auditorio advocati in utramque partem disputaverant, et procurator Chappa, ejusdem litis correus deque toto negotio adprimè instructus, mihi omnia diligenter explanavit. Sic, obseçro, tibi persuade, in iis omnibus quæ tu me præstare voles, id est, ut teipsum interpretari video, quæ salvo pudore et officio præstari ab amicissimo viro possunt, non magis me tibi tuisque familiribus quàm mihi defutprum. Amicissimus mihi est, quisquis amici mei se amicum probat. Neque facilè fero rigidos istos Catones, qui apud probum judicem nullum amicitiæ aut commendationi locum relictum volunt. Sunt enim nonnulla quæ vel à severissimo judice amicus flagitare honestè ac pro suo jure possit, quale illud imprimis ut bonam amico causam judex optet ; quod ipsum non parvi momenti est ad impetrandum ut, si revera sit bona, [378] defendatur pertinaciùs, nec tam facilè per imperitiam aut timiditatem deseratur. Cætera taceo quæ quotidie experiuntur, qui inter amicos et cognitos litigatores judicandi munere sic funguntur, ut neque amicitiæ desertores videri velint, neque improbiores fieri ut amiciores videantur. Quid enim amicitiæ tam contrarium quàm improbitas ?

            Facis tamen tu injuriam, non probitati meæ, sed necessitudini nostræ et, si dicere audeam, existimationi, qui ad me ita scribis quasi existimes Salesios ullos, quicumque tandem illi sint, nedum patrueles tuos, aliqua egere apud me commendatione. Sed me ab hac ego injuria non improbè vindicabo, et quibus officiis potero enitar ut se mihi commendatissimum fuisse gloriari possit, non quia fuerit per te commendatus, sed quoniam is sit quem, cùm ex tuis esset, hoc ipso mihi commendare non debueras quòd aliis minùs tuis commendare illum pro officii necessitate debuisses.

            Benè vale, mi amicissime, et me, ut facis, ama.

            Datum Chamberii, 3 id. Decembris 1593.

A Monsieur

Monsieur de Sales,

Prevost en l'Esglise Cathedrale de Sainct Pierre de Geneve.

A Necy.

 

Revu sur l'original conservé à la Visitation d'Annecy.

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V

 

Chambéry, 20 décembre 1593.

 

Clarissimo viro Francisco De Sales, Ecclesiæ Gebenensis Præposito,

Antonius Faber salutem dicit.

 

            Ego verò non solùm non misereor, sed etiam planè mihi gaudeo tibique ex animo gratulor, de tam excellenti ista sacerdotalis dignitatis accessione. Gratularer ipsi etiam dignitati si ad vulgare aliarum exemplum accomodari eam posse crederem. Nam in cæteris et amplissima et propemodùm singularis veræ gratulationis materies illa esse solet, si quantùm ex dignitatis acquisitione novo possessori laudis tantùm vicissim ex possessoris laudibus commendationis dignitati possit accedere ; in ista verù nimjs impudens sim adulator si te, præsertim repugnantem, eum esse dicam ex cujus meritis possit illa dignior fieri et illustrior. Etsi enim quæcumque probitatis, pietatis et eruditionis exempla ab homine ullo vel singula sperari [379] possunt ea scio expectari à te debere universa, quis tamen mortalium tantis misteriis pro dignitate exequendis par esse queat quibus ipsi quoque immortales, ut sanctè vereque profiteris, omnino sunt impares ?

            Sed tamen non potest ea res facere quominùs tibi gratulandum putem, quamvis ita me affectum esse deceat ut in quo salutis tuæ periculum versari dicis, perinde ego debeam ac tu ipse laborare. Illa enim me ratio consolatur quæ tibi per modestiam tuam fortasse minùs perspecta est : quòd ad functionem istam probè capessendam dignitatis tantùm adferas quantum humanæ condicionis imbecillitas patiatur, nec quicquam causæ sit cur in eo officio, quod tibi cum tot sanctissimis viris commune esse voluit idem ille Deus optimus maximus quem tu ut debes suspicis et vereris, prascipua quadam solicitudine angi velis ; nisi fortè hominem te natum pudet, cui nec satis esset humanam condicionem cum angelica commutasse ut tanto muneri obeundo sufficere (quomodo theologos tuos loqui audio) ex condigno posses.

            Te tamen maximè commotum esse, ut scribis, non solùm patior libentissimè sed etiam lætor. Est enim id præclarum eximiumque argumentum et amoris tui erga Deum maximi et observantiæ, quando nec aliter Deum amare nobis concessum est quàm timendo tremendoque, nec sacrosanctæ religionis nostræ arcana sublimiùs venerari quàm enitendo, quoad ejus facere liceat, ut quæ ne animi quidem cogitatione assequi possumus, verecundo saltem silentio et admiratione prosequamur. Est omnino, ut scis, Divinæ Majestatis hoc proprium, ut tum maximè amari se intelligat cùm timetur, agatque nobiscum tam liberaliter, ne dicam humaniter, ut timorem nostrum pro amore habeat et, quod est consequens, humilitatem pro dignitate. Longè aliter quàm seculi principes facere soleant, qui cùm amari sine timore possint, timeri tamen quàm amari malunt ; unde illud etiam fit ut suorum metum pro odio nec abs re habendum existiment.

            Atque utinam plerosque in consimili causa tui simillimos haberemus. Non essent in sanctissimo sacerdotum ordine tam multi qui, pròh indignissimum facinus lachrymisque sanguineis expiandum ! ad ambiendum sacerdotium tam inconsiderato ferrentur impetu, idque assecuti tam irreligiosè tractarent ut dici nihil possit indignius. Putes aut nescire eos quis Ille sit quem quotidie habent in manibus, aut non satis compertum habere nihil sacerdotio majus ac divinius à Deo optimo maximo mortalibus datum esse. Sed quamquam ita est, nolim tamen sic te commoveri ut perturberis, nisi ea fortasse perturbationis specie quæ divinæ gratiæ nuntia esse solet, quamque [380] piorum animis tunc præcipué Deus inserit cùm cœlestes planeque divinas iis parat consolationes. Sic Beatissimam Virginem in Angeli sermone turbatam legimus cùm cogitaret qualis esset salutatio ; sic diloctissimos Apostolos in Transfigurationis fidem testes adscitos cecidisse in facies suas, cùm ad æternæ felicitatis præmia gaudiaque jamjam delibanda essent invitati ; sic denique mulieres sanctissimas cùm ad sepulchrum Domini venissent expavisse, viso Angelo qui tam optatum gloriosissimæ Resurrectionis nuncium adferebat.

            Ac sanè quid esse potest quod te tantopere debeat conturbare ? An humanæ naturæ infirmitas ? An non verò et hominem te nasci Deus voluit et homines illos esse per quos juge illud tremendumque sacrificium offerretur ? An ergo indignitas tua cum sacerdotii dignitate collata ? At hoc ipso dignum te facis quod indignum esse agnoscis, nec tuæ est pietatis tam inverecunda verecundia obsistere ne quò te Deus vocat trahitque ultrò evehi patiare. Gaude potiùs quòd non cum terrestri principe tibi res est, qui quos ad dignitatem aliquam immeritos provehit sic ornare nequeat ut ex imperitis eruditos faciat aut ex balbis oratores ; sed cum Deo illo cui non sit difficilius dignum te sacerdotali dignitate facere quàm dignitatem ipsam conferre. Idem enim ille est à quo evasit disertissimus qui legationem imperanti responderat : A, a, Domine, nescio loqui. Idem ille per quem tam sanctus fortisque Rex factus est qui anteà non nisi belluis imperare didicerat. Is ipse denique, ne cætera congeram quæ mihi ex officina tua petenda essent, cui inculta piscatorum simplicitas pro sapientia fuit ad profligandam philosophorum insaniam.

            Quare cùm ad istam omnium optimam vitæ rationem sis vocatus, tanquam Aaron, in eoque proprium habeas conscientiæ tuæ testimonium (taceo enim, quod sciunt omnes qui te norunt, quot quantisque difficultatibus impediri poteras ne tam sanctum institutum susciperes aut in suscepto eo perstares nisi te solus divini amoris ardor inflammasset), quid aliud optandum tibi aut faciendum restabat nisi ut vero nostro Aaroni sacerdotem te exhiberes secundum ordinem Melchisedech ?

            At ridiculus planè sum qui theologum ago, leviaque hæc mitto ad te cui longè preciosiora domi nascuntur ; quamquam ut ineptire audeam cogis tu qui, in tanta celestium beneficiorum abundantia quantam tibi jam obtigisse credendum est, non solùm participem me habere vis consiliorum tuorum et, quod amicius est, intimiorum (sic) affectuum, verum etiam adjutore met quasi consolatorem. In quo etsi nihil me præstare posse sentio quod vel tua erga Deum pietate vel mea in te voluntate dignum videri debeat, putavi tamen faciendum uti quantum in me esset animum tibi declararem meum, ut intelligeres [381] si quantum tibi me hoc nomine pro tanta benevolentiæ significatione debere agnosco, tantundem referre possem non magis voluntatem mihi quàm facultatem defuturam. Igitur, quod facere et possum et debeo, non te hortabor ad istam dignitatem sic tuendam tractandamque ut appareat dignitatis functionem tibi cum multis communem esse functionis verò dignitatem cum paucis (neque enim tu is es qui moneri aut excitari debeas), sed illum ipsum Christum qui sacrificator tecum erit supplex orabo, ut qui tam sancti propositi autor fuit idem sit et adjutor perpetuus et remunerator, tantæque pietatis fructus in dies tibi præstet uberiores et cumulatiores, in annos longissimos sola æternitatis commutatione finiendos.

            Videbo te, ut spero, propediem et, si me nihil fallet, tam opportunè fortassis ut primis sacrorum tuorum solennibus adesse possim. Quod si accidet, non tantùm in felicitatis tuæ partem venisse me putabo, verùm etiam pro animorum nostrorum conjunctione felicitatem tuam quanta tota erit in me transfudisse si non invidebis. Invidendi verò causa non suberit si cogitabis eodem prorsus jure quæcumque mea erunt tibi etiam fore communia. Itaque me expecta, et benè vale.

            Datum Chamberii, 13 calend. Januarii 1594.

            His jam scriptis accepi literas à Girardo nostro quibus mirum in modum et gratulatur sibi et agit mihi gratias de singulari tua erga se voluntate. Quantum autem tibi debere putet, etsi pluribus ad me scribit, malo tamen ex ipsius te literis quàm ex meis cognoscere. Iterùm vale, mi amicissime, et me ama.

A Monsieur

Monsieur De Sales,

Prevost en l'Esglise Cathedrale de Sainct Pierre de Geneve.

A Necy.

 

Revu sur l'original conservé à la Visitation d'Annecy.

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VI

 

Chambéry, 31 mars 1594.

 

Fratri dulcissimo Francisco De Sales, Ecclesiæ Gebenensis Præposito,

Antonius Faber salutem dicit.

 

            Silentii mei votum, ut ego nunc quidem agnosco, improbum fregit lectio tuarum literarum, ex quibus cognovi in tanta ista taciturnitate [382] nihil minus quàm tacendi animum te in votis habuisse. Itaque rescribo ad te, ut intelligas id unum mihi votum esse foreque perpetuum, ut voluntates et actiones meas omnes ad exemplum tuum accommodem.

            De Tullianorum negotio quod habes, gratiam facis tu liberaliter, qui in beneficiorum loco ponis officia quæ à me sine scelere prætermitti non potuerunt. In Millierei causa feci quod impræsentiarum fieri potuit, curaboque in cæteris omnibus ut commendationis tuæ memoriam sentiat apud me manere alta mente repostam.

            De mea ad vos profectione nihildum habeo constituti, sed si quid me morabitur, tuum erit quam mihi jam pridem dedisti fidem præstare et ad nos venire ; hic enim videre te quàm Necii malo.

            Intereà benè vale et in Christo lætus sanusque vive.

            Ex urbe et ex tempore pridie calend. Aprilis 1594.

A Monsieur et Frere,

Monsieur De Sales,

Prevost en l'Esglise Cathedrale de Sainct Pierre de Geneve.

A Necy.

 

Revu sur l'original conservé à la Visitation d'Annecy.

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VII

 

Chambéry, 2 septembre 1594.

 

Fratri suavissimo Francisco Salesio,

Ecclesiæ Gebenensis Episcopo et Principi designato,

Antonius Faber salutem dicit.

 

            Benè vale, Frater dulcissime, suavissime, mellitissime, iterum atque iterum vale. Jamjàm ad te advolo, quando terrestre iter in tanta imbrium abundantia nullum superest. Non possim ad te aut scribere breviùs, aut ire citiùs. Ego valeo ; benè est si vales. Iterum ergo, tu, cum Salesiis tuis Salesianisque omnibus, benè vale.

            Ex urbe, 4 non. Septembris 94.

            Ad literas tuas quia non rescribo, quàm primùm ex ore respondebo.

A Monsieur mon Frere,

Monsieur De Sales,

Prevost de l'Esglise Cathedrale de Sainct Pierre de Geneve.

A Necy.

 

Revu sur l'original inédit, conservé à la Visitation d'Annecy. [383]

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VIII

 

Bonneville, 27 septembre 1594.

 

Fratri dulcissimo Francisco De Sales, Ecclesiæ Gebenensis Præposito,

Antonius Faber salutem dicit.

 

            Nihildum habebam quòd ad te scriberem, Frater dulcissime, cùm hæc mihi tam præclara sese obtulit scribendi occasio, nisi hoc ipsum quòd nihil habebam. Cur enim certiorem te faciam quantum ex absentia tua mœroris contraxerim ? Id ita futurum esse, et ego jam tibi prædixeram, et tu, etiam tacente me, credere non solùm potes sed etiam debes.

            Nebulones istos Deus malè perdat si diutiùs in tenebris versabuntur, quarum fugandarum gratia lux mihi mea erepta est ! Quamquam id ipsum est quod me maximè consolatur, quòd de præclaris tuis conatibus tam benè spero quàm qui optimè, nec dubito quin tuam et industriam et diligentiam, sed præcipuè pietatem, Deus optimus maximus sit fortunaturus.

            Mitto ad te versiculos quibus ex itinere in hæreticos seriò jocatus sum ; si e re videbitur ut eos Baroni nostro legendos exhibeas, non recuso. Sed illud etiam à te peto, ut emendes quæ putabis et elegantiùs scribi potuisse et argutiùs ; vellem enim dignos fieri qui ubique gentium legerentur ac insculperentur. Prætermittebam quòd scire te non nihil interest, quamquam nec erit novum : hodie, si Deus volet, senator noster D. Rogetus, qui te salvere et bono animo esse jubet, mecum ad parentes nostros Salesium versus proficiscitur. Rem faciemus, ut confido, parentibus gratissimam, mihi verò tanto jucundiorem quanto suaviorem apud vos experiar, non tantùm nominis tui recordationem, sed ipsam quoque penè expressam in materna facie vultus tui imaginem.

            Benè vale, Frater dulcissime, et me, ut soles, ama.

            Ex Bonavillano oppido, 5 calend. Octobris 1594.

Monsieur mon Frere,

Monsieur De Sales,

Prevost de l'Esglise Cathedrale de Sainct Pierre de Geneve.

A Chablaix.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation. [384]

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IX

 

Annecy, 10 octobre 1594.

 

Fratri dulcissimo Francisco Salesio,

Ecclesiæ Gebenensis Præposito et Pontifici designato,

Antonius Faber salutem dicit.

 

            Nequedum habui, Frater charissime, cui poterim literas ad te dare neque occurrebat ferè quod scriberem. Nam quæ de sacrosancti Episcopi nostri optimorumque omnium gratulatione scribi possunt, ea tu et reputare tecum pro prudentia tua debes et ex consobrini tui fidelissimi relatione jam cognoscere potuisti ; quæ verò proprie mea sunt, id est, quàm ex absentia tua dolorem capio, etsi non ab alio quàm à meipso te intelligere æquum est, vereor tamen ne videar importunus si hanc amoris erga te mei significationem adferam, quæ tam insigne pietatis tuæ officium aut quam ex officio percipis voluptatem incommodè interpellet.

            Illud scito in summa omnium expectatione esse quid præclarus iste conatus enixurus sit ; non quòd quisquam verendum existimet ne tu ea omnia præstare non possis quæ ab eximio et omni ex parte præstantissimo viro expectari debeant, sed quoniam tibi cum eo genere hominum res est ut verendum sit potiùs ne, cùm omnia præstiteris, margaritas ante porcos sparsisse videaris. Itaque, sic plerosque omnes affectos video : ut si feliciter res cedet, laudatores habiturus sis etiam improbos et perditos viros, non laudandi tui studio vel impetu elatos, quod esset infamiæ proximum, sed virtutis veritatisque viribus fractos ; sin, quod abominor, aliter eveniet, boni sanè conatum laudabunt nec nisi hæreticorum insaniam accusabunt, pessimi temeritati tribuent quòd industriæ potiùs et charitati Christianæ acceptum ferre deberent : omnes planè fatebuntur, neque animum tibi defuisse ad audendam rem maximam neque ingenium ad agendam, sed seculi potiùs felicitatem ad peragendam. Nec ullos ferè puto tam iniquos bonarum rerum et alienæ solertiæ æstimatores, ut non plus tibi laudis ex propria industria quàm opprobrii ex aliena infamia accedere debere existiment.

            Me hoc unum malè habet quòd parentem nostrum optimum de tua salute adeo anxiè laborare animadverto, ut vix persuaderi à me [385] possit nullo te ingeri periculo, ac ne quidem (sic enim existimo) ulla periculi suspicione. Confirmo tamen, quantum in me est, et bono animo esse jubeo, id sæpissime adseverans, de quo te non puto dubitare, numquam me abs te discessurum fuisse si quam tibi vel minimam suspicandi periculi causam relictam existimassem.

            Ego te proxima ut spero hebdomade videbo, et ut patri tuisque omnibus restituam, dabo operam ut successorem habeas Spiritum Cappucinum, jamjam hunc venturum, et si qui alii erunt (neque enim adhuc exploratum habeo) quos Episcopus noster in locum tuum substituere volet. Te interim valere et bono animo esse cupio ; nam si juberem, vereor ne tu me gallicè potiùs quàm latinè locutum putares, quasi prudentiæ et constantiæ tuas diffiderem, quæ mihi omnium maximè est explorata. Quid tamen hactenus profeceris, aut in posterum profici posse speres, vellem jam ex tuis literis intellexisse ; gratissimum erit si quod tuo commodo facere poteris nonnihil ad me de eo rescribes ; versor enim in maxima animi, non solùm anxietate sed etiam perturbatione, non tam quòd hinc absis, quàm quia tibi adesse non possim, tecumque et diligentiæ et periculi societatem inire, ne alioqui leoninam contraxisse videar, si nulla laboris et incommodi parte suscepta laudis tuæ particeps fieri velim.

            Mitto ad te Locatelli nostri literas, tui meique amantissimas, ut quando aliter non possum amicissimi fratris memoria te oblectem. Baroni nostro, Domino Servetano cæterisque nobilissimis viris quos nunc in castris habes, plurimam, si placet, sed consobrino tuo meoque Salesio potissimam salutem.

            Benè vale, Frater suavissime, et quo graviore urgeris hæreticorum numero, eo magis crede me tibi et amicissimum esse et nil morante locorum intervallo conjunctissimum. Iterum vale.

            Ex temnore, Necii, 6 idib. Octobris 1594.

A Monsieur mon Frere,

Monsieur De Sales,

Prevost de l'Esglise Cathedrale de Sainct Pierre de Geneve.

Aux Allinges.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation. [386]

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X

 

Fratri suavissimo Francisco De Sales,

Ecclesiæ Gebenensis Præposito et Pontifici designato,

Antonius Faber salutem dicit.

 

            Cùm hæc tibi epistola reddetur, mi Frater, cupio magnoperè ne ad risum paratus sis et solutus. Ego enim nudis ut aiunt lentibus video ; ita undique occurrunt læta omnia quæ scribam. Primum illud est quòd tuas accepi literas dulcissimas, suavissimas et, ut meis mala fide tametsi bona mente objicis, Ciceronianas planè, quando non pateris ut dicam Athenienses ; quid enim mihi potuit esse jucundius ? Præsertim ex illa parte qua significas id, de quo non dubitabam, nec ullam te scribendi occasionem prætermissuram nec amandi mei finem umquam facturum esse ; nam cætera quæ tu tam faciliter et eleganter de vale nostro gallicè latineque rescribis, etsi demulcent mirum in modum, ne tamen tam jucunda esse possint illud facit quòd absentiæ nostræ memoriam efficaciùs renovant, nec patiuntur ut tam facile mihi possim imponere cùm te præsentem videri volo.

            Secundum est quod scire te mea refert. Natus est nobis felicissimo partu filius, junior (dicamne an senior ?) mense uno quàm speraram, neque enim partum ante calend. Decembris expectabam. Quòd nobis non mihi natum dico, quamquam mirari non potes qui omnia mea tecum communia esse jampridem voluisti, minus tamen miraberis cùm pulcherrimum et suavissimum (sic enim adrelatum est) videbis ; patrem namque in eo ut te habeat necesse est qui me habere non potest. Optabam mirabiliter ut si pater videri nolles, ne multorum qui nostram illam mirificam unitatem minus norunt animos offenderes, compater saltem esses, ne unum hoc vinculum conjunctioni nostræ deesset, melioribus licet ac fortioribus colligatæ ; sed occupavit Guichardus noster, cogitque ut in annum proximum necessitudinis hujus accessionem differri oporteat, quam tamen jam inde ab hac hora volo te pro petita habere, cùm habeam ego pro impetrata.

            Tertium est quod te scire volo. Egi cum patre nostro observantissimo de canonicatu, et qua ille est in omnes humanitate et erga me propensione obtinui facillimè quæ volebam, factus paulo impudentior in tam aperta tuisque literis tam mirificè expressa voluntatis erga [387] Rolandum tuæ significatione. Rei executio in Decembrem proximum dilata est, quòd eo mense ut audio canonicatuum vestrorum collatio ad vos pertineat. Faciam ut Rolandus noster intelligat non solùm peracta feliciter omnia, sed etiam quantum tibi hoc nomine debeat, quantum etiam patri, qui Domini de Sacconex precibus urgebatur ut fratrem suum Comitem Lugdunensem honore isto dignaretur. Non te pœnitebit collati in amicissimum tuique amantissimum virum beneficii ; qui sicut de tuo erga se studio numquam dubitavit, ita sibi facile persuasit neque alio quàm te apud patrem intercessore neque ullo sibi apud te adjutore opus esse ; officium tamen meum imploravit ideo fortasse ne inviderem si tuus magis esse vellet quàm meus, aut potiùs ut socium obligationis sibi quæreret, nimis (minus ?) suis fidens facultatibus quàm ut tantum tibi solus debere vellet.

            Restat ut Necio tuo discedens salutem tibi plurimam impertiam. Vale enim non dicam, ut agendum aliquid supersit quod me huc proximo quoque tempore reducem faciat. Nec rursus æquum est ut absente me valere te jubeam qui absente te vix valere possim ; præsertim mense proximo, quo neque tecum vivere licebit neque cum uxore dormire, nisi fortè postremum hoc potiùs ad valetudinem meam conferat. Quo magis æquum erit, quantum otii et commodi uxoris accubitus afferet tantùm me conscribendis expediendisque Conjecturis nostris impendere.

            Faciam te de omnibus certiorem, habeboque ut spero crebriores post hac tabellarios, qui meas ad te literas perferant, non in istam solitudinem in qua nunc degis, sed in urbem hanc, ad quam te brevi ut prævideo revocabit, non solùm parentis nostri observantissimi votum, sed etiam et Episcopi amantissimi jussus. Sic enim inter eos, me præsente, multis sermonibus actum est de te revocando tibique dando successore. Miram animadverti patris impatientiam, dùm et saluti tuæ diffidit et se diutiùs tantis Baronis nostri erga te beneficiis, aut potiùs officiis, onerari premique molestè fert. Episcopus pro sua prudentia verebatur ne multùm de tuis laudibus detraheretur, si quo tempore magis enitendum esset ut pietatis industriæque tuæ fructus aliquis constaret, eam de te homines opinionem conciperent ut peragendi animum tibi potiùs quàm facultatem defuisse suspicarentur.

            Ego verè, cujus maxime interest non tantùm te salvum esse, sed etiam sic de me sentire ut neque minùs te amare videar quàm à parente ipso ameris, neque minùs prudens providensque quàm senatorem deceat, id unum verebar : ne aut minùs amare viderer parenti nostro si cum Episcopo sentirem, aut minùs prudens Episcopo si parentis consilium adprobarem. Dixi tandem videri mihi totam rem istam tui esse debere consilii et judicii, ut si nihil istic profici posse [388] videres, majorem salutis tuæ paternique desiderii quàm tuæ laudis rationem haberes (neque enim dubito quin ex conatibus istis, tametsi, quod abominor, irriti forent, eo major tibi laudis materia paretur quo longiores erunt et, ut ita dicam, quando tibi cum obstinatissimis res est, obstinatiores), sin verò benè sperares, non committeres ut ex præcipuis laboribus et victoriis tuis successori tuo, quisquis ille futurus sit, triumphus quæreretur, sicut etiam quod te magis ut scio movebit, ut tanti momenti res prosperè inchoata successoris tui sive inscitia sive minùs felici industria concideret.

            Vides quàm egerim ex bona fide et ut amicum decebat, qui adversus mea commoda pro tua dignitate etiam contra patrem laborarim. In quo tamen satis mihi fuit officio paruisse, succubuisse verò etiam perjucundum. Placuit enim communibus utriusque parentis votis, nec me valdè repugnante, ut jamjam redire et successorem accipere jubereris. Cupio ex tuis literis intelligere quid tu aut feceris aut facere constitueris ; mihi probabuntur omnia quæ tu e re et dignitate tua esse putabis, si tamen primæ salutis tuæ quæ mihi mea charior est habueris ut par est rationem. Benè vale, mi suavissime, et me, ut facis, ama.

            Necii, pridie calend. Novembris 1594.

            Endo procinctu. Baronem nostrum, Servetanum cæterosque nobiles salutatos velim, sed præcipuo quodam studio nostrum consobrinum. Iterum vale, sed ita ne vale tibi à me dictum putes.

A Monsieur mon Frere,

Monsieur De Sales,

Prevost de l'Esglise Cathedrale de Sainct Pierre de Geneve.

Aux Allinges.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation.

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XI

 

Chambéry, 8 novembre 1594.

 

Fratri dulcissimo Francisco De Sales,

Ecclesiæ Gebenensis Præposito et Pontifici designato,

Antonius Faber salutem dicit.

 

            Ovabam, môx, ut mihi videbar, triumphaturus de Thononiensibus, Frater suavissime, cùm primam literarum tuarum legerem, in qua scriptum erat magno te et præcipuo quodam ab iis beneficio aftectum esse ; postea verò quàm ex reliqua lectione comperi quid sentires, in eo uno scilicet de te benè meritos Thononienses quòd quidam ex iis meas tibi literas reddiderat, cognovi quàm parùm tibi [389] mihique de istorum animis studiisque sperare liceat, si tam leve, in re tam pusilla officium magni beneficii loco constituendum videatur.

            Facis tamen tu non solùm liberaliter, sed etiam Christianè, utrumque autem ex bona fide, qui et magna putes omnia quæ à me ad te proficiscuntur, nec prius de perditissimorum hominum salute desperare velis quàm desperandi finem perditio ipsa afferat. Est sanè quòd iis habeam gratiam de meis literis tam fideliter tibi redditis ; nam cùm vix ignorare possint quanta sit inter nos animorum voluntatumque consensio, credibile est non valdè tibi infestos esse qui erga me adeo fuerint officiosi.

            Scripsi ad te non ita dudùm quid de toto isto negotio parens noster suspicaretur, quid Episcopus speraret, denique quid ego sentirem. Non patiuntur temporis angustiæ quibus premor ut vel repetam vel pluribus me explicem, præsertim cùm nec sit necesse : neque enim dubito quin tibi literæ meæ redditæ sint, tuque pro singulari prudentia tua jam ex te constitueris quid me tibi consulere, hoc est, quid te facere opporteret, prius etiam quàm literas meas accepisses. Jam intelligere cupio quid feceris aut faciendum decreveris.

            Mitto ad te Patris Cherubini literas, mihi nudius tertius redditas, quas vir ille optimus et religiosissimus mihi, ut videbis, tecum communes esse voluit, in hoc uno fortassis minùs cautus, quòd universalem illam bonorum nostrorum omnium communionem quàm habet perspectissimam ignorasse videatur. Reddes, si placebit, cùm perlegeris, et mittes quas ad Guichardum nostrum dare te velle profiteris ; eas ut ille accipiat curabo majore quàm anteà, non fide, sed diligentia. Ut verò gratas habeat, facile impetrabit non tantùm summus erga te amor suus, sed etiam mellitissima illa eloquentia quæ Thononiensium quoque barbaros licet animos alliceret et conciliaret, si tam faciles illi se auditores præberent quàm te disertum et efficacem oratorem experirentur.

            Uxor mea et filioli omnes benè valent, teque salutant quotquot loqui sciunt ; ego pro me meisque omnibus tantam tibi salutem dico quanta non possim mihi meisque omnibus majorem, consobrino nostro, quando per te licet, nec minorem. Benè vale, mi suavissime, et Fabrum tuum, ut facis, ama.

            Ex urbe, 6 idib. Novembris 1594.

A Monsieur mon Frere,

Monsieur De Sales,

Prevost de l'Esglise Cathedrale de Sainct Pierre de Geneve.

Aux Allinges.

 

Revu sur le texte inséré dans les deux Procès de Canonisation. [390]

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XII

 

Chambéry, 25 novembre 1594.

 

Fratri suavissimo Francisco De Sales,

Ecclesiæ Gebenensis Præposito et Pontifici designato,

Antonius Faber salutem plurimam dicit.

 

            De tuo, mi Frater, ad Necienses nostros reditu, etsi ex multorum sermonibus audiebam, ne tamen facilè possem credere illud faciebat quòd nullis à te literis de eo certior factus essem, quas cùm multis de causis avidissimè expectabam, tùm ob hoc maximè ut scirem venisses ne tantùm an etiam rediisses. Occurrebat enim quod de Attilio Regulo apud Pomponium nostrum quodam loco legere memineram, cùm à Carthaginensibus Romam missus esset, non visum eum postliminio rediisse, quia dixerat se reversurum nec animam habuerat Romæ remanendi. Etsi namque subverebar ne qua temporis prorogatio et desiderio meo et labori tuo accederet, malebamque te ubivis gentium quàm inter perditos et desperatos istos helluones vivere, tamen non dubitabam quin si quid aut jam proficeres, aut longiore molestia profici posse sperares, nihil tibi adeò durum aut difficile videretur quod non facilè concoqueres, ne tam præclari instituti te umquam pœniteret.

            Nunc verò mirificam capio voluptatem ex constantia consilii tui, cujus audio majores quotidie fructus tibi totique Reipublicæ Christianæ constare, inclinata jam ad partes nostras Victoria, paratoque triumpho de Avullæo cæterisque non minorum dumtaxat gentium, ut sibi videntur, diis, sed melioris etiam notas adversariis ; quorum alios intelligo, argumentorum tuorum sola recitatione fractos, aspectum congressumque tuum fugere, (quid verò, Deus bone ! si dicentem et disserentem audissent ?) alios, oblatæ disputationi impares, scripto agere decrevisse, hoc ipso impudentes quòd chartam, quamtumvis mendacem et impudentem, non putant erubescere posse.

            Sed hæc omnia, cæteraque hujus generis quæ me singulari oblectatione afficiunt, essent multo jucundiora si mihi per te, non per alios, essent explorata. Quamquàm enim te scio eum esse qui laudes tuas ne audire quidem libenter, narrare verò multo minus velis, tuam tamen modestiam hac in re illud frangere deberet quòd de iis nihil possis detrahere quin tantumdem ferè ex Dei optimi maximi gloria, ad quam omnia ut debes refers, detrahatur.

            De me nihil est quod scire te putem oportere. Quid enim publicas [391] privatasque de temporum injuria querelas ad te deferam, aut cur velut in picta tabula ponam tibi ante oculos profugam ad me socrum cum liberis, quos misera nostra tenebat Sebusia, amissos biennii ferè integri redditus et facultates penè omnes quæ per lasciviam exercitus eripi diripique potuerunt, cæterarum, quarum amissio paulò difficilior est, jacturam nec dubiam ab hostibus imminentem ?

            Malo te ista vel omninò nescire, vel ex verbis quàm ex literis meis intelligere, ne tu pro singulari tua erga me voluntate, magis mea causa commoveare quàm ego ipse, qui fero, non dicam omninò constanter et indolenter, sed tamen ita moderatè ut appareat « nihil me humani à me alienum » putare ; nam præter id quòd jam inde à multis annis omnimodo eventura ista prævideram, nisi Deus à nobis averteret quem ipsum nos à nobis avertimus, illa quoque me non parùm juvat consolatio, miserrima quidem sed tamen efficacissima, tot tantisque nos infortuniis premi non posse ut non plura gravioraque, et pati possimus et expectare debeamus.

            Magis me illud afficit et perturbat quôd nos omnes video in communibus maximisque periculis versari, ipsamque rempublicam, cujus malis et incommodis non moveri tam sit insipientis quàm moveri propriis. Erit mihi adversùs ingruentia omnia præcipuum solatium, si tu me amare perges et votis tuis piisque ad Deum optimum maximum precibus adjuvare, literis quoque et exhortationibus ad miserias istas publicas privatasque tolerandas, quanta poteris ope ac diligentia confirmare. Itaque tuas literas quàm primùm expecto.

            Benè vale, Frater suavissime, et consobrinum nostrum, itemque D. Servetanum, cæterosque nostri amantissimos, meo, si placet, nomine salvere jube.

            Ex urbe, 7 calend. Decembris 1594.

Monsieur mon Frere,

Monsieur De Sales,

Prevost de l'Esglise Cathedrale de Sainct Pierre de Geneve.

A Thonon.

 

Revu sur le texte inséré dans les deux Procès de Canonisation. [392]

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XIII

 

Chambéry, 3 décembre 1591.

 

Fratri suavissimo Francisco De Sales,

Ecclesiæ Gebenensis Præposito et Pontifici designato,

Antonius Faber salutem dicit.

 

            Penè accidit, mi Frater, ut proficiscenti ad te Locatello nostro nullas dederim literas, non ob id solùm quòd earum usus minus necessarius videretur præsente te, quem tu alterum me existimare hoc ipso debeas quòd alterum te esse scis, sed etiam ne amantissimi et disertissimi fratris aut voluntati aut eloquentiæ diffidere viderer. Sic enim dixerat et receperat facturum se, si nihil scriberem, ut nullas tibi antehac à me præstantiores literas redditas faterere.

            Verùm placuit temperamentum ut neque nullas omninò neque prolixas darem, præsertim cùm exarandæ longioris epistolæ facultatem angustia temporis denegaret. Scribam igitur, quantum dumtaxat necesse erit, ne dulcissimum scribendi officium ultrò intermittere videar, rursùm ut significem redditas mihi tuas posteriores literas, in quibus cùm amantissima omnia fuerunt, tùm illud etiam honorificum, quòd petitioni meæ de compaternitate tam liberaliter subscribis. Quæ res me movet ut beneficii hujus amplissimi, licet tacitam conditionem habeat : si quis filius mihi nascitur, tamen non tam spem quàm præsentem fructum animi cogitatione hauriam. Id enim occurrit quod prudentibus nostris placere scis : pure promissum videri quod sub conditione omnimodè extitura promittitur.

            Tuas de hæreticis præclaras victorias plures majoresque in singulos dies audio, tibique eo nomine ut et toti Christianæ religioni mirificè gratulor, vel ob id maximè quòd ex ipsis Episcopi nostri literis intellexi conatus istos Serenissimo Principi nostro, non tantùm perspectos esse, sed etiam probatos dignosque visos quos omni studio ac voluntate prosequi et adjuvare deberet.

            Quæ sic me apud Senatum tui honoris causa curare oportuit jam perfecissem, nisi quorumdam superstitiosa religio, ne quid gravius dicam, obstitisset ; quibus visum est ante omnia faciendum ut tanta Episcopi erga te voluntas subscriptione aliqua constaret. Scripsi ea de re ad Episcopum itemque ad Deageum nostrum, quibus scio majori id quàm tibi cura futurum. Quare nec te rogatum volo ut [393] aliquam mihi tibique in hanc rem præstes diligentiam, sed tantùm ut D. Deageum roges meo nomine ne quam in ea re quæ citò expediri possit moram fieri patiatur.

Habebis epistolam Albiensis nostri Episcopi, mox Guichardi quoque, ut is ad me scripsit, habiturus à Patre Cherubino et Girardo ; si quas ut spero accepero, brevi ad te perferandas curabo. Benè vale, Frater suavissime, et me, ut soles, amare perge, Salesiisque nostris et Salesianis omnibus, itemque confratribus, plurimam, si placet, salutem.

            Ex urbe et ex tempore, 3 non. Decembris 1594.

A Monsieur mon Frere,

Monsieur De Sales,

Prevost de l'Esglise Cathedrale de St Pierre de Geneve.

A Chablaix.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation.

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XIV

 

Chambéry, 1er janvier 1595.

Fratri suavissimo Francisco De Sales,

Ecclesiæ Gebenensis Præposito et Pontifici designato,

Antonius Faber salutem dicit.

 

            Cùm opportune omnia mihi abs te veniunt, mi Frater, tùm nihil umquàm opportunius, quàm quòd hoc ipso die qui dandis accipiendisque xeniis faustus creditur, reddidit mihi Filliardus tuas illas amantissimas literas, cæterarum, ut ais, obsignatorias quas anno superiore tam multas tamque elegantes, ut ad me scriberes incredibilis immensusque amor erga me tuus coegit. Itaque noli quærere quanta me voluptate perfuderint ; nam cùm toto isto novendio mihi in mentem veniret illius (illud ?) temporis quod Necii, annus unus est, tam suaviter tecum transegeram, nec facilè ferrem, auctis tantoperè amandi tui rationibus, præreptum mihi usum dulcissimæ consuetudinis tuæ, commodissima fuit ea consolatio quam literæ tuæ attulerunt, in quibus utinam oris istius castissimi oculorumque quos semper in oculis fero vivam imaginem tam benè expressisses, quàm expressisti præclarè magnitudinem animi studiique in te mei !

            Unum illud facere poterat me Thononiensibus qui te fruuntur invidere, unaque succensendi non minor quàm invidendi causa esset, [394] quòd te cùm habeant, frui tamen nesciunt, nisi scriberes incipere eos sapere, tuisque conatibus favere ; quo nomine, quantùm tibi totique Reipublicæ Christianæ gratulor, potes tu faciliùs ex gratulandi ratione et necessitate conjicere quàm ego verbis aut vultu explicare. Neque verò quotquot sumus tui in Christo confratres, aut potiùs filii, quoties convenimus, desistimus, quantùm votis precibusque possumus, Deo supplicare, ut tam fortunata initia feliciore in dies progressu augeat, tandemque optatissimo fine compleat ; quod ita venturum sperant omnes, neque dubitare possunt, qui pietatem tuam et ad maxima quæque peragenda faciliùs quàm audenda præstantem proclivemque industriam perspectam habent. Itaque, ut omnia complecterer, poteram breviùs scribere id unum nos à Deo flagitare, ut te unum quàm diutissimè servet incolumem.

            Sed ad id redeundum est, unde potiùs epistolam ordiri debueram. Pudet incredibiliter quòd per Thovesium, qui priores mihi à te literas attulerat, nullas à me acceperis, nec memini umquàm id contigisse ut binas à te haberem cùm tu à me nullas. Id qua ratione, aut ut veriùs dicam, cujus culpa factum sit, si ex eo cognovisti, non excuso tam improbabilem hominis negligentiam, sed ignosco culpæ, satis enim mihi fuerit quòd culpa me vacare intelliges ; sin fuit ille in hoc ipso negligens ne se accusaret, neque excuso, neque ignosco, tametsi querelas omnes et injurias à me hodie, ut par fuit, remissas esse non nesciam ; adeò mihi constitutum est perpetuas cum iis inimicitias gerere si qui erunt quorum culpa fiet ut de mea, non dicam voluntate, (qui enim facere posset ?) sed diligentia malè suspicandi quæsita tibi occasio videatur.

            Eo nimirùm tempore scribæ meo dixerat velle se equum conscendere, cùm mihi ad confraternitatis nostræ sacra jam inclinata hora proficiscendum erat. Quàm verò dolendum mihi est, tùm fuisse negligentem, cùm diligentior esse debueram, ut eodem quo tu animo tam feliciter transacti inter nos anni partem extremam singulari et mirifica quadam amoris erga te mei significatione, aut saltem nota concluderem. Sed quando id mihi denegatum est, contendam posthac tantò vehementiùs, ut nihil à me de pristina voluntate et diligentia remissum neque verò remitti potuisse fateare. Nec tamen volo tecum agere tam familiariter ut hanc epistolam tam malè compositam, et, ut agnoscis, extemporariam, xeniorum loco tibi redditam velim.

            Habeo alia in promptu mutuæ nostræ necessitudinis dignitati aptiora, quæ etsi nunc dare non possim, brevi tamen hoc ipso die sibi à me data fuisse intelliges. Meditationes illæ sunt meæ poëticæ, tibi, ut scis, inscriptæ, quas, cùm primùm per frigoris intemperiem licebit, typographus noster excusurus est ; addo et posteriores [395] Conjecturarum mearum libros, Gebenensi typographo jam traditos, ut te Gebenensis quoque civitas perinvita Ecclesiæ Gebenensis Præpositum et Pontificem designatum agnoscere incipiat. Sic fiet ut gallicè latineque me tibi et fratrem et amicissimum, si non omnes, certè quamplures intelligant. Guichardus noster, qui adest, te salutat, impeditus partim dubia valetudine, partim Marchionis nostri assidua consuetudine, ne scribere potuerit.

            Scripsissem ad Baronem nostrum si otium fuisset. Singularem ejus erga me benevolentiam etsi perspectissimam habeo, per te tamen non tantùm conservatam, sed etiam auctam iri, et spero et cupio. Plurimam illi, si placet, cæterisque nobilissimis viris nostris amantissimis à me salutem, sed præcipuam consobrino nostro. Fabricelli tui omnes te salutant, et quæ tot Fabros fabricata est soror tua Benedicta Fabra. Omnes benè valemus ; tu, Frater suavissime, quantùm me amas, cura ut valeas.

            Ex urbe et ex tempore, calend. Januarii 1595.

A Monsieur mon Frere,

Monsieur De Sales,

Prevost de l'Esglise Cathedrale de Sainct Pierre de Geneve.

Aux Allinges.

 

Revu sur le texte inséré dans les deux Procès de Canonisation.

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XV

 

Chambéry, 26 janvier 1595.

 

Fratri suavissimo Francisco De Sales,

Ecclesiæ Gebennensis Præposito et Pontifici designato,

Antonius Faber salutem plurimam dicit.

 

            Defuisse tibi ad scribendum chartam inter arma facilè credo, qui propemodum deesse mihi video inter chartas. Itaque accipio, quamquam illubenter et perinvitus, excusationem illam quam mihi Thovesius tuo nomine pro literis reddidit ; sed ea lege, ut si posthac chartæ penuriâ ullius ex amicissimis meis literis mihi carendum sit, des operam et diligentiam aliorum ut omnium quotquot sunt, fuerunt et erunt, caream potius quàm tuis. An non autem tibi nescio quo fato factum videtur, quod eodem tempore typographo quoque nostro charta defuit, ne poëticas illas meas Meditationes adhuc excudere potuerit ? Id tamen propediem facturum se pollicetur, et ut faciat quantum possum urgeo, non tam quòd meæ sint, quàm quòd tibi jampridem nuncupatæ. Illa enim præcipua laus mihi futura sit, si assequi [396] potero, ut hoc veluti nuncio singularis nostræ necessitudinis et, ut verè soles dicere, incomparabilis ad exteros quoque fama perferatur.

            Angustior sanè est tota hæc nostra Sabaudia quàm ut rem tantam suis finibus continere possit. Sed charta mihi quoque defuerit, si longioris epistolæ argumentum petere velim ex magnitudine mutui amoris nostri, quæ licet mihi æquè ac tibi perspectissima, non aliâ tamen quàm tua eloquentia ex dignitate commendari se aut exprimi patiatur.

            Benè vale, mi Frater suavissime, et me, ut facis, ama ; consobrino nostro charissimo plurimam, si placet, ex me salutem.

            Ex urbe, 7 calend. Februarii 1595.

A Monsieur mon Frere,

Monsieur De Sales,

Prevost de l'Esglise Cathedrale de St Pierre de Geneve.

 

Revu sur l'original conservé à la Visitation d'Annecy.

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XVI

 

Chambéry, 3 février 1595.

 

Fratri suavissimo Francisco Salesio,

Ecclesiæ Gebenensis Præposito et Pontifici designato,

Antonius Faber salutem dicit.

 

            Jam dederam discedenti Thovesio literas ad te, mi Frater, perferendas cùm posteriores tuas Servetanus noster mihi reddidit. Ex quibus et ex Servetani sermonibus cognovi te et optimè valere, quod fuit præcipuum, et absentis mei præsentem memoriam, de quo dubitare non poteram, constantissimè retinere. Fuisset æquè perjucundum tui in hæreticos operis priores paginas videre ; æstuo enim desiderio incredibili legendi quæ scribis, quòd ea scio futura ejusmodi quæ et te digna videri debeant et toti Reipublicæ Christianæ mirabiliter prodesse possint. Nec erat cur vereris ne minus grata forent si ea membratim exponeres ; etsi enim multo jucundius rem totam quanta est et corporis et animi oculis subjicere, nihil tamen de jucunditatis magnitudine detrahet occupata per partes oblectatio. Cujus sola spe non possis credere quantoperè delector.

            Cum typographo nostro nondùm agere potui, nec agam priusquàm à te aliquid accepero cujus exhibitione possim hominem, alioquin minus liberalem, permovere ut impensam excudendo operi [397] necessariam prorogare non recuset. Vereor etiam ne illam excusationem afferat qua uti solet cum urgeo ut poësim meam gallicam excudendam aggrediatur, quòd chartam non habet ; quamquam jubet me sperare futurum ut brevi habeat. Moram hanc fero impatientissimè, meo certè nomine potiùs quàm tuo, neque prius conquiescam quàm meo erga te officio studioque hac saltem parte satisfecero ; adeò mihi videor nihil non benè posse facere si te vel authorem habeam, vel motorem, vel adprobatorem.

            Sed parùm cautus sum qui, cùm nec gallicè scribere audeam nec latinè possim in tanta temporis penuria, tam longa tamen te morer epistola. Eo namque tempore hic noster amicissimus mihi significavit paratum se discedere cùm salutandi tui potiùs quàm ad te scribendi otium fuit. Non potui tamen facere ut is sine literis ad te meis proficisceretur, præsertim cùm haberem à Girardo nostro quas ad te perferendas curarem ; ut taceam quòd politior illa scribendi ratio quàm tu, vel invitis hæreticis et barbaris, tam constanter retines, mihi jam tecum familiarius et ut inter fratres par est agenti, sicuti non necessaria ita minùs curanda videtur.

            Benè vale, et meo, si placet, nomine charissimum nostrum consobrinum salvere jube.

            Ex tempore, sine tempore, 3 non. Februarii 1595.

A Monsieur mon Frere,

Monsieur De Sales,

Prevost de l'Esglise Cathedrale de Sainct Pierre de Geneve.

Aux Allinges.

 

Revu sur le texte inédit, inséré dans le Ier Procès de Canonisation.

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XVII

 

Chambéry, 18 mars 1595.

 

Fratri suavissimo Francisco De Sales,

Ecclesiæ Gebenensis Præposito et Pontifici designato,

Antonius Faber salutem plurimam dicit.

 

            Eram apud Sebusianos meos, et cum Guichardo nostro, viro (quod te scire arbitror) nunc prorsùs militari, ut tempori nihil nisi bella et classicum resonanti magis quàm genio meo inservirem,

Ludebam effigiem belli, similataque veris

Prælia, buxo acies fictas et ludicra regna,

cùm redditæ nobis sunt amantissimæ illæ tuæ literæ ad XI calendas [398] Martis date, sanè perquàm opportunè, ut communi utriusque desiderio satisfieret, cùm mira amoris erga te nostri impatientia urgeremur ne longiorem earum expectationem ferre possemus. Ego verò proprio quodam jure, in mediis publicarum et privatarum miseriarum doloribus, hanc implorarem consolationem, quæ mœrorem aliqua ex parte saltem levaret meum.

            Itaque noli quærere quàm gratæ jucundæque nobis fuerint, quales et quàm multi, quamque honorifici inter nos de te sermones, cùm, omisso statim ludo quasi ambo vicisse videremur, id unum agere cœpimus, ut suavissimis de mutui amoris nostri magnitudine, deque tuis et virtutibus et laudibus colloquiis reliquum diem transigeremus.

            Ille, ut est ingenii non minùs quàm animi impetu potens, ex tempore conscripsit epistolam, si quid mei judicii est, non inelegantem, quam post dies aliquot discedenti mihi tradidit ut curarem ad te perferendam. Mihi, qui majorem et jucundiorem legendis tuis quàm conscribendis aut poliendis meis diligentiam adhibere soleo, melius visum est et commodius differre rescriptionem in id usque tempus quo in hæc loca rediissem, præsertim cùm nec haberem ad manum per quos possem scribere ; quamquàm non parum diligentiam meam illud expectabat, quòd tardius quàm putaram ad Sebusianos meos profectus, videbam ex eo futurum ut longiorem quoque scribendo moram facerem quàm sperares.

            Post meum verô reditum (is fuit nudius tertius), posteriores tuas accepi ex Thononiensi Babylone conscriptas, quarum repetita sæpiùs lectione mirum in modum recreatus sum, ex ea potissimum parte qua tu me bono et forti animo esse jubes ad publicas istas calamitates constanter moderateque perferendas. Est omninò, mi Frater, ut scribis : oculi augent dolorem, fitque luctus multò acerbior cùm ea videre cogimur quæ nec audire sine gravissimo mœrore possemus. Teterrimum prorsùs et miserrimum spectaculum ! oppressa præcepsque in ruinam patria, cui opitulari non possis. Neque verò possum negare, tametsi ad meos profecturus sic me comparassem ut quem misera quæque et videre et perferre oporteret, me tamen non leviter commotum esse, cùm multò graviora et deploratoria vidi omnia quàm timueram.

            Nihil de privatis meis rebus conqueror, quarum perturbatio non mediocris animum meum longè graviùs perturbaret, si à meipso, ut eleganter ais, lædi vellem. Fero licet ista minùs æquo fortasse quàm deceret, tamen satis erecto animo ; non quòd ad eum sapientiæ gradum pervenerim quem tu mihi ob oculos ponis (nimirùm, ut astutè quidem sed benevolè mihi imponas, ne cunctari possem quin talem me præstare debeam qualem me tibi videri fingis), sed quia [399] nihil tam durum aut calamitosum accidere potuit quod non jam inde à multis annis eventurum præviderim, quòdque ridendus mihi ipsi videar magis quàm miserendus, si in tantis totius reipublicæ calamitatibus, cùm in eadem sim navi in qua cæteri, præcipua quadam immunitate vitæque conditione gaudere velim.

            Et nihil me æquè ac illud confirmat, quòd quoties de te cogito (facio autem ferè assiduè), agnosco indignum fore me quem tu fraterno amore prosequi deberes, si ab ea desciscerem animi magnitudine quam in te admirabilem et propemodùm singularem, non modo vultu et oratione præ te fers, quod tibi cùm multis commune est, sed etiam, quod paucis contigit, facto ipso totaque institutæ vitæ ratione testaris.

            Quàm, putas, animo meo hæret hærebitque semper, quod te nuper cùm una essemus dicere memini, cùm quidam ad te retulissent me, levissimo implicitum morbo, graviore quàm par fuerat mortis metu cruciatum fuisse, id te de eo qui se fratrem tuum diceret et gloriaretur non temerè credere potuisse ! Nam qui, te potissimùm magistro, didicerit mortem non pertimescere, quam ego nunquam sanè pertimescendam existimavi, an non multò stultior sit, si iis rebus moveatur quæ non aliam ob causam acerbæ videri possint quàm quia mortem, vel quod adhuc insanius fuerit, vitam quoque ipsam reddere soleant acerbiorem ? Sed tamen facere non possum quin me communes miseriæ conturbent, quibus non valdè affici vereor ne inhumani potiùs quàm constantis hominis esse videretur. Idque me tuo etiam exemplo, quod mihi instar omnium est ut esse debet, facere certò scio. Verùm de iis fortasse nimis multa.

            Reliquum est, mi Frater, ut te non jam horter ad pugnam istam quam te adversùs hæreticos tanta contentione capessere video, sed moneam potiùs et rogem ut salutis et incolumitatis tuæ rationem habeas, tibi parcas, caveasque ne tenuiores corporis vires et animi viribus impares, jamque tot jejuniis attritas, dicendo scribendoque exhaurias, quas tibi integras salvasque conservari non minùs reipublicæ quàm mea scis interesse, quandoquidem tibi cum eo hoste res est quem nonnisi longo lentoque, ut vides, bello possis ad deditionem compellere. Ego, si quid hoc ad rem pertinet, votis saltem et quantis potero ad Deum optimum maximum precibus adjuvare te non desinam, faciamque ut confratrum nostrorum, quorum omnium propensissimus est ut esse debet erga te animus, idem quoque studium experiare.

            Benè vale, mi suavissime, et Baronem nostrum, itemque consobrinum si nunc tecum est, ac cæteros omnes tui amantissimos, meo, si placet, nomine salvere jube. [400] Senator noster, longissimo jam et periculosissimo morbo consternatus, tam malè habet ut necdum medicis exploratum sit sperandumne magis de clarissimi viri salute an pertimescendum habeant. Non possis credere quàm id me malè torqueat, pro arctissima quæ inter nos, non tantùm dignitatis et ordinis, sed etiam, quod primum est, animorum conjunctione. Faxit Deus optimus maximus ut brevi convalescat, quem diutissime sospitem salvumque esse, non tua solum et mea, sed totius quoque reipublicæ causa cupio. Interim, iterum vale, et me, ut soles, ama.

            Ex urbe, 15 calend. Aprilis 1595.

A Monsieur mon Frere,

Monsieur De Sales,

Prevost de l'Esglise Cathedrale de Sainct Pierre de Geneve.

Aux Allinges.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation.

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XVIII

 

Chambéry, 19 avril 1595.

 

Fratri suavissimo Francisco De Sales, Ecclesiæ Gebenensis Præposito,

Antonius Faber salutem plurimam dicit.

 

            Majorem te in dies, mi Frater, voluptatem fructumque capere ex præclaro isto consilio et ad rei Christianæ dignitatem cœlitus comparato instituto, etsi minùs miror, qui numquàm dubitavi quin tam sanctos conatus Deus optimus maximus solita sua ergà te munificentia fortunaturus esset, gaudeo tamen mirum in modum, cùm ex tuis literis ea ipsa intelligo quæ frequentissimis hominum de te sermonibus publicè testata circumferuntur. Magna omnium fuit expectatio quid rei eventus laturus esset à quo tempore auditum est hanc à te tam difficilem susceptam esse provinciam, hac potissimùm tempestate quæ omnium maximè novas ac propemodùm inexplicables, ut tutò expertus es, difficultates allatura videbatur.

            Nunc verò, majorne dicam nescio voluptas an admiratio est, non eerum dumtaxat qui negotio magis quàm tibi diffidebant, sed illorum etiam qui, cùm eam probarent, vix tamen persuaderi poterant futurum ut jam citò tam uberes diligentiæ et contentionis tuæ fructus constarent, quòd minùs tibi opis et auxilii parari viderent ab iis quorum authoritate præcipuè geri res debebat quàm necesse esset [401] ad tantam rem feliciter aggrediendam gerendamque ; sic enim jam omnibus ferè persuasum est fore brevi ut sacrosancta religio per tot annos ab istis populis explosa pristinam suam per te recuperet dignitatem, indeque tamquam ex armario munitissimo potentissima ad expugnandam Babylonem machina tandem depromatur.

            Mihi sanè non parvi momenti esse videtur quod de Ponceto recuperato scribis ; fuit enim ille hucusque præcipui, ut audio, inter hæreticos nominis pro ea qua præstat juris nostri rerumque agendarum scientia, ut liceat sperare non defuturos permultos qui exempli authoritate movebuntur, ut ratione tandem vinci se patiantur. O si Avullæus tibi datam fidem præstaret, Deo autem redderet ! Omnia penè acta putarem his duobus antesignanis adeò egregiis ad deditionem compulsis. Sed de hoc audio nescio quid quod mihi bilem movet et stomachum facit ; verùm ipse viderit.

            Possevinus noster, cùm hic esset superioribus diebus in eumque sermonem incidissemus, testabatur nihil se aut antiquius, aut optatius umquam habuisse quàm ut te videret deque toto isto negotio alloqueretur, non solùm ne dubitare posset quin ad consilii capiendum esset quòd optimum uterque vestrum probaret, sed etiam ut quantum haberet ingenii, virium et authoritatis, totum id conatibus istis adjuvandis fovendisque conferret. Sed accidit ut cùm proximo quoque die Necium se profecturum crederet, measque jam ad te literas urgeret, Lugdunum versus pergere coactus fuerit ad ea tractanda negotia cum Duce Monmorentiano quorum maximè gratia in hac usque loca peragravit. Quando rediturus sit, planè adhuc in incerto est, etsi Bonaldus ille noster, cui tuas ad se et ad Possevinum literas reddidi, sperat non diutiùs abfuturum, quod ex ejus rescriptione commodiùs cognosces.

            Ubi verò redierit, si nihil intercessit quod consilii mutandi causam præbeat, hoc possim confirmare facturum eum ut ad te quàm citò advolet ; quamquam multò gratius mihi fuerit si pro sua gravitate hanc tibi ad se, ut æquius est, veniendi necessitatem imponet, ut quod per me, ut video, impetrare abs te vix possem, per eum assequerer cui nihil tu denegare magis possis quàm debeas. Nam quòd me interpellas ut ego ad te potiùs, etsi concedo libentissimè præstare, tamen mihi paulô difficiliùs est quàm velle, tametsi non despero fieri posse ut in eos dies profectio conferatur quibus possem desiderio meo non minus quàm tuo satisfacere. Quid enim ardentiùs cupiam, quàm te videre, et Salesium meum, quid meum imò meissimum, aut, ut tandem dicam expressiùs, meipsissimum, totis oculis, brachiis et sensibus amplecti, totque et tam enixis amplexibus fatigare ? [402]

            Nam ut ea taceam quæ mutuam nostram necessitudinem jam tot vinculis constringunt, ut neque addi quicquam neque diminui posse videatur, placet mihi ratio illa quam tu proponis inducendæ accessionis, quòd Senatore nostro vita functo, quem nos singulari quidem sed tamen communi studio et voluntate prosequebamur, sic nos agere par est, ut quodam veluti accrescendi jure, viriles nostras amicitiæ partes augeri sentiamus : quamquam non improbarem, si jus hoc non tam accrescendi diceres quàm non decrescendi, ne qua incomparabili conjunctioni nostræ fiat injuria, si quid ad ejus magnitudinem accedere posse fateamur. Sed vim malo in re esse quàm in verbis.

            Hic ego finem facerem (sum enim meo more jam longior, sed consultò, ut hoc habeas diuturnioris meæ, licet inculpatæ cessationis fœnus), nisi quod tu de Patre Cherubino posterioribus literis adscripsisti cogeret me ut de tam propensa tanti viri erga te voluntate, tamque pio officio testata, tibi gratularer. Pervenerat ad nos superiore mense nec varius nec inconstans rumor, defunctum apud Salinates virum clarissimum ; hoc solo incertus, quòd alii ferro hostium, alii veneno inter pocula propinato necatum mentiebantur ; mirus ex eo stupor dolorque optimorum omnium animos occupaverat, me verò, licet non sim ex optimis, tantò gravior quantò major jactura fuisset mea, defuncto illo cujus probitate et summo in me studio possim aliquando, si non optimus, quod propemodùm despero, saltem bonus fieri, aut minus malus quàm sim. Posteà compertum est, nonnisi mundo eum mortuum, sibi verò totique Reipublicæ Christianæ adhuc superstitem esse ; nec desunt qui affirment eum vos Necii proxima Quadragesima habituros. Quo tamen nomine, ne tibi gratulari possim illud facit quòd mihi jam doleo qui tecum non ero. Nos Guarinum Franciscanum expectamus.

            Sed jam nimis multa, qui ad mediam usque noctem Guichardo nostro literas tuas curavi perferendas. Expecto à Girardo quas ad te scripturum se discedenti nuper mihi receperat. Superest ut plurimam à meis omnibus, sed à me maximam tibi et consobrino nostro tùm Baroni cæterisque amicis nostris salutem accipias. Benè vale, Frater terque quaterque suavissime, et me, ut facis, ama.

            Ex urbe Camberii, 13 calend. Maii 1595, ex tempore, ut facilè agnosces.

Monsieur mon Frere,

Monsieur De Sales,

Prevost de l'Esglise Cathedrale de Sainct Pierre de Geneve.

Aux Allinges.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation. [403]

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XIX

 

Chambéry, 20 juin 1595.

 

Fratri suavissimo Francisco De Sales,

Ecclesiæ Gebenensis Præposito et Pontifici designato,

Antonius Faber salutem plurimam dicit.

 

            Binis à te, mi Frater, acceptis literis hac una epistola respondebo, et breviùs sanè quàm vellem aut soleam, in tantis quibus nunc opprimor temporum angustiis. Priores erant de inopinato magis quàm acerbo Guichardi nostri casu, de Alexandri mei lachrymis, aliisque ejusmodi meis ineptiis. Posteriores, de tuo ad Thononienses reditu.

            Ad priores vix habeo quid respondeam ; namque de Guichardo nostro, si repetam liberatum eum à latronibus, casumque illum moderatè, ut debuit, pertulisse, nihil novi dixerim, nisi quòd suis ille ad me literis idipsum testatus est, quod ego ex hominis moribus mihi perspectissimis jam satis per me conjiciebam, quorum testimonium mihi multò certiùs est quàm literarum.

            Illud tamen possum addere, quòd licet novum tibi tamen persuasu facilè erit, novam illi amandi colendique tui causam accessisse, cùm ex literis meis intellexerit quàm tu levius istud infortunium, pecuniario tantùm incommodo æstimatum, malè habuisse ; qua de re brevi gratias tibi habiturus est, redditurus haud dubio cùm et tu voles, et ille poterit. Expecto ut primo quoque die ad nos veniat, mox ad Principem, ut audio, perrecturus.

            De libello meo, quem tibi aliisque multis exemplo tuo tantoperè probari video, quid rursus dicam, aut novas habeam gratias ? Vetus jam istud beneficium tuum est, quod ego sic accipio ut quasi nihil dùm præstiterim, majus quidpiam à te expectari, et à me plura præstari debere intelligam ; quæ si voto et animo meo respondebunt, possis tu faciliùs et lubentiùs tua agnoscere quàm hæc leviora quæ tu tanta contentione mea esse defendis, ne quid de tuis laudibus detrahatur. Sic enim sales illos tuos interpretor, ut ironicum agas in eo ipso in quo me hyperbolicum fingis ; sed alias, et ni fallor brevi, jocandum erit liberiùs et longiùs.

            Venio ad posteriores tuas literas, in quibus jucundissimum illud fuit quòd te video nihil de pristina ista animi alacritate remittere, nihilque non tentare ut, si (quod abominor) minùs feliciter res succedet, ea sola tibi culpa objici possit quòd plus animi et ingenii [404] habueris ad audendum, quàm ii omnes, quorum hac parte præcipua authoritas est, voluntatis ad adjuvandum.

            Sed illud sanè molestissimum est quod conquereris, nec immerito, tam frigide tantam rem ab ipsis tractari, qui tam præclaros conatus tuos et modis et artibus omnibus fovere deberent. Nihil autem miserius, quàm quòd hoc tempore in quo pax ista precaria, aut, ut Virgilius loquitur, « sequestra » totque mensium firmatæ induciæ facere deberent ut benè sperare liceret, vix quisquam est qui præter te in hanc curam velit incumbere. Sed tamen si tibi mihique credis, perge ut cœpisti in id usque tempus quo desperatio non minùs probatam omnibusque cognitam quàm justam habitura sit excusationem. Habebis tuæ fortitudinis virtutisque, non modò testes sed etiam admiratores, eos ipsos quos fautores habere, ut decebat, non potuisti ; Deum verò optimum maximum retributorem, qui laborum tuorum æstimationem non ex perceptis fructibus, sed ex iis qui percipi potuerunt et debuerunt pro pietate sua initurus est : quamquam vix mihi in animum cadere potest ut de tam piis et, quod præcipuum est, pie habitis conatibus desperandum putem.

            Inter hæc scribendum, opportunè advenit frater ille noster Hierosolymitanus, scis quem intelligam, Locatellus, faustus lætusque ; hoc uno minùs, ut sibi mihique videtur, felix, quòd superioribus diebus Necium profectus, videre te non potuit. Quo nomine mirum est quantis eum onerem ludibriis, quòd ille non ita dudum gloriaretur hanc sibi præcipuam fore oblectationem si, absente me, solus te frueretur ; ego verò tantam felicitatem, fateor enim liberè, etiam fratri inviderem.

            Soror tua, quam tu clarissimam vocas, quam charissimam dicere clariùs posses, te salutat, sed ut fratrem potiùs quam ut compatrem, adeò ineptit illa in hoc ipso quòd ineptire velle desinit, nisi sororis nostræ Locatellæ, quam adprimè gravidam esse scis, exemplo movebitur ; nec enim ignoras hoc genus, penè adjeci dæmoniorum, exemplo magis quàm ratione vel authoritate moveri.

            Benè vale, mi suavissime, et consobrino primum nostro, tùm Baroni, cæterisque amicis nostris plurimam, si placet, ex me salutem, Iterum vale, et me, ut facis, ama.

            Ex urbe et ex tempore, 12 calend. Julii 1595.

A Monsieur mon Frere,

Monsieur De Sales,

Prevost de l'Esglise Cathedrale de Sainct Pierre de Geneve.

A Tonon.

 

Revu sur le texte inséré dans les deux Procès de Canonisation. [405]

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XX

 

Chambéry, 3 août 1595.

 

Fratri suavissimo Francisco De Sales,

Ecclesiæ Gebenensis Præposito et Pontifici designato,

Antonius Faber salutem plurimam dicit.

 

            Etsi tam longo inter nos, mi Frater, silentio non magis delector quàm tu, dicam tamen ingenuè, me meæ pudet pœnitetque diligentiæ ; audio enim te, si posteriores meas literas paulò tardiùs accepisses, ad nos venturum fuisse ut clarissimum Patrem Possevinum videres, quem si videre non potuisses, ego sanè te vidissem. Sed quando ita res tulit, ut neque tu illuin, neque ego te videre potuerim, utrumque nimia et illius in discedendo et mea in scribendo diligentia, erit quòd meæ posthac ignoscas negligentiæ, si quid à me hac in re peccabitur ; licet non ignorem vix fieri posse ut damnum contingens ex diligentia per negligentiam sarciatur, mihi præsertim, cui hoc unum restat absentiæ tuæ solatium, si per literas tuas te videam, per meas te alloquar.

            Grata tibi fuisse et Patris Possevini et Girardi nostri munera gaudeo. Quòd verò tam opportune Spondæus advenerit, non tantùm tibi, sed etiam mihi summoperè gratulor ; nihil enim est quod feram molestiùs quàm, cùm nebulones istos audio de suis ineptiis tam magnificè sentire et gloriari, de nostris verò nostrorumque egregiis meritis tam audacter et impudenter mentiri.

            Baronem nostrum qui, ut scis, nunc adest, iterum atque iterum conveni, primùm ut viro nobilissimo meique amantissimo grati animi testimonium exhiberem, deindè ut ex ejus potissimùm sermonibus intelligerem quid ille de tuis conatibus, non tam sentiret quàm speraret. Ille verò, quasi certa jam et explorata, nedùm inclinata victoria jam triumphum canere mihi visus est, et ea credere quæ ad felicitatem satis mihi fuerit sperare posse. De Ponceto præcipuè tibi mirum in modum gratulatur, prædicatque tua illum opera et eruditione ab inferis revocatum, sacra religionis nostræ tam serio amplexatum esse, ut tot ministellis in posterum nullo negotio profligandis, pro ea qua fuit inter ipsos authoritate sibi unus sufficere posse videatur. De Avullæo verò sic loquitur quasi nec dubitet quin ex nostris sît, totamque rem ex voto tuo confici ardentissimè desideret. Quòd si ita est, non video quid te malè jam habere debeat, nisi quòd in re tanti momenti vix est ut Christiana impatientia longioris moræ incommoda concoquere possit. [406]

            De cæteris rebus, sivè publicis sivè privatis, nihil attinet in sequentem paginam protrahere epistolam. Publicæ in eum statum deductæ sunt ut eas miseratione multo faciliùs quàm auxilio prosequi quilibet possit ; meæ verò ejusmodi ut earum conditionem parùm curare debeat quisquis publicis ita uti par est afficiatur. Id unum nobis benè cedit, quòd cùm nihil sit in tanta rerum omnium perturbatione quod non ducat ad desperationem, de omnibus tamen benè et in dies meliùs ac meliùs sperare non desinimus ; sed cedet multò faciliùs si, quòd tecum precari faciliùs est quàm ominari, una cum Elia illo tuo per turbinem in Cœlum rapimur.

            Literas tuas ad Girardum quàm citò perferri curabo diligenter. Benè vale, mi Frater suavissime, et me, ut facis, amare perge.

            Ex urbe, 3 non. Augusti 1595.

            Soror tua, itemque caeteri tui, quotquot ferè hic mei sunt, te salutant ; ego nostrum quoque, si placet, consobrinum. Iterum vale.

A Monsieur mon Frere,

Monsieur De Sales,

Prevost en l'Esglise Cathedrale de Sainct Pierre de Geneve.

A Necy ou a Tonon.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation.

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XXI

 

            Monsieur mon Frere,

 

            Je ne suis plus marry que, pour faute de porteur, j'aye retardé plus que je ne voulois de respondre a voz premieres lettres, qui me furent rendues ces jours passés avec les sonnetz de ma Seconde Centurie par monsieur de Chavanes ; car je me fusse plaint fort aigrement de nostre monsieur Portier, auquel j'avois remis mes precedentes lettres, avec celles du Pere Possevin et le livre quil m'avoit adressé pour vous faire tenir. Maintenant je suis hors de ceste peine, voyant par les vostres dernieres qu'en fin le tout vous a esté rendu.

            J'ay pris fort a mon avantage ce que vous m'escrivez, que noz messieurs de Tonon facent estat de ma Premiere Centurie ; car outre ce, que malaisement peut il estre ainsy quilz ne facent sans comparaison plus d'estat de vous a qui je la rapporte toute, comme je doy, il me semble que c'est un commencement de tesmoignage quilz donnent de leur resipiscence, sil est vray ce que j'ay tousjours ouy dire, [407] que les heretiques ne veullent point ouyr parler de penitence, du moins en la façon que j'en parle.

            Les vers desquelz monsieur Després m'a honoré m'ont esté fort aggreables, et vous remercie de la recommandation que vous y avez adjousté du vostre, et luy de la faveur. C'est un personnage duquel j'ay desja ouy souvent parler, et tousjours en bonne part, osté le poinct, qui est le principal, de la religion. Ce seul poinct a esté cause que je n'en ay peu faire l'estat que j'eusse voulu ; car, comme il me souvient de vous avoir autrefois dit, je ne peux me commander de croire qu'un heretique puisse rien avoir de bon, du moins que l'heresie ne gaste et corrompe. Non que j'estime quil y aye en tous de la malice (j'en ay congnu qui, hors le faict de la religion, pouvoient passer en monstre pour honestes hommes) ; mais je ne peux les excuser que je ne les accuse tous, et tant plus ceux qui sont les plus habiles entre eux, d'un grand deffaut de jugement et de trop de presomption en ce quilz osent faire plus d'estat de leur jugement particulier que de celuy de l'Esglise universelle, fondés seulement sur l'opinion d'un homme, lequel sil eust esté de moins ilz seroient maintenant des nostres.

            Toutefois, je veux bien esperer de sa conversion puis que vous qui le voyez de plus pres en concevez ceste esperance. Aussy me semble il bien difficile qu'un honeste et si habile homme comme il est puisse croupir longuement en telle misere, pour peu quil veuille ouyr parler de la religion a un vostre semblable. Je remetray a ce tems là de l'embrasser et de recueillir avec plus de demonstration l'amitié que sa poesie me presente, vous priant toutefois de l'en remercier de ma part. Si j'estois venu a bout de ma Seconde Centurie, je luy escrirois tres volontiers pour le prier de l'avoir aggreable. Si ainsy estoit nous aurions tout gaigné, puis qu'elle sera toute en l'honneur du Sainct Sacrement ; et non moins sil fait estat de la troisieme, laquelle je pretens faire, Dieu aydant, en l'honneur de Nostre Dame.

            J'attens de bon cœur l'ornement que vous m'avez promis pour mon Code Savoysien, lequel je vay avançant de jour a autre le plus que je peux pendant le loisir que m'en donnent ces feries.

            Entre autres poinctz, n'oubliez pas, sil vous plait, celuy là, que noz heretiques font mestier de nier tout et ne rien dire. Ilz le font sans doubte par art et par finesse, affin quilz ne soyent tenus de rien preuver et quilz nous chargent tant plus de preuve, dautant quil est beaucoup plus aisé de nier la verité que de preuver le mensonge. Ilz se fondent sur la reigle qui dit que aienti, non neganti, incumbit probatio ; mais vous sçavez mieux que moy comment telle reigle est [408] entenduë en nostre jurisprudence, a laquelle proprement elle appertient. Noz loix dient que celuy qui dit et afferme quelque chose [est tenu de le prouver, mais que celui qui soutient la négative] n'est tenu de la preuver ; la raison est parce que la preuve d'une negative semble estre impossible par la nature mesme, dautant que ce n'est qu'une pure privation qui en somme n'est rien selon les philosophes. Mais ceste raison mesme monstre que la reigle doit estre entenduë d'une pure negative qui ne puisse estre circunstantiee de point de façon ; car quand ell'est coarctee, comme parlent noz maistres, de la circonstance de quelque lieu ou de quelque tems, la preuve s'en peut faire, et faut qu'elle se face par celuy qui nie : comme si quelqu'un nioit d'avoir esté a Romme un tel jour, il pourroit et devroit preuver en quel autre lieu il fut ce jour là.

            Il y a de plus que la negative mesme qui est pure privation, et quæ nihil ponit, nec includit affirmativam contrariam, doit estre neantmoins preuvee par celuy qui l'avance, toutes et quantes fois que c'est le fondement de son intention ; et en ce poinct s'accordent tous noz docteurs, fondés sur ce que tousjours le demandeur doit estre chargé de preuver son intention et ce sur quoy il la fonde. Il y en a une infinité d'exemples ramassez par le premier Marian Socin en ses Commentaires sur le Droit canon, qui traite ceste matiere plus amplement qu'autre docteur quelconque qui jamais en aye parlé. Il me souvient de l'y avoir veu autrefois a plein fonds, combien que je n'aye pas a present le livre.

            Je me suis fort appuyé autrefois sur ceste derniere consideration pour conclurre que noz heretiques, pour nieurs quilz soyent, sont tenus de preuver toutes leurs negatives ; car ilz ne peuvent nier quilz ne soyent demandeurs, puis qu'ilz viennent a nous troubler en nostre possession de sezecentz ans qui nous rend deffendeurs ; et vous sçavez que c'est la principale commodité de la possession, qu'elle decharge le possesseur de toute necessité de preuve jusques a ce que le demandeur aye fondé et preuvé son action : de là vient que adversus extraneos, id est, nihil juris habentes actores, etiam viciosa possessio prodest. Mais c'est trop faire le docteur avec vous ; aussy me faites vous dottor in volgar. Escrivez moy si vous voulez que je le tire en consequence, affin que je n'en abuse.

            Je feray tenir voz lettres a Pere Possevin et a nostre frere monsieur de Locatel. J'ay esté presque botté pour vous aller voir affin de vous conduire au Baptesme de nostre neveu, lequel nous esperions [409] devoir estre fait le jour de la Toussainctz ; mais j'ay esté retenu par une infinité d'incommodités, et pour avoir sceu aussy que monsieur le Commandeur doit partir aujourdhuy pour Lyon, et qu'a ceste occasion la solemnité du Baptesme sera remise en autre tems.

            Vous me treuverez aussy long en françois qu'en latin, mais je ne sçaurois qu'y faire. Encor avois je a vous prier de m'ayder a me faire avoir responce des lettres que j'ay escrit a Geneve et addressé a l'hoste du Lyon d'Or, pour sçavoir si ces imprimeurs mettront la main a imprimer mes derniers Livres de Conjectures suyvant les promesses qu'ilz m'en ont faites toute ceste annee. Je ne peux attendre davantage pour le desir que j'ay de faire sçavoir en Allemagne et en l'Italie, aussy bien qu'en France, que nous sommes freres ; et comme tel je vous baise les mains. Aussy font ma belle mere et ma maistresse, avec noz escoliers, qui prient tous Dieu avec moy quil vous conserve, Monsieur mon Frere, a longues annees en sa grace, et nous, en la vostre.

Vostre plus humble et plus intime

frere et serviteur,

A. FAVRE.

            De Chambery, en haste, ce 25 octobre 1595.

 

Revu sur l'original conservé à la Visitation d'Annecy.

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XXII

 

Chambéry, 22 novembre 1395.

 

Fratri suavissimo Francisco De Sales,

Ecclesiæ Gebenensis Præposito et Pontifici designato,

Antonius Faber salutem dicit.

 

            Non est quod ex me nunc, mi Frater, aut longas aut suaves literas expectes, adeò me conturbat repentinus sic obitus Baronis nostri Hermanciani, sivè privatam jacturam meam considero sivè totius reipublicæ nostræ causam, quæ tot jam adversis casibus cladibusque miserè conflictatam spes erat maxima, hujus potissimùm viri opera vehementique pacis studio quo flagrabat, restitui posse et recreari. Movet me etiam non parùm quòd, postremis qui mihi cum illo ante morbum intercesserunt sermonibus, videbatur in eam potissimùm curam velle in posterum incumbere ut sacrosancta religio [410] nostra, tuis potissimùm præclaris conatibus adjuta, per totam istam provinciam quàm latissimè et vivissimè diffunderetur. Quamquam si, ut plerique ominantur, provinciæ moderatio ad Baronem Petræ differretur, sperandum est æquè feliciter, ne quid ampli us dicam, cessura omnia, dummodò quantum ille animi et contentionis in eam rem collaturus est, tantum ad rem agendam habiturus sit authoritatis ; quam ego in hujusmodi causis semper plus posse credidi quàm ipsum etiam jus potestatis. Sed de hoc postea videbimus.

            Gaudeo interim te in Salesianum venire, in quo ita futurus sis otiosus ut numquam minùs otiosus. Etsi enim ea ingenii tui vis est, ut ubi voles esse gentium non possis aut tui similis non esse aut extrinsecis hujusmodi subsidiis indigere, conducet tamen non parùm ad edendum feliciter partum hunc quem jampridem parturis, ut in eo loco sis in quo favorabilior tibi gratiorque Lucina adfutura sit. Ego Librum meum duodecimum, tibi inscriptum et proprio quodam jure tuum quòd in Salesiano tuo, ut meministi, inchoatus sit, dedi optimo et ornatissimo huic viro perferendum ad typographum qui sæpiùs jam ad me scripsit facturum se ut quamprimùm prælo detur. Id ego incredibiliter fieri cupio ut ita saltèm publicum extet singularis meæ erga te voluntatis monumentum si facere posthac non potero ut majus quidpiam à me proficiscatur.

            Benè vale, mi Frater, et me, ut facis, ama. Mei omnes, aut tui potiùs, te salutant ; ego nominatim consobrinum nostrum. Iterum vale.

            Ex urbe, 10 calend. Decembris 1595.

A Monsieur mon Frere,

Monsieur De Sales,

Prevost de l'Esglise Cathedrale de Sainct Pierre de Geneve.

A Chablaix.

 

Revu sur le texte inédit, inséré dans le Ier Procès de Canonisation.

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XXIII

 

Chambéry, 2 janvier 1596.

 

Fratri suavissimo Francisco De Sales,

Ecclesiæ Gebenensis Præposito et Pontifici designato,

Antonius Faber salutem dicit.

 

            Non minùs ex Avullæi, tandem nostri, sermonibus quàm ex literis tuis, mi Frater, cognovi quod maximè cupiebam, præclarè illum de religione sentire nec magis quidquam in votis habere quàm [411] ut publicè id testatum faciat. Sic enim mecum egit ut præcipuo quodam animi dolore angi videretur quòd, tantoperè urgentibus conscientiæ stimulis, rem tanti momenti tamdiù procrastinando in hunc usque diem distulisset.

            Libris illis de politica, ut eleganter inscribis, auscultatione id præscribentibus, hoc mihi quàm dulce optatumque fuerit, etsi facilè æstimare potes qui optimus testis es nihil me umquam ardentiùs desiderasse, vix tamen possis credere ni tibi persuadeas eum esse me qui factis laudibusque tuis magis delecter quàm tu ipse, in ea præsertim re in qua nominis tui laus cum Dei gloria non possit non esse conjuncta. Itaque noli quærere quàm alacriter utroque ut jubebas amplexu hominem sim complexus, quamquam in eo mihi minus satisfecerit quod visus est publicam conversionis suæ significationem nescio qua majoris boni spe in ulteriorem diem differre velle. Adjecit sibi tecum sic convenisse ut Principem rogaretis de me in provinciam istam mittendo, ut quæ ad sacrosanctæ religionis nostræ restituendam dignitatem pertinere videbuntur à provincialibus impetrem aut potiùs extorqueam. Id verò quàm mihi honorificum si succedet ; etsi nec dubitandi causa est si Deum authorem habebimus Principem fautorem et adjutorem. Intereà expectationem nostram spe sustentemus.

            De Pare Cherubino facere non potui ut eum Avullæus tam citò conveniret. Expectabam ut ad me scriberes aliquid de prioratibus ; audio enim Baronem nostrum venisse, ex cujus literis sperabam fore ut ea de re fausti aliquid lætique intelligerem. Ad eum enim, cum tuis literis, meas etiam dederam. Sed quando id hactenus factum non est, cura si placet ut quamprimùm fiat. Non gratiora mihi aut melioris ominis xenia possis mittere ; ne (sic) si fragmentum illud quòd polliceris, et quo tamen scito nihil mihi advenire posse optatiùs.

            Benè vale, Frater suavissime, et quod felix faustumque sit ad me scribe. Mei omnes, aut tui potiùs, valent optime et te salutant amicissimè. Iterum vale.

            Ex urbe et ex tempore, 4 non. Januarii 1596.

A Monsieur mon Frere,

Monsieur De Sales,

Prevost de l'Esglise Cathedrale de Sainct Pierre de Geneve.

A Tonon.

 

Revu sur le texte inédit, inséré dans le Ier Procès de Canonisation.

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XXIV

 

Chambéry, 19 février 1596.

 

Fratri suavissimo Francisco De Sales,

Ecclesiæ Gebenensis Præposito et Pontifici designato,

Antonius Faber salutem dicit.

 

            Acceptis uno die binis à te, mi Frater, literis, expertus sum, quod jam sæpe anteà, numquam te minùs negligentem esse quàm cùm negligens videris. Nam eo ipso aut præcedenti die scripseram ad te epistolam, perbrevem quidem, sed plenam expostulationis quòd per tam longum tempus nullas à te habuissem.

            Nunc mihi planè satisfactum est iis literis quibus ad omnia mearum capita tam diligenter et accuratè respondisti, nisi quod subticuisti (dolone bono an malo non ausim dicere), quod maximè significare debueras, quodque ex Chaventio cùm ei tuas darem intellexi, habere te nunc Principis nostri, non voluntatem solùm, quæ tibi numquam defuit, sed eam quæ tamdiu desiderata et expectata est subscriptionem. Quo nomine si tibi et mihi totique reipublicæ nostræ non gratuler, indignus sanè sim quem boni ament, nedum tu qui es optimus. Sed id mallem coram et in fraternis amplexibus quàm in literis, præsertim quas aut longiores aut politiores facere ocium nunc non detur.

            De prioratu Talloriarum rursum benè sperare cœperam, defuncto Calcaneo, qui Principis voluntatem præcipiti ambitione meritis tuis præripuerat. Sed, ut audio, Baronis de la Bastie, magistri hospitii, filio id indultum est.

            De Centuria mea faciam quod suades et scribis. De pecunia curavi quod petis ut humanissimæ creditrici meæ satisfiat, duplici in eam rem exquisita ratione, ut si una deesset, altera succederet. Si, quod abominor, neutra succedet, curabo artibus omnibus ne illam collati in me beneficii, te verò præstiti amicissimè officii pœnitere possit. De eo scripsi ad Chissæum nostrum itemque ad Agiæum, à quo etiam habui de ea re suavem et benevolam interpellationem.

            Nos omnes valemus et te salvere jubemus. Tu vale, et nos, ut facis, ama.

            Ex urbe, 12 calend. Martii 1596.

            Post hæc scripta, accepi posteriores tuas literas, et quæ tu de hæreticis nostris tam argutè et copiosè scripta adjecisti ; habeo gratiam, [413] et de eo brevi ad te rescribam. Dominum de Lullin, à quo tempore tuas accepi literas, non vidi ; faciam ut intelligat se mihi per te commendatum.

A Monsieur et Frere,

Monsieur De Sales,

Prevost de l'Esglise Cathedrale de St Pierre de Geneve.

A Tonon.

 

Revu sur l'original conservé à la Visitation d'Annecy.

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XXV

 

Chambéry, 27 mars 1596.

 

Fratri suavissimo Francisco De Sales,

Ecclesiæ Gebennensis Præposito et Pontifici designato,

Antonius Faber salutem dicit.

 

            Scripsissem ad te, mi Frater, diligentiùs, si de Serenissimi Ducis nostri adventu, de quo te scio potissimùm laborare, certi quid et explorati habuissem ; sed fuerunt omnia in hunc usque diem adeò incerta et in utrumque eventum titubantia, ne dicam penè deplorata, ut nihil scribendum occurreret quod levandi et consolandi tui causa scirè te mea interesset. Nunc certioribus quàm anteà rerum argumentis erectæ sunt spes nostræ reditu Præsidis Rochetani, qui affirmat esse omnia non solùm in expedito, sed etiam in tuto, et ante festa Paschalia venturos à Rege in hanc urbem legatos, qui perpetuum inter Principes fœdus sanciant et jurejurando devinciant. Id si ita erit, non dubitamus quin ad nos Princeps quoque statim sit advolaturus. Tu, quod facturum te promittis, si et Principem et nos amas, fac ut venias ; multum tibi ex loci et temporis opportunitate auxilii præsidiique accesserit ad ista quæ solo Deo optimo maximo auspice tam feliciter instituisti, et commodè et honorificè peragenda.

            De Avullæo nostro doleo mirum in modum quod longioribus eum sermonibus tenere, ut sperabam et cupiebam, non potuerim. Recessit enim postridie quàm Necio veni, cùm tamen non priùs recessurum putarem quàm Principem vidisset. Literas à te nullas mihi reddidit ; itaque quas Necii dixeras ad me scripsisse video interceptas, feroque, ut debeo, molestissimè ; etsi fuit illud multo jucundius te videre, tanta præsertim videndi mei cupiditate incitatum, ni puderet magis quod mea causa tam grave et noctis et itineris incommodum suscepisses. [414]

            Pater Cherubinus infinitam tibi salutem ; ardebat miro videndi amplectendique hominis desiderio, maximè cùm id tibi optatissimum osse ex me intellexisset. De demonomania ista Tononensi aliquas à te literas habere vellet. Si ocium erit, scribe ; at etiam si ocium non erit, quod tamen sine ocio facere potes, me ama ; et vale, mi Frater, iterum atque iterum suavissime, iterùm atque iterum vale.

            Ex urbe Camberii, 6 calend. Aprilis 1596.

            Tui omnes, quos cùm aliis scribo soleo meos dicere, te salutant.

A Monsieur mon Frere,

Monsieur De Sales,

Prevost en l'Esglise Cathedrale de St Pierre de Geneve.

A Tonon.

 

Revu sur l'original conservé à la Visitation d'Annecy.

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XXVI

 

            Monsieur mon Frere,

 

            Je me doubte fort que la lettre que je vous escrivis la semaine derniere par la voye de monsieur de Crans ne vous aye pas esté rendue, par les dangers de contagion continués et accreus, comme l'on nous dit, du costé de Necy. Je porteray la perte fort patiemment, pourveu que vous croyez que je n'ay pas esté si paresseux d'attendre jusques a present de me conjouir avec vous de vostre heureux retour (car aussy n'estoit elle pour autre), en attendant qu'avec plus de loisir je puisse vous escrire. Despuis, j'ay eu quelques heures de meilleur loisir, mais point de commodité de porteur qui s'en allast du costé de Sales ou de Tonon.

            Je m'asseure que vous n'aurez pas esté moins impatient en l'attente de recevoir de mes nouvelles que moy, en l'attente de pouvoir vous faire part des miennes et d'avoir des vostres, combien que pour ma consolation j'aye veu nostre bon frere, qui m'a bien au long entretenu, et discouru plusieurs particularités de vostre voyage, toutes tres aggreables, mesme celle du françois converti ; car elle vise a l'honneur de Dieu premierement, puis au vostre, qui sont les deux plus grandes grandeurs que j'apprehende dans ce monde. Bref, il me semble que je vous ay veu et que je vous voy, et peut estre encor que je vous verray en brief. [415]

            Au reste, j'ay a vous dire pour bonne nouvelle, et meilleure pour moy que pour vous, que monsieur de Jacob, venant de France, m'a fait entendre que Madame de Nemours l'avoit prié fort affectionnement de sçavoir de Son Altesse si elle auroit aggreable que je fusse convié d'estre President du Genevois ; a quoy s'accorde un billet escrit par monsieur de Charmoisy, nostre parent, a monsieur son pere, qui adjouste que Monsieur et Madame de Nemours estoyent sur le poinct de m'en prier. Je serois trop long a vous conter tout ce qui a esté dit sur ce propos entre luy et moy ; tant y a, que son advis a esté que je peux et doy entendre a ceste condition, et que Son Altesse l'aura tres aggreable, et a resolu de faire l'office a ce voyage qu'il fait en nostre court, ou il s'est acheminé despuis deux jours. Je m'asseure que le commandement ne tardera gueres de venir ; il ne restera sinon que de l'autre costé on m'escrive. Et voyla ma cause gaignee. Apprestes vous seulement d'estre le president du President, et de rabbattre trois ou quattre heures tous les jours de vostre plus serieuse estude. Je ferois tort a ceste lettre, pleine d'un sujet tant desiré, si je la chargeois d'autre matiere, sinon pour vous dire que j'ay fait tenir voz pacquetz a monsieur de Lullin par le secretaire mesme de monsieur de Jacob, qui m'a promis de les delivrer en mains propres.

            Nostre santé est tres bonne en general, graces a Dieu, lequel vueille qu'ainsy soit de celle de Necy bien tost. Quant a la vostre, je la tiens et desire toute telle que celle de l'autre vous mesme, sinon que de plus il est

Vostre serviteur,

A. FAVRE.

            Ma maistresse avec toute la suite vous salue ; ainsy fait elle madame du Foug, et moy encores plus, sans oublier monsieur l'advocat du Crest, et monsieur le Procureur fiscal.

            De Chambery, en haste, ce 21 novembre 1596.

Monsieur mon Frere,

Monsieur De Sales,

Prevost de l'Esglise Cathedrale de Sainct Pierre de Geneve.

A Tonon.

 

Revu sur le texte inédit, inséré dans le Ier Procès de Canonisation.

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XXVII

 

            Monsieur mon Frere,

 

            Combien que je vous aye escrit ny a que deux ou trois jours par l'homme de monsieur de Coudree bien amplement, et avec beaucoup de contentement pour la bonne nouvelle de laquelle je vous ay fait part de ma promotion a l'estat que je desirois, tousjours plus pour m'approcher de vous, qui m'estes et serez in æternum instar omnium, que pour m'esloigner du reste de mes amis, si est ce que j'ay recherché encores ceste commodité de vous pouvoir escrire par monsieur le Gouverneur, pour me reintegrer en la possession de noz premieres diligences, autant que la commodité ou, pour mieux dire, l'incommodité et le malheur du tems le pourra permettre ; car Necy est maintenant plus decrié que jamais pour le mal qui est naguieres survenu pres du pont de Nostre Dame. Nous sommes de par deça assez asseurés, mais non pas entierement, parce quil y a deux villages ausquelz le mal va encores s'entretenant.

            Tout mon train se porte bien, graces a Dieu, et sur toutz celuy que vous tenez et recognoissez pour

L'autre vous mesme et rien moins qu'autre,

A. FAVRE.

            Tous mes gens se recommandent, et moy particulierement, mesmes a monsieur d'Avully, monsieur du Crest, a monsieur le Procureur fiscal et a madame du Foug.

            De Chambery, en haste, ce 25 novembre 1596.

A Monsieur mon Frere,

Monsieur De Sales,

Prevost de l'Esglise Cathedrale de Geneve.

A Tonon.

 

Revu sur l'original inédit, conservé à la Visitation de Rennes.

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XXVIII

 

            Monsieur mon Frere,

 

            Je n'eusse pas laissé partir ces bons villageois sans les charger de mes lettres si j'eusse esté adverty de leur despart ; mais la faute n'en est qu'a leur procureur qui m'avoit promis de me les faire voir, ce qu'il n'a fait. Je sçay qu'ilz ont esté depechés a leur contentement, mais non pas sans beaucoup de despence : en quoy peut estre que j'eusse peu leur apporter quelque soulagement, si leur procureur m'en eust parlé avant que l'argent eust esté deboursé, s'estant aussy en cela comporté plus nonchalamment qu'il ne devoit ; combien qu'a la verité, en semblables matieres d'argent, si peu de gens ont le credit d'en faire rien rabbattre.

            Je feray voir au Conseil d'Estat la requeste du gentilhomme duquel vous m'escrivez a la premiere assemblee qui se fera, qui ne peut estre devant demain, 15e de ce mois, et n'oublieray rien de ce que je pourray pour luy faire ressentir quelque bon effect de vostre recommandation ; me resjouissant au reste des bonnes esperances que vous donne Monsieur le Nonce, ne pouvant croire qu'elles doivent plus longuement demeurer sans effect en chose de telle importance, et laquelle je ne doubte point que Son Altesse, aussy bien que luy, n'affectionne beaucoup plus qu'auparavant des qu'ilz vous ont veu : et me semble qu'icy l'autheur doit admirer leur tardiveté autant que son sçavoir.

            Je m'estois bien promis que je me treuverois a la premiere grand'Messe que vous diriez a Tonon pour ces festes de Noel, mais a ce que je voy, la chose sera remise a l'an qui vient. Bon Dieu, que le tems m'en dure, et de vous voir et en cest acte là ! l'un et l'autre sera quand il plaira a Dieu. Je suis retenu plus que jamais d'aller en Genevois jusques a ce que j'y aille pour une bonne fois, pour ne sembler vouloir courir au devant des honneurs ; sinon que les lettres de monsieur de Charmoisy, mon cousin, ou quelque sien commandement ou vostre m'en fist naistre l'occasion. Ce pendant, pour accroistre ce contentement qui n'est qu'un a vous et a moy, je vous diray que je viens de recevoir lettres de monsieur de Jacob, par lesquelles il m'asseure que Son Altesse a tres aggreable que j'aille en Genevois et qu'elle m'en priera (voyez quelz termes) ; et qu'en tesnioignage de cela, mes gaiges de senateur me demeureront. [418] Mais tenez, je vous prie, ce dernier poinct secret, car il m'importe affin qu'on ne me rabbatte rien dans cela des gaiges qu'avoit monsieur Poille, qui est le plus haut degré d'ambition et d'avarice auquel ma pauvreté aspire. Il ne reste sinon que je reçoive mes depeches et d'une part et d'autre. J'espere que de nostre court monsieur de Jacob les apportera a son retour ; mais ce ne sera pas, comme je croy, avant Pasques, car il fait estat de se treuver a Paris seulement pour le quinziesme du mois prochain, a ce que dit monsieur de Trollioux qui est passé pour luy aller preparer son logis. Cela me fait tres bien esperer de noz affaires, quoy qu'on veuille dire ou gazouiller au contraire. Autres advis n'en ay je desquelz je puisse vous faire part.

            Ma maistresse et tous voz neveux qui sçavent parler vous saluent, mais le pere sur tous et plus que tous, comme celuy qui est et sera a jamais,

Monsieur mon Frere,

Vostre tres humble frere et serviteur,

FAVRE.

            Je resalue infiniment tous ces messieurs qui se resouviennent de moy, et outre les messieurs, madame du Foug, de laquelle je suis bien humble et obligé serviteur.

            De Chambery, ce 14 decembre 1596.

Monsieur mon Frere,

Monsieur De Sales,

Prevost de l'Esglise Cathedrale de Sainct Pierre de Geneve.

A Tonon.

 

Revu sur le texte inédit, inséré dans le Ier Procès de Canonisation.

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XXIX

 

            Monsieur mon Frere,

 

            Estant au plus fort des Meditations poetiques que j'ay commencées despuis quelques jours sur les misteres du tressainct Rosaire, pour faire quelque provision de devotion pour ces bonnes festes, j'ay sceu par monsieur l'advocat Salteur, lequel m'a remis voz dernieres lettres, quil y avoit commodité de vous faire responce par le [419] greffier de Thonon ; et a l'instant, sans poser la plume, j'ay seulement changé de papier pour vous faire ce mot, non moins pour accroistre en moy cet esprit de devotion par l'imagination que je conçoy de vostre conversation, que pour vous advertir comme du jour mesme que je receus vostre pacquet, ou, pour ne mentir, du lendemain, je le remis a la poste avec les autres que le Conseil d'Estat depechoit par courrier expres a Son Altesse et soubs une mesme couverture, de sorte que je m'asseure quil aura esté bien et seurement rendu ; dequoy je n'eusse pas tant tardé de vous advertir si j'eusse heu la commodité d'un porteur.

            Car, quant au reste que vous vouliez sçavoir de moy, de la negotiation de monsieur de Jacob pour moy en nostre court, je vous ay ja escrit, et m'asseure qu'aurez receu la lettre, que Son Altesse treuve tout bon et me laisse, avec l'estat de senateur, mes gaiges. On m'en escrit en ces termes : « Vous irez, vous demeurerez et tirerez voz gaiges. » Toutefois, je n'ay encor point receu de lettres de Son Altesse, non plus que de Leurs Excellences, tellement que, non sans beaucoup de peine, je suis contraint de dissimuler et ne faire pas semblant que je desire de voir la chose executee, quand ce ne seroit que pour empecher que noz confreres ne vous veullent mal, pour l'asseurance quilz ont que la force de nostre amitié m'attire a ceste resolution autant qu'autre chose quelconque. J'espere que le retour de monsieur de Marclaz, mon cousin, m'apportera ce contentement avec les autres.

            Cependant, felix nobis de la lettre de nostre Sainct Pere. C'est maintenant, a ce que je voy, quil fera bon estre de voz amis a qui en voudra avoir a Romme et a Turin. Je ne pers point pour cela courage d'esperer que vous aymerez tousjours le President, lequel vous avez bien aymé senateur. Encor veux je que le Pape le sçache quelque jour, aussy bien que Son Altesse le sçait.

            Je ne pensois vous escrire qu'un mot, et vous voyez ou la passion me porte. Encor feroy je bien ceste plus longue, si le dernier coup de Matines ne me pressoit ; car je vous escris ceste en semblable tems auquel je jouissois de nostre premiere entreveuë a Necy en vostre estude, sont passés trois ans. La seule souvenance me recree infiniment ; Dieu veuille que dans un an je la puisse rafreschir par une nouvelle jouissance.

            Je n'escris rien a monsieur de Charmoisy, mon cousin, en responce de la sienne, tant pour n'en avoir a ceste heure le loisir, que pour avoir desja satisfait a tout ce quil attend de sçavoir de moy par celle quil aura receu de moy despuis la sienne escritte. Si je puis retirer de monsieur Chaven le depeche du gentilhomme avant que ce [420] porteur soit party, je feray quil le portera ; sin minus, ce sera pour l'autre fois.

            Je vous baise bien humblement les mains, et a monsieur nostre cousin, sans oublier tout ce quil y a de bon et d'honeste en vostre ville de Tonon. Ma maistresse et voz neveus vous en presentent autant, et du mesme cœur duquel nous prions Dieu, tous tant que nous sommes, monsieur mon Frere, pour vostre santé et prosperité.

Vostre plus humble frere et serviteur,

A. FAVRE.

            De Chambery, en haste, la veille de Noel, a 9 heures du soir, 1596.

A Monsieur mon Frere,

Monsieur De Sales,

Prevost de l'Esglise Cathedrale de St Pierre de Geneve.

A Tonon.

 

Revu sur l'original conservé à la Visitation d'Annecy.

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XXX

 

            Monsieur mon Frere,

 

            Je vous avois escrit en grande haste la veille de Noel, comme vous verrez par la cy jointe, pour ne perdre la commodité qu'on m'avoit enseigné du greffier de Tonon ; mais il se treuva au lendemain qu'il estoit parti le soir devant, fort tard, de peur, comme je croy, de se treuver a nostre Messe de minuit. Despuis, j'ay receu une des vostres datee du jour de Sainct Thomas, non toutefois l'autre laquelle vous dites m'avoir escrit par autre voye.

            Je ne treuve pas moins estrange que vous l'empechement que vous font ces messieurs de Tonon, et en ay conferé bien a plein avec monsieur le Gouverneur lequel m'a dit les mesmes raisons lesquelles il a discouru avec vous sur ce sujet. Tout ce que je treuve de plus considerable, c'est qu'il dit que par les lettres mesmes de Monsieur le Nonce a vous, il est fait mention des depeches qu'en veut faire Son Altesse, lesquelz ne sont encor venus ; car sans doute s'ilz estoient entre vos mains, la chose se pourroit faire avec beaucoup plus de reputation. L'autre raison qui m'esmeut beaucoup, c'est que la trefve estant sur le poinct de finir, il ne faut doubter que [421] si elle estoit finie ou rompue l'ennemy courroit quant et quant du costé de Tonon, quand ce ne seroit que pour abbattre l'autel lequel vous auriez fait construire.

            Nous sommes attendans monsieur de Jacob dans deux ou trois jours. Je ne fauldray, incontinent apres qu'il sera arrivé, de luy en parler, tant pour sçavoir s'il apporte point de commandement de Son Altesse sur ce faict, que pour entendre ce qui luy en semblera ; et sera bon que vous luy en escriviez, affin qu'il s'en prenne quelque bonne resolution entre luy et monsieur de Lambert, lequel m'a dit que si la trefve est continuee il viendra le voir. Qu'y feriez vous, mon bon Frere ? Il faut joindre encor ceste patience a tant d'autres desquelles Dieu vous a donné et le sujet et le merite en ceste vostre si saincte et digne negotiation. Ce pendant, il faut presser Monsieur le Nonce pour avoir, par son moyen, le commandement de Son Altesse. Je vous escriray dans peu de jours ce que j'en auray appris de monsieur de Jacob.

            Et en ceste attente, vous baisant bien humblement les mains, comm'aussy ma maistres.se avec voz neveux, sans oublier madame du Foug, monsieur le Procureur fiscal et monsieur du Crest, je prie Dieu vous donner la santé longue et contente vie.

            Monsieur mon Frere,

Vostre plus humble frere et, s'il se peut dire, quelque chose de plus,

FAVRE.

            De Chambery, ce 28 decembre 1596.

Monsieur mon Frere,

Monsieur De Sales,

Prevost en l'Esglise Cathedrale de Sainct Pierre de Geneve.

A Tonon.

 

Revu sur le texte inédit, inséré dans le Ier Procès de Canonisation.

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XXXI

 

            Monsieur mon Frere,

 

            Je receus hier tant seulement voz deux lettres, l'une du jour de Sainct Estienne, l'autre de Sainct Thomas. Le subjet meritoit bien qu'elles me fussent plus tost renduës, affin que j'eusse peu faire plus diligemment et plus chaudement l'affaire duquel vous m'escrivez. [422] La faute est venue en partie des porteurs, en partie aussy de ce que j'ay esté absent de ceste ville pour certain appointement que je suis allé faire du costé de Belley. Mais, graces a Dieu, tout va bien puisque vous avez reintegré la Messe en sa possession en un jour si solemnel, quoy que non pas si solemnellement que vous et moy eussions desiré.

            Tant y a que voz scyndics de Tonon n'ont point esté icy pour se plaindre de vous, mais seulement pour presenter requeste a la Chambre des Comptes a cause de la gabelle du sel, a ce que leur Procureur mesme m'a asseuré. je l'ay aussy sceu de monsieur le prenaient Pobel, qui a tousjours presidé au Conseil d'Estat en l'absence de monsieur de Jacob ; j'en ay encores parlé a monsieur de Jacob, qui me dit n'avoir ouy aucunes plaintes de vous, ny deça ny dela les monts, au contraire toutes les voix du monde favorables a vostre reputation, et l'un et l'autre treuvent bon ce que vous avez fait et que vous continuiez, estant bien resolus, si quelqu'un de ces messieurs vient se plaindre a eux, de luy bien laver la teste sans savon. Mais ilz sont bien d'advis que pour ce qui reste a faire de plus, vous attendiez quelque commandement plus expres de Son Altesse, pour ne contraindre Son Altesse de venir aux remedes violens qui seroient necessaires si ces messieurs faisoient quelque insolence qui cust forme de mespris ou de rebellion ; car en somme, comme vous escrivez, ilz n'ont point capitulé avec Son Altesse.

            Monsieur de Jacob m'a asseuré que Son Altesse est tres bien disposee a plaider vostre cause (si ainsy la faut appeller plustost que celle de Dieu) contre Messieurs de Sainct Lazare, et que luy mesme s'y est aydé, s'asseurant qu'en brief vous l'emporterez, du moins pour l'entretenement de six curés. Il dit que monsieur de Lullin fait merveilles, et m'asseure que si a son retour de France la chose n'est resolue il employera tout son credit pour la faire reussir a l'honneur de Dieu et a vostre contentement. Nous avons resolu d'en conferer avec monsieur de Lambert, par lequel en apres je vous en escriray plus a plein, car je suis maintenant merveilleusement pressé. La trefve generale avec la France est continuee jusques au dernier d'avril ; monsieur de Jacob s'y en retourne dans huict ou neuf jours.

            J'ay de rechef recommandé a monsieur le president Pobel l'affaire de ce bon gentilhomme de Tonon, et a monsieur Chaven encor qui m'avoit promis merveilles sans y avoir encor rien fait ; et l'un et l'autre m'ont promis de le favoriser pour amour de vous, et de la plus briefve expedition qu'il sera possible.

            Monsieur l'Evesque de Sainct Paul se recommande a vos bonnes graces et m'a asseuré d'avoir fait tenir vostre pacquet a Monseigneur [423] le Nonce, qui doit l'avoir receu ja des samedy dernier. Excusez ma haste, et tenez moy in infinitum, extensivè et intensivè, pour celuy qui est,

Monsieur mon Frere,

Vostre plus humble frere et serviteur,

FAVRE.

            De Chambery, ce 9 janvier 1597.

            Ma maistresse et voz neveux vous baisent les mains ; aussy fay je moy a tous ceux de qui vous m'escrivez. Nostre troisieme frere m'a escrit de France qu'il se porte tres bien.

Monsieur mon Frere,

Monsieur De Sales,

Prevost de l'Esglise Cathedrale de Sainct Pierre de Geneve.

A Tonon.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation.

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XXXII

 

            Monsieur mon Frere,

 

            En responce de celle que ce porteur m'a remis de vostre part, je vous diray qu'il n'y a que quattre ou cinq jours que je vous ay escrit bien a plein par le solliciteur de monsieur de Colombier, pour respondre aux deux dernieres que j'avois eu de vous, dont la premiere estoit datee du jour de Sainct Estienne, l'autre, du jour de Sainct Thomas. Je m'asseure que ma lettre ne s'esgarera pas, car je l'ay recommandee fort estroittement ; toutefois, parce que peut estre elle ne vous sera pas si tost rendue, je vous en feray par ceste cy un epilogue.

            Je vous escrivois qu'ayant conferé avec monsieur le president Pobel et autres seigneurs du Conseil d'Estat, j'avois sceu que le scyndic Vernaz, qui estoit venu en ceste ville, ne s'estoit aucunement plaint de vous, et que quand luy ou quelque autre viendroit a si mauvaise fin, on luy lavera bien la teste. Il estoit venu seulement pour se plaindre de l'imposition qu'on leur veut mettre sus de la gabelle du sel ; son procureur mesme me l'a ainsy confirmé. Tous ces messieurs treuvent bien fait ce que vous avez fait et monsieur de Jacob encor, avec lequel j'en ay conferé bien au long ; et est d'advis, puisque vous avez commencé de dire la Messe a Sainct Hippolite, [424] que vous continuiez ; mais il ne treuveroit pas bon que vous y fissiez construire aucuns autelz jusques a ce que vous ayez receu depeches de Son Altesse, pour ne donner point de sujet ou d'occasion de nouveau remuement en un tems si chatouilleux comme est celuy cy.

            Qu'y feriez vous, mon Frere ? Il faut prendre ceste mortification et la joindre a tant d'autres qui ont esprouvé vostre patience. Dieu est bien le chef des Conseilz d'Estat, lesquelz se tiennent en ce tems par tout le monde ; mais quand on vient a parler de luy et de ses affaires, je croy qu'il faut qu'il sorte de l'assemblee, comme s'il en estoit seulement le president ou l'un des conseillers. Je me console en l'esperance que j'ay que vostre depeche ne tardera plus gueres, et que vous n'avez pas peu fait par ceste boutee.

            Monsieur de Jacob m'a dit que monsieur de Lullin fait merveilles contre les Chevaliers de Sainct Lazare, et que Son Altesse la combat pour nous a spada tratta. Il m'a dit de plus que s'y estant une fois treuvé et convié par Son Altesse d'en dire son advis, il le dit tel qu'il devoit pour la cause de la religion, et se promet qu'a son retour, s'il reste a faire quelque chose, il s'y employera si chaudement que nous en verrons les effects. Il tient desja pour fait qu'il y aura six curés entretenus, a six vingts escus pour curé.

            Il y a plusieurs autres choses en ma derniere lettre, a laquelle je suis contraint de me remettre pour le peu de loisir que me donnent les occupations du Senat, ou je me treuve en rapport et chargé d'ailleurs d'une infinité d'affaires. Si faut il qu'encor je vous die que j'ay receu par monsieur de Jacob les patentes de Son Altesse, qui me permet d'aller en Genevois en retenant mon estat de senateur avec mes gaiges. Mais je n'ay encores point receu des lettres de Leurs Excellences, et croy que monsieur de Jacob a son retour de France, ou il n'est pas encores allé, me les apportera, et que par consequent la chose ira a la longue.

            Je le porte impatiemment pour le desir que j'ay de vous voir, et monsieur vostre pere, avec tout ce qui est de la suite. Mais je me console en l'esperance qu'entre cy et la, Son Altesse fera lever ceste gendarmerie qui ruine tout le pauvre Genevois, ou du moins la cavallerie. Monsieur de Jacob m'a asseuré que Son Altesse est en ceste volonté, et que cela seroit ja fait, sans l'advis qui vint a nostre court de la contagion reprise a Necy, lors qu'on estoit sur le poinct d'en faire les depeches. Il attend que monsieur Trollioux les luy apporte dans peu de jours, parce qu'il en a chargé ses memoires et escrit a Son Altesse de bonne encre. Toutefois, j'ay escrit a messieurs du Conseil qu'il me sembleroit tres expedient que toute la province deputast quelque gentilhomme pour aller representer a Son Altesse ses plaintes [425] et le miserable estat auquel se treuve reduit tout le peuple. J'espere que monsieur de Beaumont, avec lequel j'en ay aussy parlé, prendra bien ceste peine, s'il en est prié un peu vivement.

            J'ay escrit bien au long a Monsieur nostre pere par l'homme de Necy qui m'apporta la lettre de messieurs du Conseil ; je m'asseure que la lettre luy aura esté rendue. Ceste cy ne laissera, s'il luy plaist, d'estre pour vous deux, comme encores les tres humbles recommandations que ma maistresse et moy presentons a ses bonnes graces et a celles de Madame nostre mere, Messieurs nos freres, et Mesdemoiselles nos sœurs, priant Dieu vous donner a tous, Monsieur mon Frere, une santé longue et contente vie.

Vostre plus humble frere et serviteur in infinitum,

FAVRE.

            De Chambery, en haste, ce quatorzieme janvier mil cinq centz nonante sept.

            J'ay remis au Pere Cherubin vostre traitté incontinent que je le vis a Necy apres vous avoir laissé. Je m'asseure qu'il l'aura veu diligemment, car il me le promit, et je sçay qu'il desiroit extremement de le voir.

A Monsieur mon Frere,

Monsieur De Sales,

Prevost en l'Esglise Cathedrale de St Pierre de Geneve.

A Sales.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation.

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XXXIII

 

            Monsieur mon Frere,

 

            Vous m'avez osté d'une extreme peine me faisant sçavoir de voz nouvelles et m'envoyant la requeste de ce bon gentilhomme qui languit des si long tems ; car ayant eu je ne sçay combien de fois la main a la plume pour vous escrire, j'ay tousjours esté retenu et empeché par honte que j'ay du tort que nous avons, monsieur Chaven et moy, de l'avoir abusé si longuement. Il n'a pas tenu a moy que l'expedition ne s'en soit ensuyvie ; mais quoy que j'aye sceu faire, mesme despuis mon dernier retour de Necy, il ne m'a jamais esté possible ny par courtoisie ny par force d'avoir de ce petit homme autre que paroles et vaines promesses. Maintenant je me passeray [426] de luy, et au premier Conseil d'Estat, qui se tiendra demain comme j'espere, j'auray quelque bonne provision, a ce que me fait esperer monsieur le president Pobel, auquel j'en ay parlé ja des long tems et qui m'a promis toute la faveur qui luy sera possible. Vous serez adverty par la premiere commodité de ce que j'auray peu negotier.

            Ce pendant tenez vous joyeux, nonobstant les traverses ou nonchalances de ceux qui devroyent vous ayder en ceste vostre si saincte entreprise ; vostre patience a desja vaincu les plus grandes difficultés, j'estime que ce qui reste a faire ne vous peut estre que subjet d'honneur et de contentement. Je ne vous escris rien de ce malheureux acte qui s'est naguieres commis a Mussel, tant pour n'en avoir le loisir que pour n'interrompre voz devotes pensees d'un si fascheux entretien. J'en ay escrit a monsieur vostre pere ce qui m'en sembloit.

            J'ayme mieux vous parler de monsieur Locatel, nostre frere, qui m'a chargé par sa derniere lettre de vous baiser bien humblement les mains, et vous advertir qu'il est pere d'une Marguerite. J'espere qu'avec vostre bonne ayde je pourray dans cinq mois estre pere d'un François, si ma maistresse ne me trompe, laquelle en ceste apprehension vous baise bien humblement les mains, comm'aussy je fay, et a madame du Foug et a tous ces messieurs nos communs amis, priant Dieu vous donner a tous une santé longue et contente vie.

Monsieur mon Frere,

Vostre plus humble et plus obligé,

FAVRE.

            De Chambery, en haste, ce 14 mars 1597.

A Monsieur mon Frere,

Monsieur De Sales,

Prevost de l'Esglise Cathedrale de Sainct Pierre de Geneve.

A Tonon.

 

Revu sur le texte inédit, inséré dans le Ier Procès de Canonisation.

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XXXIV

 

            Monsieur mon Frere,

 

            J'avoy differé quelques jours de vous escrire tout expressement pour donner loisir a mes depeches de venir, affin de vous entretenir desormais de quelque subjet plus aggreable que ne sont ces esperances languissantes qui nous ont morfondus despuis tant de mois. Enfin [427] tout est arrivé avec monsieur de Jacob, horsmis la paix. Je ne pouvois desirer lettres plus favorables que celles qui m'ont esté escrittes par Leurs Excellences, outre les patentes. Dieu soit loué que nous voilà tous deux a l'egal contens et en beau chemin de jouir, sil plait a Dieu, a longues annees de ceste mutuelle et incomparable amitié, laquelle se fait desja paroistre es lieux mesmes ou nous n'avons jamais esté veus ny congnus.

            Il ne reste sinon que ceste jouissance s'ensuyve de plus pres. Et pour ceste cause, je ne refuse pas d'estre le premier a vous aller au devant, si messieurs du Senat et du Conseil treuvent bon que j'aille prendre possession de mon presidentat, affin qu'a nostre premiere veuë je vous mette un president entre les bras. J'espere que si ce n'est pour les derniers jours de la semaine prochaine, ce sera pour la suyvante. Dieu sçait combien je desireroys de vous y treuver, et pour combien de raisons ; mais je prendray bien patience pour quelques jours, pourveu que je sois bien adverty de vostre bon portement, et que la conversation du Pere Esprit vous console parmy tant de travaux que vous continuez de prendre a cultiver ceste barbarie huguenotte, si cultiver se peut dire pour deraciner ; mais je parle du terroir, non pas de la semence.

            Quant a la conference, je ne desire rien tant que d'ouir dire le jour auquel elle se fera, et ne croy pas quil y aye presidentat que je ne quittasse pour aller en estre tesmoin ; mais je suis bien comme vous, je crains que ces longueurs n'en facent perdre et le goust et l'occasion. Sil se fait quelque chose, je m'asseure que j'en seray adverty des premiers et que j'auray ce credit de m'y pouvoir treuver en quelque coin.

            Je vous envoye une lettre que je viens de recevoir de Monsieur l'Evesque de Mauriane. Vostre commere vous salue pour elle et pour son petit François qui se fait tous les jours plus gros que grand ; nostre frere de mesme, avec toute la brigade ; mais moy plus que tous, qui suis,

Monsieur mon Frere,

Vostre vous mesme, frere et serviteur,

A. FAVRE.

            De Chambery, en haste, ce 21 may 97.

A Monsieur mon Frere,

Monsieur De Sales,

Prevost de l'Esglise Cathedrale de St Pierre de Geneve.

A Tonon.

 

Revu sur l'original conservé à la Visitation d'Annecy. [428]

 

B. Lettres de Mgr Jules-César Riccardi, Archevêque de Bari, Nonce Apostolique a Turin

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I

 

            Molto Reverendo Signore,

 

            Per il carico che io tengo di Nuntio appresso il Serenissimo Signor Duca di Savoia, son stato obligato d'informarmi de' prelati et ministri che fanno bene l'officio loro. Et tra questi, havendo havuto ottima relatione del zelo, della sufficentia et bontà di V. S. per bocca medesima di Sua Altezza, ho voluto scriverle la presente acciò sappia la satisfattione che io sento di lei et il testimonio che son per renderne a Nostro Signore in ogni occasione di suo servitio.

            Et perchè Sua Santità desidera di haver spesso raguaglio del frutto che se va facendo nella diocesi di Geneva, et dello stato in che si trovano le cose di quella Chiesa et dell' aiuto che se li potrebbe dare, io desidero che V. S. mi avvisi spesso di tutto quello che giudicarà degno della notitia di Sua Beatitudine, così circa le cose della diocesi di Geneva come di ogni altra cosa che si potrebbe fare per beneficio spirituale della provincia della Savoia, chè me ne farà piacere accettissimo.

            Et offerendomele con tutto l'animo, le prego dal Signore Dio felicità continova.

            Di V. S. molto Reverenda,

Come fratello affettionatissimo,

G. CESARE, Arcivescovo di Bari.

            Di Torino, a dì 29 di Decembre 1595.

Al Molto Reverendo Sigre,

Monsre di Sales, Vicario di Geneva. [429]

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II

 

            Molto Reverendo Signore,

 

            Ho presa molta consolatione della lettera di V. S. di 19 di Febraro, conoscendo il zelo che tiene della religione cattolica et quanto fruttuosamente spenda il talento che Dio benedetto le ha dato. Et per non defraudarle del suo merito, io di novo ne ho fatto testimonio a Sua Santità, et le ho mandata la medesima sua lettera per ottener la licentia delli libri prohibiti et per poter assolvere quelli che ha trovato haver contratto matrimonio senza dispensa ; et dell' uno et dell'altro se ne haverà tra pochi giorni risposta.

            Et perchè Nostro Signore desidera di haver particular raguaglio dello stato di quelle anime della diocesi di Geneva, et del frutto che si va facendo et delli aiuti che si possono dare, io desidero che V. S. sia contenta di darmene spesso avviso. Nel resto, tenga per certo che io le sono affettionatissimo et che nessuna cosa desidero più che di havere occasione di procurarle servitio et accrescimento ; et me le raccomunando con tutto l'animo.

            Di V. S. molto Reverenda,

Come fratello affettionatissimo,

G. CESARE, Arcivescovo di Bari.

            Di Torino, a 7 di Marzo 1596.

Al Molto Revdo Sigre,

Il Sigre Francesco di Sales, Prevosto di Geneva.

_____

 

 

III

 

            Molto Reverendo Signore,

 

            Monsignore di Avully mi ha presentata a 25 di Agosto la lettera di V. S. di 23 di Luglio, et l'impedimento del contagio haverà ritardato il cammino. In conformità di quel che V. S. mi ha scritto, ho cognosciuto in questo cavalliero ottima disposinone di venire alla fede cattolica. Et così hieri, che furono li 26, l'esseguì con incredibile mio contento, havendo abiurato avanti di me et del P. Inquisitore le sue heresie ; et reconciliatose con la santa Chiesa Cattolica, volse [430] anco che io lo communicassi di mia mano, et in ogni attione mostrò gran segno di pentimento. Et spero che Dio benedetto se ne vorrà servire per instrumento da convertir quel ducato di Ciables, sì come mi ha promesso di fare con tutto lo spirito. Io ho dato conto della sua conversione a Nostro Signore che se ne rallegra incredibilmente, et gli ho mandato anco la lettera che V. S. mi ha scritta, acciò cognosca quanto fruttuosamente Ella s' impiega in servitio di Dio benedetto.

            Mando qui alligata la commissione al signor Vicario di Geneva che assolva et dispensi sopra quelle persone che hanno contratto matrimonii in gradi prohibiti, et si potrà regolare conforme alla stessa commissione.

            Mi è stato gratissimo di haver inteso che V. S. sta per venire a Torino, et venendo non ha da pensare ad altro hospitio che a questo mio, poichè questa casa è sua. Et me le offero et raccommando con tutto l'animo.

            Di V. S. molto Reverenda,

Affettionatissimo per servirla,

G. Arcivescovo di Bari.

            Di Torino, a 27 di Agosto 1596.

Al Molto Rdo Sigre,

Il Sigre Francesco di Sales, Prevosto di Geneva.

Ad Annessy.

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IV

 

            Molto Reverendo Signore,

 

            La lettera di V. S. di 14 di Novembre, scrittami da Sales, non mi è capitata prima che a' VI di Decembre, et però non si maraviglerà della tardità della risposta. Vedo che Ella sta con pensiero della tarda spedittione che si fa qui circa li curati di Ciables, et con gran causa, per il zelo che Dio benedetto le ha dato della conversione di quelle anime. Però non ha da perdere la speranza, per l'ottima intentione di Sua Altezza et per il carico che io ho di sollecitarla. [431]

            Il contrasto dei Cavallieri di San Lazaro è causa di questa dilatione, perchè pretendono di cavar tanto poca somma di denari da quelli beni ecclesiastici che non possono concorrere a questa spesa dei curati. Finalmente, dopo molte repliche che io ho fatto con Sua Altezza et lettere venutegli dal signor Cardinale Aldobrandino, si sta in disponerli a concorrere al meno alla spesa di sei curati, et spero con la gratia di Dio che si concluderà. Et almeno V. S. sia certa che io non pretermetto un punto di diligentia, come le potrà far fede monsignor della Bastia, il quale anchor si adopra gagliardamente per la sua parte, acciò quanto prima ne segua l'effetto.

            Io mandai a V. S. le lettere di Sua Altezza perchè le fossero pagati li trecento scudi d' oro, et ne sto aspettando risposta ; et desidero in ogni modo che Ella si disponga di tornare in Ciables, perchè la sua presentia sarà occasione di risolvere tanto più presto questo benedetto negotio, il quale creda V. S. che mi è più a cuore che qualsivoglia altro che io habbia in questa nuntiatura.

            Et con questo fine, assicurandola che la tengo sempre scolpita nella memoria, me le offero et raccommando di cuore.

Di V. S. molto Reverenda,

Come fratello affettionatissimo per servirla,

G. CESARE, Arcivescovo di Bari.

            Di Torino, a X di Decembre 1596.

Al Molto Revdo Sigre,

Il Sigre Francesco di Sales, Prevosto di Geneva.

Ad Annessy.

_____

 

 

V

 

            Molto Reverendo Signore,

 

            In pochi giorni ho ricevuto tre lettere di V. S. : una di 12 et l'altra di 14 di Decembre, et questa ultima di 21 , consegnatami questa sera con l'alligata per Sua Altezza. Rispondo alla prima, che trattava delli legati pii lasciati da quel gentilhuomo Savoiardo nelli quali pretende [432] la fabrica di San Pietro, che io ho mandata la lettera di V. S. a Sua Santità et supplicatala instantissimamente a volerli rilasciare alle chiese della diocesi di Geneva et Tarantasia, conforme alla disposinone del testatore, et rimettere qualsivoglia ragione che si potesse pretendere la fabrica ; et spero che restaremo consolati, et V. S. sarà avvisata della risposta.

            Quanto alla seconda, che tratta delli curati di Ciables, V. S. sappia che in tutte le audientie che ho havute da Sua Altezza ne ho trattato vivamente, et insieme con li signori Cavallieri di San Lazaro ; et finalmente, dopo molte dispute, ho ottenuto che per adesso si stabiliscano sei curati alle spese della Religione, la quale si obligarà di darli 18 coppe di frumento, duoi carra di vino et ducento fiorini di moneta di Savoia per ciascuno, come V. S. vederà dalla copia alligata di [una] polizza che mi ha scritta monsignor di Ruffia. Io non intendo la moneta nè le misure di Savoia, ma monsignor di Lullin, che è stato presente alla trattatione, mi ha assicurato che un anno per l'altro sarà di cento scudi et forse davantaggio. Partirà di qua fra duoi giorni il cavallier Bergera, mandato dalla Religione, il quale haverà carico di assignar subito il trattenimento per li suddetti curati. Però V. S., al ricever di questa, provveda di sacerdoti letterati et di buona vita, et li dia animo, che piacendo a Dio s'aumenteranno l'entrate et anco il numero delli altri sacerdoti ; et Ella sa che tutti li principj sono deboli.

            In questa medesima polizza mi ricercano li suddetti Cavallieri un altro particolare circa li curati che prestano nome ai laici ; et non intendendo bene questo negotio, lo rimetto a V. S. et le do la mia authorità acciò che in tutto quel che honestamente si può, si dia satisfattone alla Religione.

            Non voglio dire a V. S. la fatica che ho trovata in concludere questo negotio, con tutta la pietà di Sua Altezza che in cose di religione non può essere più ardente ; ma le dico bene, che se l' havessi durata cento volte più la fatica, devo reputarmi inutile in servitio d'Iddio benedetto. Sarà necessario che dopo la deputatione di questi sei curati V. S. mi scriva più spesso et distintamente di tutto quello bene che se andarà facendo, perchè Sua Santità ne riceverà consolatone grandissima et s'andarà animando a farli delle gratie.

            Con la lettera di V. S. di 14, hebbi anco l'informatione presa in quel negotio che le commisi, et è venuta così bene come se V. S. fusse stato giudice un gran tempo. L'abbadia dell' Abondantia non è anco data per certi degni rispetti, et Sua Santità ha qualche intentione di levarne quelli monaci et mettervi in suo loco li riformati di San Bernardo, et al novo Abbate credo che sarà data questa commissione. [433]

            Da questa ultima di V. S. di 21 ho intesa l'oppositione che le hanno fatto quelli di Tonone ; et perchè ero stato il giorno avanti alle audientie di Sua Altezza gli ho mandato subito la lettera di V. S. con la mia, et supplicatala a farne risentimento et dar a lei risposta, la quale procurarò che le se mandi quanto prima.

            V. S. attenda a faticare allegramente et a scrivermi spesso, et sia sicura che la tengo scolpita nel cuore. Et me le offero et raccommando quanto più posso.

Di V. S. molto Reverenda,

Come fratello affettionatissimo,

G. CESARE, Arcivescovo di Bari,

            Di Torino, a 4 di Gennaro 1597.

Al Molto Reverendo

Sigre Francesco de Sales, Prevosto di Geneva.

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VI

 

            Molto Reverendo Signore,

 

            Sua Altezza ha sentito gran dispiacere dell' oppositione che quelli heretici di Tonon hanno fatta a V. S., et mi ha mandato [a] dire che per il segretario Marchando ne ha fatto subito la provisione necessaria, la quai V. S. riceverà prima di questa con la sua risposta. Io sarò domani a [audienza] et soggiungerò quel di più che sarà necessario ; et V. S. stia di buon animo, che Dio benedetto concorrerà con la sua santa gratia, et Sua Altezza non mancarà della sua solita pietà et zelo, et io sarò diligentissimo procuratore.

            Et perchè duoi giorni sono io ho scritto a pieno a V. S., avvisandola del stabilimento che sarà preso per sei curati, mi rimetto a quella lettera, et me le offero et raccommando di cuore.

Di V. S. molto Reverenda,

Come fratello affettionatissimo,

G. CESARE, Arcivescovo di Bari.

            Di Turino, a dì 6 de Gennaro 1597.

Al Molto Revdo Sigre,

Il Sigre Prevosto di Geneva.

A Tonone. [434]

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VII

 

            Molto Reverendo Signore,

 

            Resto admiratissimo di non havere havuto risposta a due o tre lettere che io ho scritte a V. S. sopra la risolutione che si prese delli sei curati di Ciables, et non è possibile che qualcuna non vi sia capitata, et massime con l'arrivo del signor cavalliero Bergera, mandato dalla Religione per questo et per altro effetto. Per assicurarmi del mal recapito, a 4 di Febraro, sotto coperta di Monsignor di San Paolo, rispondendo all' ultima di V. S. di 27 di Gennaro sopra la conferentia di Geneva, le mandai il duplicato di tutte le lettere antecedenti ; et perchè da Monsignor di San Paolo in capo di vinti giorni non ho nè anco havuta risposta, mi sono risoluto di mandarli il triplicato, acciò in un negotio tanto grave sappia tutto quello che si è trattato et stabilito in quel spatio passato.

            Mandai a V. S. una copia della lettera del signor Cardinale Aldobrandino sopra quelli legati pii lasciati dal signor Gioanni Vignodi, et hora ne le mando un' altra ricevuta questa settimana, dalla quale intenderà la risolutione del negotio. Io spero di haver assai presto risposta da Sua Santità di quel che commandarà che si faccia circa la conferentia di Geneva, et subito V. S. ne sarà avvisata, la quale torno a pregare che settimana per settimana mi tenga avvisato di tutto quello che se va operando in Ciables, così circa la religione cattolica, com' introdur li sei curati. Et potrà mandar le lettere a Ciamberi, dirette al signor Presidente Pobel, perchè mi verranno presto et a buon recapito ; et la medesima farò io in scriverle, perchè non mi assicuro che Monsignor di San Paolo stia a Ciamberi.

            Sua Santità preme tanto in domandar i progressi di Ciables, che V. S. farebbe torto a sè medesimo a non tenerme avvisato giorno per giorno, se fusse possibile, come spero che farà per l'avvenire, posponendo tutte le altre occupationi a quest' una. Et me le offero et raccommando di cuore.

            Di V. S. molto Reverenda,

Come fratello affettionatissimo,

G. CESARE, Arcivescovo di Bari.

            Di Torino, a 25 di Febraro 1597.

 

            Non incaricarò più V. S. di quel che fo a scrivermi continuamente [435] li progressi delle sue fatiche, et se Ella sapesse quanto Sua Santità preme nella conversione di Ciables, son certo che mi haverebbe scritto più spesso.

Al Molto Revdo

Sigre Francesco de Sales, Prevosto di Geneva.

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VIII

 

            Resto il più admirato huomo del mondo di non haver lettere di V. S. et non so a che attribuirne causa. Monsieur de Avully, con una sua di 8 di Febraro, mi ha scritta la gran conversione che si fa in Ciables, et Monsignore non discende alli particolari, rimettendosi a V. S., ma dice solamente che vi sarebbono necessarii vinti duoi curati. Et non sapendosi li particolari di quel paese, non vedo che Nostro Signore possa fare altra risolutione, se bene io gli habbia mandata la medesima lettera di monsieur d'Avully, che è brevissima.

            Io mando a V. S. una copia di lettera che ho ricevuta dal signor Cardinal di Santa Severina circa la conferentia da farsi in Geneva, dalla quale vederà tutte le considerationi che sonno state fatte da Sua Santità et da tutti quelli Illmi Signori del Santo Officio in questa materia, et tutte le particularità che desiderano di sapere prima che si faccia altra risolutione. Però io desidero che Ella vada subito a trovar Monsignor di Geneva et il Padre Fra Cherubino, et unitamente mi rispondano subito capo per capo et punto per punto, et tutto quello che Sua Santità desidera di sapere, con tutte le altre circostanze che essi giudicaranno degne della notitia di Sua Beatitudine.

            Li Generali di Gesuiti et Cappuccini hanno ordine di Sua Santità di proveder di quanti Padri saranno necessarii per il ducato di Ciables et la diocesi Sedunense, secundo l'avviso che sarà dato da me. Ma però V. S., insieme con Monsignor di Geneva et il Padre Fra Cherubino, pensaranno a quelli Cappuccini che costì si potranno havere et mandarmi li nomi et cognomi di loro ; et l'istesso faranno circa li Gesuiti, li quali si potrebbono facilmente havere dal collegio di Friborgo et di Ciamberi per haver la lingua francese ; et se anco ne vorranno di qua, si potrà mandar il Rettore del collegio di Torino, che è un valente theologo ; et mi potrà anco avvisar della spesa che si potrebbe andare per mantener quelli Padri, per poterne dar conto a Sua Santità et a Sua Altezza. [436]

            Torno a ricordare a V. S. che leggano insieme attentamente la lettera del signor Cardinal di Santa Severina et rispondano pontualmente ; et in caso che fussero invitati di andar a predicare a Geneva, mi pare che [sarà bene che] si trattengano finchè Sua Santità veda quest' altra loro replica. Se V. S. per qualche impedimento non potesse andare a trovar Monsignor di Geneva, li mandarà questa mia istessa lettera ; et mi rispondino subito.

            Et me le offero et raccommando con tutto l'animo.

Di V. S. molto Reverenda,

Come fratello affettionatissimo,

G. CESARE, Arcivescovo di Bari.

            Di Torino, a 12 di Marzo 1597.

Al Molto Rdo

Sigre Francesco de Sales, Prevosto di Geneva.

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IX

 

            Molto Reverendo Signore,

 

            In un medesimo tempo ho ricevuto due lettere di V. S., di 12 et 25 di Marzo, in risposta di molte mie, le quali quanto più tempo sono state desiderate, tanto più mi sono state care. L' altra che Ella mi dice di havermi scritta per il cavallier Bergera non l'ho ricevuta, non essendo esso mai comparso a Torino, nè preso pensiero di mandarmela. Accetto la scusa di V. S. di non havermi scritto per il passato ; ma, per penitentia, le impongo che per l'advenire mi scriva più spesso, poichè le occupationi saranno minori dopo la Quaresima et le giornate più lunghe ; et tanto più, quanto che Ella potrà vedere dall'alligata copia di lettera del signor Cardinal Aldobrandino, quanta consolatione senta Nostro Signore del progresso di Ciables et quanto habbia gradito l' opera et diligentia di monsieur d'Avully.

            Ho mandato a Sua Santità queste ultime due lettere di V. S., le quali si leggeranno nella Congregatione del Santo Officio insieme con altre di Monsignor Vescovo di Geneva et Padre Fra Cherubino in materia della conferentia di Geneva, et di tutto si haverà presto risolutione. Et quanto alli curati, credo certo che Sua Santità constringerà li Cavallieri a lasciare li beni liberi alle suddette cure.

            Non rispondo capo per capo alle lettere di V. S. per non esser [437] troppo lungo, ma sappia solo che a tutto quello ch' Ella propone io darò la mano con ogni cura possibile. Con che me le offero con tutto l' animo.

Di V. S. molto Illustrissima,

Come fratello affettionatissimo,

G. CESARE, Arcivescovo di Bari.

            Di Torino, a 4 di Aprile 1597.

Al Molto Revdo Sigre,

Il Sigre Francesco de Sales, Prevosto di Geneva.

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X

 

            Molto Reverendo Signore,

 

            Non mi sono capitate le lettere di V. S. di 23 di Aprile se non alli otto di Maggio, et venendo ogni giorno corrieri di Savoia mi maraviglio che tardino tanto per cammino.

            Mi è piaciuta infinitamente la lettera che V. S. ha scritta a Sua Santità, la qual con questo ordinario gli ho mandata con l'altra del Padre Spirito et tutto il resto delle scritture alligate ; et non dubito punto che Sua Santità darà ordini efficaci al Signor Legato che tratti col Re di Francia per la restitutione della Messa nelli balliagi di Gex et Galliard, et spero anco che si habbia da ottener secondo il desiderio di quelle povere anime. Sentirà anco gran gusto Sua Santità della devotione delli novi cattolizati, et in particolare che sia stato capo del buon essempio monsieur de Avully, come si poteva sperare da un cavalliero suo pari.

            Io ho scritto efficacemente a monsignor della Novalesa che faccia proveder della sua prebenda il predicatore di Eviano, et non lasciarò l'instantia finchè realmente sia satisfatto. Se succederà pace o tregua presto, presto V. S. sentirà (sic) la provisione necessaria per la riforma delle badie di Savoia, et in particolare di quella d' Aux et dell'Abondantia.

            Aspetto con desiderio che V. S. mi avvisi spesso delli progressi di Ciables, et creda certo che io non manco di ricordare perpetuamente a Sua Santità che si trovi qualche modo d'accrescere li predicatori [438] et li curati. Et con questo fine, assicurandola della singolare affettione che io le porto, me le offero et raccommando con tutto l'animo.

Di V. S. molto Reverenda,

Come fratello affettionatissimo,

G. CESARE, Arcivescovo di Bari.

            Di Torino, a XII di Maggio 1597.

            Avanti ch' io habbia mandata a V. S. questa mia lettera, ho ricevuta l'alligata risposta di monsignor della Novalesa, dalla quale vederà quel che mi risponde intorno al predicatore di Eviano. Et perchè io non sono informato di questo fatto, V. S. mi potrà rescrivere tutto quel che passa et quel che sarà conveniente che si dia di elemosina al predicatore.

Al Molto Revdo Sigre,

Il Sigre Francesco de Sales, Prevosto di Geneva.

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XI

            Molto Reverendo Signore,

 

            Ho mandato a Monsignor Vescovo di Geneva la copia di una lettera di dieci di Maggio che ho ricevuto dal signor Cardinal di Santa Severina, acciò intenda la risolutione che Sua Santità ha fatta di rimettere a noi altri di qua il negotio della conferentia di Geneva. Et perchè la mia lettera a Monsignor Vescovo, con la suddetta copia del signor Cardinale di Santa Severina, haverà da esser partecipata a V. S. et alli Padri Cappuccini, io non mi estenderò in altro se non in dire a V. S. che vorrei ogni giorno, se fusse possibile, avviso di tutto quel che pensano di fare in questo negotio et di quel che hanno in animo, con fondamento. Et insieme aspetto avviso delli theologi che se havessero bisogno per questa conferentia, perchè io ho authorità da Nostro Signore di avvalermi di tutti li Religiosi ; et qui in Torino ci sono dei valentissimi Gesuiti, cioè un francese et un italiano, il quale è Rettore del collegio, et quando s' havesse a venire a conferentia et che V. S. giudicasse la venuta loro utile, io li mandarci subito subito. Ma non sono per movermi senza haver raguaglio minutissimo da V. S. et dalli Padri Cappuccini, perchè così ricerca la qualità del negotio.

            Il Padre Cherubino ha havuto licentia da Nostro Signore di poter [439] scrivere liberamente a quelli di Geneva, et sarà bene che Sua Paternità mi avvisi delle proposte et risposte per poterne dar conto a Nostro Signore. Accusai a V. S. la ricevuta delle ultime sue lettere delli 21 di Aprile, et a Sua Santità furono mandate tutte et presto ne haveremo risposta. V. S., di gratia, si sforzi di scrivermi il più spesso che sia possibile, per mostrare a Sua Santità che non si perde tempo in un negotio di tanto momento.

            Et me le offero et raccommando di cuore.

Di V. S. molto Reverenda,

Come fratello affettionatissimo,

G. CESARE, Arcivescovo di Bari.

            Di Torino, a 25 di Maggio 1597.

Al Molto Revdo Sigre,

Il Sigr Prevosto di Geneva.

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XII

 

            Molto Reverendo Signore,

 

            Monsignor di Blonay mi ha mandato le lettere di V. S. delli 11 di Aprile, le quali son capitate ben tardi, poichè non le ho havute se non all' ultimo di Maggio. Questo gentilhuomo non ho anchor veduto, et venendo da me non mancarò di fargli ogni sorte di servitio per le sue qualità et per amor di V. S. che lo desidera.

            Circa la conferentia di Geneva io ho scritto a V. S. sei giorni sono a lungo, con un canonico di Geneva che si partì di qua, et me rimetto a quelle lettere che haveranno havuto buon recapito. Circa l'abbadia d' Aux et d' Abondantia è già deputato il Visitatore da Nostro Signore, [e] per il decanato di Ciamberi ; ma non si può mettere in cammino per aspettare l' esito della guerra. Quanto all' accrescere li curati nel balliagio di Ciables, li Cavallieri dicono che non ci è tanta conversione che sia necessario maggior numero ; et però io vorrei da V. S. un poco più distinto raguaglio per disponer Nostro Signore a concederci quel che si pretende. [440]

            Et con questo fine, ricordandomele affettionatissimo, me le offero et raccommando di cuore.

Di V. S. molto Reverenda,

Come fratello affettionatissimo,

G. CESARE, Arcivescovo di Bari.

            Di Torino, a 2 di Giugno 1597.

Al Molto Revmo Sigre,

Il Sigr Francesco di Sales, Prevosto di Geneva.

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XIII

 

            Molto Reverendo Signore,

 

            Hebbi il plico di V. S., con tutte le lettere et scritture alligate, di 27 di Maggio, et di mia mano presentai quella che era scritta a Sua Altezza, la qual la lesse con molto suo gusto et mi usò parole verso di lei di tanta amorevolezza che non si può desiderare maggiore. Quanto a monsieur de Avully, mi assicurò che in ogni modo voleva che li fusse conservato il solito suo loco in quel Consiglio et che fusse restituita la entrata a quel curato che s'era partito ; et il signor Ripa mi ha fatto intendere che dell'uno et dell'altro si è mandato l'ordine. Et circa questo, rimando a V. S. le lettere et l'attestatione, acciò in ogni tempo, come Ella mi scrive, possa monstrare di moversi a quest'officio per puro zelo et ricercata da altri.

            Quanto al grano et al vino promessi dalli Cavallieri alli quattro curati et non accettato da lei per esser cattivo, io ne ho fatto gran risentimento con questi signori del Consiglio, li quali mi hanno risposto che non è colpa loro. Et il cavallier Bergera dice in sua giustificatione che obligò a V. S. gli affitavoli per la suddetta somma, et che però, se non le danno roba buona, Ella li astringa avanti il giudice o governatore, chè con poca fatica haverà quanto l'è stato promesso.

            Circa l'accrescere li curati, persistono li medesimi Cavallieri a volerme dare ad intendere che dalle cure loro non ne cavano ducento scudi, et che quasi tutte sono in mano di preti cattolici li quali non vogliono resedere ; et che però tocca a Monsignor di Geneva, per la sua authorità ordinaria et per quella che io gli communico per ogni bisogno, di constringere li suddetti curati a resedere, et non volendo, [441] proveder d'altri in suo loco ; perchè usando questo rimedio, li balliaggi verranno provisti di curati a sufficentia.

            Mando a V. S. un Breve di Nostro Signore in risposta della lettera che Ella gli scrisse, et per sua consolatione non lasciarò di dirle che Sua Santità l'ama assai et dalla lettere mie vedo che l' ha in ottimo concetto.

            Ho poi ricevuto l'ultime lettere di V. S. di 31 di Maggio in risposta delle mie di 25, et mi son rallegrato infinitamente d'intendere che Monsignore Rmo di Geneva stia meglio della sua indispositione, la quale io havevo intesa con infinito dispiacere. V. S. gli basci le mani da mia parte, et gli dica che procuri di conservarsi sano per beneficio della sua Chiesa et contento de' suoi amici et servitori, fra quali io non cedo a nissuno.

            Quanto alla conferentia, poichè hanno ricevuta la copia della lettera del signor Cardinale di Santa Severina et chiamato il Padre Fra Cherubino per concertar del modo, io non replicarò altro se non che starò aspettando d'intender quando doverò mandar li Padri Gesuiti, senza li quali in nissuna maniera desidero che si faccia questa disputa. Et perchè il Rettore di questo collegio di Torino, che è un valente theologo, è italiano et non ha la lingua francese, desidero d'intendere da V. S. se sarà a proposito d'inviarlo, o pur sarà più utile che sia francese ; perchè nel collegio di Milano ve n'è uno che legge la Scrittura et è un valenthuomo, et io lo farò venire quando farà di bisogno.

            Aspetto l'informatione circa il predicatore di Eviano, la quale sia chiara et distinta, per poter constringere l'Abbate della Novalesa, il quale fugge quanto può di non (sic) far la spesa, non ostante che sia moribondo.

            Quanto al pensiero che V. S. mi ha communicato di voler concorrere a quella parocchia che rende 200 scudi, io non posso se non rimettermi a quello che Ella deliberarà col consiglio di amici, sapendo che a lei non manca nè bontà, nè spirito, nè prudentia. Assicuro ben V. S. che la tenerà per poco tempo, perchè Sua Altezza l' ha destinata a cose maggiori, et se io me trovarò qui nella vacanza sarò diligentissimo procuratore. Intanto io ho supplicato Nostro Signore per la dispensa di poter tener anco il canonicato, et presto se ne haverà risposta et però anco, senza fallo, la gratia.

            Circa la licentia di leggere libri prohibiti per il signor Grandis et Roget, io ne scrissi già al signor Cardinale di Santa Severina, ma poi, a confessar la verità, per molte occupationi non ho havuto memoria di sollecitarla. Con quest' ordinario ne ho scritto di nuovo a Sua Signoria Illma et dimandatola anco per il Padre Fra Cherubino. [442] Sua Santità a me ha conceduta facultà di poter dare questa licentia a quelli Padri che interveneranno alla conferentia, et per tempo limitato et per quello effetto solo ; et però mi è parso bene di scriver per tutti al signor Cardinale di Santa Severina.

            Et con questo fine, salutandola et abbracciandola di cuore, le prego dal Signore Dio la sua santa gratia.

Di V. S. molto Reverenda,

Come fratello affettionatissimo,

G. CESARE, Arcivescovo di Bari.

            Di Torino, a 16 di Giugno 1597.

Al Molto Revdo Sigre,

Il Sigre Francesco de Sales, Prevosto di Geneva.

Annessi.

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XIV

 

            Molto Reverendo Signore,

 

            Ho inteso con incredibile mio contento da quest'ultima di V. S. [del] XIV di Gennaro la sua convalescenza, et se Ella sapesse la pena ch' io ho sentita del suo male crederebbe che è infinito l'amore che io le porto. Spero che Dio benedetto la conservarà lungo tempo, et l'aspetto per dopo Pasqua con gran desiderio.

            Il portator che mi ha consegnata la lettera di V. S. non mi dà tempo se non hoggi a rispondere, di maniera che non ho havuto commodità di trattare con questi signori della Religione per conto di pagare lo stipendio promesso alli curati ; ma lo farò quanto prima et procurarò di mandare a V. S. le provisioni necessarie. Mando a V. S. la facultà di assolvere li duoi Religiosi della Madonna di Six, li quali hanno celebrato innanzi il tempo, et insieme di dispensare coloro sopra l'irregolarità contratta.

            Con che fo fine, et me le offero et raccommando di tutto il cuore.

Di V. S. molto Reverenda,

Come fratello affettionatissimo,

G. CESARE, Arcivescovo di Bari.

            Di Torino, a 10 di Febraro 1598.

            Spero che non farà bisogno che V. S. arrivi a Roma, perchè la Sua Santità ha risoluto di venire a Ferrara dopo Pasqua. Io ho [443] facilità di assolvere dalle censure et dispensar per l' irregolarità di questi duoi Religiosi dummodo non insorduerint per annum, perchè in questo caso bisognarebbe andare o mandare a Roma.

Al Molto Revmo

Sigre Francesco de Sales, Prevosto di Geneva.

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XV

 

            Molto Reverendo Signore,

 

            Insieme con quest' ultima di V. S. di 17 di Marzo ho ricevuta la lettera di monsieur d'Avully et del Padre Fra Cherubino, le quali mi hanno data infinita consolatione. Intendo il frutto che si va facendo nella religione cattolica, et poichè giovarebbe che s'introducesse in Tonone l'oratione delle Quarant'hore, come giovò ad Annemasse, io laudo assai il parere di V. S. et però desidero che si esseguisca ; et intanto starò aspettando di intendere quello frutto che ne spero.

            Quanto poi alle conclusioni che Ella giudica che sarebbono utili proponere alli ministri heretici, bisogna che in questo caso si cammini con gran prudentia et con altrettanta sicurezza, et sopra tutto che si venga alla disputa non di commissione o authorità di Sua Santità et della Sede Apostolica, ma di Monsignor Vescovo di Geneva, come pastore ; avvertendo però che vi sia almeno un theologo Gesuita, chè a questo fine scrivo le alligate al Padre Rettore di Ciamberi et di Friborgo, acciò da un collegio o l'altro si mandi un Padre a richiesta di V. S. et del P. Fra Cherubino : et con la sua assistentia si potrà venire alla suddetta disputa, rimettendomi in tutto, di farla o non farla, alla prudentia sua et del suddetto P. Fra Cherubino.

            Ho havuto anco consolatione che il medesimo Padre impugnasse con tanto valore li errori di quel thedesco ministro heretico, quanto Ella mi dice, et mi sarà caro di havere più particolarmente raguaglio di tutto quello che passò fra loro.

            Con che finisco, et a V. S. mi offero et raccommando con tutto l'animo.

            Di V. S. molto Illustre,

Come fratello affettionatissimo,

G. CESARE, Arcivescovo di Bari.

            Di Torino, a 25 Aprile 1598.

            La lettera di V. S. mi è giunta tardi, et però V. S. non si maravigli [444] della tardità della risposta. Io la sto aspettando con infinito desiderrio, et verrà a pigliar il possesso di una casa che è sua.

Al Molto Revdo

Sigre Francesco de Sales, Prevosto di Geneva.

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XVI

 

            Molto Reverendo Signore,

            Pochi giorni sono fu qui il signor Presidente Fabro, il quale io conobbi con grandissimo mio contento per haver trovato in lui tutte ciucile parti di pietà et di dottrina che V. S. mi haveva testificato con le sue di 25 d'Aprile et di 18 di Maggio. Mi fu bene di gran dispiacere che non li fosse permesso d'intrare nella cità, per non haverlo potuto honorare nel mio hospitio conforme al suo merito et al mio desiderio.

            Trattammo a lungo insieme di tutti li particolari che V. S. mi ha Fontes in queste ultime sue, le quali io mandai a Sua Santità, supplicandola instantissimamente a darmi risolutione sopra tutti quelli capi che si contengono in esse. Et per facilitarle con la viva voce del signor Presidente, io l'accompagnai con lettere caldissime al signor Cardinal Aldobrandino, onde io spero ben presto haveremo risolutione sopra tutti li capi ; et almeno io dal canto mio ho fatto tutto quello che dovevo, et sono per fare sempre mentre che starò in questo carico. Ho anco dato ordine al mio agente che ad ogni modo, senza risparmio di spesa, veda di ricuperare le Bolle di V. S. da quel Favretto, et presto haverà nova se sono spedite.

            Mi occorre di dare avviso a V. S. che Nostro Signore mi ha destinato per suo Nuntio ordinario alla corte dell' Imperatore, et commesso che io mi metta quanto prima all' ordine [pel] viaggio. Io ho replicato a Sua Santità, rendendoli humilissime gratie del concetto che si degna haver di me senza nissun mio merito ; ma, con la maggior modestia che ho potuto, le ho rappresentato la mia poca sanità et un lungo catarro che mi ha occupato tutto il lato dritto, et l'evidente pericolo che portarei di stroppiarmi in pochi giorni in quelli freddi di Germania, con disservitio di Sua Beatitudine ; oltre che quel carico ricerca tanta gran spesa che sarebbe impossibile di sopportarla. Per le quali ragioni spero che Sua Santità se degnerà di liberarmene, et che la sua infinita benignità non permetterà che io perda questa poca [445] sanità che mi resta et mi renda per sempre inabile al suo servitio. Di quel che ne seguirà darò parte a V. S., la quale in ogni luogo dove sarò la terrò impressa nell' animo.

            Et me le offero et raccommando di cuore.

Di V. S. molto Reverenda,

Come fratello affettionatissimo,

G. CESARE, Arcivescovo di Bari.

            Di Torino, a 5 di Luglio 1598.

            Prima di haver mandata questa, ho ricevuto l'ultima di V. S. di 13 di Giugno, che tratta ex professo di far restituire la Messa in Geneva. Io l'ho mandata subito a Sua Santità, con una di Monsignor Vescovo sopra l'istesso proposito, et son certo che Sua Santità abbracciarà vivamente l'impresa.

            Con lettere ricevute hora hora dal signor Cardinale Aldobrandino sono assicurato che Nostro Signore mi ha liberato dal carico dell' Imperatore, havendo havuta consideratione alla mia poca sanità, la quale havrei finita di perdere in quelli freddi et in quella sorte di vita ; et il signor Duca mi avvisa in questo punto che Sua Santità li haveva fatta gratia che io potessi continuare con questo carico, et così haverò tempo di goder et riverir V. S., come farò sempre.

Al Molto Rdo

Sigre Francesco de Sales, Prevosto di Geneva. [446]

C. Lettres de Charles-Emmanuel Ier, Duc de Savoie

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I

 

A Reverend, cher, bien amé et feal

Messire François de Sales, Prevost de Sainct Pierre de Geneve.

 

            Reverend, cher, bien amé et feal,

 

            En responce de celle que avez escript, vous disons que treuvons bon qu'ayez faict dresser un autel en l'esglise de Sainct Hipolite, comme aussy les aultres bonnes œuvres qu'a la louange de Dieu et extirpation des heresies vous y allez exercitant ; et Nous desplaict des oppositions que l'on vous y a faictes, que neantmoings avez surmonté ainsy que vous Nous escrivez. A quoy vous continuerez avec la dexterité et prudence que vous sçavez convenir, ayant escript au sieur de Lambert qu'il a tres bien faict de secourir le ministre qui se veult catholiser, ainsy que vous et luy Nous escripvez.

            A tant prions Dieu que vous aye en sa garde.

            De Thurin, ce 7 janvier 1597.

Le Duc de Savoye,

CHARLES EMANUEL.

RIPA.

Au Prevost de Sainct Pierre de Geneve.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ior Procès de Canonisation. [447]

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II

 

LETTRES PATENTES DE NOMINATION DE SAINT FRANÇOIS DE SALES

A LA COADJUTORERIE DE L'ÉVÊCHÉ DE GENÈVE

 

            CHARLES EMANUEL, par la grace de Dieu Duc de Savoye, Chablais, Aouste et Genevois, Prince de Piedmont, etc.

            A tous ceux qui ces presentes verront sçavoir faisons qu'estant deuement informé du sainct zele que tres Reverend Pere en Dieu, nostre tres cher, bien amé, feal Conseiller et devot Orateur Messire Claude de Granier, Evesque de Geneve, a de faire colloquer en son Evesché, par coadjutorie ou autrement, homme cappable de telle charge, conforme a nostre intention, qu'a tousjours esté qu'es benefices dependantz de nostre nomination les personnes mentantes soient preferez aux aultres. A ceste cause, ayant remarqué la doctrine, vie exemplaire et autres rares qualitez qui reluisent en nostre tres cher et bien aymé Orateur Messire François de Sales, Prevost de Sainct Pierre de Geneve, heu d'allieurs esgard aux travaux que cy devant il a supportez et a present supporte a la conversion des devoyés de nostre religion riesre nostre Duché du Chablais, de quoy nous sçavons aussy Sa Saincteté estre bien informee, avons par ces presentes, en vertu des concessions et indultz que Nous avons du Sainct Siege Apostolique, icelluy nommé et presenté, nommons et presentons audict Evesché de Geneve, suppliant Tres Sainct Pere le Pape et le Sacré College des Cardinaulx quilz veuillent a nostre nomination prouvoir ledict Messire François de Sales dudict Evesché, soit par coadjutorie ou autrement, luy octroyant les despeches sur ce necessaires.

            Et pour meilleure asseurance de nostre volonté, avons signé les presentes de nostre main et y faict apposer nostre seel accoustumé.

            Donné au camp de Barreaux, ce 29e jour d'Aoust 1597.

            C. EMANUEL.

Visa pour Monsieur le Grand Chancelier : ROCHETTE.

RONCAS.

            L. † S.            

 

Revu sur le texte inséré dans le IId Procès de Canonisation. [448]

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III

 

A Reverenti, cher, bien amé et feal Conseiller et devot Orateur,

le Prevost de l'Esglise de Sainct Pierre de Geneve,

Le Duc de Savoye.

 

            Reverend, cher, bien amé et feal Orateur,

 

            Nous avons receu un singullier contentement de l'asseurance que me donnez par vostre lettre du unziesme du present, de differer les Quarente Heures pour le vingtiesme du present mois, auquel jour je ne faudray de me treuver a poinct nommé, sans aulcune aultre sorte de dilation ; ayant esté tres aise de l'expedient qu'a treuvé le sieur de Lambert pour arrester le Pere Cherubin, qu'indubitablement seroit tumbé mallade s'il heust voullu suivre sa deliberation d'aller a Saluces pour rendre son obeissance, que je m'asseure sera excusable aupres de son General, auquel j'en escris la cy enclose pour le prier de le nous laisser pour achever l'œuvre qu'a esté si bien encommencee par luy. Je vous prie de tenir main a ceste deliberation, et je prieray le Createur vous conserver en sa saincte et digne garde.

            De Autecombe, le 14 septembre 1598.

CHARLES EMANUEL.

            BOURSIER.

Au Prevost de Sainct Pierre de Geneve.

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IV

 

A Reverend, cher, bien amé et feal Orateur,

le Prevost de Sainct Pierre de Geneve.

 

            Reverend, cher, bien amé et feal Orateur,

 

            Sur l'advis que Nous avons heu du passage du Legat par nostre Estat et par le pays de Valley, nous depeschames hier un courrier au Pere Cherubin pour le prier de differer les Quarente Heures jusques [449] au [28] du present, qui sera justement le jour de son arrivee a Thonon. De quoy je reçois un tres grand contentement, attendu que nostre attente nous a appourté ce bon heur que d'y avoir un tant principal Prelat, lequel Nous attendrons audict lieu, ou Nous nous acheminerons a l'advantaige ; vous en ayant bien voullu donner [advis] a celle fin, que ce pendant vous vous disposiez a une bonne patience qui se terminera a ladicte venue, sans aultre dilation.

            A tant je prie Dieu qu'il vous aye en sa garde.

            De Villeneufve[-les-Chambéry], ce 17 septembre 1598.

Le Duc de Savoye,

CHARLES EMANUEL.

            BOURSIER.

Au Prevost de Sales.

_____

 

 

V

 

A Reverend Pere en Dieu, le Prevost de Sainct Pierre de Geneve.

 

            Reverend, cher, bien amé et feal Orateur,

 

            Par mes antecedentes lettres, vous aurez sceu de la venue du Legat et le desir qu'avons qu'il se treuve aux Quarente Heures, qui les sollempnisera beaucoup plus ; et seroit bien marry si pour un peu de temps luy et moy en perdions la commodité. Il sera mardy prochain a Bourg, et de la, il sera dans six jours a Thonon ou Nous nous treuverons un peu advantaige pour l'y reçoipvre. Je vous prie qu'un peu de temps ne nous soit vendu si cher, comme il seroit si icelle (sic) se faisoit sans Nous, qui Nous causeroit un regret inevitable. Et si bien je crois que, mes lettres receues, vous aurez changé de deliberation, si n'ay je pourtant voullu laisser de vous en donner advis, priant Dieu qu'il vous aye en sa garde.

            De Villeneufve, le 19 septembre 1598.

Le duc de Savoye,

CHARLES EMANUEL.

Au Prevost de Sainct Pierre. [450]

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VI

 

A Reverend, cher, bien amé et feal devot Orateur,

le Prevost de Sainct Pierre de Geneve.

 

            Reverend, cher, bien amé et feal Orateur,

 

            Peu appres la lettre que vous avons escript du jourd'huy est arrivee la vostre du dix huictiesme, qui Nous appourte un tres grand contentement et ensemble remplit de toutte consolation, voyant tant d'ames bien disposees pour se remettre au vray chemin. A quoy Nous sommes tout disposé pour les y assister de nostre presence et y appourter tout ce que Nous pourrons, soit en luminaires que pour fournir a la despense, ainsy qu'escripvons au sieur de Lambert de faire. Si aultre ne retarde le Legat, il s'y treuvera des mardy prochain en six jours, non compris le mardy, et Nous un peu auparavant, ne le desirant pas moingtz que vous.

            A tant prions Dieu qu'il vous aye en sa garde.

            De Villeneufve, ce 19 septembre 98.

Le Duc de Savoye,

CHARLES EMANUEL.

            BOURSIER.

Au Prevost de Sales.

_____

 

 

VII

 

A Reverend, cher, bien amé et feal,

le Prevost de Sainct Pierre de Geneve,

Le Duc de Savoye.

 

            Reverend, cher, bien amé et feal,

 

            Nous ayant, appres vostre despart, le Reverend Monsieur Louys Perrucard faict apparoir de la nomination faicte en sa personne, des l'annee 1589, lhors que nous estions a Gex, du prieuré de Sainct Jean soubz le vocable de Sainct Jean hors les murs de Geneve, riesre ledict pays, et supplié de ne luy prejudicier en son anterieurité par l'aultre nomination qu'en avons faict au Baron de Viry : ce que [451] Nous semblant raysonnable, et estant d'ailleurs bien memoratif des causes que Nous meurent de le faire, Nous a semblé par ce de vous dire qu'ayez a vous desporter de la charge et sollicitation qu'en pourriez faire pour l'union dudict prieuré a la Collegiale de Viry, ains faire instance pour en obtenir les provisions necessaires en faveur dudict Perrucard, docteur es droictz et esleu de Seseri, en escripvant en ceste conformité a monsieur l'Ambassadeur Arconat et au Cardinal Aldobrandin. De quoy avons voullu vous donner advis, priant Dieu qu'il vous aye en sa garde.

            De Thonon, ce vingtiesme novembre 1598.

CHARLES EMANUEL.

            BOURSIER.

Au Prevost de Sales. [452]

 

D. Brefs de Sa Sainteté Clément VIII

 

 

I

 

Dilecto filio Francisco de Sales,

Præposito Cathedralis Ecclesiæ Genevensis,

CLEMENS PAPA OCTAVUS.

 

            Dilecte Fili, salutem et Apostolicam benedictionem.

 

            Narravit Nobis vir religiosus Frater Spiritus, ex Ordine Capucinorum, verbi Dei concionator, de tua pietate et zelo divini honoris, quod pergratum Nobis accidit. Idem autem quædam nostro nomine exponit, quæ ad Dei gloriam pertinent quæque Nobis cordi sunt maxime. Tu fidem iIli cumulatam habebis, perinde ac Nobis ipsis; eamque diligentiam adhibebis quam a tua prudentia et erga Nos atque hanc Sanctam Sedem devotione expectamus; tibique paterne benedicimus.

            Datum Romæ, apud Sanctum Marcum, sub annulo Piscatoris, die prima Octobris, anno millesimo quingentesimo nonagesimo sexto, Pontificatus nostri anno quinto.

SYLVIUS ANTONIANUS.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation.

 

 

II

 

Dilecto filio Francisco de Sales, Ecclesiæ Genevensis Proposito,

CLEMENS PAPA OCTAVUS.

 

            Dilecte Fili, salutem et Apostolicam benedictionem.

 

            Fidei Catholicæ studium et zelum salutis animarum servo Dei et in sortem Domini vocato plane dignum, in tuis litteris perspeximus; [453] et quid hactenus egeris in negotio ilio de perdita ove ad Christi ovile reducenda, cognovimus.

            Tuam, Fili, diligentiam et sedulitatem in Domino commendamus, et quamvis ea res, cujus felicem exitum valde optavimus, non mediocrem, ut scribis, difficultatem habeat, quia tamen Dei opus est, cujus gloriam quærimus et cujus misericordia atque auxilio nitimur, te propterea magnopere hortamur ne eam curam deseras, neve cesses quod semel inchoasti, Dei adjutrice gratia, urgere. Speramus enim quod labor tuus non erit inanis in Domino.

            Quod ad populos illos attinet, quos Catholicæ religionis restitutionem avide expetere significas id quidem perjucundum Nobis accidit ut ea de re scribamus in eam sententiam quam res postulat et tu admones. Tu interea quod potes præsta, Deo juvante; et Nos tibi paterne benedicimus.

            Datum Romæ, apud Sanctum Petrum, sub annulo Piscatoris, die vigesima nona Maii, anno millesimo quingentesimo nonagesimo septimo, Pontificatus nostri anno sexto.

SYLVIUS ANTONIANUS.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation.




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