Mot «Philothee» [408 fréquence]


03-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome III-Introduction a la vie devote.html
  A003000345 

 J'addresse mes paroles a Philothee, parce que, voulant reduire a l'utilité commune de plusieurs ames ce que j'avois premierement escrit pour une seule, je l'appelle du nom commun a toutes celles qui veulent estre devotes; car Philothee veut dire amatrice ou amoureuse de Dieu..

  A003000346 

 Regardant donq en tout ceci une ame qui, par le desir de la devotion, aspire a l'amour de Dieu, j'ay fait cette Introduction de cinq Parties, en la premiere desquelles je m'essaye, par quelques remonstrances et exercices, de convertir le simple desir de Philothee en une entiere resolution, qu'elle fait a la parfin apres sa confession generale par une solide protestation, suivie de la tressainte Communion, en laquelle, se donnant a son Sauveur et le recevant, elle entre heureusement en son saint amour.

  A003000358 

 Vous aspires a la devotion, treschere Philothee, parce qu'estant Chrestienne vous sçaves que c'est une vertu extremement aggreable a la divine Majesté: mais, d'autant que les petites fautes que l'on commet au commencement de quelque affaire s'aggrandissent infiniment au progres et sont presque irreparables a la fin, il faut avant toutes choses que vous sçachies que c'est que la vertu de devotion; car, d'autant qu'il n'y [14] en a qu'une vraye, et qu'il y en a une grande quantité de fauses et vaynes, si vous ne connoissies quelle est la vraye, vous pourries vous tromper et vous amuser a suivre quelque devotion impertinente et superstitieuse..

  A003000360 

 La vraye et vivante devotion, o Philothee, presuppose l'amour de Dieu, ains elle n'est autre chose qu'un vray amour de Dieu; mais non pas toutefois un amour tel quel: car, entant que l'amour divin embellit nostre ame, il s'appelle grace, nous rendant aggreables a sa divine Majesté; entant qu'il nous donne la force de bien faire, il s'appelle charité; mais quand il est [14] parvenu jusques au degré de perfection auquel il ne nous fait pas seulement bien faire, ains nous fait operer soigneusement, frequemment et promptement, alhors il s'appelle devotion.

  A003000365 

 Ceux qui descourageoyent les Israëlites d'aller en la terre de promission leur disoyent que c'estoit un païs qui devoroit les habitans, c'est a dire, que l'air y estoit si malin qu'on n'y pouvoit vivre longuement, et que reciproquement les habitans estoyent des gens si prodigieux qu'ilz mangeoyent les autres hommes comme [16] des locustes: ainsy le monde, ma chere Philothee, diffame tant qu'il peut la sainte devotion, depeignant les personnes devotes avec un visage fascheux, triste et chagrin, et publiant que la devotion donne des humeurs melancholiques et insupportables.

  A003000369 

 Croyés moy, chere Philothee, la devotion est la douceur des douceurs et la reyne des vertus, car c'est la perfection de la charité.

  A003000374 

 Je vous prie, Philothee, seroit il a propos que l'Evesque voulust estre solitaire comme les Chartreux? Et si les mariés ne vouloient rien amasser non plus que les Capucins, si l'artisan estoit tout le jour a l'eglise comme le religieux, et le religieux tous-jours exposé a toutes sortes de rencontres pour le service du prochain, comme l'Evesque, cette devotion ne seroit elle pas ridicule, desreglee et insupportable? Cette faute neanmoins arrive bien souvent, et le monde qui ne discerne pas, ou ne veut pas discerner, entre la devotion et l'indiscretion de ceux qui pensent estre devotz, murmure et blasme la devotion, laquelle ne peut mais de ces desordres..

  A003000375 

 Non, Philothee, la devotion ne gaste rien quand elle est vraye, ains elle perfectionne tout, et lhors qu'elle se rend contraire a la legitime vacation de quelqu'un, elle est sans doute fausse.

  A003000376 

 Il est vray, Philothee, que la devotion purement contemplative, monastique et religieuse ne peut estre exercee en ces vacations la; mais aussi, outre ces trois sortes de devotion, il y en a plusieurs autres, propres a perfectionner ceux qui vivent es estatz seculiers.

  A003000380 

 Je vous en dis de mesme, ma Philothee: voules-vous a bon escient vous acheminer a la devotion? cherchés quelque homme de bien qui vous guide et conduise; c'est ici l'advertissement des advertissemens.

  A003000383 

 Puisqu'il vous importe tant, Philothee, d'aller avec une bonne guide en ce saint voyage de devotion, pries Dieu avec une grande instance qu'il vous en fournisse d'une qui soit selon son cœur, et ne doutes point; car, quand il devroit envoyer un Ange du ciel, comme il fit au jeune Tobie, il vous en donnera une bonne et fidelle..

  A003000389 

 Les fleurs, dit l'Espoux sacré, apparoissent en nostre terre, le tems d'esmonder et tailler est venu. Qui sont les fleurs de nos cœurs, o Philothee, sinon les bons desirs? Or, aussi tost qu'ilz paroissent, il faut mettre la main a la serpe, pour retrancher de nostre conscience toutes les œuvres mortes et superflues.

  A003000391 

 Il faut donques estre courageuse et patiente, o Philothee, en cette entreprinse.

  A003000391 

 Mais aussi, de l'autre costé, n'est-ce pas un extreme danger aux ames lesquelles, par une tentation contraire, se font accroire d'estre purgees de leurs imperfections le premier jour de leur purgation, se tenans pour parfaittes avant presque d'estre faittes, en se mettant au vol sans aisles? O Philothee, qu'elles sont en grand peril de recheoir, pour s'estre trop tost ostees d'entre les mains du medecin! Ha, ne vous levés pas avant que la lumiere soit arrivee, dit le Prophete; levés vous apres que vous aurès esté assis: et luy mesme pratiquant cette leçon et ayant esté des-ja lavé et nettoyé, demande de l'estre derechef..

  A003000397 

 Vous voyes bien, Philothee, que je parle d'une confession generale de toute la vie, laquelle, certes, je confesse bien n'estre pas tous-jours absolument necessaire, mais je considere bien aussi qu'elle vous sera extremement utile en ce commencement: c'est pourquoy je vous la conseille grandement.

  A003000398 

 Parlant donq d'un renouvellement general de nostre cœur et d'une conversion universelle de nostre ame a Dieu, par l'entreprise de la vie devote, j'ay bien rayson, ce me semble, Philothee, de vous conseiller cette confession generale.

  A003000403 

 O Philothee, puisque vous voulés entreprendre la vie devote, il ne vous faut pas seulement quitter le peché, mais il faut tout a fait esmonder vostre cœur de toutes les affections qui dependent du peché; car, outre le danger qu'il y auroit de faire recheute, ces miserables affections allanguiroyent perpetuellement vostre esprit, et l'appesentiroyent en telle sorte qu'il ne pourroit pas faire les bonnes œuvres promptement, diligemment et frequemment, en quoy gist neanmoins la vraye essence de la devotion.

  A003000407 

 Il faut donques, Philothee, aggrandir tant qu'il nous sera possible nostre contrition et repentance, affin qu'elle s'estende jusques aux moindres appartenances du peché.

  A003000466 

 Consideres les graces spirituelles: o Philothee, vous estes des enfans de l'Eglise; Dieu vous a enseignee sa connoissance des vostre jeunesse.

  A003000472 

 Ha donq, Philothee, retires vostre cors de telles et telles voluptés, rendes-le sujet au service de Dieu qui a tant fait pour luy; appliques vostre ame a le connoistre et reconnoistre, par telz et telz exercices qui sont requis pour cela; employés soigneusement les moyens qui sont en l'Eglise pour vous sauver et aymer Dieu.

  A003000630 

 Si nous sommes bien humbles, Philothee, nostre péché nous desplaira infiniment parce que Dieu en est offencé, mais l'accusation de nostre peché nous sera douce et aggreable, parce que Dieu en est honnoré: ce nous est une sorte d'allegement de bien dire au medecin le mal qui nous tourmente.

  A003000630 

 Voyla donq, ma chere Philothee, les meditations requises a nostre intention.

  A003000631 

 Ouy, c'est Dieu, Philothee, que vous escoutes, puisqu'il a dit a ses vicaires: Qui vous escoute, m'escoute.

  A003000642 

 En cette sorte, ce me semble, Philothee, vostre ame sera purgee de peché et de toutes les affections du peché..

  A003000642 

 O Dieu, Philothee, que voyla un contract admirable par lequel vous faites un heureux traitté avec sa divine Majesté, puisqu'en vous donnant vous mesme a elle, vous la gaignés et vous mesme aussi pour la vie eternelle! Il ne reste plus sinon que, prenant la plume en main, vous signies de bon cœur l'acte de vostre protestation, et que par apres vous allies a l'autel, ou Dieu [61] reciproquement signera et scellera vostre absolution et la promesse qu'il vous fera de son Paradis, se mettant luy mesme par son Sacrement comme un cachet et sceau sacré sur vostre cœur renouvellé.

  A003000648 

 Vous descouvrirés donq, ma chere Philothee, qu'outre les pechés mortelz et affections des pechés mortelz, dont vous aves esté purgee par les exercices marqués ci devant, vous aves encores en vostre ame plusieurs inclinations et affections aux pechés venielz.

  A003000650 

 Ces affections, Philothee, sont directement contraires a la devotion, comme les affections au peché mortel le sont a la charité: elles allanguissent les forces de l'esprit, empeschent les consolations divines, ouvrent la porte aux tentations; et bien qu'elles ne tuent pas l'ame, elles la rendent extremement malade.

  A003000651 

 Ce n'est rien, Philothee, de dire quelque petit mensonge, de se desregler un peu en paroles, en actions, en regards, en habitz, en jolietés, en jeux, en danses, pourveu que tout aussi tost que ces araignes spirituelles sont entrees en nostre conscience, nous les en rechassions et bannissions, comme les mouches a miel font les araignes corporelles.

  A003000655 

 Je dis donq, Philothee, qu'encor qu'il soit loysible de jouer, danser, se parer, ouïr des honnestes comedies, banqueter, si est-ce que d'avoir de l'affection a cela, c'est chose contraire a la devotion et extremement nuisible et perilleuse.

  A003000656 

 Mais n'est-ce pas une chose ridicule, ains plustost lamentable, de voir des hommes faitz s'empresser et s'affectionner apres des bagatelles si indignes, comme sont les choses que j'ay nommees, lesquelles, outre leur inutilité, nous mettent en peril de nous desregler et desordonner a leur poursuitte? C'est pourquoy, ma chere Philothee, je vous dis qu'il se faut purger de ces affections; et, bien que les actes ne soient pas tous-jours contraires a la devotion, les affections neanmoins luy sont tous-jours dommageables.

  A003000661 

 Nous avons encores, Philothee, certaines inclinations naturelles lesquelles, pour n'avoir prins leur origine de nos pechés particuliers, ne sont pas proprement peché, ni mortel ni veniel, mais s'appellent imperfections, et leurs actes, defautz et manquemens.

  A003000661 

 Or, quoy qu'elles soyent comme propres et naturelles a un chacun, si est-ce que par le soin et affection contraire on les peut corriger et moderer, et mesme on peut s'en delivrer et purger: et je vous dis, Philothee, qu'il le faut faire.

  A003000668 

 Il faut s'arrester la, Philothee, et croyes-moy, nous ne sçaurions aller a Dieu le Pere que par cette porte; car tout ainsy que la glace d'un miroüer ne sçauroit arrester nostre veuë si elle n'estoit enduite d'estain ou de plomb par derriere, aussi la Divinité ne pourrait estre bien contemplee par nous en ce bas monde, si elle ne se fust jointe a la sacree humanité du Sauveur, duquel la vie et la mort sont l'objet le plus proportionné, souëfve, delicieux et prouffitable que nous puissions choisir pour nostre meditation ordinaire.

  A003000679 

 Mais vous ne sçaves peut estre pas, Philothee, comme il faut faire l'orayson mentale; car c'est une chose laquelle, par malheur, peu de gens sçavent en nostre [73] aage.

  A003000680 

 Helas, Philothee, nous ne voyons pas Dieu qui nous est present; et, bien que la foy nous advertisse de sa presence, si est-ce que ne le voyans pas de nos yeux, nous nous en oublions bien souvent, et nous comportons comme si Dieu estoit bien loin de nous; car encor que nous sçachions bien qu'il est present a toutes choses, si est-ce que n'y pensans point, c'est tout autant comme si nous ne le sçavions pas.

  A003000693 

 Quelques uns vous diront neanmoins qu'il est mieux d'user de la simple pensee de la foy, et d'une simple apprehension toute mentale et spirituelle, en la representation de ces mysteres, ou bien de considerer que les choses se font en vostre propre esprit; mais cela est trop subtil pour le commencement, et jusques a ce que Dieu vous esleve plus haut, je vous conseille, Philothee, de vous retenir en la basse vallee que je vous monstre..

  A003000702 

 Il ne faut pas pourtant, Philothee, s'arrester tant a ces affections generales que vous ne les convertissies en des resolutions speciales et particulieres pour vostre correction et amendement.

  A003000702 

 Par ce moyen, Philothee, vous corrigerés vos fautes en peu de tems, la ou par les seules affections vous le feres tard et malaysement.

  A003000709 

 Il faut sur tout, Philothee, qu'au sortir de vostre meditation vous retenies les resolutions et deliberations que vous aurés prinses, pour les prattiquer soigneusement ce jour-la.

  A003000712 

 Il vous arrivera quelquefois qu'incontinent apres la preparation, vostre affection se treuvera toute esmeuë en Dieu: alhors, Philothee, il luy faut lascher la bride, sans vouloir suivre la methode que je vous ay donnee; car bien que pour l'ordinaire, la consideration doit preceder les affections et resolutions, si est-ce que le Saint Esprit vous donnant les affections avant la consideration, vous ne deves pas rechercher la consideration, puisqu'elle ne se fait que pour esmouvoir l'affection.

  A003000717 

 S'il vous arrive, Philothee, de n'avoir point de goust ni de consolation en la meditation, je vous conjure de ne vous point troubler, mais quelquefois ouvrés la porte aux paroles vocales: lamentes-vous de vous mesme a Nostre Seigneur, confesses vostre indignité, priés-le qu'il vous soit en ayde, baysés son image si vous l'aves, dites-luy ces paroles de Jacob: Si ne vous laisseray-je point, Seigneur, que vous ne m'ayes donné vostre benediction; ou celles de la Chananee: Ouy, Seigneur, je suis une chienne, mais les chiens mangent des miettes de la table de leur maistre. Autres fois, prenes un livre en main, et le lises avec attention jusques a ce que vostre esprit soit resveillé et remis en vous; piqués quelquefois vostre cœur par quelque contenance et mouvement de devotion exterieure, vous prosternant en terre, croisant les mains sur l'estomach, embrassant un crucifix: cela s'entend si vous estes en quelque lieu retiré..

  A003000718 

 Ainsy devons-nous venir, ma chere Philothee, a la sainte orayson, purement et simplement pour rendre nostre devoir et tesmoigner nostre fidelité.

  A003000718 

 Mais quand il ne le feroit pas, contentons-nous, Philothee, que ce nous est un honneur trop plus grand d'estre aupres de luy et a sa veuë.

  A003000727 

 Mais toutes ces actions spirituelles se doivent faire briefvement et vivement, devant que l'on sorte de la chambre s'il est possible, affin que, par le moyen de cet exercice, tout ce que vous feres le long de la journee soit arrousé de la benediction de Dieu; mais je vous prie, Philothee, de n'y manquer jamais.

  A003000741 

 C'est ici, chere Philothee, ou je vous souhaitte fort affectionnee a suivre mon conseil; car en cet article consiste l'un des plus asseurés moyens de vostre avancement spirituel..

  A003000743 

 Comme les oyseaux ont des nids sur les arbres pour faire leur retraitte quand ilz en ont besoin, et les cerfz ont leurs buissons et leurs fortz dans lesquelz ilz se recelent et mettent a couvert, prenans la fraischeur de l'ombre en esté; ainsy, Philothee, nos cœurs doivent prendre et choisir quelque place chaque jour, ou sur le mont de Calvaire, ou es playes de Nostre Seigneur, ou en quelque autre lieu proche de luy, pour y faire leur retraitte a toutes sortes d'occasions, et la s'alleger et recreer entre les affaires exterieures, et pour y estre comme dans un fort, affin de se defendre des tentations.

  A003000744 

 Resouvenés vous donq, Philothee, de faire tous-jours plusieurs retraittes en la solitude de vostre cœur, pendant que corporellement vous estes parmi les conversations et affaires; et cette solitude mentale ne peut nullement estre empeschee par la multitude de ceux qui vous sont autour, car ilz ne sont pas autour de vostre cœur, ains autour de vostre cors, si que vostre cœur demeure luy tout seul en la presence de Dieu seul.

  A003000751 

 Aspires donq bien souvent en Dieu, Philothee, par des courtz mais ardens eslancemens de vostre cœur: admires sa beauté, invoques son ayde, jettes-vous en esprit au pied de la Croix, adores sa bonté, interroges-le souvent de vostre salut, donnes-luy mille fois le jour vostre ame, fiches vos yeux interieurs sur sa douceur, tendes-luy la main, comme un petit enfant a son pere, affin qu'il vous conduise, mettes-le sur vostre poitrine [94] comme un bouquet delicieux, plantes-le en vostre ame comme un estendart, et faites mille sortes de divers mouvemens de vostre cœur pour vous donner de l'amour de Dieu, et vous exciter a une passionnee et tendre dilection de ce divin Espoux..

  A003000752 

 Philothee, nostre esprit s'addonnant a la hantise, privauté et familiarité de son Dieu, se parfumera tout de ses perfections; et si, cet exercice n'est point malaysé, car il se peut entrelacer en toutes nos affaires et occupations, sans aucunement les incommoder, d'autant que, soit en la retraitte spirituelle, soit en ces eslancemens interieurs, on ne fait que des petitz et courtz divertissemens qui n'empeschent nullement, ains servent de beaucoup a la poursuite de ce que nous faysons.

  A003000760 

 Voyla, ma Philothee, comme l'on tire les bonnes pensees et saintes aspirations de ce qui se presente en la varieté de cette vie mortelle.

  A003000766 

 L'orayson faitte en l'union de ce divin Sacrifice a une force indicible, de sorte, Philothee, que par iceluy, l'ame abonde en celestes faveurs comme appuyee sur son Bienaymè, qui la rend si pleine d'odeurs et suavités spirituelles, qu'elle ressemble a une colomne de fumee de bois aromatique, de la myrrhe, de Vencens et de toutes les poudres du parfumeur, comme il est dit es Cantiques.

  A003000774 

 Outre cela, Philothee, les festes et Dimanches il faut assister a l'office des Heures et des Vespres, tant que vostre commodité le permettra; car ces jours-la sont dediés a Dieu, et faut bien faire plus d'actions a son honneur et gloire en iceux que non pas es autres jours.

  A003000780 

 Ma Philothee, joignons nos cœurs a ces celestes espritz et ames bienheureuses; comme les petitz rossignolz apprennent a chanter avec les grans, ainsy, par le sacré commerce que nous ferons avec les Saintz, nous sçaurons bien mieux prier et chanter les louanges divines: Je psalmodieray, disoit David, a la veuë des Anges..

  A003000799 

 Resolvés-vous, Philothee, d'accepter de bon cœur toutes les inspirations qu'il plaira a Dieu de vous faire; et quand elles arriveront, receves-les comme les ambassadeurs du Roy celeste, qui desire contracter mariage avec vous.

  A003000805 

 Ne permettes donq jamais, Philothee, que vostre cœur demeure long tems infecté de peché, puisque vous aves un remede si present [111] et facile.

  A003000815 

 O Philothee, les Chrestiens qui seront damnés demeureront sans replique lhors que le juste Juge leur fera voir le tort qu'ilz ont eu de mourir spirituellement, puisqu'il leur estoit si aysé de se [116] maintenir en vie et en santé par la manducation de son Cors qu'il leur avoit laissé a cette intention.

  A003000817 

 Mais, Philothee, vous voyés que saint Augustin exhorte et conseille bien fort que l'on communie tous les Dimanches; faites le donques tant qu'il vous sera possible.

  A003000826 

 O Philothee, imaginés-vous que comme l'abeille ayant recueilli sur les fleurs la rosee du ciel et le suc plus exquis de la terre, et l'ayant reduit en miel, le porte dans sa ruche, ainsy le prestre ayant pris sur l'autel le Sauveur du monde, vray Filz de Dieu, qui comme une rosee est descendu du Ciel, et vray Filz de la Vierge, qui comme fleur est sorti de la terre de nostre humanité, il le met en viande de suavité dedans vostre bouche et dedans vostre cors.

  A003000830 

 Communies souvent, Philothee, et le plus souvent que vous pourrés, avec l'advis de vostre pere spirituel; et croyes-moy, les lievres deviennent blancz parmi nos montagnes en hiver parce qu'ilz ne voyent ni mangent que la neige, et a force d'adorer et manger beauté, la bonté et la pureté mesme en ce divin Sacrement, vous deviendres toute belle, toute bonne et toute pure.

  A003000838 

 Choisissés donq, Philothee, les meilleures vertus et non pas les plus estimees, les [125] plus excellentes et non pas les plus apparentes, les meilleures et non pas les plus braves.

  A003000851 

 [129] Voyes vous, Philothee, c'estoit le zele tres ardent d'une parfaitte pureté qui provoquoit ce grand Saint a cette sorte de methode, et ce zele estoit une grande vertu, mais vertu neanmoins qui ne laissoit pas d'estre reprehensible.

  A003000852 

 Ma Philothee, il faut avoir bonne opinion de ceux esquelz nous voyons la prattique des vertus, quoy qu'avec imperfection, puisque les Saintz mesmes les ont souvent prattiquees en cette sorte; mays quant a nous, il nous faut avoir soin de nous y exercer, non seulement fidellement, mais prudemment, et a cet effect observer estroittement l'advis du Sage, de ne point nous appuyer sur nostre propre prudence, ains sur celle de ceux que Dieu nous a donnés pour conducteurs..

  A003000853 

 Voyés-vous, Philothee, ces perfections ne sont pas vertus; ce sont plustost des recompenses que Dieu donne pour les vertus, ou bien encor plustost des eschantillons des felicités de la vie future, qui quelquefois sont presentés aux hommes pour leur faire desirer les pieces toutes entieres qui sont la haut en Paradis.

  A003000854 

 Ouy, Philothee, car ce Roy de gloire ne recompense pas ses serviteurs selon la dignité des offices qu'ilz exercent, mais selon l'amour et humilité avec laquelle ilz les exercent.

  A003000858 

 Ouy; car, comme avoit prononcé le Sauveur, en vostre patience vous possederes vos ames. C'est le grand bonheur de l'homme, Philothee, que de posseder son ame; et a mesure que la patience est plus parfaitte, nous possedons plus parfaittement nos ames.

  A003000860 

 Or je dis, Philothee, qu'il faut avoir patience, non seulement d'estre malade, mais de l'estre de la maladie que Dieu veut, au lieu ou il veut, et entre les personnes qu'il veut, et avec les incommodités qu'il veut; et ainsy des autres tribulations..

  A003000880 

 Mais vous desirés, Philothee, que je vous conduise plus avant en l'humilité; car a faire comme j'ay dit, c'est quasi plustost sagesse qu'humilité: maintenant donq je passe outre.

  A003000883 

 Voyci donq mon ad vis, Philothee: ou ne disons point de paroles d'humilité, ou disons les avec un vray sentiment interieur, conforme a ce que nous prononçons exterieurement; n'abbaissons jamais les yeux qu'en humiliant nos cœurs; ne faisons pas semblant de vouloir estre des derniers, que de bon cœur nous ne voulussions l'estre.

  A003000890 

 Je passe plus avant et vous dis, Philothee, qu'en tout et par tout vous aymiés vostre propre abjection.

  A003000894 

 Ah! qui nous fera la grace de pouvoir dire avec ce grand Roy: J'ay choisi d'estre abject en la mayson de Dieu, plustost que d'habiter es tabernacles des pecheurs? Nul ne le peut, chere Philothee, que Celuy qui pour nous exalter, vesquit et mourut en sorte qu'il fut l' opprobre des hommes et l'abjection du peuple..

  A003000894 

 Mais vous voulés sçavoir, Philothee, quelles sont les meilleures abjections; et je vous dis clairement que les plus prouffitables a l'ame et aggreables a Dieu sont celles que nous avons par accident ou par la condition de nostre vie, parce que nous ne les avons pas choisies, ains les avons receuës telles que Dieu nous les a envoyees, duquel l'election est tous-jours meilleure que la nostre.

  A003000900 

 Conservons nos vertus, ma chere Philothee, parce qu'elles sont aggreables a Dieu, grand et souverain objet de toutes nos actions; mais comme ceux qui veulent garder les fruitz ne se contentent pas de les confire, ains les mettent dedans des vases propres a la conservation d'iceux, de mesme, bien que l'amour divin soit le principal conservateur de nos vertus, si est-ce que nous pouvons encor employer la bonne renommee comme fort propre et utile a cela..

  A003000901 

 Certes, Philothee, qui veut avoir reputation envers tous, la perd envers tous; et celuy merite de perdre l'honneur, qui le veut prendre de ceux que les vices rendent vrayement infames et deshonnorés..

  A003000909 

 Mais prenes garde, Philothee, que ce chresme mystique composé de douceur et d'humilité soit dedans vostre cœur; car c'est un des grans artifices de l'ennemi de faire que plusieurs s'amusent aux paroles et contenances exterieures de ces deux vertus, qui n'examinans pas bien leurs affections interieures, pensent estre humbles et doux et ne le sont néanmoins nullement en effect; ce que l'on reconnoist parce que, nonobstant leur ceremonieuse douceur et humilité, a la moindre parole qu'on leur dit de travers, a la moindre petite injure qu'ilz reçoivent, ilz s'eslevent avec une arrogance nompareille.

  A003000910 

 Je vous en dis de mesme, Philothee: cette miserable vie n'est qu'un acheminement a la bienheureuse; ne nous courrouçons donq point en chemin les uns avec les autres, marchons avec la trouppe de nos freres et compaignons doucement, paisiblement et amiablement.

  A003000912 

 Mais comment la repousseray je, me dires vous? Il faut, ma Philothee, qu'au premier ressentiment que vous en aures, vous ramassies promptement vos forces, non point brusquement ni impetueusement, mais doucement et neanmoins serieusement; car, comme on void es audiences de plusieurs senatz et parlemens, que les huissiers crians: Paix la, font plus de bruit que ceux qu'ilz veulent faire taire, aussi il arrive maintesfois que voulans avec impetuosité reprimer nostre cholere, nous excitons plus de trouble en nostre cœur qu'elle n'avoit pas fait, et le cœur estant ainsy troublé ne peut plus estre maistre de soy mesme..

  A003000920 

 Croyes moy, Philothee, comme les remonstrances d'un pere faittes doucement et cordialement, ont bien plus de pouvoir sur un enfant pour le corriger que non pas les choleres et courroux; ainsy, quand nostre cœur aura fait quelque faute, si nous le reprenons avec des remonstrances douces et tranquilles, ayans plus de compassion de luy que de passion contre luy, l'encourageans a l'amendement, la repentance qu'il en concevra entrera bien plus avant et le penetrera mieux que ne feroit pas une repentance despiteuse, ireuse et tempestueuse..

  A003000927 

 Soyes donq soigneuse et diligente en tous les affaires que vous aurés en charge, ma Philothee, car Dieu vous les ayant confiés veut que vous en ayes un grand soin; mais s'il est possible n'en soyes pas en sollicitude et souci, c'est a dire, ne les entreprenes pas avec inquietude, anxieté et ardeur.

  A003000929 

 Je veux dire, ma Philothee, que quand vous seres parmi les affaires et occupations communes, qui ne requierent pas une attention si forte et si pressante, vous regardies plus Dieu que les affaires; et quand les affaires sont de si grande importance qu'ilz requierent toute vostre attention pour estre bien faitz, de tems en tems vous regarderés a Dieu, comme font ceux qui navigent en mer lesquelz, pour aller a la terre qu'ilz desirent, regardent plus en haut au ciel que non pas en bas ou ilz voguent.

  A003000933 

 Taschons donques, Philothee, de bien prattiquer ces trois vertus, un chacun selon sa vocation; car encor qu'elles ne nous mettent pas en l'estat de perfection, elles nous donneront neanmoins la [172] perfection mesme; aussi nous sommes tous obligés a la prattique de ces trois vertus, quoy que non pas tous a les prattiquer de mesme façon..

  A003000944 

 Pour le premier degré de cette vertu, gardés-vous, Philothee, d'admettre aucune sorte de volupté qui soit prohibee et defendue, comme sont toutes celles qui se prennent hors le mariage, ou mesme au mariage quand elles se prennent contre la regle du mariage.

  A003000949 

 Non, Philothee, Nul ne verra Dieu sans la chasteté, nul n'habitera en son saint tabernacle qui ne soit net de cœur; et, comme dit le Sauveur mesme, Les chiens et impudiques en seront bannis, et Bienheureux sont les netz de cœur, car ilz verront Dieu..

  A003000954 

 Ne permettes jamais, Philothee, qu'aucun vous touche incivilement, ni par maniere de folastrerie ni par maniere de faveur; car bien qu'a l'adventure la chasteté puisse estre conservee parmi ces actions, plustost legeres que malicieuses, si est ce que la fraischeur et fleur de la chasteté en reçoit tous-jours du detriment et de la perte: mays de se laisser toucher deshonnestement, c'est la ruine entiere de la chasteté..

  A003000962 

 Vostre cœur, chere Philothee, doit estre comme cela, ouvert seulement au ciel, et impenetrable aux richesses et choses caduques: si vous en aves, tenes vostre cœur exempt de leurs affections; qu'il tienne tous-jours le dessus, et qu'emmi les richesses.

  A003000965 

 Helas, Philothee, jamais nul ne confessera d'estre avare; chacun desavoüe cette bassesse et vileté de cœur.

  A003000967 

 Attendés, chere Philothee, de desirer le bien du prochain quand il commencera a desirer de s'en desfaire; car lhors son desir rendra le vostre non seulement juste, mais charitable [186]: ouy, car je veux bien que vous ayes soin d'accroistre vos moyens et facultés, pourveu que ce soit non seulement justement, mais doucement et charitablement..

  A003000967 

 O Philothee, je ne sçai si c'est un desir juste de desirer d'avoir justement ce qu'un autre possede justement; car il semble que par ce desir nous nous voulons accommoder par l'incommodité d'autruy.

  A003000968 

 S'il vous arrive de perdre des biens, et vous sentes que vostre cœur s'en desole et afflige beaucoup, croyes, Philothee, que vous y aves beaucoup d'affection; car rien ne tesmoigne tant d'affection a la chose perdue que l'affliction de la perte..

  A003000973 

 Le peintre Parrhasius peignit le peuple Athenien par une invention fort ingenieuse, le representant d'un naturel divers et variable: cholere, injuste, inconstant, courtois, clement, misericordieux, hautain, glorieux, humble, bravache et fuyard, et tout cela ensemble mais moy, chere Philothee, je voudrais mettre en vostre cœur la richesse et la pauvreté tout ensemble, un grand soin et un grand mespris des choses temporelles..

  A003000974 

 Ma Philothee, les possessions que nous avons ne sont pas nostres: Dieu les nous a donnees a cultiver et veut que nous les rendions fructueuses et utiles, et partant nous luy faisons service aggreable d'en avoir soin.

  A003000977 

 O ma Philothee, ce service est plus triomphant qu'une royauté..

  A003000977 

 Voules-vous faire encores davantage, ma Philothee? ne vous contentes pas d'estre pauvre comme les pauvres, mais soyes plus pauvre que les pauvres.

  A003000978 

 O mon Dieu, chere Philothee, que ce Prince et cette Princesse estoyent pauvres en leurs richesses, et qu'ilz estoyent riches en leur pauvreté..

  A003000980 

 Philothee, soyes bien ayse de ces rencontres, acceptes-les de bon cœur, souffres-les gayement..

  A003000985 

 Combien y a-il de grans mondains qui, avec beaucoup de contradictions, sont allés rechercher avec un soin nompareil la sainte pauvreté dedans les cloistres et les hospitaux? Ilz ont pris beaucoup de peyne pour la treuver, tesmoin saint Alexis, sainte Paule, saint Paulin, sainte Angele et tant d'autres; et voyla, Philothee, que, plus gracieuse en vostre endroit, elle se vient presenter chez vous; vous l'aves rencontree sans la chercher et sans peyne: embrasses-la donq comme la chere amie de Jesus Christ, qui naquit, vesquit et mourut avec la pauvreté, qui fut sa nourrice toute sa vie..

  A003000985 

 Mais si vous estes reellement pauvre, treschere Philothee, o Dieu, soyes-le encores d'esprit; faites de necessité vertu, et employes cette pierre pretieuse de [192] la pauvreté pour ce qu'elle vaut: son esclat n'est pas descouvert en ce monde, mais si est ce pourtant qu'il est extremement beau et riche.

  A003000986 

 Vostre pauvreté, Philothee, a deux grans privileges par le moyen desquelz elle vous peut beaucoup faire meriter.

  A003000988 

 Ne vous plaignes donq pas, ma chere Philothee, de vostre pauvreté; car on ne se plaint que de ce qui desplait, et si la pauvreté vous desplait vous n'estes plus pauvre d'esprit, ains riche d'affection.

  A003000993 

 Prenes donq bien garde, ma Philothee, de [194] n'en point avoir de mauvais, car tout aussi tost vous series toute mauvaise.

  A003001006 

 O Dieu, quel aveuglement est celuy ci, de joüer ainsy a credit sur des gages si frivoles la principale piece de nostre ame! Ouy, Philothee, car Dieu ne veut l'homme que pour l'ame, ni l'ame que pour la volonté, ni la volonté que pour l'amour.

  A003001011 

 O Philothee, aymés un chacun d'un grand amour charitable, mais n'ayes point d'amitié qu'avec ceux qui peuvent communiquer avec vous de choses vertueuses; et plus les vertus que vous mettres en vostre commerce seront exquises, plus vostre amitié sera parfaitte.

  A003001019 

 Voyci donq le grand advertissement, ma Philothee.

  A003001026 

 O ma Philothee, pour Dieu, soyes rigoureuse en telles occasions: le cœur et les oreilles s'entretiennent l'un a l'autre, et comme il est impossible d'empescher un torrent qui a pris sa descente par le pendant d'une montaigne, aussi est-il difficile d'empescher que l'amour qui est tombé en l'oreille ne face soudain sa cheute dans le cœur.

  A003001031 

 Non feront, Philothee, si vous aves conceu autant de detestation de vostre mal comme il merite, car si cela est, vous ne seres plus agitee d'aucun mouvement que de celuy d'un extreme horreur de cet infame amour et de tout ce qui en depend, et demeureres quitte de toute autre affection envers l'objet abandonné, que de celle d'une tres pure charité pour Dieu.

  A003001032 

 Ah, ce me dires vous, mais ne sera ce point une ingratitude, de rompre si impiteusement une amitié? O que bienheureuse est l'ingratitude qui nous rend aggreables a Dieu! Non, de par Dieu, Philothee, ce ne sera pas ingratitude, ains un grand benefice que vous feres a l'amant, car en rompant vos liens vous rompres les siens, puisqu'ilz vous estoyent communs, et bien [212] que pour l'heure il ne s'apperçoive pas de son bonheur, il le reconnoistra bien tost apres et avec vous chantera pour action de grace: O Seigneur, vous aves rompu mes liens, je vous sacrifieray l'hostie de loüange et invoqueray vostre saint Nom..

  A003001036 

 Or donq, Philothee, il faut bien prattiquer en ce sujet la parolle que le Sauveur de nos ames souloit dire, ainsy que les [213] Anciens nous ont appris: «Soyes bons changeurs» et monnoyeurs, c'est a dire, ne recevés pas la fause monnoye avec la bonne, ni le bas or avec le fin or; separés le pretieux d'avec le chetif: ouy, car il n'y a presque celuy qui n'ait quelque imperfection.

  A003001043 

 Pour moy, Philothee, je n'ay jamais peu appreuver la methode de ceux qui pour reformer l'homme commencent par l'exterieur, par les [216] contenances, par les habitz, par les cheveux.

  A003001044 

 C'est pourquoy, chere Philothee, j'ay voulu avant toutes choses graver et inscrire sur vostre cœur ce mot saint et sacré: VIVE JESUS, asseuré que je suis qu'apres cela, vostre vie, laquelle vient de vostre cœur comme un amandier de son noyau, produira toutes ses actions qui sont ses fruitz, escrites et gravees du mesme mot de salut, et que comme ce doux Jesus vivra dedans vostre cœur, il vivra aussi en tous vos deportemens, et paroistra en vos yeux, en vostre bouche, en vos mains, voyre mesme en vos cheveux; et pourrés saintement dire, a l'imitation de saint Paul: Je vis, mais non plus moy, ains Jesus Christ vit en moy.

  A003001051 

 Voyes-vous, Philothee, Balaam est la cause du mal, et il frappe et bat la pauvre asnesse qui n'en peut mais..

  A003001057 

 Si donques rien ne vous presse d'aller en conversation ou d'en recevoir chez vous, [222] demeurés en vous mesme et vous entretenés avec vostre cœur; mais si la conversation vous arrive, ou quelque juste sujet vous invite a vous y rendre, alls de par Dieu, Philothee, et voyes vostre prochain de bon cœur et de bon œil..

  A003001061 

 Reste les conversations utiles, comme sont celles des personnes devotes et vertueuses: o Philothee, ce vous sera tous-jours un grand bien d'en rencontrer souvent de telles.

  A003001069 

 Soyes propre, Philothee; qu'il n'y ait rien sur vous de traînant et mal ageancé: c'est un mespris de ceux avec lesquelz on converse d'aller entr'eux en habit desaggreable; mays gardés-vous bien des affaiteries, vanités, curiosités et folastreries.

  A003001073 

 Si donq vous estes bien amoureuse de Dieu, Philothee, vous parlerés souvent de Dieu es devis familiers que vous feres avec vos domestiques, amis et voysins: ouy, car la bouche du juste meditera la sapience, et sa langue parlera du jugement.

  A003001082 

 Mais, Philothee, passons tellement le tems par recreation que nous conservions la sainte eternité par devotion..

  A003001090 

 Il faut tous-jours faire de mesme, Philothee, jugeant en faveur du prochain, autant qu'il nous sera possible; que si une action pouvoit avoir cent visages, il la faut regarder en celuy qui est le plus beau.

  A003001091 

 Mais ne peut-on donq jamais juger le prochain? Non certes, jamais; c'est Dieu, Philothee, qui juge les criminelz en justice.

  A003001100 

 Je vous conjure donques, treschere Philothee, de ne jamais mesdire de personne, ni directement ni indirectement: gardés-vous d'imposer des faux crimes et pechés au prochain, ni de descouvrir ceux qui sont secretz, ni d'aggrandir ceux qui sont manifestes, ni d'interpreter en mal la bonne œuvre, ni de nier le bien que vous sçaves estre en quelqu'un, ni le dissimuler malicieusement, ni le diminuer par paroles, car en toutes ces façons vous offenseries grandement Dieu, mais sur tout accusant fausement et niant la verité au prejudice du prochain; car c'est double peché de mentir et nuire tout ensemble au prochain..

  A003001104 

 Non, chere Philothee, il ne faut pas, pensant fuir le vice de la mesdisance, favoriser, flatter ou nourrir les autres, ains faut dire rondement et franchement mal du mal et blasmer les choses blasmables: ce que faisant, nous glorifions Dieu, moyennant que ce soit avec les conditions suivantes..

  A003001105 

 Mais sur tout il faut que je sois exactement juste en mes paroles pour ne dire pas un seul mot de trop: par exemple, si je blasme la privauté de ce jeune homme et de cette fille, parce qu'elle est trop indiscrete et perilleuse, o Dieu, Philothee, il faut que je tienne la balance bien juste pour ne point aggrandir la chose, pas mesme d'un seul brin.

  A003001107 

 Chacun se donne liberté de juger et censurer les princes et de mesdire des nations toutes entieres, selon la diversité des affections que l'on a en leur endroit: Philothee, ne faites pas cette faute; car outre l'offense de Dieu, elle vous pourroit susciter mille sortes de querelles..

  A003001114 

 Voyés-vous, chere Philothee, combien cette sainte belle ame est douillette au sentiment de l'affaiterie des paroles? Certes, c'est un grand ornement de la vie chrestienne que la fidelité, rondeur et sincerité du langage.

  A003001123 

 Mays sur tout prenés garde, Philothee, de ne point attacher vostre affection a tout cela; car pour honneste que soit une recreation, c'est vice d'y mettre son cœur et son affection.

  A003001134 

 Je vous dis des danses, Philothee, comme les medecins disent des potirons et champignons: les meilleurs n'en valent rien, disent-ilz; et je vous dis que les meilleurs balz ne sont gueres bons.

  A003001134 

 Manges-en peu et peu souvent, disent les medecins parlans des champignons, car, pour bien apprestés qu'ilz soyent, la quantité leur sert de venin: dansés peu et peu souvent, Philothee, car faisant autrement vous vous mettres en danger de vous y affectionner..

  A003001135 

 O Philothee, ces impertinentes recreations sont ordinairement dangereuses: elles dissipent l'esprit de devotion, allanguissent les forces, refroidissent la charité et resveillent en l'ame mille sortes de mauvaises affections; c'est pourquoy il en faut user avec une grande prudence..

  A003001148 

 Preparés-vous donq, Philothee, a souffrir beaucoup de grandes afflictions pour Nostre Seigneur, et mesme le martyre; resoulvés-vous de luy donner tout ce qui vous est de plus pretieux, s'il luy plaisoit de le prendre: pere, mere, frere, mari, femme, enfans, vos yeux mesme et vostre vie, car a tout cela vous deves apprester vostre cœur.

  A003001149 

 J'ay dit cet exemple, ma Philothee, affin que vous sçachies combien il importe de bien dresser toutes nos actions, pour viles qu'elles soient, au service de sa divine Majesté..

  A003001158 

 Philothee, soyes egale et juste en vos actions: mettes-vous tous-jours en la place du prochain, et le mettes en la vostre, et ainsy vous jugerés bien; rendes-vous vendeuse en achetant et acheteuse en vendant, et vous vendres et acheteres justement.

  A003001158 

 Resouvenés-vous donq, ma Philothee, d'examiner souvent vostre cœur s'il est tel envers le prochain comme vous voudries que le sien fust envers vous si vous esties en sa place, car voyla le point de la vraye rayson.

  A003001162 

 Mais je vous dis de plus, ma Philothee: ne desires point les choses qui sont dangereuses a l'ame, comme sont les balz, les jeux et telz autres passetems; ni les honneurs et charges, ni les visions et extases, car il y a beaucoup de peril, de vanité et de tromperie en telles choses.

  A003001165 

 C'est bon signe, ma Philothee, d'avoir ainsy bon appetit, mais regardes si vous pourres bien digerer tout ce que vous voules manger.

  A003001197 

 C'est grand cas, chere Philothee, que le miel si propre et salutaire aux abeilles leur puisse neanmoins estre si nuisible que quelquefois il les rend malades, comme quand elles en mangent trop au printems, car cela leur donne le flux de ventre, et quelquefois il les fait mourir inevitablement, comme quand elles sont emmiellees par le devant de leur teste et de leurs aislerons.

  A003001226 

 Ma Philothee, tout cela n'est qu'un sot et vain babil; ces gens-la n'ont nul soin ni de vostre santé ni de vos affaires.

  A003001227 

 Il est vray, Philothee; si nous nous relaschons par condescendance a rire, jouer, danser avec le monde, il s'en scandalisera, si nous ne le faysons pas, il nous accusera d'hypocrisie ou melancholie; si nous nous parons, il l'interpretera a quelque dessein, si nous nous demettons, ce sera pour luy vileté de cœur; nos gayetés [290] seront par luy nommees dissolutions, et nos mortifications tristesses, et nous regardant ainsy de mauvais œil, jamais nous ne pouvons luy estre aggreables.

  A003001229 

 Laissons cet aveugle, Philothee: qu'il crie tant qu'il voudra, comme un chat huant, pour inquieter les oyseaux du jour.

  A003001233 

 Il se pourra bien faire, ma chere Philothee, qu'a ce changement de vie plusieurs soulevemens se feront en vostre interieur, et que ce grand et general [292] adieu que vous aves dit aux folies et niaiseries du monde vous donnera quelque ressentiment de tristesse et descouragement.

  A003001234 

 Mays vous voyes que la montagne de la perfection chrestienne est extremement haute: hé mon Dieu, ce dites-vous, comment pourray-je monter? Courage, Philothee; quand les petitz mouchons des abeilles commencent a prendre forme on les appelle nymphes, et lhors ilz ne sçauroyent encor voler sur les fleurs, ni sur les montz, ni sur les collines voysines pour amasser le miel; mais petit a petit, se nourrissans du miel que leurs meres ont preparé, ces petitz nymphes prennent des aisles et se fortifient, en sorte que par apres ilz volent a la queste par tout le païsage.

  A003001238 

 Imaginés-vous, Philothee, une jeune princesse extremement aymee de son espoux, et que quelque meschant, pour la desbaucher et souiller son lict nuptial, luy envoye quelque infame messager d'amour pour traitter avec elle son malheureux dessein.

  A003001240 

 Il faut donq estre fort courageuse, Philothee, emmi les tentations, et ne se tenir jamais pour vaincue pendant qu'elles vous desplairont, en bien observant cette difference qu'il y a entre sentir et consentir, qui est qu'on les peut sentir encor qu'elles nous desplaisent, mais on ne peut consentir sans qu'elles nous plaisent, puisque le playsir pour l'ordinaire sert de degré pour venir au consentement.

  A003001242 

 Aves-vous jamais veu, Philothee, un grand brasier de feu couvert de cendres? quand on vient dix ou douze heures apres pour y chercher du feu, on n'en treuve qu'un peu au milieu du foyer, et encor on a peyne de le treuver; il y estoit neanmoins puysqu'on l'y treuve, et avec iceluy on peut rallumer tous les autres charbons des-ja esteintz.

  A003001248 

 Voyes vous, Philothee, comme ce feu estoit couvert de la cendre, et que la tentation et delectation estoit mesme entree dedans le cœur et avoit environné la volonté, laquelle seule, assistee de son Sauveur, resistoit par des amertumes, des desplaysirs et detestations du mal qui luy estoit suggeré, refusant perpetuellement son consentement au péché qui l'environnoit.

  A003001252 

 Ma Philothee, ces grans assautz et ces tentations si puissantes ne sont jamais permises de Dieu que contre les ames lesquelles il veut eslever a son pur et excellent amour; mais il ne s'ensuit pas pourtant qu'apres cela elles soyent asseurees d'y parvenir, car il est arrivé [299] maintesfois que ceux qui avoyent esté constans en des si violentes attaques, ne correspondans pas par apres fidelement a la faveur divine, se sont treuvés vaincus en des bien petites tentations.

  A003001274 

 Bref, ces menues tentations de choleres, de soupçons, de jalousie, d'envie, d'amourettes, de folastrerie, de vanités, de duplicités, d'affaiterie, d'artifices, de cogitations deshonnestes, ce sont les continuelz exercices de ceux mesmes qui sont plus devotz et resolus: c'est pourquoy, ma chere Philothee, il faut qu'avec grand soin et diligence nous nous preparions a ce combat; et soyes asseuree qu'autant de victoires que nous rapportons contre ces petitz ennemis, autant de pierres pretieuses seront mises en la couronne de gloire que Dieu nous prepare en son Paradis.

  A003001305 

 Si jamais il vous arrivoit, Philothee, d'estre atteinte de cette mauvaise tristesse, prattiqués les remedes suivans.

  A003001317 

 Non, chere Philothee, la devotion et cela ne sont pas une mesme chose; car il y a beaucoup d'ames qui ont de ces tendretés et consolations, qui neanmoins ne laissent pas d'estre fort vicieuses, et par consequent n'ont aucun vray amour de Dieu et, beaucoup moins, aucune vraye devotion.

  A003001319 

 Helas, Philothee, c'est bien fait de pleurer sur cette Mort et Passion douloureuse de nostre Pere et Redempteur; [320] mais pourquoy donq ne luy donnons-nous tout de bon la pomme que nous avons en nos mains et qu'il nous demande si instamment, a sçavoir nostre cœur, unique pomme d'amour que ce cher Sauveur requiert de nous? Que ne luy resignons-nous tant de menues affections, delectations, complaisances, qu'il nous veut arracher des mains et ne peut, parce que c'est nostre dragee, de laquelle nous sommes plus frians que desireux de sa celeste grace? Ha! ce sont des amitiés de petitz enfans que cela, tendres, mais foibles, mais fantasques, mais sans effect.

  A003001321 

 Mais, ce me dires-vous, puisqu'il y a des consolations sensibles qui sont bonnes et viennent de Dieu, et que neanmoins il y en a des inutiles, dangereuses, voyre pernicieuses, qui viennent ou de la nature ou mesme de l'ennemi, comment pourray-je discerner les unes des autres et connoistre les mauvaises ou inutiles entre les bonnes? C'est une generale doctrine, treschere Philothee, pour les affections et passions de nos ames, que nous les devons connoistre par leurs fruitz.

  A003001321 

 Si les douceurs, tendretés et consolations nous rendent plus humbles, patiens, traittables, charitables et compatissans a l'endroit du prochain, plus fervens a mortifier nos concupiscences et mauvaises inclinations, plus constans en nos exercices, plus maniables et souples a ceux que nous devons obeir, plus simples en nostre vie, sans doute, Philothee, qu'elles sont de Dieu; mais si ces douceurs n'ont de la douceur que pour nous, qu'elles nous rendent curieux, aigres, pointilleux, impatiens, opiniastres, fiers, presomptueux, durs a l'endroit du prochain, et que pensans des-ja estre des petitz saintz nous ne voulons plus estre sujetz a la direction ni a la correction, indubitablement ce sont des consolations fauses et pernicieuses: Un bon arbre ne produit que des bons fruitz..

  A003001322 

 Et ainsy, c'est beaucoup, Philothee, d'avoir les douceurs; mais c'est la douceur des douceurs de considerer que Dieu de sa main amoureuse et maternelle les nous met en la bouche, au cœur, en l'ame, en l'esprit.

  A003001322 

 il nous faut beaucoup humilier devant Dieu; gardons-nous bien de dire pour ces douceurs: o que je suis bon! Non, Philothee, ce sont des biens qui ne nous rendent pas meilleurs, car, comme j'ay dit, la devotion ne consiste pas en cela; mais disons: o que Dieu est bon a ceux qui esperent en luy, a l'ame qui le recherche! Qui a le sucre en bouche ne peut pas dire que sa bouche soit douce, mais ouy bien que le sucre est doux: ainsy, encor que cette douceur spirituelle est fort bonne, et Dieu qui nous la donne est tresbon, il ne s'ensuit pas que celuy qui la reçoit soit bon.

  A003001326 

 Vous ferés donq ainsy que je vous viens de dire, tres-chere Philothee, quand vous aves des consolations; mais ce beau tems si aggreable ne durera pas tous-jours, ains il adviendra que quelquefois vous seres tellement privee et destituee du sentiment de la devotion, qu'il vous sera advis que vostre ame soit line terre deserte, infructueuse, sterile, en laquelle il n'y ait ni sentier ni chemin pour treuver Dieu, ni aucune eau de grace qui la puisse arrouser, a cause des secheresses qui, ce semble, la reduiront totalement en friche.

  A003001327 

 Que feres-vous donq en ce tems la, Philothee? Prenes garde d'ou le mal vous arrive: nous sommes souvent nous mesmes la cause de nos sterilités et secheresses..

  A003001334 

 Mais notés, Philothee, qu'il ne faut pas faire cet examen avec inquietude et trop de curiosité; ains apres avoir fidelement consideré nos deportemens pour ce regard, si nous treuvons la cause du mal en nous, il en faut remercier Dieu, car le mal est a moitié gueri quand on a [327] descouvert sa cause.

  A003001339 

 Finalement, Philothee, entre toutes nos secheresses et sterilités ne perdons point courage, mais attendans en patience le retour des consolations, suivons tous-jours nostre train; ne laissons point pour cela aucun exercice de devotion, ains, s'il est possible, multiplions nos bonnes œuvres, et ne pouvans presenter a nostre cher Espoux des confitures liquides, presentons-luy en des seches, car ce luy est tout un, pourveu que le cœur qui les luy offre soit parfaittement resolu de le vouloir aymer.

  A003001339 

 Il [329] arrive maintesfois, ma Philothee, que l'ame se voyant au beau printems des consolations spirituelles s'amuse tant a les amasser et succer, qu'en l'abondance de ces douces delices elle fait beaucoup moins de bonnes œuvres, et qu'au contraire, parmi les aspretés et sterilités spirituelles, a mesure qu'elle se void privee des sentimens aggreables de devotion, elle en multiplie d'autant plus les œuvres solides, et abonde en la generation interieure des vrayes vertus, de patience, humilité, abjection de soy mesme, resignation, et abnegation de son amour propre..

  A003001340 

 Ouy, chere Philothee, en tems de secheresse nostre volonté nous porte au service de Dieu comme par vive force, et par consequent il faut qu'elle soit plus vigoureuse et constante qu'en tems de tendreté.

  A003001348 

 Tel fut le succes de la tentation de ce devot personnage, mais remarqués en ce recit, chere Philothee: 1.

  A003001357 

 Nostre nature humaine deschoit aysement de ses bonnes affections, a cause de la fragilité et mauvaise inclination de nostre chair, qui appesantit l'ame et la tire tous-jours contrebas si elle ne s'esleve souvent en haut a vive force de resolution, ainsy que les oyseaux retombent soudain en terre s'ilz ne multiplient les eslancemens et traitz d'aisles pour se maintenir au vol. Pour cela, chere Philothee, vous aves besoin de reiterer et repeter fort souvent les bons propos que vous aves fait de servir Dieu, de peur que, ne le faysant pas, vous ne retombiés en vostre premier estat, ou plustost en un estat beaucoup pire car les cheutes spirituelles ont cela de propre, qu'elles nous precipitent tous-jours plus bas que n'estoit l'estat duquel nous estions montés en haut a la devotion..

  A003001358 

 Les anciens Chrestiens le prattiquoient soigneusement au jour anniversaire du Baptesme de Nostre Seigneur, auquel, comme dit saint Gregoire Evesque de Nazianze, ilz renouvelloient la profession et les protestations qui se font en ce Sacrement: faisons-en de mesme, ma chere Philothee, nous y disposans tres volontier, et nous y employans fort serieusement..

  A003001367 

 Mais dites en verité, fustes-vous pas conviee par des doux attraitz du Saint Esprit? les cordes avec lesquelles Dieu tira vostre petite barque a ce port salutaire, furent-elles pas d'amour et charité? Comme vous alla-il amorçant avec son sucre divin, par les Sacremens, par la lecture, par l'orayson? Helas, chere Philothee, vous dormies, et Dieu veilloit sur vous et pensoit sur vostre cœur des pensees de paix, il meditoit pour vous des meditations d'amour..

  A003001368 

 Que si ç'a esté en vostre viellesse, helas, Philothee, quelle grace qu'apres avoir ainsy abusé des annees precedentes, Dieu vous ait appellee avant la mort, et qu'il ait arresté la course de vostre misere au tems auquel, si elle eust continué, vous esties eternellement miserable..

  A003001369 

 Ne prenes-vous point a bonheur de sçavoir parler a Dieu par l'orayson, d'avoir affection a le vouloir aymer, d'avoir accoisé et pacifié beaucoup de passions qui vous inquietoyent, d'avoir evité plusieurs pechés et embarrassemens de conscience, et en fin, d'avoir si souvent communié de plus que vous n'eussies pas fait, vous unissant a cette souveraine source de graces eternelles? Ha, que ces graces sont grandes! il faut, ma Philothee, les peser au poids du sanctuaire.

  A003001453 

 Voyes-vous, ma Philothee, il est certain que le cœur de nostre cher Jesus voyoit le vostre des Farbre de la Croix et l'aymoit, et par cet amour luy obtenoit tous les biens que vous aurés jamais, et entre autres nos resolutions; ouy, chere Philothee, nous pouvons tous dire comme Hieremie: O Seigneur, avant que je fusse, vous me regardies et m'appellies par mon nom, d'autant que vrayement sa divine Bonté prepara en son amour et misericorde tous les moyens generaux et particuliers de nostre salut, et par consequent nos resolutions.

  A003001454 

 Ceci est bien doux: ce cœur amiable de mon Dieu pensoit en Philothee, l'aymoit et luy procuroit mille moyens de salut, autant comme s'il n'eust point eu d'autre ame au monde en qui il eust pensé, ainsy que le soleil esclairant un endroit [358] de la terre ne l'esclaire pas moins que s'il n'esclairoit point ailleurs et qu'il esclairast cela seul; car tout de mesme Nostre Seigneur pensoit et soignoit pour tous ses chers enfans, en sorte qu'il pensoit a un chacun de nous comme s'il n'eust point pensé a tout le reste.

  A003001454 

 Ceci, Philothee, doit estre gravé en vostre ame, pour bien cherir et nourrir vostre resolution qui a esté si pretieuse au cœur du Sauveur..

  A003001474 

 Helas, chere Philothee, quand nous ne ferions autre chose nous ferions bien asses, puysque nous ferions ce que nous devrions faire en ce monde.

  A003001474 

 Le monde vous dira, ma Philothee, que ces exercices et ces advis sont en si grand nombre que qui voudra les observer il ne faudra pas qu'il vaque a autre chose.

  A003001475 

 Le monde dira que je suppose presque par tout que ma Philothee ait le don de l'orayson mentale, et que neanmoins chacun ne l'a pas, si que cette Introduction ne servira pas pour tous.

  A003001481 

 En fin, treschere Philothee, je vous conjure par tout ce qui est de sacré au Ciel et en la terre, par le Baptesme que vous avés receu, par les mammelles que Jesus Christ sucça, par le cœur charitable duquel il vous ayma et par les entrailles de la misericorde en laquelle vous esperés, continues et perseveres en cette bienheureuse entreprise de la vie devote.

  A003001481 

 Nos jours s'escoulent, la mort est a la porte: «La trompette,» dit saint Gregoire Nazianzene, «sonne la retraitte, qu'un chacun se prepare, car le jugement est proche.» La mere de saint Simphorien voyant qu'on le conduisoit au martyre crioit apres luy: «Mon filz, mon filz, souvienne-toy de la vie eternelle, regarde le Ciel et considere Celuy lequel y regne; la fin prochaine terminera bien tost la briefve course de cette vie.» Ma Philothee, vous diray-je de mesme, regardes le Ciel et ne le quittes pas pour la terre; regardes l'enfer, ne vous y jettes pas pour les momens; regardes Jesus Christ, ne le renies pas pour le monde; et quand la peyne de la vie devote vous semblera dure, chantés avec saint François:.

  A003001502 

 J'adresse mes paroles à Philothee, parce que voulant reduire à l'utilité commune de plusieurs ames ce que j'avois premierement escrit pour une seule, je l'appelle du nom commun à toutes celles qui veulent estre devotes: car Philothee veut dire amatrice ou amoureuse de Dieu..

  A003001535 

 Vous aspirés à la devotion, ma chere Philothee, parce qu'estant Chrestienne vous sçavez que c'est une vertu extremement agreable à la divine Majesté: mais d'autant que les petites fautes que l'on commet au commencement de quelque affaire, s'agrandissent infiniment au progrez, et sont presque irreparables à la fin; il faut avant toute chose que vous sçachiez que c'est que la vertu de devotion: car parce que il n'y en a qu'une vraye, et qu'il y en a une grande quantité de fausses, et vaines, si vous ne cognoissiez quelle est la vraye, vous pourriez vous tromper, et vous amuser à suivre quelque devotion impertinente et superstitieuse..

  A003001542 

 Et le monde, ma chere Philothee, difame tant qu'il peut la saincte devotion, depeignant les personnes devotes avec un visage facheux, triste et chagrin, et publiant que la devotion donne des humeurs melancoliques et insupportables.

  A003001549 

 Je vous prie, Philothee, seroit il à propos que l'Evesque voulut estre solitaire comme le Chartreux; et si les mariez ne vouloient rien amasser non plus que les Capucins, si l'artisan estoit tout le jour à l'Eglise comme les religieux, et si le religieux estoit tousjours au tracas des affaires comme un advocat, cette devotion ne seroit elle pas ridicule, desreglée et insuportable? Cette faute neantmoins arrive bien souvent: et le monde qui ne [17*] discerne pas, ou ne veut pas discerner entre la devotion et indiscretion de ceux qui pensent estre devots, murmure et blasme la devotion, laquelle neantmoins ne peut mays de ces desordres..

  A003001550 

 Non, Philothee, la devotion ne gaste rien quand elle est vraye, ains elle perfectionne tout: et lors qu'elle se rend contraire à la legitime vocation de quelqu'un, elle est sans doubte fausse.

  A003001551 

 Il est vray, Philothee, que la devotion purement contemplative, monastique, et religieuse ne se peut pas exercer en ces vocations: mais aussi, outre ces trois sortes de devotion, il y en a plusieurs autres propres à perfectionner ceux qui vivent és estats seculiers.

  A003001555 

 Je vous en dis de mesme, ma Philothee: voulez vous à bon escient vous acheminer à la devotion, cherchés quelque homme de bien qui vous guide et conduise.

  A003001557 

 Puis qu'il vous importe tant, Philothee, d'aller avec une bonne guide en ce saint voyage de devotion, priez Dieu avec une grande instance, qu'il vous en fournisse d'une qui soit selon son cœur: et ne doutés point que quant il devroit envoyer un Ange du Ciel, comme il fit au jeune Tobie, il vous en donnera une bonne et fidelle..

  A003001563 

 Qui sont les fleurs de nos cœurs, ô Philothee, sinon les bons desirs? Or tout aussi tost qu'ils paroissent il faut mettre la main à la sarpe, pour retrancher de nostre conscience toutes les œuvres mortes, et superflues: la fille estrangere, pour espouser l'Israëlite, devoit oster la robe de sa captivité, rongner ses ongles, et raser ses cheveux: et l'ame qui aspire à l'honneur d'estre espouse du Fils de Dieu, se doit despouïller du vieil homme, et se revestir du nouveau, quittant le peché, et rongner et raser toutes sortes d'empeschemens qui nous destournent de l'amour de Dieu.

  A003001565 

 O Philothee, qu'elles sont en grand peril de recheoir, pour s'estre trop tost ostées d'entre les mains du medecin! Ha ne vous levez pas avant que la lumiere soit arrivée, dit le Prophete: levez vous apres que vous aurez esté assis; et luy mesme pratiquant cette leçon, ayant esté desja lavé et nettoyé demande de l'estre derechef.

  A003001570 

 Parlant doncques d'un renouvellement general de nostre cœur, et d'une conversion universelle de nostre ame à Dieu, par l'entreprise de la vie devote; j'ay bien raison, ce me semble, Philothee, de vous conseiller cette confession generalle.

  A003001570 

 Vous voyez bien, Philothee, que je parle d'une confession generalle de toute la vie, laquelle je confesse bien n'estre pas absolument necessaire.

  A003001575 

 O Philothee, puis que vous voulez entreprendre la vie devote, il ne vous faut pas seulement quitter le peché, mais il faut tout [24*] à fait emonder vostre cœur et retrancher de vostre ame toutes les affections qui dependent du peché: car outre le danger, qu'il y auroit de faire recheute, toutes ces affections alanguiroient perpetuellement vostre esprit, et l'apesantiroient en telle sorte, qu'il ne pourroit pas faire les bonnes œuvres promptement, diligemment, et frequemment, en quoy gist neantmoins la vraye essence de la devotion.

  A003001579 

 Il faut donque, Philothee, agrandir tant qu'il nous sera possible nostre contrition, et repentance, afin qu'elle s'estende jusques aux moindres apartenances du peché.

  A003001640 

 Considerez les graces spirituelles: ô Philothee, vous estes des enfans de l'Eglise, Dieu vous a enseignee sa cognoissance dés vostre jeunesse.

  A003001648 

 Ah doncques retirez, Philothee, vostre corps de telles et telles voluptés: rendez le subject au service de Dieu, qui a tant fait pour luy: appliquez vostre ame à le cognoistre, et recognoistre par tels et tels exercices qui sont requis pour cela: employez soigneusement les moyens qui sont en l'Eglise pour vous sauver et aymer Dieu; ouy, je frequenteray l'oraison, les Sacremens, j'escouteray la sainte parolle, je pratiqueray les inspirations..

  A003001809 

 Ces Meditations sont propres pour vous conduire à une vraye contrition: mais vous ne sçavez peut estre pas, ô Philothee, comme il faut faire l'exercice de la saincte Meditation: car c'est une chose, laquelle par malheur peu de gens sçavent en nostre aage.

  A003001811 

 Helas Philothee, nous ne voyons pas Dieu qui nous est present: et bien que la foy nous advertisse de sa presence, si est ce que ne le voyans pas de nos yeux, nous nous en oublions bien souvent, et lors nous nous comportons comme si Dieu estoit bien loing de nous: car encor que nous sçachions bien qu'il est present à toutes choses, si est ce que n'y pensant point, c'est tout autant comme si nous ne le sçavions pas: c'est pourquoy tousjours avant l'oraison, il faut provoquer nostre ame à une atentive pensee, et consideration de cette presence de Dieu.

  A003001811 

 Venant doncques à la priere, ô Philothee, il vous faut dire de tout vostre cœur, et à vostre cœur, ô mon cœur Dieu est vrayement icy..

  A003001814 

 Vous userez donques, ô Philothee," de l'un de ces quatre moyens pour mettre vostre ame en la presence de Dieu avant l'oraison, et ne faut pas les vouloir employer tous ensemblement, mais seulement un à la fois, et cela briefvement, et simplement.

  A003001821 

 Mais cela est trop subtil [47*] pour le commencement: et jusques à ce que Dieu vous esleve plus haut, je vous conseille, ô Philothee, de vous tenir en la basse vallee que je vous ay monstree..

  A003001833 

 Il ne faut pas pourtant, Philothee, s'arrester tant à ces affections generalles que vous ne les convertissiez en des resolutions specialles, et particulieres pour vostre correction, et amendement.

  A003001833 

 Par ce moyen, Philothee, vous corrigerez vos fautes en peu de temps, là où par les seules affections vous le ferez tard, et malaisement..

  A003001842 

 II faut sur tout, Philothee, qu'au sortir de vostre meditation vous reteniez les resolutions, et deliberations que vous aurez prinses, pour les pratiquer soigneusement ce jour là.

  A003001843 

 Il arrive aussi maintefois qu'au sortir de l'oraison, tandis que nos bonnes affections sont encores toutes chaudes en nostre cœur, quelque occasion se presente à nous de faire quelque chose requise, qui nous semblera bien eslongnee de telles affections: là dessus, Philothee, nous nous inquietons, et contristons.

  A003001844 

 Sçachez encor, Philothee, qu'il vous arrivera quelques fois, qu'incontinent apres la preparation, vostre affection se trouvera [51*] toute esmue en Dieu.

  A003001849 

 Ainsi devons nous venir, ma chere Philothee, à la sainte oraison purement et simplement, pour rendre nostre devoir, et tesmoigner nostre fidelité.

  A003001849 

 Mais quand il ne le feroit pas, ô Philothee, contentons nous que ce nous est honneur trop plus grand d'estre aupres de luy, et à sa veüe.

  A003001849 

 S'il vous arrive, Philothee, de n'avoir point de goust ny de consolation en la meditation, je vous conjure de ne vous point troubler: mais quelque fois ouvrez la porte aux parolles vocales: lamentez vous de vous mesme à [52*] nostre Seigneur, confessez vostre indignité, priez le qu'il vous soit en ayde, baisez son image si vous l'avez, dittes luy ces parolles de Jacob: Si ne vous laisseray je point Seigneur, que vous ne m'ayez donné vostre benediction: ou celles de la Chananee, Ouy Seigneur, je suis une chienne, mais les chiens mangent des miettes de la table de leur maistre.

  A003001853 

 Si nous sommes bien humbles, Philothee, nostre peché nous deplaira infiniment, parce que Dieu en a esté offencé: mais l'acusation de nostre peché nous sera douce et agreable, parce que Dieu en est honoré: ce nous est une sorte d'allegement de bien dire au medecin le mal qui nous tourmente..

  A003001853 

 Voyla doncq, ma chere Philothee, les meditations requises à nostre intention, et quant et quant la façon, et methode avec laquelle vous les devez faire; quand vous les aurez faittes, allez alors courageusement en esprit d'humilité faire vostre confession generalle: mais je vous prie ne vous laissez point troubler par aucune sorte d'apprehension.

  A003001855 

 Et cela fait, escoutez l'advertissement, et les ordonnances du serviteur de Dieu, et dittes en vostre cœur: Parlez, Seigneur, car vostre servante vous escoute: c'est Dieu, Philothee, que vous escoutez, puis qu'il a dit à ses [54*] Vicaires: Celuy qui vous escoute m'escoute.

  A003001865 

 En cette sorte, ce me semble Philothee, vostre ame sera purgee du peché et de toutes les affections du peché.

  A003001865 

 O Dieu, Philothee, que voila un contract admirable, par lequel vous faites un heureux traité avec sa divine Majesté, puis qu'en vous donnant vous mesme à elle, vous la gaignez, et vous mesme aussi pour la vie eternelle! Il ne reste plus sinon que prenant la plume en main, vous signiez de bon cœur l'acte de vostre protestation, et que par apres vous alliez à l'autel, où Dieu reciproquement signera et seellera vostre absolution, et la promesse qu'il vous fera de son Paradis, se mettant luy mesme par son Sacrement comme un cachet et seau sacré sur vostre cœur renouvellé.

  A003001871 

 O Philothee, tout cela n'est qu'un sot et vain babil: ces gens n'ont nul soing ny de vostre santé, ny de vos affaires.

  A003001872 

 Jean est venu, dit le Sauveur, ne mangeant ny beuvant, et vous dites qu'il est endiablé: le Fils de l'homme est venu en mangeant et beuvant, et vous dites qu'il est Samaritain! Il est vray, Philothee, si nous nous relaschons par condescendance, à rire, joüer, ou dancer avec le monde, il s'en scandalisera: si nous ne le faisons pas, il nous accusera d'hypocrisie ou melancolie; si nous nous parons, il l'interpretera à quelque dessein: si nous nous demettons, ce sera pour luy vileté de cœur; nos gayetez seront par luy nommées dissolutions, et nos mortifications tristesses, et nous regardant ainsi de mauvais œil, jamais nous ne pouvons luy estre agreables.

  A003001874 

 Laissons cest aveugle, Philothee.

  A003001878 

 Il se pourra bien faire, ma chere Philothee, qu'à ce changement de vie plusieurs souslevemens se feront en vostre interieur: et que ce grand et general à Dieu que vous avez dit aux folies et niaiseries du monde, vous donnera quelque ressentiment de tristesse et descouragement.

  A003001879 

 Mais vous voyez que la montagne de la perfection Chrestienne est extremement haute: hé mon Dieu, ce dites vous, comme y pourray-je monter? Courage, Philothee, quand les petits mouchons des abeilles commencent à prendre forme on les appelle nymphes: et lors ils ne sçauroient encor voler sur les fleurs, ny sur les monts, ny sur les collines voisines, pour amasser le miel: mais petit à petit se nourrissans du miel que leurs meres ont preparé, ces petits nymphes prenent des aisles et se fortifient, en sorte que par apres ils volent à la queste par tout le paysage.

  A003001884 

 Vous descouvrirez donc, ma chere Philothee, qu'outre les pechez mortels, et les affections des pechez mortels, dont vous avez esté purgée par les exercices marquez en la premiere Partie, vous avez encore en vostre ame plusieurs inclinations, et affections aux pechez veniels.

  A003001886 

 Ces affections, Philothee, sont directement contraires à la devotion, comme les affections au peché mortel le sont à la charité.

  A003001887 

 Ce n'est rien, Philothee, que de dire quelque petit mensonge, de se deregler un peu en parolles, en actions, en regards, en habits, en jolietez, en jeux, en dances: pourveu que tout aussi tost que ces haragnes spirituelles sont entrées en nostre conscience nous les en rechassions, et bannissions, comme les mouches à miel font les haragnes corporelles.

  A003001891 

 Je dis donques, Philothee, qu'encor qu'il soit loisible de jouer, dancer, se parer, ouïr des honnestes comedies, banqueter: si est ce que d'avoir de l'affection à cela, c'est chose contraire à la devotion, et extremement nuisible, et perilleuse.

  A003001892 

 Mais n'est ce pas une chose ridicule, ains plustost lamentable, de voir des hommes faits s'empresser et affectionner apres des bagatelles si indignes, comme sont les choses que j'ay nommées, lesquelles, outre leur inutilité, nous mettent en peril de nous [65*] deresgler et desordonner à leur poursuitte? C'est pourquoy, ma chere Philothee, je vous dis qu'il se faut purger de ces affections: et bien que les actes ne soient pas tousjours contraires à la devotion, les affections neantmoins luy sont tousjours dommageables..

  A003001896 

 Nous avons encore, ma chere Philothee, certaines inclinations naturelles, lesquelles pour n'avoir prins leur origine de nos pechez particuliers, ne sont pas proprement pechez ny mortel, ny veniel, mais s'appellent imperfections, et leurs actes, defauts et manquemens.

  A003001896 

 Or quoy qu'elles soient comme propres et naturelles à un chacun, si est ce que par le soing et affection contraire on les peut corriger et moderer: et mesme on peut s'en delivrer et purger: et je vous dis, Philothee, qu'il le faut faire.

  A003001901 

 Il faut s'arrester là, Philothee, et croyez moy, nous ne sçaurions aller à Dieu le Pere que par ceste porte.

  A003001919 

 Mais toutes ces actions spirituelles se doivent faire briefvement et [71*] vivement, devant que l'on sorte de la chambre, s'il est possible: affin que par le moyen de cest exercice tout ce que vous ferez le long de la journée soit arrousé de la benediction de Dieu: mais je vous prie, Philothee, de n'y manquer jamais..

  A003001928 

 C'est icy, ma chere Philothee, où je vous souhaite fort affectionnée à suivre mon conseil, car en cest article consiste l'un des plus asseurez moyens de vostre advancement spirituel..

  A003001930 

 Comme les oyseaux ont des nids sur les arbres pour faire leur retraicte, quand ils en ont besoing, et les cerfs ont leurs buissons, et leurs forts dans lesquels ils se recelent, et mettent à couvert, prenans la fraicheur de l'ombre en esté; ainsi, Philothee, nos cœurs doivent prendre et choisir quelque place chasque jour, ou sur le mont de Calvaire, ou és playes de nostre Seigneur, ou en quelque autre lieu proche de luy, pour y faire leur retraitte à toutes sortes d'occasions, et s'alleger et recreer entre les affaires exterieurs, et [73*] pour y estre comme dans un fort affin de se deffendre des tentations.

  A003001931 

 O Philothee, nostre esprit, s'adonnant à la hantise, privauté, et familiarité de son Dieu, il se parfumera tout de ses perfections: et si cest exercice n'est point malaisé; car il se peut entrelasser à toutes nos affaires et occupations, sans nullement les incommoder: d'autant que, soit en la retraitte spirituelle, soit aux eslancemens interieurs on ne fait que des petites, et courtes diversions, qui n'empeschent nullement, ains servent de beaucoup à la poursuitte de ce que nous faisons.

  A003001935 

 Or en cest exercice, Philothee, gist la grande œuvre de la devotion.

  A003001940 

 L'oraison faite en l'union de ce divin Sacrifice a une force [76*] indicible: de sorte, Philothee, que l'ame par iceluy abonde en celestes faveurs, comme appuyée sur son Bien-aymé, qui la rend si pleine d'odeurs et suavitez spirituelles qu'elle ressemble à une colonne de fumee de bois aromatiques, de la mirrhe, de l'encens, et de toutes les poudres du parfumeur, comme il est dict és Cantiques..

  A003001948 

 Outre cela, Philothee, les festes et Dimanches il faut assister à l'office des Heures et des Vespres, tant que vostre commodité le permettra; car ces jours là sont dediez à Dieu, et faut bien faire plus d'actions à son honneur et gloire en iceux, que non pas aux autres jours.

  A003001955 

 Ma Philothee, joignons nos cœurs à ces celestes esprits et ames bien heureuses: car comme les petits rossignols apprennent à chanter avec les grands, ainsi par le sainct commerce que nous ferons avec les Saincts, nous sçaurons bien mieux prier et chanter les louanges divines.

  A003001963 

 Ne permettez jamais, Philothee, que vostre cœur demeure long temps infecté de peché, puis que vous avez un remede si present et facile.

  A003001973 

 O Philothee, les Chrestiens qui seront damnés demeureront sans replique lors que le juste Juge leur fera veoir le tort qu'ils ont eu de mourir spirituellement, puis qu'il leur estoit aysé de se maintenir en vie, et en santé par la manducation de son corps qu'il leur avoit laissé à cette intention.

  A003001975 

 Mais, Philothee, vous voyez que sainct Augustin exhorte etconseille bien fort que l'on communie tous les Dimanches, faites le donc tant qu'il vous sera possible: puis que, comme je presuppose, vous n'avez nulle sorte d'affection du peché mortel, ny aucune affection au peché veniel.

  A003001984 

 O Philothee, imaginez vous que comme l'abeille ayant recueilly sur les fleurs la rosee du ciel, et le suc plus exquis de la terre, elle le porte dans la ruche, ainsi le Prestre ayant pris sur l'autel le Sauveur du monde, vray Fils de Dieu, qui est descendu du Ciel, et vray Fils de la Vierge, qui comme fleur est sorty de la terre de nostre humanité, il le met comme un miel de suavité dedans vostre bouche, et dedans vostre corps.

  A003001988 

 Communiez souvent, Philothee, et le plus souvent que vous pourrez avec l'advis de vostre Pere spirituel: et croyez moy, les lievres deviennent blancs parmy nos montagnes en hyver, par ce que ils ne voyent ny ne mangent que de la neige.

  A003001993 

 Taschons doncques, Philothee, de bien pratiquer ces trois vertus, un chacun selon sa vocation.

  A003002009 

 Pour le premier degré de cette vertu, gardés vous, Philothee, d'admettre aucune sorte de volupté qui soit prohibée et defendue.

  A003002014 

 Ne permettez jamais, Philothee, que nul vous touche incivilement, ny par maniere de folastrerie, ny par maniere de faveur.

  A003002022 

 Vostre cœur, ma chere Philothee, doit estre comme cela, ouvert seulement au Ciel, et impenetrable aux richesses, et choses caduques: si vous en avez tenez tousjours vostre cœur exempt de leurs affections; qu'il tienne tousjours le dessus: et qu'emmy les richesses il soit sans richesses, et maistre des richesses.

  A003002023 

 Ce sera, Philothee, si vous les avez en vostre maison, en vostre coffre, en vostre bourse, et non pas en vostre cœur.

  A003002024 

 Helas, Philothee, jamais nul ne confessera d'estre avare: chacun des-advoüe cette bassesse et vilité de cœur.

  A003002026 

 O Philothee, je ne sçay si c'est un desir juste de desirer d'avoir justement ce qu'un autre possede justement: car il me semble que par ce desir nous nous voulons accommoder par l'incommodité d'autruy.

  A003002027 

 Attendez, ma chere Philothee, de desirer le bien du prochain, quand il commencera à desirer de s'en defaire: car alors son desir rendra le vostre non seulement juste, mais charitable.

  A003002029 

 S'il vous arrive de perdre de vos biens, et vous sentez que vostre cœur s'en desole et afflige beaucoup; croyez, Philothee, que vous y aviez beaucoup d'affection: car rien ne tesmoigne tant l'affection à la chose perduë, que l'affliction de la perte.

  A003002034 

 Et moy, ma chere Philothee, je vous veux riche et pauvre, avec un grand soing, et un grand mespris de vos biens temporels.

  A003002035 

 Ma Philothee, les possessions que nous avons ne sont pas nostres: Dieu les nous a données à cultiver, et veut que nous les rendions fructueuses et utiles: et partant nous luy faisons service agreable d'en avoir soin..

  A003002040 

 Et comment cela? Le serviteur est moindre que son maistre; rendez vous doncques servante des pauvres: allez les servir dans leurs licts quand ils sont malades; je dis de vos propres mains: soyez leur cuisiniere, et à vos propres despens: soyez leur lingiere et blanchisseuse; ô ma Philothee, ce service est plus triomphant qu'une Royauté! Sainct Louys tout grand Roy qu'il estoit, le pratiquoit avec un zele et perseverance nompareille..

  A003002040 

 Voulez vous faire encore d'avantage, ma chere Philothee? Ne vous contentez pas d'estre pauvre comme les pauvres, mais soyez plus pauvre que les pauvres.

  A003002042 

 Philothee, soyez bien ayse de ces rencontres: acceptez les de bon cœur, souffrez les gayement..

  A003002047 

 Mais si vous estes reellement pauvre, ma Philothee, ô Dieu, soyés le encor d'esprit.

  A003002048 

 Et voila, Philothee, que plus gratieuse en vostre endroit, elle se vient presenter chés vous.

  A003002049 

 Vostre pauvreté, Philothee, a deux grands privileges, par le moyen desquels elle vous peut beaucoup faire meriter.

  A003002051 

 Ne vous plaignés donc pas, ma chere Philothee, de vostre pauvreté: car on ne se plaint que de ce qui desplait; et si la pauvreté vous desplait, vous n'estes plus pauvre d'esprit, ains riche d'affection..

  A003002057 

 Quant à la netteté, Philothee, elle doit presque tousjours estre esgale en nos habits; sur lesquels, tant qu'il est possible, nous ne devons laisser aucune sorte de souillure et vilenie.

  A003002059 

 Soyez propre, Philothee, qu'il n'y ait rien sur vous de trainant et maladjencé.

  A003002063 

 Mais si la conversation vous arrive ou quelque juste sujet vous invite à vous y rendre, allez de par Dieu, Philothee, et voyez vostre prochain de bon cœur et de bon œil..

  A003002064 

 On appelle mauvaises conversations celles qui se font pour quelque mauvaise intention, ou bien quand ceux qui entreviennent en icelles sont vicieux, indiscrets et dissolus; et pour celles là, il s'en faut destourner, Philothee, comme les abeilles se destournent de l'amas des taons et frelons.

  A003002067 

 O Philothee, ce vous sera tousjours un grand bien d'en rencontrer souvent de telles.

  A003002072 

 Resouvenez vous cependant, ô Philothee, de faire tousjours plusieurs retraictes en la solitude de vostre cœur, pendant que corporellement vous estes parmy les conversations, ainsi que j'ay marqué cy dessus; et ceste solitude mentale ne peut nullement estre empeschée par la multitude de ceux qui vous sont autour, parce qu'ils ne sont pas autour de vostre cœur, ains autour de vostre corps: si que vostre cœur demeure luy tout seul en la presence de Dieu seul.

  A003002088 

 Par exemple, si je blasme la privauté de ce jeune homme et de cette fille, parce qu'elle est trop grande et indiscrette; ô Dieu, Philothee, il faut que je tienne la balance bien droitte: et que puis que je les veux juger, que je ne die pas un seul mot de trop.

  A003002092 

 Philothee, ne faites pas cette faute: car outre l'offence de Dieu, elle vous pourroit susciter mille sortes de querelles..

  A003002104 

 Il est force, ma chere Philothee, de relascher quelquefois nostre esprit, et nostre corps encore à quelque sorte de recreation.

  A003002106 

 Mais sur tout prenés garde, Philothee, de ne point attacher vostre affection à tout cela: car pour honneste que soit une recreation, c'est vice d'y mettre son cœur, et son affection.

  A003002111 

 Dansez peu, et peu souvent, ma Philothee, car faisant autrement vous vous mettez en danger de vous y affectionner.

  A003002111 

 Je vous dis des danses, ma Philothee, comme les medecins disent des potirons et champignons.

  A003002123 

 Mais en un mot, dansés et joüés, Philothee, quand pour condescendre et complaire à la conversation en laquelle vous estes, la prudence et discretion vous le conseilleront; car la condescendence comme dependante de la charité, rend les choses indifferentes bonnes, et les dangereuses permises: elle oste mesme la malice à celles qui ne sont qu'un peu mauvaises.

  A003002127 

 Mais, Philothee, passons tellement le temps par recreation, que nous conservions la sainte eternité par devotion..

  A003002131 

 Prenez donques bien garde, ma Philothee, de n'en point avoir de mauvais: car tout aussi tost vous seriez toute mauvaise.

  A003002139 

 O Philothee, aymez un chacun d'un grand amour charitable: mais n'ayez point d'amitié qu'avec ceux qui peuvent communiquer avec vous de choses vertueuses; et plus les vertus que vous mettez en vostre commerce seront exquises, plus vostre amitié sera parfaicte.

  A003002146 

 Mais voicy un grand advertissement, ma Philothee.

  A003002155 

 C'est bon signe, ma Philothee, d'avoir ainsi bon appetit: mais regardez si vous pourrez bien tout digerer ce que vous voulez manger.

  A003002162 

 Philothee, soyés esgale, et juste en vos actions: mettés vous tousjours en la place du prochain, et le mettez en la vostre, et ainsi vous jugerez bien: rendez vous vendeuse en achettant et achetteuse en vendant, et vous vendrez et achepterés justement.

  A003002162 

 Resouvenés vous donc, ma Philothee, d'examiner souvent vostre cœur, s'il est tel envers le prochain, estant en vostre place, comme voudriez que le sien fut envers vous, si vous estiés en la sienne: car voyla le poinct de la vraye raison.

  A003002170 

 Quand donques, ma Philothee, vous serés pressée de quelque desir d'estre delivrée de quelque mal, ou de parvenir à quelque bien, avant toute chose mettés vostre esprit en repos et tranquillité: faittes rasseoir vostre jugement et vostre volonté: et puis tout bellement et tout doucement pourchassés l'issue de vostre desir, prenant par ordre les moyens qui seront convenables: et quand je dis tout bellement je ne veux pas dire negligemment, mais sans empressement, trouble et inquietude: autrement en lieu d'avoir l'effet de vostre desir, vous gasterés tout, et vous embarrasserez plus fort..

  A003002180 

 Si jamais il vous arrivoit, ma Philothee, d'estre atteinte de ceste mauvaise tristesse, prattiquez les remedes suyvans.

  A003002195 

 Et vous, ma Philothee, parlés souvent de Dieu és devis familiers que vous ferés avec vos amis et voisins: mais tousjours parlés en comme de Dieu, c'est à dire reveremment et devotement: non point faisant la suffisante ny la prescheuse, mais avec esprit de douceur, de charité et d'humilité, distillant (comme il est dit de l'Espouse au Cantique des Cantiques) le miel delicieux de ce que vous sçaurez de la devotion et des choses divines, goutte à goutte, tantost dedans l'aureille de l'un, tantost dedans l'aureille de l'autre: priant Dieu au secret de vostre ame, qu'il luy plaise de faire passer ceste saincte rosée jusques dedans le cœur de ceux qui vous escoutent..

  A003002202 

 Preparez vous doncques, Philothee, à souffrir beaucoup de grandes afflictions pour nostre Seigneur, et mesme à endurer le martyre: resolvez-vous de luy donner tout ce qui vous est de plus precieux, s'il luy plaisoit de le prendre; pere, mere, frere, mary, femme, enfans, vos yeux mesme et vostre vie, car à tout cela vous devez apprester vostre cœur.

  A003002203 

 J'ay dit cet exemple, afin que vous sçachiez, ma Philothee, combien il importe de sçavoir bien dresser toutes nos actions pour viles qu'elles soient, au service de sa divine Majesté..

  A003002209 

 C'est pourquoy, ma chere Philothee, il faut qu'avec grand soin et diligence nous nous preparions à ce combat: et soyés asseurée qu'autant de victoires que nous rapporterons contre ces petits ennemis, autant de pierres precieuses seront mises en la couronne de gloire que Dieu nous prepare en son Paradis: c'est pourquoy je dis qu'attendant de bien et vaillamment combattre les grandes tentations, si elles viennent, il nous faut bien, et diligemment nous defendre de ces menues, et foibles attaques..

  A003002216 

 Resolvez vous, Philothee, d'accepter de bon cœur toutes les inspirations qu'il plairra à Dieu de vous faire: et quand elles arriveront, recevez les comme les Ambassadeurs du Roy celeste, qui desire contracter mariage avec vous.

  A003002223 

 Imaginez vous, Philothee, une jeune Princesse extremement aymée de son espoux, et que quelque meschant pour la debaucher et souiller son lict nuptial luy envoye quelque infame messager d'amour, pour traitter avec elle son malheureux dessein.

  A003002225 

 Il faut donc estre fort courageuse, Philothee, emmy les tentations, et ne se tenir jamais pour vaincuë pendant qu'elles vous deplairont, en bien observant ceste difference qu'il y a entre sentir et consentir; c'est qu'on les peut sentir encore qu'elles nous deplaisent, mais on ne peut consentir sans qu'elles nous plaisent, puis que le plaisir pour l'ordinaire sert de degré pour venir au consentement.

  A003002227 

 Avés vous jamais veu, Philothee, un grand brasier de feu couvert de cendres: quand on vient dix ou douze heures apres pour y chercher du feu on n'en treuve qu'un peu au milieu du fouyer, et encore a on peine de le treuver.

  A003002233 

 Voyez vous, Philothee, comme ce feu estoit couvert de la cendre, et que la tentation et delectation estoit mesme entrée dedans le cœur, et avoit environné la volonté, laquelle seule asistée de son Sauveur resistoit par des amertumes, des desplaisirs et detestations du mal qui luy estoit suggeré, refusant perpetuellement son consentement au peché qui l'environnoit? O Dieu quelle detresse à une ame qui ayme Dieu de ne sçavoir seulement pas si il est en elle ou non, et si l'amour divin pour lequel elle combat est du tout esteint en elle, ou non.

  A003002237 

 Ma Philothee, ces grands assauts et ces tentations si puissantes, ne sont jamais permises de Dieu que contre les ames, lesquelles il veut eslever à son pur et excellent amour: mais il ne s'ensuit pas pourtant qu'apres cela elles soient asseurées d'y parvenir: car il est [147*] arrivé maintefois que ceux qui avoient esté constans en des si violentes attaques, ne correspondant pas par apres fidellement à la faveur divine se sont treuvés vaincus en des biens petites tentations.

  A003002238 

 Quelles tentations donques qui vous arrivent et quelle delectation qui s'en ensuive, tandis que vostre volonté refusera son consentement, non seulement à la tentation, mais encor à la delectation, ne vous troublés nullement, Philothee, car Dieu n'en est point offencé.

  A003002280 

 Et croyés moy, Philothee, tout ainsi que les remonstrances d'un pere, faites doucement, et cordiallement ont bien plus de pouvoir sur un enfant pour le corriger que non pas les choleres et courroux; ainsi quand nostre cœur aura fait quelque faute, si nous le reprenons avec des remonstrances douces et tranquilles, ayans plus de compassion de luy que de passion contre luy, l'encourageant à l'amandement, la repentence qu'il en concevra entrera bien plus avant, et elle penetrera mieux que ne feroit pas une repentence despiteuse, ireuse et tempestueuse..

  A003002289 

 Or je dis, Philothee, qu'il faut avoir patience, non seulement d'estre malade, mais de l'estre de la maladie que Dieu veut, au lieu où il veut, et entre les personnes qu'il veut, et avec les incommoditez qu'il veut, et ainsi des autres tribulations..

  A003002289 

 Soyez patiente, Philothee, non seulement pour le gros et principal des afflictions qui vous surviendront, mais encore pour les accessoires et accidens qui en dependront.

  A003002295 

 Voyez souvent, ma chere Philothee, de vos yeux interieurs, Jesus Christ crucifié, nud, blaspheme, calomnié, abandonné, et en fin accablé de toutes sortes d'ennuys, de tristesses, et de travaux: et considerez que toutes vos souffrances, ny en qualité, ny en quantité, ne sont nullement comparables aux siennes: et que jamais vous ne souffrirez rien pour luy au pris de ce qu'il a souffert pour vous..

  A003002300 

 Soyez doncque soigneuse et diligente en toutes les affaires que vous avez en charge, ma Philothee, car Dieu vous les ayant confiez veut que vous en ayez un grand soin.

  A003002304 

 Je veux dire, ma Philothee, que quand vous serés parmi les affaires et occupations communes, qui ne requierent pas une attention si forte et si presente, vous regardiez plus Dieu que les affaires: et quand les affaires sont de si grande importance qu'elles requierent toute vostre attention pour les bien faire, de temps en temps, vous regarderez à Dieu, comme font ceux qui navigent en mer, lesquels pour aller à la terre qu'ils desirent, regardent plus en haut au Ciel que non pas en bas, où ils voguent: ainsi Dieu travaillera avec vous, en vous, et pour vous, et vostre travail sera suivy de consolations.

  A003002309 

 Nostre nature humaine decheoit aysement de ses bonnes affections, à cause de la fragilité et mauvaise inclination de nostre chair, qui appesantit l'ame et la tire tous jours contre bas, si elle ne s'esleve souvent en haut à vive force de resolutions; ainsi que les oyseaux retumbent souvent en terre, s'ils ne multiplient les eslancemans et traits d'aisle, pour se maintenir au vol. Pour cela, ma Philothee, vous avés besoin de reïterer et repeter fort souvent les bons propos que vous avés fait de servir Dieu, de peur que ne le [165*] faisant pas vous ne retumbiés en vostre premier estat, ou plustost en un estat beaucoup pire: car les cheutes spirituelles ont cela de propre qu'elles nous precipitent tousjours plus bas que n'estoit l'estat duquel nous estions montés en haut à la devotion.

  A003002310 

 Faisons en de mesme, ma chere Philothee, nous y disposant tres-volontiers, et nous y employans fort serieusement..

  A003002319 

 Que si ç'a esté en vostre vieillesse, helas, Philothee, quelle grace, qu'apres avoir ainsi abusé des années precedentes, Dieu vous ayt appellé avant la mort, et qu'il ayt arresté la course de vostre misere, au temps auquel si elle eut continué vous estiez eternellement miserable..

  A003002415 

 Ah mon Dieu, que nous devrions profondement mettre cecy en nostre memoire! Est il possible que j'aye esté aymé et si doucement aymé de mon Sauveur, qu'il allast penser en moy, en mon particulier, en toutes ces petites occurrences, par lesquelles il m'a tiré à luy: et combien doncques devons nous aymer, cherir, et bien employer tout cela à nostre utilité? Cecy est bien doux; ce cœur amiable de mon Dieu pensoit en Philothee, l'aymoit et luy procuroit mille moyens de salut, autant comme s'il n'eut point eu d'autre ame au monde en qui il eut pensé; ainsi que le Soleil esclairant un endroit de la terre, ne l'esclaire pas moins que s'il n'esclairast point ailleurs, et qu'il esclairast cela seul.

  A003002439 

 Helas, ma Philothee, ma chere fille, quand nous ne ferions autre chose, nous ferions bien assez, puisque nous ferions ce que nous devions faire en ce monde.

  A003002439 

 Le monde vous dira, ma Philothee, que ces exercices et ces advis sont en si grand nombre, que qui voudra les observer il ne faudra pas qu'il vacque à autre chose.

  A003002446 

 En fin, ma Philothee, perseverés et continués en cette bien-heureuse vie: ne vous lassés jamais à la poursuitte.

  A003002446 

 Ma Philothee, ma fille, regardés le Ciel, et ne le quittez pas pour la terre.


04-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome IV-Vol.1-Traitte de l'amour de Dieu.html
  A004000149 

 Mays outre cela, c'est l'ame qui aspire a la devotion que j'appelle Philothee, et les hommes ont une ame aussi bien que les femmes.

  A004000149 

 Un grand serviteur de Dieu m'advertit n'a guere que l'addresse que j'avois faite de ma parole a Philothee, en l' Introduction a la Vie devote, avoit empesché plusieurs hommes d'en faire leur proffit, d'autant qu'ilz n'estimoyent pas digne de la lecture d'un homme les advertissemens faitz pour une femme.

  A004000166 

 Troys ou quattre ans apres, je mis en lumiere l' Introduction a la Vie devote, pour les occasions et en la façon que j'ay remarqué en la Preface d'icelle; dont je n'ay rien a te dire, mon cher Lecteur, sinon que, si ce livret a receu generalement un gracieux et doux accueil, voire mesme parmi les plus graves prelatz et docteurs de l'Eglise, il n'a pas pourtant esté exempt d'une rude censure de quelques uns qui ne m'ont pas seulement blasmé, mais m'ont asprement baffoüé en publiq de ce que je dis a Philothee que le bal est une action de soymesme indifferente, et qu'en recreation on peut dire des quolibetz.

  A004000167 

 Et sur ce propos, mon cher Lecteur, je te conjure de m'estre doux et bonteux en la lecture de ce Traitté: que si tu treuves le stile un peu (quoy que ce sera, je m'asseure, fort peu) different de celuy dont j'ay usé escrivant a Philothee, et tous deux grandement divers de celuy que j'ay employé en la Defense de la Croix, sache qu'en dix neuf ans, on apprend et desapprend beaucoup de choses; que le langage de la guerre est autre que celuy de la paix, et que l'on parle d'une façon aux jeunes apprentis, et d'une autre sorte aux vieux compaignons..

  A004000168 

 Icy certes je parle pour les ames avancees en la devotion; car il faut que je te die que nous avons en cette ville une Congregation de filles et vefves qui, retirees du monde, vivent unanimement au service de Dieu, sous la protection de sa tressainte Mere; et comme leur pureté et pieté d'esprit m'a souvent donné des grandes consolations, aussi ay-je tasché de leur en rendre frequemment par la distribution de la sainte parole, que je leur ay annoncee tant en sermons publiqs qu'en colloques spirituelz, et presque tous-jours en la presence de plusieurs religieux et gens de grande devotion: dont il m'a falu traitter maintefois des sentimens plus delicatz de la pieté, passant au dela de ce que j'avois dit a Philothee.


05-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome V-Vol.2-Traitte de l'amour de Dieu.html
  A005000998 

 Mais nous l'avons des-ja dit a Philothee..

  A005001018 

 Mais, Theotime, il ne se faut pas arrester la: ains, pour faire un excellent progres en la devotion, il faut non seulement au commencement de nostre conversion, et puis tous les ans, destiner nostre vie et toutes nos actions a Dieu, mais aussi il les luy faut offrir tous les jours, selon l'exercice du matin que nous avons enseigné [335] a Philothee; car en ce renouvellement journalier de nostre oblation nous respandons sur nos actions la vigueur et vertu de la dilection, par une nouvelle application de nostre cœur a la gloire divine, au moyen dequoy il est tous-jours plus sanctifié..

  A005001128 

 Or je dis ceci, Philothee, affin que vous sachies que la convenance au bien delaquelle la volonté reçoit complaysance, n'est pas une convenance de la seule volonté, mais de l'homme mesme avec le bien, laquelle neanmoins ne peut sentir avec complaysance que par la faculté que nous appelions volonté, car c'est l'homme qui a la convenance.

  A005001138 

 Ainsy, ma treschere Philothee, cett'obscure clarté de la foy entre en nostr'enténdement, sans discours, sans raysonnement et sans aucun argument, se faysant recevoir par la seule suavité tres aggreable avec laquelle elle arrive en l'esprit et delaquelle elle touche la volonté..

  A005001139 

 C'est bien aynsi, chere Philothee, que la chose passe.

  A005001139 

 Mon Dieu, ma Philothee, pourrois-je bien exprimer ceci? La foy est la grand'amie de nostr'entendement, si que elle peut bien dire aux sciences du monde, qui se veulent presque rendre ses compaignes, comme l'Espouse sacree disoit aux Cantiques: O discours humains, je suis brune, mais je suis belle: je suis brune, car je suis entre les brunes obscurités des simples revelations, qui me font paroistre noyre et me rendent presque mesconnoissable; mais je suis pourtant extremement belle en moy mesme, et qui me verroit icy bas comm'on me void la haut au Ciel, il verroit bien que je suis plus blanche que le lis.

  A005001141 

 Vous aves ouy dire peut estre, ma chere Philothee, qu'es Conciles generaux se font des grandes disputes et enquestes de la verité, par des raysons et argumens de theologie, et tandis que cet examen des raysons se fait il n'y a nul acquiescement ni des uns ni des autres a la verité; mays la chose estant debattue, les Peres du Christianisme, c'est a dire les Evesques, et mesme le primier et souverain Evesque, resoulvent de la difficulté, et la determination estant faite chacun acquiesce, pleynement, non point en vertu des raysons alleguees, mays en vertu de lauthorité du S t Esprit, qui a decerné et jugé par l'entremise de ses serviteurs.

  A005001146 

 Et comm'est ce que sa bonté pourroit mieux tesmoigner la volonté qu'ell'a de nous sauver, que faysant pour nous une si riche provision des moyens necessaires a cet effect, les nous offrant si liberalement, et nous pressant si chaudement de les recevoir, de les embrasser et de les employer? Il est vray, [363] Philothee, que Dieu ne nous veut pas porter au salut, d'une volonté absolue et inevitable, sinon Ihors quil void la nostre suivre volontairement les attraitz de la sienne.

  A005001176 

 Non, Philothee, car comme le grand Apostre a dit que sil donnoit son cors a bruler et tout son bien aux pauvres, et quil n'eut pas la charité cela ne luy prouffite de rien, aussi pouvons nous dire que quand nous aurions une repentance si grande que nous fondissions en larmes et que le regret nous fit pasmer, ains mourir tout a fait, et nous n'avons pas la charité, tout cela ne prouffite de rien pour la vie eternelle..

  A005001177 

 Or, ma chere Philothee, en toutes ces repentances le s t amour de Dieu n'y entre point; car ne voyes vous pas que c'est la crainte de la peyne, le desir du Paradis, l'interest de nostre ame, pour sa beauté interieure, son honneur, sa dignité, son propre bien, et, en un mot, nostre propre amour, quoy qu'amour s t et juste, qui nous porte a repentance, et non l'amour que nous devons a Dieu [369] comme au souverain bien et premiere bonté, alaquelle, comm'au supreme objet de nostre volonté et affection, nous devrions regarder simplement..

  A005001178 

 Je ne dis pas que ces repentances rejettent l'amour de Dieu: non certes, Philothee, car si par exemple, quelqu'un se repentant d'offencer Dieu pour ce que par le peché il perd le Paradis, entendant et deliberant que si Dieu ne donnoit point de Paradis a ceux qui vivent bien, il ne voudroit pas bien vivre, helas, il commettroit un grand peché, car il præfereroit son interest et son bien propre a la bonté et Majesté divine; il aymeroit mieux le don que le Donnateur, qui seroit un'affection fort desordonnee et desreglee.

  A005001181 

 Et lhors, Philothee,................................................................................................................................. [371].

  A005001187 

 Et ne faut pas treuver estrange, Philothee, que la vertu et force de l'amour naisse dedans la repentance avant que l'amour y soit du tout formé, [puisque nous voyons] que par la reflexion des rayons du soleil dardés sur la glace d'un mirouer, la chaleur, qui est la vertu et proprieté du feu, s'augmente petit [a petit] si fort, qu'en fin, avant qu'elle produise le feu elle brusle, en sorte que commençant a brusler elle produit le feu; ainsy l'ame qui considerant la souveraine Bonté reçoit les rayons de ses attraitz, [372] fayt reflection sur soymesme et sur ses pechés [avec une certaine chaleur] affective, qui est la proprieté de l'amour, lequel par apres jette ses flammes et fait son action manifeste et son operation formee.

  A005001201 

 Et dites moy, Philothee, de quoy peut on accuser le ciel en cette diversité d'evenemens? a-il pas envoyé sa rosee et ses influences sur l'un'et l'autre mere perle? pourquoy donq l'une a elle par effect produit sa perle, et l'autre non? Il n'y a rien en celle qui l'a produit qu'elle ne doive reconnoistre du ciel, non pas mesme son ouverture par laquelle ell'a receu la goutte; car, sans la souefve fraicheur de la rousee et le sentiment des premiers rayons de l'aube qui l'ont doucement excitee, elle n'eut pas ouvert son escaille.

  A005001202 

 Oyes cette parabole, je vous prie, Philothee.

  A005001203 

 Qui ne void, ma chere Philothee, que si le premier de ces deux voyageurs se vantoit de s'estr'eveillé, d'avoir esté esclairé, d'avoir veu, comme si cela luy estoit arrivé de son industrie, on se mocqueroit de luy et on luy diroit: Miserable, es tu allé querir les rayons du soleil? leur as tu donné la force d'esclairer? est ce de toy quilz tiennent la proprieté quilz ont de rendre les choses visibles, et de donner aux yeux la commodité de voir? Il est vray que tu pouvois t'empescher d'ouvrir tes yeux, mays il n'est pas vray que sans eux tu les eusses ouvertz, ains il est vray que c'est eux qui te les ont fait ouvrir: ilz t'ont rendu voyant, et tu ne les as pas rendu visibles.

  A005001204 

 Mays, au contraire, si le second se plaignoit du soleil et disoit: Hé, qu'ay-je fait au soleil pour quoy il ne m'ayt pas fait voir sa lumiere comm'a mon compagnon, affin que je fisse mon voyage et ne demeurasse pas icy en ces effroyables tenebres? dites-moy, Philothee, ne prendrions nous pas la cause du soleil en main, et ne dirions nous pas a cet insensé: Chetif ingrat que tu es, qu'est ce que le soleil pouvoit faire qu'il n'ayt fait? les faveurs quil t'a faites ont esté de son costé esgales a celles de ton compaignon; que si les mesmes effectz ne s'en sont pas ensuivis, c'est que tu en as empeché la production: le soleil t'a abordé avec une lumiere egale, il t'a touché des mesmes rayons, il t'a jetté une mesme chaleur; et, malheureux que tu es, tu luy as tourné le dos pour dormir ton saoul..

  A005001238 

 Saches donq, Philothee, que toute pensee n'est pas meditation: car, quand nous pensons a quelque chose sans aucun dessein de tirer prouffit de nostre pensee, nous faysons une simple pensee, et pour attentive qu'elle soit, elle n'est autre chose que pensee; que si nous pensons attentivement a quelque chose pour apprendre les causes, les effectz, les circonstances, cette pensee est nommee estude; mays quand nous pensons a quelque chose, non pour apprendre et nous instruire, mais pour nous affectionner en icelle, cela s'appelle mediter.

  A005001243 

 Or en cett'action, Philothee, elle parle avec Dieu, elle l'interroge, elle souspire, elle aspire, elle reconnoist la grandeur de Dieu et sa misere propre, ell'admire; et Dieu l'inspire, luy touche le cœur, respand des clartés et lumieres sans fin: si qu'en cette conversation et colloque se commence la s te theologie mistique, car l'homme commence par la a savourer Dieu et a connoistre sa douceur et suavité nompareille..

  A005001251 

 Ne voyons nous pas, Philothee, que la cholere esmeüe par la connoissance de quelqu'injure fort legere, si promptement elle n'est bridee, elle passe tout outre et devient infiniment plus grande que le sujet ne requiert? La connoissance donne la naissance aux passions, mais non pas la mesure.

  A005001253 

 A vostre advis, Philothee, qui connoist mieux la bonté du vin: ou le medecin absteme qui n'en beut onques, ou le gromeur et taste vin de Greve? Celuy-la, sans doute, en sçait plus par discours, et celluy ci par experience.

  A005001269 

 Quel bonheur, Philothee, quelle suavité de sentir Dieu au milieu de son ame! Quand le tressaint Sacrement est dedans nous, et que par la tressainte foy et meditation nous apprehendons vivement la veritable et admirable presence de ce divin Espoux, il nous ramasse fort souvent a soy et retire toutes nos facultés: Revertere, revertere, Sulamitis; il nous attire par le miel de sa sapience comm'un autre Salomon autour de son trosne.

  A005001271 

 Imaginés vous, Philothee, la tresste Vierge nostre Dame, lhors qu'ell'eut conceu le Filz de Dieu son uniqu'amour.

  A005001273 

 Et un'autre fois, o Dieu, Philothee, quell'agitation de cœur tesmoigne elle! J'entens, dit elle, la voix de mon Bienaymé; le voicy quil vient cettuy ci, saultant es montaignes, outrepassant les collines; il est semblable au chevreul et au petit cerf.

  A005001275 

 Oyes, Philothee, cette S te Sulamite: elle veut d'abord bayser son Espoux avant que l'avoir mesme salué, elle ne fait point d'avant propos.

  A005001281 

 Voyes, Philothee, comm'ell'est tranquillement assisse et en quietude: elle ne dit mot, elle ne souspire point, elle ne bouge point, elle ne prie point.

  A005001282 

 Mais [396] apres que la fraicheur du lait a aucunement appaysé la chaleur appetissante de leur petite poitrine, et que les douces vapeurs quil envoye au cerveau commencent a les endormir, Philothee, vous les verries fermer leurs petitz yeux tout bellement et ceder au sommeil, sans quilz facent plus aucun'autre action que celle d'un lent et tendre mouvement des levres, avec lequel ilz succent et avalent imperceptiblement le lait, sans y penser certes, mais non pas sans playsir, car si [on] leur oste ce bien ilz s'esveillent et pleurent amerement; si que tesmoignans de l'aigreur en la privation, ilz font asses connoistre qu'ilz avoyent de la douceur en la possession.

  A005001282 

 N'aves vous jamais veu (et j'emprunte cette similitude d'une des plus grandes Sulamites de cet aage, la mere Therese), ou n'aves jamais pris garde, ma chere Philothee, aux petitz enfans, qui, s'attachans a la mammelle de leur mere, grommelent au commencement, succent ardamment, pressent des levres et serrent si fort le sucheron et tetin, que mesme ilz font douleur a leur mere.

  A005001283 

 Certes, Philothee, il n'y dormit pas du sommeil naturel, car il n'y a pas de l'apparence; et quand il dit quil estoit couché ou panché au sein de son Maistre il ne veut nullement dire quil y fut gisant et dormant, ains seulement quil estoit assis en sorte qu'il estoit contorné devers le sein de son Maistre, selon la coustume des Levantins.

  A005001283 

 O Dieu, Philothee, quil estoit heureux, ce divin enfant, de dormir dans le sein de son Pere, lequel aussi, le jour suivant, le recommanda comm'un enfant de lait a sa Mere! Il vaut mieux dormir dans le sein de Dieu que de veiller par tout ailleurs..

  A005001287 

 Il y a bien de la difference, Philothee, entre aymer Dieu qui me donne du contentement et aymer le contentement que Dieu me donne..

  A005001287 

 O Dieu, Philothee, quilz font une grande faute! car ilz troublent volontairement le doux repos que Dieu leur avoit donné, et en lieu de s'occuper en l'amour de Dieu ilz s'occupent en l'amour d'eux mesme; en lieu de se tenir attentifs a Dieu ilz sont attentifz a eux mesmes, et ne se tenant plus a Dieu qui les contentoit, ilz s'attachent au contentement quil leur donne: comme si un esclave que le roy auroit attaché a soy par une chaisne d'or pour le sauver, en lieu de considerer la bonté de ce prince consideroit la valeur de la chaisne.

  A005001292 

 Et notes, Philothee, qu'il y a difference entre se mettre en la presence de Dieu et se tenir ou estre en la presence de Dieu: car pour s'y mettre il faut appliquer son ame et la rendre actuellement attentive a cette presence, ainsy que je le dis en l' Introduction; mais apres qu'on s'est mis en la presence de Dieu, on s'y tient et on y persevere tous-jours tandis qu'ou par l'entendement ou par la volonté on fait quelque chose en Dieu ou pour Dieu: comme, par exemple, regardant Dieu ou quelque chose pour son amour; ou bien ne le regardant pas ni aucune chose pour son amour, mais luy parlant; ou mesme ne regardant ni ne parlant mais l'escoutant; ou encor ne regardant, ni ne parlant, ni n'escoutant, mais attendant sil nous regardera ou sil nous parlera; ou en fin, ne faysant rien de tout cela, mais simplement demeurant ou il nous a mis, par ce quil nous y a mis.

  A005001293 

 Ma chere Philothee, prenons la liberté de faire cette imagination.

  A005001294 

 Mon Dieu, chere Philothee, que c'est une bonne façon de se tenir en la presence de Dieu, que d'estre en son bon playsir et y demeurer volontairement! Pour moy, je pense que nous nous tenons en la presence de Dieu mesmement en dormant, car nous nous endormons a sa veue, a son gré et selon sa volonté; et semble qu'il nous jette la sur le lit comme des statues dans leurs niches, et nous nichons dans nos lictz comme les oyseaux dans leurs nids.

  A005001301 

 Ainsy, treschere Philothee, N. S. attirant un'ame a soy par l'orayson de recueillement dont nous avons parlé, et ayant ramassé toutes ses puissances sur le sein de sa bonté plus que maternelle, et, par maniere de dire, l'ayant toute repliee devers luy, il la joint, et la serre et colle sur soy et sur son visage.

  A005001312 

 Mays en cet endroit nous ne parlons pas du lien permanent par lequel nostr'ame est attachee a Dieu en vertu des resolutions que la sainte charité nous donne: c'est sans doute, Philothee, que la charité est un lien et lien de perfection; et qui a plus de charité, il est plus attaché a Dieu, plus indissolublement, plus inseparablement, plus estroittement.

  A005001312 

 Philothee, imagines vous donques que (il importe que vous m'entendies) S t Paul, S t Augustin, S t Denis, S t François, S te Catherine de Sienne ou de Genes sont encor en ce [406] monde, et quilz dorment de lassitude apres plusieurs travaux pris pour l'amour de Dieu; representes vous d'autre part quelque bonn'ame, mais non si s te comm'eux, car il y en a peu qui leur soient comparables, qui est en l'orayson d'union a mesme tems: je vous demande, chere Philothee, qui est plus joint a Dieu, plus uni, plus attaché? O Dieu, vous me confesseres que ce sont ces heureux personnages; car leur charité, qui est, comme l'un d'eux tesmoigne, le lien de perfection, est bien plus grande et plus forte que celle de cett'autre ame qui est en l'orayson d'union.

  A005001319 

 Voyes, je vous prie, Philothee, l'eau, le vin, l'huile et toutes choses liquides: si vous les respandes dans un vaisseau, elles n'auront point de bornes que celles que le vaisseau leur donnera, ni point de figure que la figure du vaisseau; si le vaisseau est quarré elles le seront aussi, sil est rond ou triangulaire elles auront la mesme figure, de sorte qu'on peut dire que ces choses liquides n'ont ni figure ni bornes aucunes que les bornes et figures de ce qui les contient..

  A005001320 

 L'ame n'en est pas de mesme par nature: non certes, Philothee, car ell'a ses figures, ses bornes et limites spirituelles, en sorte que elle n'est pas aysement pliable ni maniable par autruy.

  A005001320 

 Voyes, je vous prie, ma chere Philothee, ce que David avoit præsagé de N. S. et de son cœur, parlant en la personne d'iceluy pour le tems de sa Passion, au Psal. 21.

  A005001321 

 Et affin que vous sachies que cette fonte et cest escoulement est reciproque, voyes, Philothee, ce que l'Espouse dit: Tes mammelles, dit-elle, sont meilleures que le vin, jettant l'odeur des parfums plus parfaitz.

  A005001322 

 Ne voyes vous pas, Philothee, les nuees comm'elles demeurent la en l'air suspendues, comme si elles estoyent attachees au ciel? elles demeurent en elles mesme et se soustiennent, en sorte que quelquefois elles semblent des rideaux [411] qui sont tendus pour nous cacher le ciel.

  A005001323 

 Car dites moy, Philothee, si une goute d'eau naturelle jettee dedans un ocean de eau naphe ou d'eau imperiale, pouvoit parler et dire ce qu'ell'est devenue, ne dirait elle pas: Je suis, ains je ne suis plus moy mesme, mais cet ocean est en moy et mon estre est caché en cet abisme d'eau imperiale.

  A005001327 

 Pourquoy, je vous prie, Philothee, haissons-nous le mal sinon par ce que nous aymons le bien? pourquoy nous attristons nous des maux apprehendés comme presens sinon par ce quilz nous privent du bien? pourquoy craignons nous le mal futur sinon par ce que nous desirions et esperions le bien? C'est l'amour seul qui nous donne toutes les passions, c'est luy aussi qui nous blesse et navre le cœur..

  A005001329 

 Mays la douleur comme peut ell'estre causee de l'amour? car l'amour est un mouvement de complaysance, et la complaysance comme peut elle donner la douleur? Ou l'object aymé est present au cœur aymant, Philothee, ou il est absent.

  A005001329 

 S'il est absent, helas, Philothee, l'amour blesse le cœur par le desir violent quil excite, lequel ne pouvant estre assovi tourmente le cœur tres asprement.

  A005001333 

 Vray Dieu, Philothee, que vay-je dire! Les Bienheureux qui sont au Ciel n'ont pas tous un egal amour, et voyans tous neanmoins que Dieu est plus aymable qu'ilz ne l'ayment ni l'aymeront jamais, sans doute ilz periroyent et pasmeroyent eternellement d'un desir d'aymer davantage, si la tressainte volonté de Dieu, quilz voyent avoir si misericordieusement et surabondamment recompensé leurs merites par l'amour (je parle des esleuz qui ont esté en usage de franc arbitre), ne leur imposoit l'admirable repos dont ilz jouissent; car ilz ayment si uniquement la volonté de Dieu, que le contentement de Dieu les contente et sa volonté arreste la leur, et acquiescent parfaitement d'estre bornés en leur amour pour l'amour de la volonté divine.

  A005001334 

 Voyes vous, Philothee, cet animal? il blesse ses petitz d'amour, mais jamais il ne les void blessés quil ne s'en blesse soymesme.

  A005001338 

 Les grenades, par leur couleur vermeille, par la multitude de leurs grains rangés et serrés ensemble, et par sa couronne, represente naifvement, selon l'advis de s t Greg., la sainte charité, enflammee de l'amour de son Dieu, contenant toute la varieté des vertus, et qui est la seule vertu couronnee de la gloire; mays son suc, Philothee, comme nous sçavons, qui est si agreable aux sains et aux malades, est tellement meslé de douceur et d'aigreur, qu'on ne sçauroit discerner sil est plus aggreable par ce quil a une douceur aigrette, ou par ce quil a un'aigreur doucette.

  A005001343 

 Ce fut un miracle, Philothee, et serait une folie expresse de rapporter cet effectaux causes naturelles; mays ce fut un miracle de l'amour blessant et tuant, sur l'operation duquel voyci ma pensee.

  A005001343 

 Nissene lhors quil la regardoit, combien fut attendrie, je vous supplie, chere Philothee, l'ame du grand S t François, quand il vid l'image de nostre Seig r se sacrifiant luy mesme pour nous sur l'arbre de la croix! image fait'au Ciel et par des mains celestes..

  A005001343 

 O Dieu, ma chere Philothee, imagines vous cett'image que non Appelles, mais N. S. mesme, ou un Seraphin par son [421] commandement, avoit taillee au Ciel en la presence de tous les Anges.

  A005001345 

 Et de mesme, chere Philothee, l'amour du grand saint François parut en toute sa vie comme par maniere de sueur; mais affin quil parut tout a fait, le celeste Seraphim le vient inciser et blesser, et pour monstrer que c'estoyent playes de l'amour celeste, il le blesse non avec le fer, mays avec un rayon de clarté.

  A005001346 

 Voyes deux amans de nostre aage, chere Philothee, l'un viellard de quatre vingtz ans, lautre jeune garçon de quatorze: le B. Phil.

  A005001353 

 Voyons nous pas, Philothee, un pere ou une mere extremement jaloux de leur fille? voire mesme un frere? Quel regret a Absalom quand il vit Tamar violee, a Jacob et ses enfans quand Dina fut defleuree! Ce n'estoit pas qu'ilz eussent praetention sur l'une ni sur lautre, mais c'estoit par ce que les aymans d'un vray amour d'amitié ilz desiroyent qu'elles fussent exemptes de mal.

  A005001355 

 Imagines vous, Philothee, la comparayson quil y a entre ceux qui possedent la lumiere du soleil et ceux qui n'ont que la petite clarté d'une lampe.

  A005001361 

 Quels tourmens, Philothee, quelz exces d'amour ont eu les serviteurs de Dieu pour les ames! Qui est infirme que je ne le sois? qui est scandalisé que je n'en brusle? Ce zele ou jalousie des ames est representé, ainsy que nos peres ont dit, par la continuelle peyne que la poule a pour ses poussins.

  A005001366 

 Voyes vous, Philothee, Sullamite avoit le cœur tout plein de l'amour de son unique Bienaymé, qui est l' affluence des delices; or, affin que jamais cette divine affection n'en sorte et qu'onques aucun autre amour n'y entre, ains qu'il demeure pur et net de tout autre meslange, ce celeste Bienaymé l'advertit disant: Je suis dedans ton cœur et sur ton cœur, car j'en suis l'habitateur et le maistre; je suis emmi ton cœur comme le cœur de ton cœur; mais je veux encor estre sur ton cœur comme le chef de ton cœur, affin que rien n'y entre que ce que j'y mettray, et que seul je le possede parfaitement.

  A005001368 

 Ainsy, Philothee, l'Apostre, jaloux des ames des Chorinthiens, proteste que ce n'est pas pour luy quil est jaloux, mais pour son Maistre: Je suis jaloux de vous, ou, sil faut ainsy dire, je vous jalouze de la jalousie de Dieu, par ce que je vous ay promis a luy de vous preenter une vierge chaste.

  A005001371 

 Mais oyes, Philothee, ce que Dieu fit pour remedier a cette passion de Carpus, delaquelle il estoit tout outré.

  A005001371 

 Or consideres, je vous prie, ma chere Philothee, la violence de l'indignation de Carpus; car il racontoit luymesme a s t Denis quil ne tenoit compte de contempler N. S. et les Anges qui se monstroyent au Ciel, tant [il] prenoit playsir a voir en bas la detresse effroyable de ces deux miserables, se faschant seulement de ce quilz tardoyent tant a perir: si que il s'essayoyt de les precipiter luy mesme, ce que ne pouvant si tost faire, il s'en despitoit et les maudissoit.

  A005001372 

 Philothee, le s t homme Carpus avoit rayson d'entrer en zele pour ces deux hommes, et son zele avoit justement excité la cholere contr'eux, mays la cholere estant esmeüe s'estoit trop eschauffee a la course, et outrepassant toutes les bornes et mesures du vray zele, ell'avoit converti la hayne du peché en la hayne du pecheur, et la douce charité en une furieuse cruauté..

  A005001374 

 Certes, ma chere Philothee, la cholere est un serviteur rude, agreste, barbare, naturellement indiscret, bigearre, obstiné, impetueux.

  A005001375 

 Mays consideres, Philothee, que c'estoyent des grans personnages, qui sçavoyent manier leur cholere et qui avoyent plein pouvoir sur leurs passions; pareilz a ce digne cappitaine evangelique qui disoyt a ses soldatz: Ailes, et ilz alloyent; venes, et ilz venoyent.

  A005001382 

 C., que luy disoyent ses Disciples qui n'avoyent pas encor participé de ce bon, doux et benin esprit.» Voyes vous, Philothee, Phinees voyant un Israelite se souiller de luxure avec une Moabite il les tua tous deux; Helie avoit prædit la mort d'Ochozias, lequel, indigné de cette prædiction, envoya deux cappitaines de cinquante hommes l'un apres lautre pour le prendre, et il fit descendre le feu du ciel qui les devora, et tous leurs compaignons.

  A005001383 

 C'est cela, Philothee, que S t Denis veut representer a Demophile qui alleguoyt l'exemple de Phinees et d'Helie; car S t Jean et S t Jaques, qui vouloyent imiter Helie, furent repris par N. S., qui leur fit entendre que son esprit et son zele estoit un esprit et un zele doux, debonaire et benin, et qui n'employoit la vengeance et cholere que tres rarement, et lhors qu'il n'y avoit plus esperance de pouvoir prouffiter autrement.

  A005001389 

 Imagines vous, Philothee, le cher Espoux de nos ames au parvis du prœtoire de Pilate, ou, pour l'amour de nous, les ministres de la mort, c'est a dire les bourreaux, le despouillerent de tous ses vestemens l'un apres lautre; puis, non contens de cela, ilz le despouillerent, par maniere de dire, de sa peau, tant ilz la deschirerent a coups de verges et de fouetz, dont il sembloit un ladre ulceré, dit le Prophete; et enfin la mort mesme venant, despouilla sa s te ame de son cors et de tous les sentimens d'iceluy.

  A005001389 

 O Philothee, la mort fit tout cela, mais en vertu de l'amour; car jamais la mort n'eut peu oster la vie au Maistre de la vie et de la mort, si l'amour, vie de la vie et mort de la mort, n'eut concuru et donné force a la mort.

  A005001402 

 Voyes-vous, Philothee, les commandemens de Dieu sont tous conformes a la rayson mesme naturelle, et bien quilz ne puissent pas estre exactement observés par les seules forces de la nature, si est ce que nostre nature nous incline a les vouloir observer.

  A005001411 

 Oyes, je vous supplie, Philothee, soyes attentive, et peses la force et efficace des divines paroles de cet Apostre, tout ravi et absorbé en l'amour de son Maistre.

  A005001412 

 O Dieu, Philothee, que cette consequence est forte! ell'est inevitable.

  A005001414 

 Ah, Philothee, Nostre Seigneur nous a nourris des nostre [452] jeunesse! Mays que dis-je? Suscepisti me de utero matris meœ; in te projectus sum ex utero.

  A005001424 

 Voyes vous, Philothee, la grace de Dieu et la charité n'est qu'une mesme chose.

  A005001436 

 Ainsy, chere Philothee, la tressainte Vierge ayant assemblé dedans son cœur la vive memoire de tous les plus aymables misteres qu'ell'avoit veu et senti se passer entre son Filz et elle, mais sur tout celuy de la croix, et [464] faysant d'un costé un perpetuel mouvement de meditation sur iceux, et de l'autre costé recevant tous-jours a droit fil les plus ardans rayons des inspirations divines, le Soleil de justice regardant tous-jours la poitrine et les entrailles de l'amour de sa Mere, comme le lit auquel il s'estoit reposé au midi, le feu sacré de l'amour l'enflamma si ardemment, qu'ell'en mourut, toute transportee entre les bras de la dilection de son cher Enfant.

  A005001475 

 Voyes, je vous prie, Philothee, la vie apostolique comm'ell'est affligee selon le monde, selon le cors et selon l'ame; car, comme remarque S t Thomas, toutes les especes d'afflictions sont comprises en ce denombrement, mesmement les angoisses qui travaillent le cœur, les blessures qui travaillent le cors, les prisons qui infament la personne.

  A005001483 

 Quand nostre cœur, Philothee, ayme son Dieu et quil s'apperçoit de cet amour, quil escoute et entend son chant, quil a le sentiment de l'amour quil porte a Dieu, et des vertus et saintes passions et [474] affections que cet amour produit, o Dieu, Philothee, que ce cœur est amoureux de son amour, quil est affectionné a ses affections, quil a de playsir a complaire a Dieu, quil a de suavité en son cantique de dilection! C'est lhors quil apperçoit la presence de l'Espoux; et un contentement se respand en toutes ses facultés, plus delicieux que l'odeur du baume et que tous les parfums.

  A005001484 

 Si je n'ayme mon amour que par ce quil tend a Dieu, Philothee, j'ayme Dieu en mon amour et mon amour en Dieu; mais si j'ayme mon amour qui tend en Dieu par ce quil est mien, par ce que c'est moy qui ayme, par ce que cest amour qui va vers Dieu sort de moy, part de mon cœur, par ce quil nayt en moy et qu'en fin c'est mon amour (dautant qu'estant amour de Dieu comme de son object, il est amour de mon cœur comme de son sujet), qui ne void que ce n'est plus Dieu que je regarde, mays que de Dieu je suis revenu a moymesme, et que j'ayme cest amour par ce quil est mien, non par ce quil est a Dieu? L'amour de Dieu m'avoit emporté a Dieu, il m'avoit tiré de moymesme pour me complaire en Dieu, et maintenant, l'amour de moymesme me rapporte a moymesme pour me complaire en ma complaysance, pour aymer non plus Dieu, mays mon amour de Dieu: et dautant que c'est l'amour de Dieu que j'ayme, qui est le plus aggreable amour de tous, l'amour que j'en ay m'amuse plus aggreablement, plus fortement et intimement.

  A005001507 

 Il est vray, Philothee, vous verres une mere tellement embesoignee de son enfant, qui semble qu'elle n'ayt aucun autre amour que celuy la: elle n'a plus d'yeux que pour le regarder, ni plus de baysers que pour le caresser, ni plus de soin que pour l'eslever, ni plus de poitrine que pour l'alaiter, et semble qu'ell'ayt quitté l'amour du mari pour celuy de l'enfant; mays pourtant, sil failloit venir au choix de perdre ou l'un ou lautre, alhors on verroit bien qu'ell'estime plus son mari que dix enfans, et que si bien l'amour de l'enfant estoit le plus empressé, le plus tendre, le plus passionné, lautre neanmoins estoit le plus excellent, le plus fin et le meilleur.

  A005001508 

 Car, voyes vous pas, Philothee, que quicomque ayme Dieu de cette sorte, il a tout son cœur, toute son ame, toutes ses puissances et toutes ses forces dedié a Dieu? puis que toutes fois et quantes quil sera requis quitter tout pour son amour, il le fera sans reserve quelcomque..


14-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome XIV-Vol.4-Lettres.html
  A014001250 

 Je pense aussi de pousser dehors un jour un petit Calendrier et Journalier pour la conduitte de l'ame devote, auquel je representeray a Philothee des saintes occupations pour toutes les semaines de l'annee..

  A014001253 

 L'autre chose qu'il me dit, c'est que, pour une simple et premiere introduction, je porte trop avant ma Philothee; et cela est arrivé parce que l'ame que je traittois estoit des-ja bien fort vertueuse, quoy qu'elle n'eust nullement gousté la vie devote: c'est pourquoy, en peu de tems, elle advança bien fort..


17-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome XVII-Vol.7-Lettres.html
  A017001473 

 Mays il faudra pourtant bien faire sçavoir au monde vostre bonne intention envers vos enfans; autrement il criera a la Philothee comme au loup garou, et sera bien ayse de prendre ce sujet: a quoy vostre protestation obviera suffisamment.

  A017001661 

 Et pour non seulement les conserver, mays les faire heureusement croistre, vous n'aves pas besoin d'autres advis que ceux que j'ay donné a Philothee dans le livre de l' Introduction, que vous aves; mais toutesfois, pour vous aggreer, je vous veux bien specifier en peu de paroles ce que je desire principalement de vous..

  A017002900 

 Il faut que vous soyes ce que vous estes: mere de famille, puisque vous aves un mary et des enfans, et il le faut estre de bon cœur et avec l'amour de Dieu, ains pour l'amour de Dieu, ainsy que je le dis asses clairement a Philothee, sans s'inquieter ni empresser que le moins qu'il sera possible..


18-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome XVIII-Vol.8-Lettres.html
  A018003986 

 En un mot, je voudrois que vous fussies toute Philothee, et que vous ne fussies rien plus que cela: c'est a dire, que vous fussies comme je marque au livre de l' Introduction, qui est fait pour vous et vos semblables..


19-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome XIX-Vol.9-Lettres.html
  A019003574 

 François de Sales conseille à la Mère de Bréchard de relire «le chapitre De la Patience, de Philothee.» A la Mère de Monthoux, la Sainte répète: «Mon Dieu, ma très chère Fille, pourquoi [435] vous étonnez-vous de toutes les petites contradictions? N'en ayez pas la moindre émotion du monde.


26-Oeuvres de Saint Francois de Sales-Tome XXVI-Vol.5-Opuscules.html
  A026000483 

 Ces prudences sont maintefois emmi les cœurs religieux, comme Pline dit que vers les Indes, au royaume de Suzerat, il y a une herbe d'odeur pretieuse, qui neanmoins est toute couverte de petitz serpentaux et extremement veneneux; car vous verres, Philothee, maintes personnes religieuses et devotes qui ont une prudence extremement active et soigneuse pour les proces, pour les honneurs, pour les rangs, pour amasser et, en somme, sous pretexte de certains devoirs imaginaires, de certain zele sophistiqué et de certaine charité artificieuse..

  A026000483 

 Et il ne se peut dire, ma chere Philothee, combien cette prudence de la chair est subtile, combien d'inventions elle a pour se fourrer dans les cœurs des mortelz, combien de pretextes et de moyens.

  A026000488 

 Certes, Isaie voulant exalter l'admirable prudence de Nostre Seigneur, il ne la colloque pas tant en la connoissance des yeux comm'en celle du goust: Il mangera, dit il, le beurre et le miel, en sorte quil sache repreuver le mal et choysir le bien. En quoy, Philothee, vous voyes quil y a deux prudences, selon deux connoissances: une prudence qui consiste en une science, ou [connaissance] par science, discours et sçavoir; l'autre, qui est une connoissance par goust, experience et savourement.

  A026000488 

 Et certes, Philothee, bien que la prudence soit une vertu qui guide et qui, par consequent, tient entre les actions des vertus le lieu que la lumiere corporelle [tient] entre les oeuvres artificielles, en sorte que comme ceux qui travaillent sans lumiere sont sujetz a mille fautes, comme ceux qui veulent exercer les vertus sans la sainte discretion font des pechés et des grandes nullités (comme le grand saint Anthoyne declara en la conference quil eut avec ses autres Peres du desert, ainsy que raconte Cassian, qui dit que la prudence selon l'Evangile estoit l'œil et la lampe de tout le cors ); si est ce neanmoins, Philothee, que nul n'est estimé prudent pour sçavoir ce qu'il faut eviter et choysir, sil n'est diligent a le bien executer.

  A026000508 

 Car je vous prie, Philothee, si je demande en justice l'argent que j'ay preste a mon voysin, est ce une priere et orayson? Non certes, ains une demande rigoureuse.

  A026000509 

 Or, Dieu ne nous doit rien, Philothee, a tous tant que nous sommes, pour nostre regard et pour nostre consideration; car, qu'avons nous pour l'obliger de quoy il ne nous ayt premierement obligés? Nous ne luy sçaurions jamais rien donner, car si nous luy presentons quelque chose, l'ayant premierement receue de luy, c'est rendre, non pas donner; c'est payer, non pas obliger; nous ne l'obligeons pas, mais nous nous acquitons de la dette.

  A026000510 

 Ce n'est pas, Philothee, que Nostre Seigneur ne se soit constitué debteur envers nous des recompenses immortelles, si nous observons ses commandemens, et quil ne die souvent que non seulement il nous les donnera, mais quil les nous rendra: Mon Pere, dit il a celuy qui priera en son nom, te le rendra; et l'Apostre, parlant de la coronne de gloire: laquelle, dit il, en ce jour la advenir le juste Juge me rendra.

  A026000510 

 Ouy, en verité, Philothee, nos bonnes œuvres faites en la grace de Dieu meritent recompense, et Nostre Seigneur s'oblige de la rendre, comme toute l'Escriture tesmoigne; mays ce n'a pas esté par [62] droit de justice que Nostre Seigneur s'est obligé de nous rendre recompense, ça esté par pure misericorde, selon la grandeur de laquelle il nous a voulu sauver.

  A026000511 

 Imagines vous, Philothee, le petit Thobie qui demande le payement a Raguel pour son pere, et voyes comme il est payé favorablement par ce quil ressembloit son pere; car il en est de mesme: nous demandons au Pere ce quil doit a son Filz, auquel si nous sommes rendus semblables par une sainte charité, mon Dieu que de graces! Or il doit a son Filz selon mesme toute la rigueur de justice, ainsi que nos sçavans theologiens enseignent, tout ce quil a merité pour nous: or il a merité pour nous que nous puissions meriter, si que le pouvoir que nous avons de meriter est un rejetton du merite de Nostre Seigneur.

  A026000534 

 Il faut rendre a chacun ce qui luy appartient: rendes donc a ce furieux son espee, et il en tuera quelqu'un sur le champ! Non, Philothee, cela ne se doit pas faire; car bien quil faille rendre a chacun ce qui est a luy, cela s'entend quand il n'en abuse pas au plus grand dommage du prochain, et l'equité nous enseigne cela.

  A026000553 

 Mays, Philothee, cela ne s'entend pas en sorte que les personnes mariees ne puissent pas estre tout entierement a Dieu aussi bien que les continens et vierges: car [combien de mariés] y a-il eu en l'Eglise, d'une tres eminente sainteté, [plus grande même que celle de] beaucoup de vierges et continens?.

  A026000553 

 Notes, Philothee, que le grand saint Augustin a tiré de ce lieu la deffinition de la temperance, quand il a dit que c'estoit « un amour qui se donne tout entier a Dieu; » car l'Apostre monstre clairement que le principal but du cœlibat et la virginité est de se joindre et unir plus entierement [81] a Dieu; qu'en comparayson de la personne qui s'abstient parfaitement, la personne mariee est divisee en ses affections, partageant son soin en deux partz, bien qu'inegales; car tous-jours en faut il quelque partie pour aggreer au mari, et c'est autant de moins en ce qui se pouvoit donner a Dieu, c'est tous-jours une distraction et un retranchement de l'entiere et absolue attention que l'on eut donnee a Dieu.

  A026000555 

 Mays par ce que nostr'aage a produit mille et mille cerveaux frivoles, badins et voluptueux, qui ont mesprisé cett'angelique vertu, Philothee, je diray encor seulement ce mot.

  A026000555 

 Mon Dieu, Philothee, que la chasteté est belle, qui range [82] l'appetit brutal de nostre concupiscence a la pureté des Anges et Espritz caslestes, desquelz comme la pureté est plus pure, aussi la nostre est plus vaillante, car ilz l'ont sans vertu, par nature, et nous la conquerons entre mille hazars, par une continuelle guerre que nous faysons a nos ennemis et, ce qui est plus considerable, a nos amis: aux sens, a l'imagination et a toute cette trouppe de sentimens rebelles et mutins que nostre chair fournit a nostr'ennemi.

  A026002207 

 point, user de la petitte orayson qui est en l' Exercice du mattin de Philothee..





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