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Je vous prie, Theotime, quelle prudence peut avoir un homme intemperant, injuste et poltron, puisqu'il choisit le vice et laisse la vertu? Et comme peut-on estre juste sans estre prudent, fort et temperant, puisque la justice n'est autre chose qu'une perpetuelle, forte et constante volonté de rendre a un chacun ce qui luy appartient, et que la science par laquelle le droit s'administre est nommee jurisprudence, et que pour rendre a chacun ce qui luy appartient il nous faut vivre sagement et modestement, et empescher les desordres de l'intemperance en nous, affin de nous rendre ce qui nous appartient a nous mesmes? Et le [259] mot de vertu ne signifie-il pas une force et vigueur appartenante a l'ame en proprieté, ainsy que l'on dit les herbes et pierres pretieuses avoir telle et telle vertu ou proprieté? Mais la prudence est-elle pas imprudente en l'homme intemperant? La force sans prudence, justice et temperance n'est pas une force, mais une forcenerie; et la justice est injuste en l'homme poltron, qui ne l'ose pas rendre, en l'intemperant, qui se laisse emporter aux passions, et en l'imprudent, qui ne sçait pas discerner entre le droit et le tort.
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